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Date: 19981021

Dossier: 97-2784-GST-I

ENTRE :

DENISE GRAVELINE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Avocate de l'appelante : Me Yolaine Lindsay

Avocat de l'intimée : Me François Trudel

Motifs du jugement

(rendus oralement le 18 septembre 1998 à Montréal (Québec))

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels à l'encontre de cotisations établies en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (Loi) à l'égard de périodes qui, selon la réponse à l'avis d'appel, vont du 1er octobre 1995 au 31 décembre 1995 et du 1er janvier 1996 au 31 mars 1996. Selon le témoignage du vérificateur de l'intimée, les montants de crédits de taxe pour intrants (CTI) qui ont fait l'objet de ces cotisations se rapportaient à des périodes plus nombreuses, à savoir celles allant du 1er juillet 1992 au 31 mars 1996.

[2] Le montant de CTI visé par la première cotisation représente une somme de 1 459,87 $, et celui visé par la deuxième cotisation, une somme de 8 239,94 $. Dans son avis d'appel, madame Graveline a reconnu qu'en ce qui concerne les CTI visés par cette deuxième cotisation, elle n'avait droit qu'à une somme de 3 623,37 $.

[3] Le litige porte sur le droit de madame Graveline de recevoir des CTI en vertu de l'article 169 de la Loi. Essentiellement, il s'agit de déterminer si les CTI ont été réclamés à l'égard de biens et de services acquis dans le cadre de l'exploitation d'une activité commerciale. L'intimée soutient que l'élevage de chats fait par madame Graveline ne constituait pas une « activité commerciale » parce que cette dernière « a exploité son entreprise d'élevage sans attente raisonnable de profit » .

[4] Cette notion d'activité commerciale se retrouve à l'article 123 de la Loi :

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l'exploitation d'une entreprise (à l'exception d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier ou une société de personnes [...])

[...]

[Je souligne.]

Faits

[5] Après avoir été enseignante pendant environ 25 années, madame Graveline s'est lancée dans l'élevage de chats. Elle a indiqué qu'elle avait vécu les 20 premières années de sa vie sur une ferme. Son élevage de chats a débuté en 1986 dans le sous-sol de sa résidence située à St-Hyacinthe. Entre 1986 et 1988, madame Graveline a acquis 22 chats dont le coût total s'est élevé à 9 225 $. Ce n'est qu'à compter de 1992 que madame Graveline a fait l'achat de nouveaux chats : 30 nouveaux chats seront achetés entre 1992 et 1997.

[6] Entre 1986 et 1998, madame Graveline a fait l'acquisition d'équipement, dont notamment un ventilateur au prix d'environ 2 000 $, une citerne à eau pour une somme d'environ 1 500 $ et un aspirateur pour 3 000 $, de même que des cages pour chats pour une somme d'environ 3 200 $.

[7] Dès le début, ses chats ont été affligés de sérieux problèmes de santé. Il y a eu tout d'abord des problèmes de maladie de la peau, ensuite des maladies respiratoires et d'autres maladies virales. À compter de 1992, d'autres problèmes de santé se sont ajoutés : les chattes mettaient bas des chatons momifiés ou ayant d'importantes malformations. Beaucoup de ces chatons ont péri rapidement après leur naissance.

[8] Après quelques mois de recherches, madame Graveline a découvert que l'alimentation nouvelle qu'elle avait adoptée en 1992 avait provoqué ces nouveaux problèmes. Il n'est donc pas surprenant que les problèmes de santé survenus à partir de 1992 aient fait grimper de façon importante ses frais de vétérinaire qui, pour l'année 1993, s'élevaient à 1 698 $ au cours du premier trimestre, à 1 390 $ au cours du deuxième, à 2 592 $ au cours du troisième et à 3 035 $ au cours du quatrième.

[9] Madame Graveline a aussi eu de la difficulté à déterminer les bons médias pour la commercialisation de ses chatons. Elle a d'abord fait des annonces dans les journaux de sa localité et de localités voisines. Elle a aussi essayé la publicité par le câble communautaire mais sans trop de succès. À cause de ces difficultés, ses ventes ne se sont pas faites assez rapidement, ce qui a entraîné une surpopulation de chats. Ce fait explique en partie les nombreux problèmes de santé de ses chats.

[10] Plus récemment, madame Graveline semble avoir trouvé un meilleur média pour offrir ses services. Elle met des annonces dans les bottins téléphoniques des villes avoisinantes et ceci semble donner de meilleurs résultats.

[11] D'autres problèmes se sont ajoutés en 1994. À la suite d'une plainte formulée par des voisins, la Ville de St-Hyacinthe lui a intimé l'ordre de déménager son entreprise d'élevage de chats à l'extérieur de cette municipalité. Ceci l'a obligée à remettre en question son désir de continuer son élevage. En dernière analyse, puisqu'elle croyait au succès de cette entreprise, madame Graveline a décidé de mettre en vente sa résidence de St-Hyacinthe et d'établir dans le village de St-Liboire sa résidence et son entreprise.

[12] La preuve a fourni les données suivantes relativement aux recettes brutes de madame Graveline, au montant de ses dépenses, au nombre de chats vendus, de même que, pour certaines années, au niveau de son stock :

Année Montants des dépenses Recettes brutes nombres de chats

vendus et (stock)

1991 17 035 $ 2 850 $ N/D

1992 20 052 $ 6 598 $ 40

1993 24 053 $ 5 430 $ 35

1994 20 737 $ 4 675 $ 21 (325 chats)

1995 24 756 $ 5 820 $ 34 (188 chats)

1996 21 297 $ 6 200 $ 32

1997 20 921 $ 11 636 $ 70

1998

(15 septembre) N/D 13 044 $ 71

[13] Madame Graveline a estimé ses revenus bruts pour le reste de l'année 1998 à un montant supplémentaire de 5 000 $ et s'attend à une diminution du montant de ses dépenses par rapport à l'année antérieure.

[14] Dans son témoignage, madame Graveline a affirmé qu'elle consacrait chaque jour à l'entretien et à l'élevage de ses chats entre dix et douze heures de travail, sept jours sur sept. En plus de ces activités, madame Graveline a aussi participé à plusieurs expositions.

Analyse

[15] La question en litige est de savoir si madame Graveline a exploité une entreprise avec une attente raisonnable de profit du 1er juillet 1992 au 31 mars 1996. Avant de trancher cette question, j'aimerais rappeler certains principes qui doivent me guider. Tout d'abord, la détermination de l'existence d'une attente raisonnable de profit doit être faite à l'égard de la période pertinente. Bien entendu, des activités constituant un hobby ne peuvent pas constituer une entreprise, encore moins une entreprise exploitée avec une attente raisonnable de profit. À moins de circonstances spéciales ¾ comme il y en aurait notamment si le contribuable exerçait ses activités plus pour son plaisir personnel que pour réaliser un bénéfice ou s'il s'agissait d'une activité visant davantage à permettre la déduction de dépenses personnelles ¾ il faut prendre garde de ne pas être trop exigeant dans l'appréciation des faits. Autant que cela soit raisonnable, il faut donner le bénéfice du doute au contribuable. Il serait injuste qu'un contribuable ne soit considéré comme exploitant une entreprise avec une attente raisonnable de profit que s'il réalise des bénéfices. L'exploitation d'une entreprise comporte généralement des risques importants de pertes et des avantages fiscaux ne doivent pas être refusés à ceux qui, légitimement, essaient d'exploiter une entreprise à des fins lucratives. (Voir notamment l'affaire Tonn v. The Queen, 96 DTC 6001 (CAF).)

[16] De plus, même si une entreprise subit des pertes, et ce pendant plusieurs années, cela ne signifie pas nécessairement qu'il n'existe pas d'entreprise exploitée avec une attente raisonnable de profit. Il est important de rappeler que, lorsqu'une personne fonde une nouvelle entreprise, il est normal qu'il s'écoule une période raisonnable avant que l'entreprise ne réalise des bénéfices. Par contre, l'existence de pertes répétitives pendant un grand nombre d'années peut constituer un indice sérieux que l'entreprise n'est pas exploitée avec une attente raisonnable de profit. Dans l'analyse des pertes répétitives, il est important d'étudier les circonstances dans lesquelles elles se sont produites et de considérer les efforts fournis par le contribuable pour trouver une solution à ses problèmes. Si les pertes continuent à se répéter malgré tous les efforts du contribuable pour corriger la situation, il est possible qu'une activité qui constituait pour une période donnée une entreprise exploitée avec une attente raisonnable de profit cesse de l'être à l'égard d'une période subséquente. Finalement, chaque appel doit être étudié en fonction des faits qui lui sont propres, chaque affaire étant un cas d'espèce.

[17] Lorsque j'analyse l'ensemble de la preuve qui a été faite ici, j'en viens à la conclusion qu'un espoir raisonnable de profit existait au cours de la période du 1er juillet 1992 au 31 mars 1996. Les faits qui m'amènent à conclure de cette façon sont les suivants. Tout d'abord, il faut constater que madame Graveline a investi tout près de 10 000 $ dans l'acquisition de son équipement. À ce capital, il faut ajouter celui qui a financé les pertes d'exploitation. De 1991 à 1997, les dépenses d'exploitation dépassent les recettes brutes d'environ 100 000 $. Madame Graveline a indiqué avoir utilisé ses économies personnelles pour les financer. De plus, le fait que son stock se soit situé à autant que 325 chats au 31 décembre 1994 constitue, à mon avis, un indice sérieux que madame Graveline exploite une entreprise et qu'elle ne se livre pas à une activité qu'on pourrait qualifier de hobby.

[18] Le fait qu'elle ait dû y consacrer de très longues heures à chaque semaine est aussi un indice de l'existence d'une entreprise. Je ne crois pas qu'une personne qui exerce un hobby consacrerait autant de temps et d'énergie à l'élevage de chats.

[19] Il faut reconnaître toutefois que l'entreprise de madame Graveline n'a pas réalisé de profit depuis sa fondation et qu'elle a accumulé un montant impressionnant de pertes. Cependant, cette situation peut s'expliquer. Il y a d'abord les sérieux problèmes de santé chez ses chats, auxquels madame Graveline a dû faire face. Ce fait explique en grande partie le niveau élevé de ses dépenses et le niveau plutôt bas de ses recettes brutes. En plus des problèmes de santé, on peut aussi mentionner les problèmes de mise en marché, les problèmes survenus lors du déménagement et ceux créés par la concurrence exercée par des amateurs.

[20] Par contre, les données financières déjà mentionnées révèlent certains indices encourageants. Les recettes brutes ont augmenté constamment de 1994 à 1998, les dépenses ont diminué de 1995 à 1998. La preuve révèle aussi que madame Graveline a mis en place des mesures pour améliorer son cheptel. Elle a diversifié les races de ses chats. Elle a même acheté un géniteur dont le prix s'est élevé à 2 000 $. Avec les années, madame Graveline a aussi acquis de l'expérience. En raison de tous ces faits, je crois que durant la période pertinente elle était en mesure de s'attendre que cette entreprise puisse réaliser des profits.

[21] Avant de conclure, j'aimerais commenter la décision rendue dans l'affaire Two Carlton Financing Limited v. The Minister of National Revenue, 98 GTC 2141. Le procureur de l'intimée a cité cette décision à l'appui de sa prétention que le fait qu'un contribuable n'ait déclaré aucune vente durant la période en litige pouvait permettre au tribunal d'inférer que le contribuable ne se livrait pas à une activité commerciale.

[22] Après avoir pris connaissance des faits de cette affaire, j'en suis venu à la conclusion que la décision Two Carlton n'étaye aucunement les prétentions du ministre. Il m'est apparu claire que le problème soulevé dans cette affaire-là concernait la crédibilité. Il était loin d'être certain que le contribuable avait effectivement exploité une entreprise admissible pour les fins des CTI. Je note que l'entreprise avait dans le passé fourni des services financiers non visés par la Loi. En dernière analyse, mon collègue le juge Rip a conclu qu'il n'avait pas été convaincu par la preuve qu'on lui avait présentée que ce contribuable avait effectivement exercé une activité commerciale admissible.

[23] Pour ces motifs, je conclus que les appels de madame Graveline doivent être accueillis et que les cotisations doivent être déférées au ministre en tenant compte du fait que madame Graveline a droit à des CTI de 1 459,87 $ à l'égard de la première cotisation et de 3 623,37 $ pour ce qui est de la deuxième.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d'octobre 1998.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

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