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Date: 19991208

Dossiers: 1999-1521-EI; 1999-1522-CPP; 1999-1523-EI; 1999-1524-CPP

ENTRE :

KENNETH V. DYCK, BIGKNIFE OILFIELD OPERATING LTD.,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Avec le consentement des parties, les appels en l'instance ont été entendus ensemble sur preuve commune à Edmonton (Alberta) le 23 juillet 1999.

[2] Les appelants portent en appel des décisions par lesquelles, le 12 novembre 1998, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a déterminé que, du 21 février au 6 août 1998, l'appelant Kenneth Dyck (ci-après appelé “ M. Dyck ”) avait exercé chez l'appelante Bigknife Oilfield Operating Ltd. (ci-après appelée “ Bigknife ”) un emploi assurable ouvrant droit à pension en vertu respectivement de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi sur l'a.-e. ”) et du Régime de pensions du Canada (le “ Régime ”).

[3] La raison donnée est la suivante :

[TRADUCTION]

Vous avez été engagé aux termes d'un contrat de louage de services et, par conséquent, vous étiez un employé de Bigknife [...]

[4] Les faits établis révèlent que, pendant la période pertinente, Bigknife offrait des services liés à des gisements pétrolifères, notamment des services d'entretien de chantiers de forage et de raffineries. Au cours de cette période, M. Dyck était responsable de l'entretien et de la supervision à la raffinerie de Red Willow/Donalda, propriété de Fletcher Challenge Energy Canada Inc. (“ Fletcher ”), qui en assurait l'exploitation. Il avait été engagé par Bigknife pour effectuer ce travail aux termes d'un contrat verbal qui, selon les deux parties concernées, était un contrat d'entreprise et non un contrat de travail ou de louage de services. Ayant adopté le point de vue contraire, le ministre a déterminé que des cotisations étaient dues et payables aux termes de la Loi sur l'a.-e. et du Régime. La première question en litige en l'espèce porte par conséquent sur la nature de la relation de travail qui existait entre les deux appelants.

[5] À l'étape du dépôt de l'appel, le ministre a soulevé une autre question, à savoir que, même si les modalités de travail conclues n'équivalent pas à un contrat de louage de services, M. Dyck occupait un emploi assurable ouvrant droit à pension en vertu de l'alinéa 6g) du Règlement sur l'assurance-emploi (le “ Règlement sur l'a.-e. ”) et de l'article 34 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (le “ Règlement sur le RPC ”), libellés respectivement dans les termes suivants :

6 g) l'emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l'agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l'agence.

34 (1) Lorsqu'une personne est placée par une agence de placement pour la fourniture de services ou dans un emploi auprès d'un client de l'agence, et que les modalités régissant la fourniture des services et le paiement de la rémunération constituent un contrat de louage de services ou y correspondent, la fourniture des services est incluse dans l'emploi ouvrant droit à pension, et l'agence ou le client, quel que soit celui qui verse la rémunération, est réputé être l'employeur de la personne aux fins de la tenue de dossiers, de la production des déclarations, du paiement, de la déduction et du versement des contributions payables, selon la Loi et le présent règlement, par la personne et en son nom.

(2) Une agence de placement comprend toute personne ou organisme s'occupant de placer des personnes dans des emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des emplois pour des personnes moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération.

Le droit

[6] La façon dont la Cour doit déterminer si des modalités particulières de travail constituent un contrat de louage de services, qui correspond à une relation employeur-employé, ou un contrat d'entreprise, qui correspond à une relation entre entrepreneurs indépendants, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). Le critère devant être appliqué a également été expliqué par cette cour dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., C.A.F., 15 janvier 1988, no A-531-87 (88 DTC 6099). Par la suite, la Cour canadienne de l'impôt a rendu de nombreuses décisions, dont certaines ont été citées par les avocats, qui montrent comment ces lignes directrices ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale disait :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] "examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties". Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] "l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations" et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : "Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents".

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[7] Les critères auxquels la Cour se reportait peuvent être résumés comme suit :

a) le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l'intégration des travaux effectués par le prétendu employé dans l'entreprise du prétendu employeur.

[8] Mentionnons aussi les propos suivants tenus par le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe, précité, pour approuver l'approche utilisée dans les tribunaux anglais :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.)[...], qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739):

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[9] J'ajouterai à ces propos ceux du juge Décary, dans l'arrêt Charbonneau v. Canada (M.N.R.) [1996] F.C.J. No. 1337, où, s'exprimant pour la Cour d'appel fédérale, il a déclaré :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service [...]. En d'autres termes, il ne faut pas, et l'image est particulièrement appropriée en l'espèce, examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

Examen de la preuve

[10] On peut lire, dans les réponses aux avis d'appel, que le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes (les mêmes dans chaque cas) :

1999-1523(EI)

[TRADUCTION]

l'appelante offre des services liés aux champs de pétrole, notamment des services d'entretien de chantiers de forage et de raffineries;

l'appelante attribue un groupe de chantiers à un travailleur, qui est alors chargé d'effectuer les vérifications requises, de tenir les registres nécessaires et d'établir les graphiques appropriés;

l'appelante a attribué à M. Dyck un groupe de chantiers dont il avait la responsabilité;

l'appelante exigeait que M. Dyck vérifie quotidiennement tous les chantiers qui lui avaient été attribués;

l'appelante avait établi des exigences minimales auxquelles M. Dyck devait satisfaire; cependant, M. Dyck pouvait aussi être appelé à s'acquitter d'autres fonctions à la demande des clients de l'appelante;

M. Dyck était payé de la façon suivante :

un salaire de base de 256 $ par jour;

32 $ l'heure pour les rappels au travail supplémentaires nécessitant l'utilisation de son véhicule;

23 $ l'heure pour les rappels au travail supplémentaires ne nécessitant pas l'utilisation de son véhicule;

(iv) 14 $ l'heure pour les tâches accessoires dans le cadre desquelles l'équipement de l'appelante était utilisé;

M. Dyck facturait l'appelante qui, à son tour, facturait ses clients;

M. Dyck avisait l'appelante s'il devait prendre congé et l'appelante s'occupait de lui trouver un remplaçant;

M. Dyck consignait ses heures de travail et facturait l'appelante tous les mois;

le rendement de M. Dyck était surveillé par les clients de l'appelante;

M. Dyck est engagé pour son savoir-faire afin d'effectuer le travail personnellement.

[11] Les appelants ont convenu de l'exactitude des hypothèses formulées aux alinéas a), f), g) et i), mais ils ont contesté le reste des hypothèses de fait.

[12] De plus, le ministre aurait admis les déclarations suivantes dans les avis d'appel :

(1999-1523(EI))

[TRADUCTION]

L'appelante est une société qui réside au Canada aux fins de la Loi sur l'a-e. et du RPC.

L'entreprise de l'appelante consiste à conclure des contrats avec des producteurs pétroliers pour l'exploitation et l'entretien d'installations de champs de pétrole brut et de gaz naturel.

M. Dyck [...] devait obtenir ses propres attestations de sécurité et permis.

M. Dyck déterminait les méthodes qu'il utilisait pour fournir les services à l'appelante aux termes du contrat de sous-traitance relatif aux installations. Les services fournis par M. Dyck n'étaient pas supervisés par l'appelante; ce sont les employés de Fletcher Challenge qui assuraient la supervision, le cas échéant.

L'appelante ne supervisait M. Dyck d'aucune façon.

Au cours de la durée du contrat de sous-traitance relatif aux installations, M. Dyck a fourni des services à des clients autres que l'appelante.

M. Dyck a acheté et fourni un véhicule, de menus outils à main et l'équipement de protection requis dans l'exercice de ses fonctions aux termes du contrat de sous-traitance. Il devait également suivre, dans ses temps libres et à ses frais, les cours de sécurité nécessaires pour fournir les services prévus au contrat de sous-traitance.

M. Dyck [...] pouvait travailler pour d'autres clients en tout temps, et c'est ce qu'il a fait.

[...] Chaque mois, M. Dyck facturait l'appelante pour les services qu'il avait fournis.

M. Dyck était inscrit aux fins de la taxe sur les produits et services (“ TPS ”).

[...] M. Dyck touchait 256 $ par jour pour le travail effectué [...]

M. Dyck facturait l'appelante 32 $ l'heure pour les rappels au travail [...]

M. Dyck courait le risque de subir des pertes s'il y avait bris d'équipement. Il engageait également diverses dépenses dans le cadre des services qu'il assurait aux termes du contrat de sous-traitance.

M. Dyck était un expert des méthodes requises pour fournir ses services, et c'est pour cette raison que l'appelante retenait ses services.

M. Dyck fournissait aussi certains services à l'appelante aux fins de l'entretien de concessions de champs de pétrole, plus particulièrement des services de tonte du gazon. À cet égard, M. Dyck utilisait l'équipement fourni par l'appelante et il était payé 14 $ l'heure.

(1999-1521(EI))

[TRADUCTION]

[...] Il devait obtenir ses propres attestations de sécurité et permis.

Bigknife [...] ne supervisait l'appelant d'aucune façon.

Pendant la durée du contrat de sous-traitance, l'appelant a fourni des services à différents clients autres que Bigknife.

L'appelant a acheté et fourni un véhicule, de menus outils à main et l'équipement de protection requis dans l'exercice de ses fonctions aux termes du contrat de sous-traitance. Il devait également suivre, dans ses temps libres et à ses frais, les cours de sécurité nécessaires pour fournir les services prévus au contrat de sous-traitance.

L'appelant [...] pouvait travailler pour d'autres clients en tout temps, et c'est ce qu'il a fait.

[...] Bigknife ne supervisait jamais le travail de l'appelant [...]

[...] Chaque mois, l'appelant facturait Bigknife pour les services qu'il avait fournis.

L'appelant était inscrit aux fins de la taxe sur les produits et services (“ TPS ”).

L'appelant touchait le taux fixe de 256 $ par jour [...]

[...] L'appelant facturait Bigknife 32 $ l'heure pour les rappels au travail [...]

L'appelant courait le risque de subir des pertes s'il y avait bris d'équipement. Il engageait également diverses dépenses nécessaires dans le cadre des services qu'il assurait aux termes du contrat de sous-traitance.

L'appelant était un expert des méthodes nécessaires pour fournir ses services, et c'est pour cette raison que Bigknife retenait ses services.

L'appelant fournissait aussi certains services individuels à Bigknife aux fins de l'entretien de concessions de champs de pétrole, plus particulièrement des services de tonte du gazon. À cet égard, M. Dyck utilisait l'équipement fourni par Bigknife et il était payé 14 $ l'heure.

[13] Kenneth Dyck a témoigné pour son propre compte. Norman Hamilton, président et détenteur de la moitié des actions de Bigknife, a aussi témoigné.

[14] Les faits essentiels sont vraiment très clairs. Leur interprétation est un peu plus complexe. Aucune question de crédibilité n'a été soulevée en l'espèce. Kenneth Dyck et Norman Hamilton ont témoigné de façon honnête et directe, et je n'ai aucune hésitation à accepter leurs témoignages.

[15] Kenneth Dyck a été engagé à l'origine par d'autres sociétés pour s'occuper de la raffinerie en question. À la fin de 1997 ou au début de 1998, la raffinerie a été vendue à Fletcher. Des représentants de cette compagnie sont entrés en contact avec M. Dyck et lui ont demandé de rester en poste pendant trois mois pour s'occuper de la raffinerie et former ou superviser leur personnel jusqu'à ce qu'il soit en mesure de prendre la relève. Ils ont cependant indiqué à l'appelant que les modalités de l'entente allaient devoir être conclues avec Bigknife, qui s'occupait de toutes les questions de personnel.

[16] Selon les explications de Norman Hamilton, l'entente était que Bigknife faisait des offres en vue de fournir tout le personnel nécessaire à l'exploitation des installations de champs de pétrole ou de gaz naturel. De cette façon, une compagnie comme Fletcher n'avait qu'un seul paiement à effectuer à une seule compagnie qui, en retour, s'occupait de tout le personnel, qu'il s'agisse d'employés, de corps d'état du second-oeuvre, d'entrepreneurs autonomes ou autres.

[17] Fletcher a conclu une entente de cette nature avec Bigknife en février 1998. À l'époque, la compagnie a informé très clairement Bigknife qu'elle souhaitait que M. Dyck exploite l'installation de Red Willow/Donalda dans les premiers temps, jusqu'à ce que son personnel soit prêt à prendre la relève. Bigknife a ensuite négocié avec M. Dyck dans le but d'engager ce dernier pour exécuter à peu près les mêmes fonctions que celles qu'il avait exécutées pour le propriétaire précédent. Il a été question d'un contrat de trois mois, M. Dyck devant s'occuper de la formation ou de la supervision des nouveaux membres du personnel et assumer les dépenses liées à son travail. À titre d'employé, il avait auparavant été payé 23 $ l'heure. Aux termes de la nouvelle entente, qui faisait de lui, a-t-il cru comprendre, un entrepreneur autonome, il obtenait un salaire quotidien de 256 $, basé sur une journée de travail de huit heures environ, à 32 $ l'heure. Il avait d'abord demandé un taux horaire de 35 $, mais il a accepté 32 $. L'augmentation salariale de 9 $ l'heure tenait de toute évidence au fait qu'il devrait dorénavant assumer la totalité de ses dépenses. Si je dis cela, c'est parce que, pendant quelques jours au début, il n'avait ni camion, ni outil, et il a facturé ses heures au même taux horaire de 23 $.

[18] Le contrat a été conclu oralement entre les parties. Chaque mois, M. Dyck facturait Bigknife et recevait un montant brut. Apparemment, il réclamait la TPS sur les montants et il produisait ses déclarations de revenus comme propriétaire unique d'une entreprise.

[19] M. Dyck a acheté le camion qu'il avait conduit auparavant pour son ancien employeur, ainsi qu'un certain nombre d'outils dont il allait avoir besoin. Le tout lui a coûté 9 000 $. Aucun montant ne lui a été versé en sus du montant quotidien de 256 $ par jour pour les dépenses qu'il a engagées. Il payait ses propres dépenses d'utilisation du camion, dont l'essence et l'huile, et il devait lui-même entretenir ses outils. Il devait également payer ses propres cours de perfectionnement ainsi que ses attestations et permis.

[20] Bigknife lui fournissait un téléavertisseur qu'elle payait elle-même pour qu'il soit en disponibilité.

[21] Certains jours, M. Dyck travaillait huit heures, mais ses journées étaient parfois plus longues ou plus courtes. Il ne facturait pas ses heures supplémentaires, à moins d'en avoir effectué un nombre élevé et, dans ce cas, il facturait 1,5, 2 ou 3 fois le taux habituel. Il n'a pas pris de congés au cours de la première période de trois mois, que ce soit pour des vacances ou pour une autre raison. S'il était rappelé au travail d'urgence la nuit, il facturait 32 $ l'heure à partir du moment où il quittait la maison jusqu'au moment où il rentrait chez lui.

[22] Même si la situation ne s'est jamais présentée, il estime qu'il aurait pu engager quelqu'un pour le remplacer, mais que cette personne aurait dû être approuvée par Fletcher.

[23] Il n'avait pas d'horaire et il semble n'avoir rendu de compte à personne. Il accomplissait simplement son travail comme bon lui semblait. Il connaissait très bien les installations et, tant que les choses continuaient de bien aller, et, apparemment, elles allaient bien, il n'était pas nécessaire de rendre des comptes à Fletcher. Il ressort cependant clairement de la preuve que, si cela avait été nécessaire, c'est à Fletcher qu'il se serait adressé pour discuter d'une question ou pour obtenir des instructions, et non pas à Bigknife, qui ne s'occupait en rien du fonctionnement des installations. La responsabilité de Bigknife consistait à trouver quelqu'un pour travailler aux installations et s'en occuper.

[24] M. Dyck avait de toute évidence beaucoup d'expérience et avait donc besoin de peu d'encadrement pour accomplir son travail, sinon aucun.

[25] Il a conclu un autre contrat aux termes duquel il devait tondre le gazon dans un certain nombre de concessions, dix en tout, pour un montant supplémentaire de 14 $ l'heure. Fletcher fournissait la tondeuse. M. Dyck décidait à quel endroit et à quel moment il tondait le gazon. Il devait simplement tondre le gazon dans les différentes concessions quand bon lui semblait. Au cours des six mois en cause, il a consacré au total 13 jours à ce travail.

[26] M. Dyck est d'avis qu'il aurait pu tout aussi bien conclure son contrat directement avec Fletcher, n'eussent été deux choses. Premièrement, la compagnie avait pour politique de faire engager tout le personnel des concessions par M. Dyck. Deuxièmement, en tant que propriétaire unique, M. Dyck ne pouvait pas être assuré contre les accidents du travail, ce qui était une condition d'emploi. Seuls les employés peuvent bénéficier d'une telle protection, ce qui exclut les entrepreneurs autonomes. Par conséquent, à cette fin, il devait figurer comme employé dans les livres de Bigknife, qui payait les cotisations de l'appelant.

[27] En outre, M. Dyck ne détenait aucune assurance responsabilité pour son travail, et, encore une fois, il s'en remettait à Bigknife, qui payait les cotisations.

[28] Au cours de la deuxième période de trois mois, un employé de Fletcher s'est joint à l'équipe. M. Dyck et lui ont établi leurs horaires de travail eux-mêmes. M. Dyck avait travaillé avec un autre employé dans le cadre de son emploi pour l'ancien employeur, et leurs horaires avaient été établis par l'administration centrale.

[29] M. Dyck n'estimait pas qu'il devait superviser cet autre employé. Il lui a fait visiter les lieux pendant une journée, puis il l'a remplacé au cours de la deuxième période de trois mois, lorsque cet employé a dû s'absenter. M. Dyck estime que, durant cette période, il pouvait refuser de travailler n'importe quel jour. Il a déclaré qu'il travaillait si son horaire le lui permettait. La même chose valait pour les rappels au travail la nuit.

[30] M. Dyck a indiqué que, parce qu'il assumait ses propres dépenses, il était plus prudent, sur le plan financier, que lorsqu'il était un employé. Ainsi, s'il était vigilant, il pouvait conserver une plus grande part de l'argent que s'il engageait des dépenses.

[31] Norman Hamilton a déclaré que lui aussi avait travaillé pour Bigknife comme entrepreneur autonome. Cependant, puisqu'il détenait plus de 40 pour cent des actions de la compagnie, il est peu probable que cela ait été contesté; de plus, je ne suis pas tout à fait certain des modalités de son contrat et de la façon dont il a pu différer, le cas échéant, de celui de M. Dyck. Par conséquent, son témoignage ne nous aide pas entièrement.

[32] Ce sont donc là les faits saillants de l'affaire, selon ce que j'en conclus. Je dois maintenant examiner la preuve par rapport au critère juridique à quatre volets énoncé précédemment.

Application du critère à quatre volets

[33] Comme c'est souvent le cas dans ce genre de situation, il y a quelques éléments d'une relation employeur-employé et quelques éléments d'un contrat ou statut d'entrepreneur autonome. Aussi, je considère extrêmement utiles les propos du juge Décary dans l'arrêt Charbonneau, précité, à savoir qu'il faut examiner la situation dans son ensemble. Manifestement, il existait en l'espèce un véritable contrat. Il est peut-être très regrettable qu'il n'ait pas été mis par écrit. Quoi qu'il en soit, la loi est claire : ce n'est pas tant le nom que des parties donnent à des modalités de travail qui importe, que l'essence de la relation qui existe entre elles. En l'absence d'une preuve contraire claire, la Cour devrait donner le poids qui convient à l'intention clairement exprimée des parties. En l'espèce, cependant, la nature exacte de cette intention est loin d'être claire, de toute façon.

[34] La Cour doit ensuite déterminer s'il y a un lien de subordination entre les parties ou s'il y a plutôt un degré d'autonomie tel qu'elle peut conclure à l'existence d'un contrat d'entreprise ou de service. Si je considère la situation d'un point de vue différent, je dois me demander s'il y avait un degré de commercialité tel dans l'entente que celle-ci s'en est trouvée exclue de la catégorie des contrats de travail conclus entre un employeur et un employé.

[35] Contrôle : Lorsque j'examine le volet du critère qui porte sur le contrôle, je dois garder à l'esprit que ce n'est pas tant le contrôle exercé qui importe, que le droit d'exercer ce contrôle. Plus un professionnel ou une personne de métier est expérimenté, moins il est nécessaire de contrôler son travail au quotidien. Cependant, la question est de savoir si Bigknife avait le droit de contrôler le travail de M. Dyck.

[36] En l'espèce, le contrôle, le cas échéant, aurait été à mon avis exercé par Fletcher. La compagnie avait le droit d'insister sur le respect de certaines procédures dans ses installations, et M. Dyck aurait certainement été tenu de les respecter. En théorie, ces procédures auraient pu lui être communiquées par Bigknife, mais cela risquait peu de se produire et ne s'est apparemment jamais produit. M. Dyck a été engagé pour son savoir-faire, il était en grande partie laissé à lui-même à titre de professionnel et il ne rendait de compte à Fletcher que si un besoin particulier se présentait. Par conséquent, cet aspect du critère est davantage le propre de la situation d'un entrepreneur autonome. M. Dyck a pu être engagé pour travailler dans un chantier donné, comme pourrait l'être un électricien dans un chantier de construction, et être informé de ce qui devait être fait, mais, dans l'ensemble, il lui appartenait de décider à quel moment, à quel endroit et de quelle façon le travail devait être effectué. Le contrôle était exercé dans la mesure où M. Dyck ne pouvait travailler sur les lieux sans détenir une assurance contre les accidents du travail ou une assurance responsabilité; toutes deux étaient fournies par Bigknife, ce qui est davantage le propre de la situation d'un employé.

[37] De toute évidence, les outils étaient fournis par M. Dyck; il avait lui-même acheté le camion et les outils, en conséquence de quoi il touchait un salaire horaire plus élevé. Par conséquent, dans un sens, Bigknife a fourni les outils puisqu'elle a fourni les moyens de les obtenir. Néanmoins, hormis le téléavertisseur, ces outils appartenaient à M. Dyck. Il est vrai que des gens de métier et des employés fournissent leurs propres outils pour effectuer un travail, et que leur taux horaire en tient compte. En l'espèce, toutefois, les outils avaient toujours appartenu à l'employeur dans le cadre d'une relation employeur-employé, mais cette situation a changé. Encore une fois, cet aspect du critère ferait pencher la balance légèrement en faveur d'un statut d'entrepreneur autonome.

[38] En ce qui concerne le volet des profits et des pertes, il me semble que M. Dyck avait peu de chance de réaliser des profits et courait peu de risque de subir des pertes. Son travail était régulier, de même que son taux de paie, qui incluait une allocation au titre de l'utilisation de ses outils. Il aurait fallu qu'il soit extrêmement incompétent pour perdre de l'argent dans ce cas-ci. Il n'avait pas besoin d'aller vendre ses services ou de s'occuper d'un bureau. Il n'avait qu'une simple facture à préparer et à envoyer chaque mois. Certes, il a effectué quelques brefs travaux d'électricité pour d'autres compagnies et il tondait le gazon, mais cela avait tellement peu d'importance dans l'ordre général des choses que je ne crois pas devoir en tenir compte. L'aspect commercial du critère est bien davantage le propre d'un contrat de louage de services que d'un statut d'entrepreneur autonome.

[39] En dernier lieu, je dois me pencher sur la question de l'intégration du travail dans l'entreprise. Manifestement, l'entreprise de Fletcher consistait à exploiter les installations faisant partie de la concession. Manifestement, l'entreprise de Bigknife consistait à fournir du personnel compétent à des exploitants de puits de pétrole et de gaz naturel. Je dois aborder cette question du point de vue du travailleur et non de celui de l'employeur, et me demander : à qui appartient l'entreprise? À mon avis, l'entreprise était certainement celle de Fletcher. L'entreprise de Bigknife consistait à recruter et à fournir du personnel pour travailler dans l'entreprise de Fletcher. Nul doute qu'elle pouvait engager des travailleurs aux termes d'un contrat d'entreprise autonome. Cependant, dans la présente affaire, l'aspect commercial d'une entreprise autonome faisait, en réalité, défaut. Certaines caractéristiques sont présentes, plus particulièrement l'indépendance et la propriété des outils, mais la charge incombe aux appelants et, bien que leur avocat ait fait habilement valoir certains points en leur faveur, tout bien considéré, ils ne se sont pas acquittés de la charge qui leur incombait en droit. À mon avis, il y a des indices significatifs, qui ne sont cependant pas assez significatifs pour que l'on puisse faire abstraction du fait que, en réalité, il n'y avait aucun aspect commercial dans le travail de M. Dyck. J'ai beaucoup hésité à cet égard et je suis venu bien près de conclure le contraire, mais je ne puis dire, finalement, lorsque je considère la forêt plutôt que chacun des arbres, qu'il existait un contrat d'entreprise plutôt qu'un contrat de louage de services.

[40] Selon la thèse du ministre, Bigknife a agi dans cette situation comme agence de placement ou d'emploi. Le Règlement sur l'a.-e. en question a été modifié en 1997 et, par conséquent, la jurisprudence antérieure n'est pas particulièrement utile. Cependant, la logique du juge Teskey, dans l'arrêt Rod Turpin Consulting Ltd. o/a Tundra Site Services v. The Minister of National Revenue ([1997] A.C.I. no 1052, DRS 97-17672, no du greffe 97-19(UI)), semble aussi pertinente aujourd'hui qu'elle l'était alors. Bigknife n'était pas un entrepreneur général. Elle n'était chargée que de fournir du personnel compétent. Il n'y avait pas d'honoraires individuels pour les différentes personnes embauchées, mais nul doute que cela était prévu dans le contrat général. M. Dyck se trouve donc à être assujetti à la direction et au contrôle de Fletcher dans la mesure où cela était nécessaire pour assurer ses services. La compagnie avait le droit de contrôler son travail. À mon avis, l'alinéa 6 g) du Règlement sur l'a.-e. et l'article 34 du Règlement sur le RPC s'appliquent chacun à cette situation.

Conclusion

[41] Pour les motifs énoncés précédemment, je conclus que Kenneth Dyck a été engagé par Bigknife Oilfield Services Ltd. aux termes d'un contrat de louage de services au cours de la période en question et qu'il était donc un employé et non un entrepreneur autonome. Il exerçait un emploi assurable ouvrant droit à pension sous le régime de la Loi sur l'a.-e. et du Régime respectivement.

[42] En outre, son travail était inclus dans la catégorie des emplois assurables ouvrant droit à pension en vertu de l'alinéa 6 g) du Règlement sur l'assurance-emploi et de l'article 34 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada.

[43] En conséquence, les appels sont rejetés et les décisions du ministre sont confirmées.

Signé à Calgary (Alberta), ce 8e jour de décembre 1999.

“ Michael H. Porter ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de septembre 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

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