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Date: 20000127

Dossier: 96-4548-IT-G

ENTRE :

RICHARD CHABOT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel des cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994. Par ces cotisations, le Ministre a refusé à l'appelant le crédit d'impôt pour dons de bienfaisance réclamé par ce dernier pour chacune des années en litige, en vertu des paragraphes 118.1(1), (2) et (3) de la Loi. Les dons pour lesquels l'appelant réclamait un crédit ont été établis par ce dernier à 10 000 $ en 1992, 15 000 $ en 1993 et 8 000 $ en 1994. Le Ministre a également imposé des pénalités à l'appelant aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi pour les montants suivants : 1 302,35 $ en 1992 ; 1 833,18 $ en 1993 ; et 995,72 $ en 1994.

Faits

[2] L'appelant est pompier et enseigne dans ce domaine à la Commission scolaire de Laval. Ses revenus d'emploi s'établissaient à 76 985,33 $ en 1992 ; 80 117,53 $ en 1993 et 66 212,42 $ en 1994 (voir pièces I-1, I-2 et I-3).

[3] Au début des années 1990, l'appelant a fait la rencontre, par l'intermédiaire d'un collègue de travail, de monsieur Émile Amireault, courtier d'assurances et propriétaire de la Galerie D'Art Annie-Claude. L'appelant qui n'a pas une connaissance particulière en art, aurait alors donné le mandat à monsieur Amireault d'acheter des oeuvres d'art en son nom et de trouver des organismes de charité à qui il pourrait donner les tableaux. Entre le moment de l'achat et le don, monsieur Amireault gardait les oeuvres puisque l'appelant ne désirait pas en avoir la possession et n'entendait pas assurer ces tableaux. L'appelant n'a jamais vu ces oeuvres, ou des photos de celles-ci. Selon les termes de l'appelant, il ne s'agissait pour lui que d'un investissement et sa seule intention à l'achat était de disposer de ces oeuvres au profit d'organismes de charité.

[4] En 1991, l'appelant a acheté de monsieur Amireault un premier lot de tableaux de différents artistes non identifiés, sans aucune description des oeuvres achetées, pour la somme de 2 800 $. Une commande d'achat effectuée par monsieur Amireault au nom de l'appelant, en date du 22 août 1991, a été mise en preuve sous la pièce A-1.

[5] Selon cette commande d'achat, l'appelant aurait effectué le paiement en trois versements, l'un de 1 400 $ le 22 août 1991, un autre de 800 $ le 18 novembre 1991 et un dernier de 600 $ le 14 février 1992. Ces montants auraient été payés comptant sans qu'il ne fasse de retrait de son compte en banque. L'appelant a mentionné qu'il ne faisait pas de chèques.

[6] Le 14 décembre 1992, l'appelant faisait parvenir une lettre à l'organisme Entraide-Cancer Jeunesse Estrie aux soins de monsieur Bertrand Lapalme, dans la région de Sherbrooke, dans laquelle il lui faisait part de son intention de donner quelques oeuvres d'art de différents artistes (pièce A-2). L'appelant y indiquait que la valeur totale de ces oeuvres était de 10 000 $ et demandait par la même occasion que cet organisme lui délivre un reçu pour don de charité pour le même montant pour l'année 1992.

[7] Cette lettre était accompagnée d'un certificat d'évaluation provenant de la Galerie D'Art Annie-Claude (pièce A-3). Ce certificat établissait la liste de cinq oeuvres d'art qui faisaient l'objet de la donation. Deux de ces oeuvres provenaient de l'artiste René Després, dont la première (une toile en acrylique de 40" x 40") était évaluée à 3 750 $ et la deuxième (une huile de 24" x 36") était évaluée à 2 650 $. Deux autres oeuvres provenaient de l'artiste Guy Lalonde, soit une première huile de 30" x 40" évaluée à 2 350 $ et une deuxième huile de 12" x 16" évaluée à 650 $. La dernière oeuvre provenait de l'artiste Louise Scott. Il s'agissait d'une sérigraphie évaluée à 600 $. Aucune de ces cinq oeuvres ne portait de titre.

[8] Selon le témoignage de monsieur Amireault, c'est lui qui a écrit la lettre signée par l'appelant qui a été déposée sous la pièce A-2. C'est également lui qui a remis les oeuvres à l'organisme de charité et qui a personnellement procédé aux évaluations. Il a expliqué de façon générale comment il procède pour faire des évaluations sans toutefois s'attarder de façon précise sur chacune des oeuvres d'art en litige. Ainsi, il a dit qu'il s'était référé aux prix donnés par les artistes eux-mêmes et qu'il connaissait pour la plupart personnellement, de même qu'aux inscriptions apparaissant dans le guide Vallée (lequel reflète le prix demandé par les artistes canadiens vivants) ainsi qu'à différentes revues, telles la revue « Le Collectionneur » , et la revue « Parcours » . En ce qui concerne les artistes représentés par des galeries d'art, monsieur Amireault se référait aux évaluations données par ces galeries. Monsieur Amireault a expliqué qu'il s'intéressait particulièrement à l'art depuis 1966. Il a déjà représenté certains artistes et a fondé sa Galerie D'Art Annie-Claude au cours des années 80.

[9] L'organisme Entraide-Cancer Jeunesse Estrie a fait un reçu pour don de charité pour l'année 1992 à l'attention de l'appelant pour un montant de 10 000 $ (voir pièce A-4). L'appelant ne se rappelait plus si on lui avait remis ce reçu par la poste ou en mains propres par l'intermédiaire de monsieur Amireault.

[10] Monsieur Bertrand Lapalme est évaluateur pour le musée de Sherbrooke, et oeuvre dans le domaine des arts depuis 1969, soit comme propriétaire de galerie d'art, soit comme organisateur d'encans au profit d'organismes de charité ou de différentes associations caritatives. Lors de son témoignage, il a dit que lorsqu'il recevait des oeuvres d'art en dons de charité pour Entraide-Cancer Jeunesse Estrie, il se fiait sur sa propre connaissance des artistes pour accepter ou non l'évaluation des oeuvres qui lui était soumise. S'il ne connaissait pas l'artiste, il vérifiait généralement avec le représentant de cet artiste l'évaluation attribuée à son oeuvre. Dans le cas présent, monsieur Lapalme a accepté telle quelle l'évaluation fournie par monsieur Amireault avec lequel il transigeait depuis quelques années.

[11] C'est d'ailleurs monsieur Lapalme qui recommandait à monsieur Amireault les différents organismes enregistrés qui acceptaient des dons de charité et donnaient des reçus en conséquence. Monsieur Lapalme ne connaissait pas les donateurs.

[12] Le 8 mars 1993, l'appelant souscrivait la somme de 2 500 $ pour une participation à l'achat de l'ensemble des tableaux de la succession de monsieur Normand Gingras. Par cette lettre de souscription (pièce A-5), l'appelant reconnaissait que sa participation serait proportionnelle à la somme totale déboursée pour l'achat de ces tableaux. Il acceptait également que « monsieur Émile Amireault reçoive comme commission dix pour cent (10%) des tableaux, » lequel s'engageait à fournir une liste des oeuvres achetées, après avoir vérifié la valeur marchande de ces oeuvres.

[13] L'appelant a témoigné qu'il a emprunté la somme de 3 500 $ auprès de la Caisse Populaire Desjardins le 15 mars 1993 (pièce A-14) pour payer la somme de 2 500 $ en argent comptant à monsieur Amireault. Il aurait remboursé ce prêt au mois de mai 1993 avec les fonds provenant de son crédit d'impôt pour l'année 1992.

[14] Monsieur Émile Amireault aurait eu connaissance de la vente de la collection de tableaux par la succession Gingras par l'intermédiaire de son frère Guy Amireault, lequel lui aurait fait rencontrer monsieur Raymond Larivière. Monsieur Larivière, agent immobilier, avait reçu mandat de la succession Gingras de trouver un acheteur pour la collection de tableaux.

[15] Selon monsieur Larivière, monsieur Émile Amireault serait venu voir la collection et aurait fait une offre de 50 000 $ au cours du mois de février 1993 pour l'ensemble de la collection. Au même moment, monsieur Larivière aurait reçu aussi deux autres offres pour des montants inférieurs (de l'ordre de 35 000 $). Selon monsieur Sylvain Gingras, exécuteur testamentaire de la succession, il aurait reçu également une offre de monsieur Serge Joyal, un collectionneur d'oeuvres d'art, pour un montant se situant entre 25 000 $ et 30 000 $ pour le lot de tableaux constituant la collection. Par ailleurs, une autre offre lui aurait été faite pour un montant de 80 000 $, soit 20 000 $ payable comptant et le solde sous forme de redevances à la vente des tableaux. Cette dernière offre a été rejetée par monsieur Gingras puisqu'il voulait fermer le dossier de la succession le plus rapidement possible. Alors que l'offre de monsieur Amireault était sur le point d'être acceptée, un certain monsieur Caron qui avait déjà offert 35 000 $ a proposé 60 000 $ pour l'achat de la collection le 28 février 1993 (pièce I-16). Monsieur Amireault aurait alors retiré son offre. L'offre de 60 000 $ faite par monsieur Caron ne s'étant pas concrétisée, monsieur Amireault aurait à nouveau fait son offre, laquelle fut acceptée le 11 mars 1993 (pièce I-8).

[16] Selon monsieur Amireault, en déboursant 50 000 $, il ne payait que la valeur des encadrements. Au moment de l'achat, il a lui-même évalué les 512 tableaux de la collection à 609 000 $ (voir pièce I-8) dont 225 tableaux de l'artiste René Després évalués à 369 325 $. Quant à monsieur Gingras, il a laissé entendre que son père n'était qu'un marchand de bois et avait dû engloutir une somme assez importante dans l'achat de ces tableaux. Son père aurait, selon lui, déboursé 100 $ par toile pour les faire encadrer. Du témoignage de monsieur Gingras, je crois comprendre que son père aurait déboursé de grosses sommes pour l'achat de cette collection alors qu'il n'avait aucune connaissance dans le marché de l'art. Selon lui, les oeuvres de l'artiste Després n'avaient aucune valeur. Il a même dit les avoir vendues pour 1 $. Il en était de même pour la moitié des oeuvres de la collection qui contenait en tout 512 tableaux et 8 sculptures (voir pièce I-8).

[17] Le 17 mars 1993, monsieur Sylvain Gingras reconnaissait avoir reçu de monsieur Émile Amireault la somme de 53 700 $ pour l'ensemble des 520 tableaux et sculptures de feu Normand Gingras (voir pièce I-8). En post-scriptum, monsieur Gingras a inscrit que monsieur Émile Amireault garantissait personnellement des chèques de 6 500 $ et de 3 500 $ qui auraient été émis par un tiers. Dans son témoignage, monsieur Gingras a dit qu'il ne se rappelait pas qui avait signé les chèques. Il a aussi mentionné que le solde du paiement de 50 000 $ avait été effectué comptant. Quant à monsieur Amireault, il a dit que le chèque de 3 500 $ remis à monsieur Gingras, avait été signé par l'appelant. Il est à souligner ici que l'appelant avait dit précédemment qu'il avait payé monsieur Amireault en argent comptant.

[18] Par ailleurs, lors de son témoignage, monsieur Raymond Larivière a dit que monsieur Émile Amireault lui avait offert de payer sa commission avec des oeuvres d'art. Monsieur Larivière réclamait une commission de 5 000 $. Monsieur Amireault lui aurait expliqué qu'en acceptant des oeuvres d'art, il pourrait récupérer ainsi 7 000 $ au lieu de 5 000 $ en faisant des dons à des organismes de charité (dont Entraide-Cancer Jeunesse Estrie) qui lui donneraient des reçus pour dons de charité, ce qui lui procurerait des économies d'impôt (voir pièce I-15).

[19] Monsieur Larivière a décliné cette offre et a dû poursuive monsieur Amireault devant la Cour des petites créances. Il a finalement reçu paiement d'une commission de 3 000 $.

[20] Selon la pièce A-6, le 18 juin 1993, l'appelant reconnaissait avoir reçu de monsieur Émile Amireault des tableaux correspondant à la somme souscrite pour l'achat des oeuvres de la succession Normand Gingras, soit « 4,15 % ou 24 600 $ de [...] 593 000 $ » .

[21] Or selon les pièces I-8 et I-9, la liste complète des tableaux et sculptures de la succession, telle qu'évaluée par monsieur Amireault s'élevait à 628 000 $. L'appelant a expliqué que la somme de 593 000 $ correspondait à l'évaluation finale faite par monsieur Amireault de toute la collection de la succession. L'appelant a dit que monsieur Amireault lui avait fait parvenir l'historique complet de tous les tableaux de la succession ainsi que leur évaluation. Monsieur Amireault lui a même montré les documents de la succession pour que l'appelant constate lui-même la liste des oeuvres d'art dans laquelle il avait une participation.

[22] Le 15 décembre 1993, l'appelant faisait parvenir une lettre à la Fondation Don Des Arts (pièce A-7) par laquelle il offrait en donation quelques oeuvres d'art de différents artistes. La valeur totale de ces oeuvres représentait selon cette lettre la somme de 15 000 $ et l'appelant demandait à la Fondation de lui donner un reçu pour don de charité pour le même montant.

[23] Encore une fois, cette lettre a été rédigée par monsieur Émile Amireault et signée par l'appelant. Un certificat d'évaluation provenant de la Galerie D'Art Annie-Claude accompagnait cette lettre (pièce A-8). Ce certificat listait neuf oeuvres d'art dont aucune ne se retrouvait dans la collection de la succession Gingras. Ces neuf oeuvres d'art sont décrites et évaluées ainsi :

Feito Lui 19 x 17 1/2 1,400.00

sérigraphie 25/75

Carcajou- 1975

Feito Lui 19 x 17 1/2 1,400.00

sérigraphie 25/75

Carcajou- 1975

Putura Yvan 20 x 27 1,400.00

pastel

sans titre

Hanel Olaf 40 x 30 2,150.00

aquarelle et encre/papier

sans titre- 1987

Dufour Marcellin 24 x 30 2,650.00

acrylique/toile

sans titre- 1988

Dufour Marcellin 20 x 24 1,775.00

acrylique/toile

sans titre- 1988

Hanel Olaf 40 x 32 2,150.00

aquarelle et encre

sans titre- 1987

Cosentino Luigi 14 x 18 600.00

huile/toile

sans titre

Cosentino Luigi 36 x 30 1,475.00

huile/toile

Femme aux oiseaux

[24] L'appelant a expliqué qu'il avait acheté une participation dans la valeur de la collection de la succession. Il n'était donc pas important pour lui de donner des tableaux de cette collection en autant que monsieur Amireault donnait des oeuvres d'art pour la valeur qui avait été attribuée à l'appelant, lors de l'achat de sa participation dans la succession.

[25] Un reçu au montant de 15 000 $ a été fait au nom de l'appelant par la Fondation Don Des Arts le 22 décembre 1993 (pièce A-9). Selon monsieur Amireault, il n'agissait pas lui-même comme évaluateur pour cette fondation. C'est monsieur Jean-Pierre Bénard qui aurait été le porte-parole de cette fondation. Ce dernier aurait oeuvré dans le domaine des arts depuis des années.

[26] Le même scénario s'est reproduit pour l'année 1994. L'appelant a envoyé le 12 décembre 1994 une lettre à la Maison d'Art Fra Angelico, (pièce A-10) dans laquelle il offrait en donation quelques oeuvres d'art de différents artistes. Il établissait la valeur de son don à 8 000 $ et demandait un reçu en conséquence. Cette lettre était encore une fois accompagnée d'un certificat d'évaluation provenant de la Galerie D'Art Annie-Claude (pièce A-11). Ce certificat listait six oeuvres de l'artiste Lise Gervais et deux oeuvres de l'artiste Daniel Lavoie. C'est encore monsieur Amireault qui a procédé à la description et à l'évaluation de ces oeuvres, lesquelles se lisent comme suit :

Lavoie Daniel 25 x 19 850.00

pastel

sans titre

Lavoie Daniel 25 x 19 850.00

pastel

sans titre

Gervais Lise 11 x 14 1,200.00

pastel

"El aqua con 2 o'clock a.m."

1989

Gervais Lise 11 x 14 1,200.00

pastel

"Deux baigneuses à la playa el aqua

con 3 o'clock"

Gervais Lise 11 x 14 1,200.00

pastel

"Vue de la playa el aqu"

Gervais Lise 11 x 14 1,200.00

pastel

"La playa el aqua Vénézuela"

Gervais Lise 10 x 8 800.00

encre

"Mon frère cadet André-dédé"

Gervais Lise 10 x 8 800.00

pastel

"Dominique ma dodo"

[27] Aucune de ces oeuvres ne faisait partie de la collection de la succession Gingras. L'appelant a donné les mêmes explications. Un reçu a été fait au nom de l'appelant le 18 décembre 1994 pour un montant de 8 000 $ par La Maison d'Art Fra Angelico (pièce A-12). Monsieur Amireault a également dit que cette maison d'art dirigée par monsieur Michel Jacques, avait son propre évaluateur et que monsieur Michel Jacques avait une bonne connaissance du milieu de l'art.

[28] Pour procéder à ces deux dernières évaluations, monsieur Amireault a facturé des frais d'évaluation à l'appelant pour un montant de 500,76 $ taxes incluses, pour l'année 1993, et pour un montant de 273,50 $ taxes incluses, pour l'année 1994 (voir pièce A-13), les frais étant chargés selon un pourcentage variable de la valeur de l'évaluation (plus ou moins trois pour cent). Aucun frais d'évaluation ne semble avoir été facturé à l'appelant pour l'année 1992. Monsieur Amireault et l'appelant ont semblé insinuer, bien que non convaincus, que ces frais étaient compris dans le prix d'achat des premières oeuvres d'art en 1991 et 1992 (voir pièce A-1).

[29] L'appelant a laissé entendre qu'il avait obtenu les reçus directement de monsieur Amireault, accompagnés des certificats d'évaluation. D'ailleurs, selon l'appelant, c'est seulement au moment où il recevait les certificats d'évaluation qu'il prenait connaissance des tableaux qu'il aurait achetés et disposés au profit d'organismes de charité. C'est monsieur Amireault qui s'occupait de l'achat des tableaux, de trouver les organismes de charité, de faire les évaluations, de remettre les oeuvres à ces organismes et de remettre les reçus à l'appelant. Selon monsieur Amireault, il fait ce genre de transactions depuis 1989.

[30] Au cours de l'année 1995, l'appelant a commencé à recevoir de la correspondance de Revenu Canada au sujet de ces dons de charité. Le 29 septembre 1995, un premier avis de cotisation pour l'année 1994 était envoyé à l'appelant lui refusant un crédit d'impôt pour ces dons de bienfaisance. L'appelant reçut par la suite deux autres avis de cotisation datés du 4 mars 1996 lui refusant complètement les dons pour les années d'imposition 1992 et 1993. L'appelant a dit qu'il s'est alors informé auprès des organismes de charité pour vérifier si les oeuvres en question avaient bel et bien été données. On lui aurait alors répondu dans l'affirmative et on l'aurait informé que ces oeuvres avaient été mises en vente à l'encan. Il a ensuite consulté le guide Vallée et certains représentants des différents artistes. Entre autres, il a rencontré monsieur René Harrisson représentant l'artiste Marcellin Dufour, monsieur Stanley Borenstein représentant l'artiste Lise Gervais, et l'artiste Guy Lalonde lui-même. Dans les trois cas, il aurait obtenu la même évaluation que celle qui avait été donnée par monsieur Amireault. L'appelant a souligné que ces trois personnes n'avaient pas en main les différentes oeuvres puisqu'elles avaient déjà été données aux oeuvres de charité. Ces personnes ont fait une évaluation à partir des coordonnées des tableaux uniquement, à savoir le titre, la dimension et la description de ces tableaux. L'appelant a cessé de faire des dons par la suite. Il a laissé entendre qu'il voulait s'assurer qu'il pouvait légalement tirer un avantage fiscal avant de faire des dons à nouveau.

[31] L'appelant a par ailleurs reconnu qu'il n'a pas fourni la liste de tableaux de la succession Gingras à Revenu Canada au début de son enquête. Il s'est contenté de dire pour expliquer son geste qu'on ne lui avait pas demandé cette liste.

[32] De plus, en contre-interrogatoire, l'appelant a admis qu'il n'avait pas donné de l'argent directement aux organismes de charité parce qu'il avait acheté « une valeur » en achetant ces tableaux et qu'il était évident qu'il n'était pas intéressé à donner des sommes d'argent correspondant à la valeur attribuée à ces tableaux. De surcroît, outre le guide Vallée qu'il a consulté, il n'a pas cherché à vérifier davantage les évaluations données par monsieur Amireault au moment de faire les dons. Il faisait confiance à ce dernier et il n'était pas nécessaire pour lui non plus de connaître la provenance des tableaux.

[33] En ce qui concerne le témoignage de monsieur Amireault, il a semblé reconnaître en contre-interrogatoire que les oeuvres données en 1992 par l'appelant et qui étaient listées au certificat d'évaluation (pièce A-3), pouvaient étonnement provenir, à l'exception de celle de l'artiste Louise Scott, de la collection de la succession Gingras. Cette collection n'ayant été achetée qu'en mars 1993, monsieur Amireault a semblé assez perplexe à ce sujet et n'a pas élaboré davantage. Quant aux oeuvres données par l'appelant en 1993 et 1994, aucune ne provenait de la collection de la succession. Il a expliqué qu'il se pouvait que les oeuvres données par l'appelant soient des oeuvres échangées contre des oeuvres de la succession. Monsieur Amireault a également dit qu'il ne conservait pas nécessairement les factures pour chaque oeuvre d'art. Il détruisait ses dossiers dès que les oeuvres étaient données. Monsieur Amireault a également mentionné qu'il avait aidé la Fondation Don des Arts et La Maison d'Art Fra Angelico à organiser des encans pour mettre en vente les oeuvres d'art reçues par ces organismes en dons de charité.

[34] J'ai également entendu le témoignage de l'artiste Guy Lalonde. Bien qu'il ne se rappelait plus avoir rencontré l'appelant, il a reconnu un document signé par lui le 5 septembre 1996 dans lequel il indiquait qu'une oeuvre encadrée de 30" x 40" faite par lui valait 2 200 $ et qu'une oeuvre encadrée de 12" x 16" valait 550 $ (pièce A-28). Il a expliqué qu'il avait établi ces valeurs à partir du prix qu'il avait fait inscrire dans le guide Vallée suivant sa propre liste de prix. Il a également mentionné que cela lui en coûtait 500 $ pour faire de la publicité dans ce guide. Monsieur Lalonde a par la suite dit qu'il ne savait pas à quel prix se vendaient ses oeuvres sur le marché. Il a tout de même fait allusion au fait que les oeuvres de dimension 30" x 40" ne se vendaient pas et qu'il avait cessé la production de ces toiles.

[35] L'appelant a également fait témoigner monsieur René Harrisson, directeur d'une galerie d'art et agent d'artistes. Dans son témoignage, l'appelant a signalé qu'il avait rencontré monsieur Harrisson après que Revenu Canada lui ait refusé le crédit pour les dons de charité.

[36] Monsieur Harrisson a déposé en preuve deux certificats d'évaluation datés du 27 août 1996 (pièce A-29) indiquant dans un premier temps qu'une oeuvre acrylique sur toile de Marcellin Dufour, sans titre de 24" x 30", produite en 1988, valait 2 300 $ et dans un deuxième temps, qu'une oeuvre acrylique sur toile du même artiste, sans titre, de dimension 20" x 24", produite en 1988, valait 1 700 $. On se rappelle que selon le certificat d'évaluation fourni par monsieur Amireault pour ces deux mêmes toiles, les évaluations étaient respectivement de 2 650 $ et de 1 775 $ (pièce A-8). À priori, ces deux évaluations semblent assez rapprochées et ainsi corroborer la valeur attribuée. Le problème toutefois est que monsieur Harrisson qui a été représentant de l'artiste Marcellin Dufour, de façon exclusive de 1988 à 1993 et qui l'est de façon non exclusive depuis 1993, a dit qu'il avait fait l'évaluation apparaissant sur la pièce A-29 en ayant les oeuvres en main et que c'est l'appelant qui les lui avait apportées. Il a dit qu'il ne faisait jamais d'évaluation sans voir les tableaux et qu'il devait toujours les authentifier auparavant. Or, il est ressorti précédemment du témoignage de l'appelant que ce dernier n'avait pas les oeuvres avec lui au moment où il a rencontré monsieur Harrisson. Ceci semble évident puisque les oeuvres avaient été données à la Fondation Don des Arts en 1993. Pour ces raisons, l'avocate de l'intimée a demandé de ne pas tenir compte du témoignage de monsieur Harrisson.

[37] L'appelant a également fait témoigner monsieur Stanley Borenstein, directeur de la Galerie d'Arts Contemporains à Montréal. Il a déposé un document daté du 21 janvier 1998 (pièce A-30) dans lequel il a fait l'évaluation, moyennant compensation, de quatre oeuvres pastel de dimension 11" x 14", d'une oeuvre pastel de dimension 8" x 10" et d'une encre de dimension 8" x 10", toutes des oeuvres de l'artiste Lise Gervais. Ces oeuvres sont celles que l'on retrouve dans le certificat d'évaluation remis par monsieur Amireault à l'appelant au moment où il aurait fait don de ces oeuvres à La Maison d'Art Fra Angelico en 1994.

[38] L'évaluation de chaque oeuvre est exactement la même. L'appelant est allé rencontrer monsieur Borenstein après avoir reçu la cotisation qui lui refusait le crédit pour dons de charité. Selon ce qui est écrit dans l'évaluation fournie sous la pièce A-30, monsieur Borenstein déclare qu'il a examiné les oeuvres décrites, qu'il a personnellement inspecté les biens évalués et qu'il en certifie l'authenticité. Lors de son témoignage, il a d'abord dit qu'il avait évalué ces oeuvres à partir de photos que l'appelant lui aurait remises pour en vérifier l'authenticité. Par la suite, il ne semblait plus être certain d'avoir vu les photos. Il aurait évalué ces oeuvres selon la liste de prix officielle fournie par l'artiste. Il a déposé en preuve sous la pièce A-31, trois listes de prix pour les années 1985, 1988 et 1989. Ces listes de prix font référence toutefois à des huiles. Monsieur Borenstein a dit que les oeuvres dont il est question ici sont des oeuvres peu importantes et qu'il avait indiqué un prix minimal. Il a également mentionné que les oeuvres sur papier de dimension 11" x 14" (qui font principalement l'objet du certificat d'évaluation) ne se vendaient pas beaucoup. Monsieur Borenstein aurait fait la promotion de l'artiste Lise Gervais pendant 10 ans et aurait cessé de vendre ses oeuvres en 1990, compte tenu de la mauvaise santé de l'artiste.

[39] En contre-interrogatoire, monsieur Borenstein a d'abord dit qu'il n'avait jamais demandé pour lui-même de reçus pour fins de dons de charité pour les oeuvres de Lise Gervais. Or, selon la pièce I-12, on voit qu'un reçu officiel pour usage fiscal en date du 15 décembre 1990 a été remis à monsieur Borenstein par le Théâtre Entre Chien et Loup pour une valeur de 6 500 $. Les certificats d'évaluation accompagnant ce reçu sont datés du 5 et du 9 décembre 1990 et proviennent de la Galerie d'Arts Contemporains de Montréal qui appartient à monsieur Borenstein. Les oeuvres évaluées sont celles de l'artiste Lise Gervais, l'une pour une valeur de 2 400 $ et l'autre pour une valeur de 4 800 $. Monsieur Borenstein a mentionné qu'il avait probablement aussi fourni des évaluations indépendantes au moment de réclamer un reçu pour dons de charité pour lui-même. Cette dernière affirmation a été démentie par monsieur Denis Lemieux, enquêteur pour Revenu Canada, qui a témoigné pour le compte de l'intimée. Selon les documents provenant du théâtre Entre Chien et Loup qui lui ont été remis par monsieur Lapalme, il n'y avait aucune autre évaluation indépendante.

[40] Par ailleurs, monsieur Borenstein aurait également eu droit à un reçu pour ses fins personnelles (pièce I-11) pour don d'oeuvres d'art de l'organisme Entraide-Cancer Jeunesse Estrie, daté du 21 décembre 1992, pour une valeur de 6 800 $. Aucun certificat d'évaluation accompagnant ce reçu n'a été déposé en preuve. Monsieur Borenstein a également reconnu qu'il avait déjà fait des évaluations à plusieurs reprises pour monsieur Bertrand Lapalme, représentant de Entraide-Cancer Jeunesse Estrie, au profit de différents organismes de charité. Compte tenu de toute cette preuve, l'intimée conteste l'objectivité de monsieur Borenstein dans la présente affaire et demande à la Cour de ne pas retenir son témoignage.

[41] L'intimée a fait entendre madame Suzelle Lacroix, présidente de l'organisme de charité L'Eucan Estrie, qui a repris le local et tous les documents qui appartenaient à Entraide-Cancer Jeunesse Estrie, lequel organisme a été dissous en mai 1996.

[42] Elle a pu retracer le reçu pour dons de charité qui avait été fait au nom de l'appelant le 28 décembre 1992 pour une valeur de 10 000 $, de même que le certificat d'évaluation de cinq oeuvres d'art remises le 14 décembre 1992. Elle a également retracé les livres d'encans de Entraide-Cancer Jeunesse Estrie qui ont été préparés lors d'encans tenus le 3 mai 1992 et le 23 mai 1993 (pièces I-17 et I-20). Les factures établissant la vente des oeuvres d'art d'artistes qui faisaient partie de la liste des artistes énumérés dans les certificats d'évaluation soumis par l'appelant ont également été mises en preuve (pièces I-18 et I-21). Ces ventes se sont faites pour une valeur variant entre 3 et 25 p. 100 de la valeur établie aux livres d'encans par cet organisme de charité. Le commissaire-priseur lors de ces encans était monsieur Bertrand Lapalme, celui-là même qui approuvait les évaluations pour cet organisme.

[43] L'intimée a également fait témoigner madame Carole Stevenson, enquêteur pour Revenu Canada. Cette dernière s'est présentée à un encan organisé au profit de la Maison d'Art Fra Angelico en 1994. Dans cet encan, se retrouvaient en vente des oeuvres de différents artistes dont, entre autres, les auteurs d'oeuvres données par l'appelant. Selon les renseignements recueillis par madame Stevenson, la moyenne des tableaux s'est vendue à 14 p. 100 de l'évaluation. Monsieur Bertrand Lapalme agissait également comme commissaire-priseur lors de cet encan.

[44] Selon le témoignage de monsieur Michel Jacques, président fondateur de la Maison d'Art Fra Angelico, il a accepté telles quelles les évaluations données par monsieur Amireault pour les oeuvres qui auraient été données par l'appelant (que monsieur Jacques, soit dit en passant, ne connaît pas). Monsieur Jacques a mentionné qu'il avait engagé un étudiant en arts pour refaire l'inventaire des tableaux. Il ne savait pas toutefois comment ce dernier avait procédé pour en faire l'évaluation. Monsieur Lapalme leur aurait été référé par monsieur Amireault et on aurait versé une commission en argent comptant à monsieur Lapalme pour tenir les encans. Monsieur Lapalme n'agissait toutefois pas comme évaluateur pour cet organisme. Cette fondation a tenu trois encans en 1994, 1995 et 1996. Selon les états financiers de cette fondation, on voit que les ventes des différentes oeuvres d'art se sont faites en moyenne à environ 10 p. 100 de leur évaluation en 1994 et à environ 5 p. 100 en 1995.

[45] L'intimée à également fait entendre monsieur Denis Lemieux, enquêteur pour Revenu Canada. Il a assisté lui-même à un encan organisé au profit de La Fondation Don des Arts, le 27 février 1994. Encore une fois, les oeuvres des mêmes artistes se vendaient à un prix nettement inférieur à l'évaluation. Quant aux oeuvres de Lise Gervais qui avaient été données par monsieur Stanley Borenstein au théâtre Entre Chien et Loup, il a retracé le prix de vente de ces oeuvres à un encan organisé au profit de ce théâtre. Les deux oeuvres de Lise Gervais évaluées par monsieur Borenstein à 4 800 $ et 2 400 $ ont été vendues à l'encan pour 600 $ et 230 $ respectivement. Les factures prouvant ceci ont été déposées sous la pièce I-36. La Galerie D'Art Annie-Claude dirigée par monsieur Amireault et la Galerie d'Arts Contemporains dirigée par monsieur Borenstein fournissaient des évaluations pour le théâtre Entre Chien et Loup et pour Entraide-Cancer Jeunesse Estrie.

[46] Monsieur Bertrand Lapalme a témoigné à la demande de l'appelant. Il est évaluateur depuis 15 ou 20 ans et s'est occupé de la tenue des encans pour le théâtre Entre Chien et Loup, l'organisme Entraide-Cancer Jeunesse Estrie et La Maison d'Art Fra Angelico. À la demande de monsieur Amireault, il trouvait des organismes de charité à qui monsieur Amireault ou ses clients pourraient donner des oeuvres d'art et monsieur Lapalme agissait comme commissaire-priseur. Monsieur Amireault lui livrait directement les oeuvres. Monsieur Lapalme en vérifiait l'authenticité et acceptait généralement l'évaluation que lui donnait monsieur Amireault. Monsieur Lapalme a aussi transigé avec monsieur Borenstein et il acceptait également les évaluations de ce dernier qui selon lui est un marchand très important en arts. Monsieur Lapalme a dit qu'il ne connaissait aucun des donateurs et qu'il n'était pas payé pour faire des évaluations.

[47] Pour ce qui est de son rôle comme commissaire-priseur, il a dit qu'il ne pensait pas avoir reçu de commission lorsqu'il agissait pour La Maison d'Art Fra Angelico de même que pour Entraide-Cancer Jeunesse Estrie. Toutefois, selon une déclaration assermentée datée du 16 novembre 1994, monsieur Lapalme aurait indiqué qu'à compter de 1991, il demandait une commission variant entre 10 et 20 p. 100 du total des ventes à l'encan (pièce I-37).

[48] Par ailleurs, monsieur Lapalme a indiqué que le but de ces encans était d'aller chercher un certain budget pour des campagnes spécifiques à chacune de ces organisations. Il a expliqué qu'on ne fixait pas de réserve i.e. un prix minimal de vente, dans un encan de charité. Il a ainsi mentionné que dans des encans de charité, il était normal que le prix de vente corresponde à 10 ou 15 p. 100 de la valeur attribuée aux oeuvres.

Argument des parties

[49] L'appelant soutient qu'il a bel et bien fait des dons d'oeuvres d'art aux différents organismes de charité et que la juste valeur marchande de ces oeuvres au moment du don correspond à la valeur indiquée sur les reçus donnés par ces organismes, lesquels sont conformes, selon lui, aux exigences de la Loi. Il soutient qu'il s'est acquitté de son fardeau d'en faire la preuve par les témoignages rendus lors de l'audition. L'appelant conteste également l'imposition de pénalités aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi puisqu'il soutient n'avoir fait aucun faux énoncé dans des circonstances équivalant à faute lourde dans ses déclarations de revenu pour les années en litige.

[50] L'intimée soutient de son côté que l'appelant n'a pas droit au crédit d'impôt pour dons de bienfaisance qu'il réclame en rapport avec les organismes Entraide-Cancer Jeunesse Estrie, Fondation Don des Arts et Maison d'Art Fra Angelico pour les années d'imposition en litige. L'intimée soutient en effet que l'appelant ne peut prétendre avoir fait de véritables dons à ces organismes, puisque dans un premier temps, il n'a pas démontré qu'il avait déjà été propriétaire des oeuvres d'art en question. Dans un deuxième temps, il n'a pas démontré qu'il avait l'intention libérale de les donner et finalement, il n'a pas fait la preuve qu'il avait remis physiquement ces oeuvres aux différents organismes de charité. L'intimée soumet par ailleurs que l'appelant n'a pas fourni des reçus conformes à la Loi dans le cas des reçus délivrés par Entraide-Cancer Jeunesse Estrie et par la Maison d'Art Fra Angelico. Finalement, l'intimée soutient que les évaluations sur lesquelles se sont fondées les trois organismes de charité pour faire leurs reçus n'étaient pas valables puisqu'elles n'ont pas été faites par un évaluateur indépendant. Selon l'intimée, monsieur Amireault qui est l'auteur de toutes les évaluations des oeuvres d'art faisant l'objet du présent litige, avait un intérêt manifeste dans les transactions passées avec l'appelant et par conséquent ne pouvait être considéré comme un évaluateur indépendant et impartial. De plus, l'intimée est d'avis qu'il a surévalué la valeur des oeuvres d'art, compte tenu du prix payé pour les acquérir et du prix obtenu à la revente aux encans. L'intimée termine en concluant que l'imposition des pénalités par le Ministre en vertu du paragraphe 163(2) était justifiée en l'espèce. L'intimée demande donc le rejet des appels [sauf en ce qui concerne l'année d'imposition 1993, pour un montant de 100 $ donné à un autre organisme de charité (sans rapport avec le présent litige) qui aurait dû être pris en compte dans le calcul du crédit pour dons de bienfaisance accordé à l'appelant pour cette année-là].

Analyse

[51] La première question en litige est de savoir si l'appelant a réellement fait don des oeuvres d'art listées dans les certificats d'évaluation soumis aux trois organismes de charité qui ont délivré les reçus à l'attention de l'appelant, lesquels dons font l'objet du présent litige. En effet, pour avoir droit au crédit pour don de bienfaisance, l'appelant doit démontrer qu'il a fait don de ces oeuvres à ces organismes. Si la réponse est affirmative, l'appelant doit ensuite démontrer que la valeur indiquée sur les reçus correspond bien à la valeur marchande de ces oeuvres au moment où le don a été effectué.

[52] Le crédit d'impôt pour dons trouve sa source au paragraphe 118.1(3) de la Loi qui se lit comme suit :

4118.1(3)3

(3) Crédits d'impôt pour dons. Un particulier peut déduire dans le calcul de son impôt payable en vertu de la présente partie pour une année d'imposition un montant qui ne dépasse pas le montant calculé selon la formule suivante :

(A X B) + [C X (D – B)]

où :

A représente le taux de base pour l'année;

B le moins élevé de 200 $ et du total des dons du particulier pour l'année;

C le taux le plus élevé, mentionné au paragraphe 117(2), applicable au calcul de l'impôt qui pourrait être payable en vertu de la présente partie pour l'année;

D le total des dons du particulier pour l'année.

[53] Le total des dons du particulier pour l'année est défini au paragraphe 118.1(1) comme suit :

ARTICLE 118.1 : Définitions.

(1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« total des dons » - « total des dons » S'agissant du total des dons d'un particulier pour une année d'imposition, le total des montants suivants :

a) le moins élevé des montants suivants :

(i) le total des dons de bienfaisance du particulier pour l'année,

(ii) si le particulier est décédé au cours de l'année ou de l'année d'imposition subséquente, son revenu pour l'année,

(iii) sinon, le revenu du particulier pour l'année ou,

[...]

« total des dons de bienfaisance » - « total des dons de bienfaisance » Quant à un particulier pour une année d'imposition, le total des montants représentant chacun la juste valeur marchande d'un don (à l'exclusion de celui dont la juste valeur marchande est incluse dans le total des dons à l'État, le total des dons de biens culturels ou le total des dons de biens écosensibles du particulier pour l'année) qu'il a fait au cours de l'année ou d'une des cinq années d'imposition précédentes (mais non au cours d'une année pour laquelle il a demandé une déduction en application du paragraphe 110(2) dans le calcul de son revenu imposable) aux entités suivantes, dans la mesure où ces montants n'ont été ni déduits dans le calcul de son revenu imposable pour une année d'imposition se terminant avant 1988, ni inclus dans le calcul d'un montant déduit en application du présent article dans le calcul de son impôt payable en vertu de la présente partie pour une année d'imposition antérieure :

a) organismes de bienfaisance enregistrés;

[...]

[54] En l'espèce, peut-on dire que l'appelant a fait un don aux organismes de bienfaisance en question.

[55] Dans l'affaire La Reine c. Friedberg, 92 DTC 6031, la Cour d'appel fédérale devait décider si monsieur Friedberg avait fait don de textiles anciens au Musée royal de l'Ontario ( « MRO » ). Monsieur Friedberg avait financé le MRO afin que ce dernier puisse acquérir la collection de textiles anciens de madame Abemayor qui désirait se départir de cette collection au profit du musée. En première instance, il avait été décidé que monsieur Friedberg était propriétaire de la collection Abemayor avant que celle-ci ne soit donnée au MRO. Le juge de première instance avait conclu ainsi parce que monsieur Friedberg avait fait les chèques, aux montants requis pour acheter la collection, à l'ordre de madame Abemayor, et non à l'ordre du musée et que monsieur Friedberg avait conservé la propriété de quelque trente pièces faisant initialement partie de la collection qu'il avait prêtée au MRO.

[56] Selon le juge de première instance, l'existence d'un document visant à transférer le titre de propriété des textiles de madame Abemayor au MRO ne changeait rien au fait que c'était monsieur Friedberg qui avait acheté la collection pour la prêter ensuite au MRO et finalement la donner.

[57] La Cour d'appel fédérale devait infirmer cette décision en s'appuyant sur le document précis qui visait à transférer le titre de propriété de madame Abemayor au MRO et non à monsieur Friedberg. Ce faisant, la Cour a conclu que monsieur Friedberg n'avait pas fait don des textiles anciens au MRO. Le juge Linden s'exprime ainsi aux pages 6032-6034 (version française : [1991] A.C.F. no 1255 (Q.L.) pages 2-7) :

La Loi de l'impôt sur le revenu ne définit pas le mot "don", et ce sont les principes généraux du droit concernant les dons que les tribunaux appliquent en pareille circonstance. Comme le juge Stone l'a expliqué dans l'arrêt La Reine c. McBurney, 85 DTC 5433, à la p. 5435 :

La Loi ne définit pas le mot "don". Rien dans le contexte à l'intérieur duquel ce terme est employé ne porte à croire qu'il y revêt un sens technique plutôt que son sens ordinaire.

Par conséquent, un don est le transfert volontaire du bien d'un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d'avantage ni de contrepartie (voir le juge Heald dans La Reine c. Zandstra [1974] 2 C.F. 254, à la p. 261). L'avantage fiscal qui est conféré par un don n'est généralement pas considéré comme un "avantage" au sens où on l'entend dans cette définition car s'il en était ainsi, bien des donateurs seraient dans l'impossibilité de se prévaloir des déductions relatives aux dons de charité.

En droit fiscal, la forme a de l'importance.Une simple intention subjective, en l'espèce comme dans d'autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d'une opération aux fins de l'impôt. Lorsqu'un contribuable prend certaines dispositions formelles à l'égard de ses affaires, il peut s'ensuivre d'importants avantages fiscaux, quand bien même ces dispositions seraient prises principalement dans le but d'éviter des impôts (voir La Reine c. Irving Oil 91 DTC 5106, le juge Mahoney, J.C.A.). Toutefois, si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés. S'il n'en était pas ainsi, Revenu Canada et les tribunaux se livreraient à des exercices interminables pour établir les intentions véritables derrière certaines opérations. Les contribuables et la Couronne chercheraient à restructurer des opérations après coup afin de profiter de la législation fiscale ou d'amener les contribuables à payer des impôts qu'ils pourraient autrement ne pas avoir à payer. Bien que la preuve de l'intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d'une intention subjective ne peut servir à "rectifier" des documents qui s'orientent clairement vers une direction précise.

Le juge de première instance a conclu que le contribuable demandeur était propriétaire des collections Abemayor et Wilkinson et qu'il était légalement en mesure de les donner au MRO. Il a par ailleurs statué que "l'existence d'un document visant à transférer le titre de propriété des textiles de Mme Abemayor au MRO ne change rien à la situation, ...". [...]

Avec toute la déférence qui s'impose, cette conclusion était fondée sur une erreur de droit car le juge de première instance ne s'est pas rendu compte de l'importance du "document visant à transférer le titre de propriété" daté du 16 mars 1978, qui transférait légalement le titre de propriété de la collection Abemayor au MRO, et non au contribuable. [...]

À l'évidence, il est possible de faire un don "rentable" à l'égard de certains biens culturels. Lorsque le coût d'acquisition réel des biens est bas et que la juste valeur marchande de ceux-ci est élevée, il est possible que les avantages fiscaux conférés par le don excèdent le coût d'acquisition des biens. Ces avantages ont donc pour effet d'encourager fortement le don de biens ayant une importance culturelle et nationale. Cependant, ces avantages ne sont pas conférés à tous les dons. Tout dépend de la façon dont l'opération est caractérisée, puisque nul ne peut donner ce qui ne lui appartient pas.

[...]

La seule conclusion de droit que les documents relatifs à la collection Abemayor permettent de tirer est que le contribuable a donné de l'argent au MRO et que ce dernier l'a utilisé pour faire l'acquisition de la collection. Le contribuable n'était pas propriétaire des textiles et ne l'avait jamais été, et nul ne peut donner ce qui ne lui appartient pas. Telle n'était peut-être pas son intention subjective, mais les documents tendent inexorablement vers cette conclusion de droit. En conséquence, pour ce qui est de la collection Abemayor, le juge de première instance a commis une erreur et l'appel sera accueilli. [je souligne]

[58] Appliquant ce raisonnement à l'espèce, les documents soumis en preuve de même que les divers témoignages entendus, ne me permettent pas de conclure que l'appelant a fait don des oeuvres d'art listées dans les trois certificats d'évaluation accompagnant les lettres qu'il a envoyées aux trois organismes de bienfaisance, en demandant qu'on lui délivre un reçu en conséquence.

[59] En effet, en 1991, l'appelant dit avoir déboursé comptant la somme de 2 800 $ pour l'achat d'un lot de tableaux de différents artistes. La commande d'achat soumise en preuve (pièce A-1) ne donne aucune description et n'identifie aucun tableau qui aurait ainsi été acquis par l'appelant. Monsieur Amireault qui lui aurait vendu ce lot de tableaux en 1991 remet à l'appelant, au mois de décembre 1992, un certificat d'évaluation listant cinq tableaux évalués pour le tout à 10 000 $, soit près de quatre fois le montant payé par l'appelant. Au moment de l'achat, l'appelant ne savait absolument pas ce qu'il achetait et, au moment des dons, il n'était pas en mesure de vérifier si les tableaux énumérés dans le certificat d'évaluation correspondaient à ce qu'il avait acheté. Le reçu provenant de l'organisme Entraide-Cancer Jeunesse Estrie, daté du 28 décembre 1992, dit simplement ce qui suit :

Reçu de M. Richard Chabot

[adresse de M. Chabot]

La somme de dix mille

Pour don de charité en 1992

$10,000.

[60] Ce reçu ne laisse aucunement transparaître que l'appelant aurait donné des oeuvres d'art et si c'était le cas, on ne spécifie pas quelles sont ces oeuvres. C'est monsieur Amireault qui connaissait monsieur Lapalme, le représentant d'Entraide-Cancer Jeunesse Estrie, qui aurait sollicité cet organisme de bienfaisance et qui a évalué les oeuvres d'art qu'il aurait lui-même choisi de donner. L'appelant semble avoir été tenu à l'écart de toutes ces tractations. Tout ce qui importait à l'appelant était d'obtenir un avantage fiscal, quelque soit la façon de faire de monsieur Amireault.

[61] Tel que le disait le juge Linden dans l'affaire Friedberg précitée, une simple intention subjective ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d'une opération aux fins de l'impôt. Ainsi, la façon dont l'opération est caractérisée est importante pour déterminer si un avantage peut être conféré par un don. Dans le cas actuel, la preuve est nettement insuffisante pour démontrer que les oeuvres qui auraient été données à Entraide-Cancer Jeunesse Estrie appartenaient légalement auparavant à l'appelant. Pour pouvoir bénéficier d'un tel avantage, il aurait fallu à mon avis que la commande d'achat indique précisément les oeuvres d'art qu'achetait l'appelant avec le prix d'achat attribué à chacune. Par la suite, il aurait été beaucoup plus facile pour lui de démontrer que ce sont les oeuvres qu'il avait achetées qui avaient été données par la suite à l'organisme de bienfaisance. « En droit fiscal, la forme a de l'importance » disait le juge Linden. Cette première étape est à mon avis fondamentale afin d'éviter les abus.

[62] C'était d'ailleurs également là, je pense, le but du législateur lorsqu'il a édicté le paragraphe 118.1(2) de la Loi qui se lit comme suit :

(2) Aucun don ne peut être inclus dans le total des dons de bienfaisance, dans le total des dons à l'État ou dans le total des dons de biens culturels s'il n'est pas attesté par un reçu, contenant les renseignements prescrits, présenté au ministre.

[63] L'article 3500 du Règlement de l'impôt sur le revenu ( « Règlement » ) définit un reçu officiel comme un reçu où figurent les renseignements prévus à l'article 3501 du Règlement. Les parties pertinentes de ces articles se lisent comme suit :

PARTIE XXXV

Reçus de dons

Définitions

3500. Dans la présente partie,

« reçu officiel » s'entend d'un reçu remis pour l'application des paragraphes 110.1(2) ou (3) ou 118.1(2), (6) ou (7) de la Loi, sur lequel figurent les détails exigés par les articles 3501 ou 3502.

CONTENU DES REÇUS

3501. (1) Tout reçu officiel délivré par une organisation enregistrée doit énoncer que ledit reçu est un reçu officiel aux fins de l'impôt sur le revenu et indiquer clairement, de façon qu'ils ne puissent être modifiés facilement, les détails suivants:

a) le nom et l'adresse au Canada de l'organisation ainsi qu'ils sont enregistrés auprès du Ministre;

b) le numéro d'enregistrement attribué par le Ministre à l'organisation;

c) le numéro de série du reçu;

d) le lieu ou l'endroit où le reçu a été délivré;

e) lorsque le don est un don en espèces, le jour ou l'année où le don a été reçu;

e.1) lorsque le don est un don de biens autres que des espèces,

(i) le jour où le don a été reçu,

(ii) une brève description du bien, et

(iii) le nom et l'adresse de l'évaluateur du bien si une évaluation a été faite;

f) le jour où le reçu a été délivré, si ce jour diffère du jour visé à l'alinéa a) ou e.1);

g) le nom et l'adresse du donateur y compris, dans le cas d'un particulier, son prénom et son initiale;

h) le montant qui correspond

(i) au montant du don en espèces, ou

(ii) lorsque le don est un don de biens autres que des espèces, à la juste valeur marchande du bien au moment où le don a été fait; et

i) la signature, ainsi qu'il est prévu au paragraphe (2) ou (3), d'un particulier compétent qui a été autorisé par l'organisation à accuser réception des dons.

[64] Ainsi, dans le cas d'un don de biens autres que des espèces, le reçu doit indiquer le jour où le don a été reçu, une brève description du bien, le nom et l'adresse de l'évaluateur du bien, si une évaluation a été faite et la juste valeur marchande du bien au moment où le don a été fait.

[65] Le reçu délivré par Entraide-Cancer Jeunesse Estrie semble plutôt indiquer un don en espèces et ne spécifie aucun des détails ci-haut mentionnés. Or il est clair que l'appelant n'a pas fait un don en espèces à cet organisme. L'appelant a dit qu'il n'était pas intéressé à faire un don en argent puisque ce qui l'intéressait était de recevoir un reçu pour une valeur supérieure au montant d'argent qu'il investissait.

[66] Je souscris aux propos du juge Tardif de cette Cour dans l'affaire Nathalie Plante c. la Reine, [1999] A.C.I. no 51 (Q.L.), au sujet de l'importance de délivrer des reçus appropriés dans les circonstances, aux pages 12-13 de son jugement :

[46] Il ne s'agit pas là d'exigences futiles et sans importance; bien au contraire, ce sont là des renseignements tout à fait fondamentaux et absolument nécessaires pour permettre la vérification d'une part de la justesse de la valeur indiquée et d'autre part, de la réalité même du don.

[47] De telles exigences visent à éviter les abus de toute nature et constituent un minimum pour qualifier la qualité d'un don pouvant générer un crédit d'impôt à l'avantage du contribuable donateur.

[48] À défaut de rencontrer les exigences prévues quant au contenu des renseignements que doit contenir un reçu, il devra être écarté faisant ainsi perdre les bénéfices fiscaux à son détenteur. Conséquemment bien qu'un contribuable ait pu faire don d'un tableau, il ne pourra pas bénéficier du crédit potentiel si l'évaluation et le reçu émis à la suite du don ne sont pas conformes aux exigences de la Loi et de ses Règlements.

[67] Dans le cas actuel, les témoignages de l'appelant, de monsieur Amireault et de monsieur Lapalme n'ont pas expliqué de façon sufisante toutes les lacunes documentaires.

[68] Monsieur Amireault s'est contenté de dire qu'il avait fait un choix d'oeuvres aux fins d'en faire un don au nom de l'appelant. Il était même perplexe, lors de son témoignage, en constatant que quatre des cinq oeuvres listées dans le certificat d'évaluation daté du 14 décembre 1992 pouvaient vraisemblablement provenir de la succession Gingras, laquelle n'a été acquise que l'année suivante, en 1993. Si monsieur Amireault agissait comme mandataire de l'appelant, il était de son devoir de faire part à ce dernier des oeuvres précises qu'il achetait ainsi que le prix d'achat rattaché à chacune de ces oeuvres. Il ne pouvait se contenter de choisir n'importe quelle oeuvre sans aucun document à l'appui.

[69] De tout ceci, je conclus que l'appelant n'a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a été propriétaire des cinq tableaux qu'il prétend avoir donnés à Entraide-Cancer Jeunesse Estrie en 1992. Si je reprends les propos du juge Linden dans l'affaire Friedberg précitée, telle était peut-être son intention subjective, mais les documents soumis en preuve tendent inexorablement vers cette conclusion de droit que l'appelant n'était pas propriétaire de ces oeuvres.

[70] En ce qui concerne les années 1993 et 1994, la preuve n'est pas plus claire pour établir que l'appelant était légalement le propriétaire des oeuvres d'art listées dans les certificats d'évaluation datés du 15 décembre 1993 et du 12 décembre 1994.

[71] Selon le témoignage de l'appelant, il aurait donné les oeuvres d'art qu'il aurait achetées pour la somme de 2 500 $ par le biais de sa participation dans la succession Gingras. Dans les mois qui ont suivi l'achat de sa participation dans la succession, monsieur Amireault a remis à l'appelant une liste de tous les tableaux et sculptures faisant partie de cette collection. Par ailleurs, le certificat d'évaluation daté du 15 décembre 1993, préparé par monsieur Amireault, liste neuf oeuvres d'art des artistes Lui Feito, Marcellin Dufour, Olaf Hanel, Luigi Cosentino et Yvan Putara. Un reçu officiel listant chacune de ces oeuvres a été délivré par la Fondation Don des Arts à l'attention de l'appelant le 22 décembre 1993, pour un montant de 15 000 $. Le certificat d'évaluation daté du 12 décembre 1994, préparé par monsieur Amireault, liste six oeuvres de Lise Gervais et deux oeuvres de Daniel Lavoie. Dans ce dernier cas, un reçu officiel a été délivré par la Maison d'Art Fra Angelico à l'attention de l'appelant en date du 18 décembre 1994 indiquant simplement : « [...] reçu 8 000 $ » .

[72] Aucune de ces oeuvres ne faisait partie de la collection de la succession. Monsieur Gingras a confirmé ceci. D'ailleurs, aucune de ces oeuvres ne figure dans la liste manuscrite complète des tableaux fournie par la succession. Monsieur Amireault a tenté d'expliquer qu'il procédait à des échanges de tableaux avec d'autres propriétaires de galeries d'art et c'est ce qui expliquerait que l'appelant ait donné des oeuvres qui ne faisaient pas partie de la collection de la succession.

[73] Encore une fois, cette preuve est insuffisante pour démontrer que l'appelant était légalement propriétaire des oeuvres données. Si monsieur Amireault a procédé véritablement à ces échanges, il aurait dû, d'une part en aviser l'appelant et, d'autre part faire état de façon plus précise de ces différentes transactions. S'il est permis de procéder de façon informelle dans ce milieu, cette façon d'agir ne peut être retenue lorsque le but précis de ces transactions est de profiter d'un avantage fiscal, tel que l'a admis à quelques reprises l'appelant. Ce dernier n'était pas intéressé à l'achat de tableaux, il était intéressé uniquement par l'avantage fiscal que le don des tableaux pouvait lui procurer. La preuve en est que pour les années 1993 et 1994, il demandait des reçus pour une valeur équivalente à neuf fois le montant qu'il avait investi. S'il est vrai que les tableaux qu'il prétend avoir donnés avaient une telle valeur, compte tenu du prix payé, il se devait pour le moins de prendre des dispositions adéquates un peu plus formelles pour s'assurer qu'il était véritablement le propriétaire de ces tableaux.

[74] Dans l'affaire Paul-Robert Décarie c. La Reine, [1998] A.C.I. no 412 (Q.L.), madame la juge Lamarre Proulx s'exprimait ainsi aux pages 8-9 :

Au Québec comme ailleurs, la propriété du bien est une condition essentielle de la donation. On ne peut donner que ce dont on est propriétaire.

[75] De plus, le reçu délivré par La Maison d'Art Fra Angelico semble également indiquer un don en espèces, ne donnant aucun détail des tableaux qui auraient été donnés. La preuve est claire dans ce cas-ci également que l'appelant n'a pas fait de dons en espèces à cet organisme. Par ailleurs, seul le reçu délivré en 1993 par la Fondation Don des Arts satisfait aux exigences du Règlement. Toutefois, tel que l'a souligné l'avocate de l'intimée, les descriptions données dans les catalogues d'encans de cette Fondation, postérieurement à la délivrance de ce reçu en décembre 1993 (pièces I-34 et I-35), ne sont pas suffisamment similaires à celles de monsieur Amireault dans son certificat d'évaluation pour conclure qu'il y a eu effectivement remise et possession non équivoque, par cet organisme, des oeuvres que l'appelant prétend avoir données.

[76] Je conclus donc que l'appelant n'a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a fait don des oeuvres d'art listées aux certificats d'évaluation fournis par la Galerie D'Art Annie-Claude en 1993 et en 1994. La preuve est insuffisante pour démontrer que l'appelant en avait légalement la propriété au moment où le don a été effectué. De plus, la preuve est claire que l'appelant n'a fait aucun don en espèces à ces deux organismes de bienfaisance.

[77] Compte tenu de ma conclusion, je n'ai pas besoin d'analyser à fond la question de la valeur marchande. Je me contenterai simplement de dire qu'il revenait à l'appelant de démontrer, à l'aide d'experts indépendants, la valeur marchande qu'il attribuait à chacune de ces oeuvres (voir les décisions Réjean Gagnon c. La Reine, [1991] A.C.I. no 655 (Q.L.) et Gaétan Paradis c. La Reine, [1996] A.C.I. no 1638 (Q.L.). Je suis d'accord avec l'avocate de l'intimée que le témoignage de monsieur Amireault ne peut être assimilé au témoignage d'un expert impartial indépendant. Ce dernier trouvait son profit lorsqu'il transigeait avec l'appelant. Par exemple, monsieur Amireault devait recevoir « une commission de 10 p. 100 des tableaux » de l'appelant au moment de l'acquisition de la collection de la succession. Par ailleurs, c'est monsieur Amireault qui s'occupait de trouver lui-même l'organisme de bienfaisance, qui décidait des tableaux qu'il donnerait et qui procédait lui-même à l'évaluation des tableaux. Pour ce faire, il chargeait également des frais d'évaluation à l'appelant, selon un pourcentage de l'évaluation. Sa façon d'agir avec le courtier Larivière démontre bien qu'il tirait son profit en vendant des avantages fiscaux, sur le dos des organismes de bienfaisance. Compte tenu de tout ceci, on ne peut certainement pas le considérer comme un témoin expert objectif dans la présente cause.

[78] Quant aux témoignages de messieurs Harrisson et Borenstein, il semble, d'après la preuve présentée, qu'ils ont procédé à l'évaluation des différentes oeuvres d'art sans les voir, simplement à partir de listes de prix fournies par les artistes en fonction des dimensions de chaque oeuvre. Quant à monsieur Harrisson, il m'apparaît que son témoignage doit être écarté. D'une part, il n'a pu témoigner comme témoin expert puisqu'il n'a pas reçu mandat pour agir ainsi et n'a fourni aucun rapport d'expertise tel qu'il était requis de le faire aux termes de l'article 145 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) ( « Règles » ). D'autre part, son témoignage perd toute crédibilité, compte tenu des contradictions soulevées plus haut dans mes motifs de jugement. Je ne retiendrai pas plus le témoignage de monsieur Borenstein qui ne pouvait se qualifier comme expert dans les circonstances. Selon la preuve recueillie, il était manifestement en conflit d'intérêts puisqu'il avait lui-même procédé à des évaluations de l'artiste Lise Gervais pour son propre bénéfice personnel auprès du fisc canadien. Il est également en preuve que les oeuvres qu'il a évaluées pour son propre bénéfice ont été vendues à un prix nettement inférieur à l'encan. Par ailleurs, monsieur Borenstein n'a pas été mandaté par l'appelant pour faire un rapport d'expert sur les oeuvres en question et n'a produit aucun rapport conforme aux exigences des Règles. De plus, son évaluation n'est appuyée sur aucune analyse spécifique des oeuvres en question qu'il n'a manifestement pas pu inspecter personnellement ou en vérifier l'authenticité, tel qu'il le déclarait dans son évaluation.

[79] En ce qui concerne l'artiste Guy Lalonde, il a lui-même dit qu'il ne connaissait pas la valeur de ses oeuvres sur le marché. Il a également mentionné qu'il ne produisait plus de tableaux de dimensions 30" x 40" (comme l'un des tableaux faisant l'objet du présent litige) au motif qu'il n'y avait pas d'acheteur pour ce genre de tableaux. Son témoignage ne peut donc être d'aucune utilité pour la cause de l'appelant.

[80] Quant à messieurs Michel Jacques et Bertrand Lapalme, ils ont tous deux dit qu'ils avaient accepté les évaluations de monsieur Amireault et de monsieur Borenstein sans autre vérification. Ils ne peuvent donc être qualifiés d'experts indépendants. D'ailleurs, ils n'ont pas été appelés à témoigner à ce titre. De plus, si l'on se fie à la valeur de revente des oeuvres des différents artistes aux encans, on est loin de la coupe aux lèvres. Bien que monsieur Lapalme ait souligné que les valeurs de revente aux encans pouvaient correspondre à 10 ou 15 p. 100 de la valeur attribuée aux oeuvres, la preuve devant moi est nettement insuffisante, pour ne pas dire dénuée de toute objectivité, pour conclure que la valeur marchande des tableaux en cause est celle que l'appelant veut leur donner. Je considère donc que l'appelant n'a pas fait la démonstration de la valeur marchande qu'il attribue à chacune des oeuvres qu'il prétend avoir données au cours des années en litige.

Pénalités

[81] Le Ministre a imposé des pénalités à l'appelant aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi au motif qu'il avait fait dans ses déclarations de revenus des faux énoncés, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[82] La preuve a démontré que l'appelant n'avait nulle autre intention que d'acheter une déduction fiscale. Il a clairement laissé entendre qu'il n'aurait pas donné les sommes équivalentes au montant qu'il réclamait comme crédit. Il s'est contenté de confier toute l'affaire à monsieur Amireault sans se préoccuper davantage des oeuvres qu'il achetait, de ce qui était donné, de la provenance des oeuvres, et surtout sans se poser trop de questions sur la valeur attribuée par monsieur Amireault à près de quatre fois supérieure dans le cas du premier lot, et neuf fois supérieure dans le cas du deuxième lot, à ce qu'il déboursait (en présumant que l'appelant ait réellement déboursé les sommes qu'il dit avoir payées comptant sans retrait de son compte en banque). Dans le cas de la succession Gingras, il a délibérement omis de montrer au Ministre la liste des tableaux achetés lorsqu'on lui a demandé des preuves d'achat. Ceci laisse présumer que l'appelant était conscient des lacunes entourant le don des oeuvres d'art qu'il réclamait avoir fait pour bénéficier d'un crédit d'impôt.

[83] Les propos du juge Dussault dans l'affaire Réjean Gagnon, précitée, s'appliquent ici :

La preuve présentée démontre clairement que l'appelant s'est vu proposer ce qu'il désigne comme un "abri fiscal" lui permettant d'obtenir un remboursement d'impôt et qu'il a accepté une transaction organisée par un collègue de travail laquelle consistait essentiellement en l'acquisition puis en la donation de vitraux pour une église. Bien que l'appelant affirme s'être informé auprès de certains collègues pour savoir si une telle pratique était courante et légale, sa déclaration et son témoignage établissent clairement qu'il a accepté la proposition avec l'assurance que le reçu qu'on allait lui remettre pour fins fiscales serait de beaucoup supérieur au montant déboursé. Je ne peux croire qu'une personne raisonnable et le moindrement informée puisse retenir une telle proposition concoctée par des tiers et qui implique dès le départ que la valeur et le montant du reçu seront manifestement faussés. Je ne pense pas qu'une personne raisonnablement intelligente et prudente puisse sérieusement prétendre s'enrichir d'une façon honnête par le biais d'une donation charitable dans de telles circonstances. S'il s'agit là d'une méthode de planification courante aux yeux de certains, elle m'apparaît légalement insoutenable et totalement inacceptable.

Si l'appelant n'a connu le montant exact de l'évaluation qu'après avoir accepté la proposition de son collègue comme il le prétend et malgré le fait que la date de son chèque soit postérieure tant à celle de l'évaluation qu'à celle de la facture et du reçu, une valeur fixée à cinq (5) fois celle de la somme déboursée aurait dû alerter son attention. [...]

L'ensemble du comportement du contribuable tel que révélé par la preuve m'amène à conclure que l'on peut certainement entretenir des doutes sérieux quant à sa bonne foi et sa crédibilité dans toute cette affaire. Je crois qu'il a, sinon sciemment pris des risques en toute connaissance de cause, du moins fermé les yeux en des circonstances qui auraient dû doublement l'alerter et lui dicter une attitude beaucoup plus circonspecte, pour dire le moins. Selon mon appréciation, le fait que l'appelant n'ait procédé à aucune vérification plus sérieuse avant ou après la transaction va, compte tenu des circonstances, au delà de la simple négligence. Cela constitue une faute lourde ou une négligence grossière. En conséquence, j'estime la pénalité cotisée bien fondée.

[84] Je considère pour les mêmes raisons que les pénalités sont justifiées dans les circonstances. En conséquence, les appels pour les années d'impositions 1992 et 1994 sont rejetés. L'appel de la cotisation établie pour l'année d'imposition 1993 est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a droit à un montant de 100 $ donné à un autre organisme de charité (sans rapport avec le présent litige) qui aurait dû être pris en compte dans le calcul du crédit pour dons de bienfaisance accordé à l'appelant pour cette année-là. En tout autre aspect, la cotisation établie pour l'année d'imposition 1993 demeure inchangée. L'intimée a droit à tous ses frais et dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de janvier 2000.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

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