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Date: 19990603

Dossier: 97-433-IT-G

ENTRE :

DUPONT CANADA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel relatif à l'année d'imposition de l'appelante se terminant le 31 décembre 1988. La question est de savoir si la division Explosifs de l'appelante constituait une entreprise distincte. Si la réponse était affirmative, les biens amortissables utilisés à la division Explosifs seraient considérés comme des biens d'une catégorie distincte au sens du paragraphe 1101(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu (le “ Règlement ”). Ainsi, lors de la disposition de ces biens, l'excédent du produit de disposition sur la fraction non amortie du coût en capital devrait être inclus dans le calcul du revenu conformément au paragraphe 13(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”). Un résultat semblable s'appliquerait dans le cas de biens en immobilisation admissibles conformément au paragraphe 14(1) de la Loi.

[2] Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) s'était fondé en établissant une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante pour l'année d'imposition 1988 de cette dernière sont décrites comme suit au paragraphe 8 de la réponse à l'avis d'appel (la “ réponse ”) :

[TRADUCTION]

a) les faits ci-devant invoqués ou admis;

b) les parties à la convention d'achat-vente de la division des explosifs (la “ division Explosifs ”) ont conclu une entente quinquennale de non-concurrence;

c) la division Explosifs a été vendue comme “ entreprise en exploitation ”;

d) l'acheteur de la division Explosifs a poursuivi les activités relatives aux explosifs au même endroit et sans apporter de changements majeurs;

e) après la vente de la division Explosifs, l'appelante n'avait aucune autre activité importante dans la région de North Bay / Nipissing;

f) l'acheteur a gardé à peu près tous les employés existants;

g) l'ancien directeur de chantier de la division Explosifs est devenu le président de l'entreprise ayant changé de propriétaire;

h) on tenait des registres financiers distincts à l'établissement de North Bay pour déterminer la rentabilité de la division Explosifs en tant qu'entreprise distincte;

i) la division Explosifs était exploitée principalement à partir de l'établissement de North Bay;

j) la force de vente de la division Explosifs était distincte de la force de vente des autres divisions de l'appelante;

k) par rapport à la division Explosifs, aucune autre division de l'appelante ne fabriquait le même produit ou un produit concurrent;

l) la division Explosifs ne dépendait d'aucune autre division de l'appelante pour son principal matériel de fabrication;

m) le matériel et les produits liés à la division Explosifs étaient entreposés à l'établissement de North Bay;

n) la division Explosifs de la société mère américaine de l'appelante a été vendue en même temps, soit une vente à un acheteur lié à l'acheteur de la division Explosifs canadienne de l'appelante.

[3] Les motifs que l'appelante invoque pour démontrer que la division Explosifs n'était pas une entreprise distincte sont énoncés comme suit au paragraphe 21 de l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

a) Certes, la division Explosifs avait des employés qui ne travaillaient que pour elle, mais certains employés de l'appelante fournissaient de très importants services commerciaux aussi bien à la division Explosifs qu'à d'autres divisions de l'appelante, par exemple concernant les systèmes et services informatiques, les travaux de recherche-développement, l'expédition, l'ingénierie, la publicité, la paye, les relations publiques et les services juridiques.

b) La division Explosifs n'avait pas son propre service des achats. Toutes les activités relatives aux achats de l'appelante étaient exercées par des groupes d'achat centralisés.

c) Sauf en ce qui avait trait à certains registres de comptabilité des coûts de revient, on ne tenait pas de registres comptables distincts à Nipissing Works. Les activités comptables de l'appelante étaient centralisées, et le personnel du siège social, à Mississauga, s'occupait de la comptabilité pour tous les centres de profits, y compris la division Explosifs.

d) La division Explosifs n'exerçait pas d'activités financières ou bancaires. Ces activités (sauf en ce qui avait trait à la petite caisse) étaient centralisées au siège social de l'appelante, et tous les arrangements financiers, ainsi que les lignes de crédit, étaient négociés par le personnel du siège social pour l'ensemble de la corporation plutôt que pour chaque division. Le directeur général de la division Explosifs déterminait des modalités de vente, par exemple des délais de 30 jours, mais c'était le service du crédit et non la division Explosifs qui autorisait et octroyait le crédit.

e) La division Explosifs n'avait pas de groupe indépendant en matière de systèmes et services informatiques. Ce n'est qu'un an après la vente que la ETI a eu ses propres installations informatiques et son propre logiciel d'application.

Aucun cadre supérieur de l'appelante n'était affecté à la seule division Explosifs. Le personnel chargé des services de fabrication et de commercialisation de la division Explosifs relevait de vice-présidents directeurs de l'appelante qui étaient également responsables de certaines des autres divisions de l'appelante. Certes, le directeur général de la division Explosifs et le directeur de chantier de Nipissing Works travaillaient exclusivement à la division Explosifs, mais, dans la plupart des cas, de telles personnes provenaient d'autres divisions de l'appelante et étaient souvent promues ou affectées à d'autres postes concernant aussi d'autres divisions de l'appelante.

g) Les niveaux de rémunération étaient les mêmes pour l'ensemble du personnel salarié de l'appelante. Ainsi, les salaires de personnes travaillant exclusivement à la division Explosifs à un moment donné ne dépendaient pas uniquement des bénéfices de la division Explosifs. La rémunération de ces personnes était liée à l'ensemble des activités de l'appelante.

h) Le développement de la division Explosifs s'inscrivait dans l'évolution et l'expansion naturelles de l'entreprise de l'appelante.

[4] L'appelante ne considérait pas la vente de la division Explosifs comme étant la vente d'une entreprise distincte. Comme elle l'a dit, dans le calcul de son revenu pour son année d'imposition se terminant le 31 décembre 1988, elle avait déduit le montant attribué aux biens corporels de la fraction non amortie du coût en capital de biens amortissables des catégories prescrites applicables conformément au sous-alinéa 13(21)f)(iii) de la Loi. La déduction d'un tel montant ne donnait pas lieu à l'inclusion de quoi que ce soit dans le revenu en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi. L'appelante avait en outre déduit le montant attribué au fonds commercial du montant cumulatif des immobilisations admissibles, conformément au sous-alinéa 14(5)a)(iv) de la Loi. Cette déduction donnait lieu à l'inclusion dans le revenu d'une somme de 1 114 388 $ conformément au paragraphe 14(1) de la Loi.

[5] Les personnes suivantes ont témoigné : M. Gerald Fox, qui, pendant qu'il travaillait pour l'appelante, a été chef du contentieux, vice-président, Ressources humaines, secrétaire de la compagnie et, avant de prendre sa retraite, conseiller du président; il a participé à la négociation de la convention d'achat-vente; M. Michael Parks, chimiste, qui était le chef des opérations de recherche en génie à Kingston (Ontario) et qui a été de 1986 à 1988 le directeur de chantier à Nipissing Works; M. John Nicholson, ingénieur civil, qui travaillait comme analyste de systèmes, entre autres pour le secteur des achats de l'appelante, et M. Blake Donnelly, analyste commercial, soit un des employés de l'appelante qui ont été mutés à la Explosives Technologies International (Canada) Ltd. (la “ ETI ”) à l'époque de la vente de la division Explosifs. En outre, M. John A. Carlos, responsable des questions fiscales au sein des services juridiques de l'appelante, a témoigné à la demande des avocats de l'intimée.

[6] Le 4 septembre 1987, l'appelante a signé avec la ETI une convention visant la vente des actifs commerciaux de sa division Explosifs en tant qu'entreprise en exploitation (pièce A-1, volume III, onglet 40, pages 874, 881). Cette convention a été modifiée le 15 et le 30 décembre 1987 (volume III, onglets 41 et 42, pages 951 et 972). Il était entendu dans l'esprit de tous les membres du conseil d'administration qu'il s'agissait de la vente de l'entreprise de la division Explosifs, comme l'indiquent les extraits des procès-verbaux de réunions figurant aux onglets 26 à 29 de la pièce R-1, volume II. Il est toutefois à noter que la question de savoir s'il s'agissait de la vente d'une entreprise distincte ne semble pas avoir alors été examinée. Aucun élément de preuve n'indique comment le prix de vente a été négocié. Les membres du conseil d'administration n'ont pas débattu du prix offert, car celui-ci était supérieur au prix qu'ils considéraient comme “ ni bon ni mauvais ”. La preuve ne révélait pas le fondement de ce dernier prix.

[7] La vente s'est conclue le 22 janvier 1988. Le prix d'achat des actifs autres que les stocks était de 55 millions de dollars (américains). Les stocks étaient évalués à 3 500 000 $. Le prix d'achat se répartissait comme suit (volume III, onglet 41, pages 952 et 953) :

a) terrain faisant partie du bien     200 000 $

b) immeubles faisant partie du bien 3 000 000 $

c) actifs corporels autres que le mobilier de bureau 49 799 000 $

d) mobilier de bureau faisant partie des actifs corporels 1 000 $

e) actifs incorporels, y compris les brevets et le fonds commercial 2 000 000 $

[8] La Convention décrivait les actifs vendus comme étant les actifs de l'entreprise, soit les actifs corporels, les actifs incorporels, les bulletins de vente et les bulletins de commande, les contrats, les renseignements en matière de commercialisation, la propriété, les stocks, l'information de l'entreprise et le fonds commercial (pièce A-1, volume III, onglet 40, pages 881 à 884). Il serait trop long de reproduire la description de tous les actifs vendus. Qu'il suffise de dire que tous les actifs décrits semblent faire partie intégrante d'une division Explosifs. La question de savoir s'il s'agissait d'une entreprise distincte, soit le point en litige dans le présent appel, sera analysée plus loin.

[9] Dans la clause relative aux déclarations et aux garanties du vendeur, un engagement est pris concernant l'information financière et autre. Cette information est annexée à la Convention, soit la pièce 4.5. Ce document de plusieurs centaines de pages figure dans le volume IV, à l'onglet 45. Il indique les coûts en capital des biens matériels, ainsi que les données relatives aux résultats concernant par exemple les principales composantes des frais. Il indique notamment les frais d'expédition relatifs aux ventes, les coûts de distribution, les frais de vente, les coûts des services de commercialisation, etc.

[10] Les paragraphes suivants de la Convention sont également dignes d'intérêt :

[TRADUCTION]

5.6 Intention d'exploiter l'entreprise. L'acheteur entend actuellement continuer l'Entreprise pendant huit (8) ans.

6.2 Exploitation de l'entreprise

a) [...] Le vendeur exploitera l'Entreprise dans le cadre normal de ses activités et à peu près comme elle a été exploitée jusqu'ici [...]

6.4 Maintien de l'organisation. Le vendeur fera des efforts raisonnables pour que l'organisation de l'Entreprise reste intacte, pour que l'Acheteur ait à sa disposition l'effectif actuel de l'Entreprise [...] et pour que les relations actuelles de l'Entreprise avec ses fournisseurs et ses clients et d'autres personnes avec qui elle fait affaire soient préservées pour l'Acheteur.

8. LE TRAVAIL ET LES EMPLOYÉS

8.1 Emploi

a) Offres. L'acheteur [...] fera des offres d'emploi [...] à tous les employés actifs de l'Entreprise [...] Le Vendeur encouragera les employés de l'Entreprise à accepter l'offre d'emploi de l'Acheteur.

8.2 Avantages sociaux

a) Reconnaissance de services. Concernant les Employés mutés, l'Acheteur reconnaîtra tous les services et toutes les participations à des régimes qui sont reconnus dans le cadre des régimes d'avantages sociaux du Vendeur, pour déterminer l'admissibilité à des prestations, la participation, les droits acquis et le niveau des prestations dans le cadre de tous les régimes et programmes d'avantages sociaux de l'Acheteur, y compris le régime de retraite de l'Acheteur [...]

8.6 Obligation du successeur. [...] L'Acheteur sera le successeur du Vendeur relativement à la convention collective [...] Le Vendeur et l'Acheteur reconnaissent qu'il faudra une collaboration suivie entre eux après la date de clôture à l'égard de questions de nature transitoire pour favoriser une adaptation harmonieuse des arrangements en matière de convention collective par rapport au changement de propriétaire de l'Entreprise, et le Vendeur et l'Acheteur s'assurent mutuellement d'une telle collaboration.

[11] Les témoins ont expliqué que, en 1928, la C.I.L. avait abandonné sa pratique consistant à utiliser des filiales distinctes et qu'elle avait combiné toutes ses activités en une seule structure organisationnelle. Cette organisation par divisions a été utilisée par la C.I.L. et la société qui la remplace, l'appelante, jusqu'à la vente de la division Explosifs effectuée en 1988. Toutefois, l'appelante insistait pour dire qu'un contrôle centralisé était exercé sur trois éléments principaux, soit Finances, Personnel et Technologie. Des services généraux comme la recherche étaient fournis à partir de Kingston, et les services concernant la trésorerie, le système central de paye, les ressources humaines et les relations industrielles ainsi que les systèmes et services informatiques étaient fournis à partir de Mississauga. Ces services étaient fournis à la division Explosifs et à d'autres divisions. Chacune de ces fonctions relevait d'une gestion centrale, et les divisions n'étaient guère autonomes à cet égard, voire pas du tout. Les frais relatifs à des services généraux étaient imputés mensuellement aux divisions ou, dans certains cas, ils étaient imputés aux divisions sur la base des approvisionnements. L'appelante était assurée par une filiale de la E.I.D., et le risque commercial était réparti entre toutes les divisions de l'appelante.

[12] À l'époque de la vente, la division Explosifs oeuvrait principalement à partir du secteur de North Bay appelé Nipissing Works. Les chantiers de production en vrac étaient situés aux mines du client. La fonction “ fabrication ” était supervisée par un directeur de chantier, qui surveillait également la fabrication du Fabrene, un autre produit. Ce directeur de chantier relevait du vice-président, groupe Fabrication, de Mississauga, où les bureaux de la société étaient situés.

[13] La division Explosifs employait plus de 200 personnes. La plupart de ces employés travaillaient à l'établissement de Nipissing. Environ 30 personnes travaillaient pour la division Explosifs à Mississauga. L'onglet 45, page 1263 du volume IV, indique que le service de fabrication de la division Explosifs comptait 161 personnes, soit 129 à l'établissement de Nipissing et 32 aux chantiers de production sur le terrain, également appelés chantiers de production en vrac. Les graphiques figurent aux pages 1264 et 1265. La page 1266 indique qu'il y a un effectif de 25 personnes à la section de la commercialisation et un effectif de trois personnes dans le service de développement de l'entreprise.

[14] L'établissement de Nipissing avait ses propres installations de recherche, ainsi qu'une gravière, où l'on pouvait procéder aux explosions. L'effectif de spécialistes et de techniciens se composait de vingt-quatre personnes, dont quatre chimistes, deux informaticiens, trois ingénieurs miniers, quatre ingénieurs en mécanique et un spécialiste en électronique et en mécanique des roches (pièce A-1, volume IV, onglet 45, page 1265). Non seulement ces personnes étaient responsables de l'exploitation quotidienne de l'établissement, mais elles s'occupaient de tester des produits modifiés devant être fabriqués par l'établissement de Nipissing. L'appelante avait un laboratoire central de recherche à Kingston. La recherche effectuée à Kingston allait plus loin que ce qui était possible de faire à Nipissing Works lorsque, par exemple, un produit faisait problème.

[15] Il y avait un service central de commercialisation pour la division Explosifs, à Mississauga. Certaines personnes étaient en outre affectées à la commercialisation dans l'ensemble du Canada. Le service de commercialisation de la division Explosifs relevait du directeur de la division Explosifs, de Mississauga, qui relevait pour sa part du vice-président, groupe Produits chimiques. La pièce A-1, volume 1, onglet 18, page 402, indique que les directeurs de la commercialisation pour l'Est et l'Ouest relevaient du directeur général, Explosifs. La force de vente était également répartie dans l'ensemble du pays, pour servir les clients et exploiter les possibilités d'affaires. Les directeurs régionaux des ventes relevaient du directeur national de la commercialisation travaillant exclusivement pour la division Explosifs.

[16] Après la vente, tous les employés de la division Explosifs, sauf trois, ont accepté de travailler pour la ETI. Un des témoins a dit que les employés de Dupont affectés à la division Explosifs n'avaient d'autre choix que de se joindre à la ETI s'ils voulaient continuer de travailler.

[17] Il y avait des fournisseurs communs. Les gestionnaires de Nipissing Works pouvaient faire des demandes d'achat, mais ils n'avaient pas le pouvoir d'autoriser des achats de leur propre initiative. Ce pouvoir était exercé à Mississauga.

[18] À partir de 1987, le secteur de la fabrication et du commerce de la division Explosifs relevait d'un seul vice-président, qui était au bureau central de la compagnie, à Mississauga.

[19] Les ordinateurs personnels affectés exclusivement au secteur des explosifs à Mississauga ainsi qu'à l'établissement de Nipissing ont été vendus à la ETI. Le logiciel expressément conçu pour le secteur des explosifs a également été vendu à la ETI (pièce A-1, volume III, onglet 40, page 881; volume IV, onglet 45, pages 1124 et 1299). L'établissement de Nipissing avait son propre parc de camions et de machinerie lourde. Ces biens faisaient partie de ce qui a été vendu à la ETI (pièce A-1, volume III, onglet 40; volume IV, onglet 45, page 1292).

[20] Le plan financier annuel du secteur des explosifs était établi par le comptable gestionnaire de l'établissement de Nipissing et par le directeur de la comptabilité d'entreprise travaillant exclusivement pour la division Explosifs, à Mississauga. Le gestionnaire de l'établissement de Nipissing réexaminait régulièrement ce budget pour veiller à ce que le secteur des explosifs s'en tienne à son budget annuel.

[21] Il est à noter que la division Explosifs, tout comme quatre autres divisions opérationnelles, avait sa propre comptabilité. Cela est clairement établi dans le bilan de l'appelante pour l'exercice se terminant en décembre 1987 (pièce A-1, volume I, onglet 16). L'appelante avait la capacité de déterminer pour la période allant de 1983 à 1986 quels avaient été les résultats du secteur des explosifs et quelle avait été la performance financière de la division Explosifs quant aux recettes de ventes de ses produits (pièce A-1, volume IV, onglet 45, pages 1272 à 1290).

[22] À l'onglet 28 du volume II est reproduit l'avis d'opposition rédigé et signé par M. Carlos. Les paragraphes 21 à 23 me semblent décrire de façon exacte les fonctions remplies par le personnel affecté exclusivement à la division Explosifs, ainsi que les fonctions centralisées qui étaient exercées pour les divisions opérationnelles de l'appelante. Lorsque ces dernières fonctions étaient exercées pour la division Explosifs, les services ainsi fournis étaient facturés à cette division. Il y avait aussi des règles en matière d'emploi et en matière de trésorerie qui s'appliquaient à toutes les divisions de l'appelante.

Arguments de l'appelante

[23] Les avocats de l'appelante soutenaient que la question est de savoir non pas si l'appelante aurait pu exploiter la division Explosifs comme une entreprise distincte, mais plutôt si la division Explosifs était en fait exploitée par l'appelante comme une entreprise distincte. De l'avis des avocats de l'appelante, la preuve démontrait que la division Explosifs n'était pas exploitée comme une entreprise distincte et que ce qui a été vendu à la ETI n'était donc pas une entreprise distincte.

[24] Selon le libellé du paragraphe 1101(1) du Règlement, il faut déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, la division Explosifs de l'appelante était une autre entreprise de l'appelante. Une question identique se pose à l'égard des biens en immobilisation admissibles de l'appelante, car l'article 14 de la Loi exige un calcul distinct concernant les biens en immobilisation admissibles relatifs à chaque entreprise d'un contribuable.

[25] Le critère élaboré dans la jurisprudence pour déterminer si des activités commerciales simultanées d'un contribuable représentent une seule entreprise ou des entreprises distinctes a été énoncé dans le jugement britannique Scales v. Georges Thompson & Co., Ltd.,(1927) 13 T.C. 83 (B.R.), à la page 89 :

[TRADUCTION]

[...] Je pense que la véritable question est de savoir s'il y avait une interdépendance entre ces deux entreprises, s'il y avait une unité quelconque; [...]

[26] Les avocats de l'appelante disaient que, bien que n'ayant pas été élaboré dans le contexte du paragraphe 1101(1) du Règlement et de l'article 14 de la Loi, le critère du jugement Scales a été appliqué dans la jurisprudence en général pour déterminer si des entreprises étaient distinctes et a été accepté par Revenu Canada, dans le bulletin d'interprétation no 206R, comme s'appliquant à cette situation précise. La Cour doit donc examiner le degré d'interdépendance et le niveau d'unité concernant les activités commerciales. Cela est principalement une question de fait.

[27] Dans l'affaire Scales, le contribuable était une compagnie qui s'était lancée à la fois dans l'exploitation de navires et dans les assurances maritimes. L'entreprise d'assurances était dirigée uniquement par deux représentants. Ces derniers ont mis fin à leurs activités. L'année suivante, la compagnie n'a pas inclus les résultats de l'activité d'assurances dans ses propres résultats, alléguant que les deux activités étaient distinctes. Le juge Rowlatt s'est dit d'accord sur cette thèse (page 89) :

[TRADUCTION]

[...] Je ne puis concevoir deux entreprises qui puissent être plus facilement séparées que ces deux-là. À part le fait qu'elles concernent toutes les deux des navires, elles ne dépendent pas l'une de l'autre, elles ne sont pas interdépendantes, elles ne se raccordent pas l'une à l'autre, si ce n'est que les personnes qui en font partie ont des connaissances sur les navires, mais la conduite effective des entreprises n'indique pas que les deux sont raccordées l'une à l'autre. [...]

[28] Les avocats de l'appelante ont fait référence à la décision rendue par la cour de session de l'Écosse dans l'affaire The Howden Boiler and Armaments Company, Limited v. Stewart (H.M. Inspector of Taxes), (1924) 9 T.C. 205. Le contribuable, soit une compagnie, s'était lancé dans la fabrication de chaudières. En 1914, la compagnie avait obtenu un contrat du gouvernement français pour la fourniture d'obus. La fabrication d'obus était effectuée dans de nouveaux locaux, adjacents aux locaux initiaux mais ne communiquant pas avec les locaux initiaux, qui continuaient de servir exclusivement à la fabrication de chaudières. Chaque exploitation avait son propre plan, ses propres travailleurs, son propre personnel technique et administratif et ses propres livres et comptes d'exploitation. Toutefois, les deux étaient assujetties à la même orientation générale et relevaient des mêmes gestionnaires. Tous les comptes étaient incorporés au même compte de résultats et au même bilan, les frais d'intérêts bancaires et les frais de gestion étant imputés à la compagnie, généralement sans répartition. L'entreprise de fabrication d'obus a cessé ses activités en 1918, et l'usine a été vendue. Le commissaire a conclu que le contribuable avait exploité non pas deux entreprises, mais une seule et unique entreprise comportant deux divisions.

[29] Les avocats de l'appelante ont également fait référence à l'affaire Cannon Industries Ltd. v. Edwards (H.M. Inspector of Taxes), [1966] 1 All E.R. 456, et à l'affaire River Estates Stn Bhd v. Director General of Inland Revenue, [1984] S.T.C. 60 (C.P.).

Arguments de l'intimée

[30] L'avocat de l'intimée soutenait que le critère tient à la question de savoir non pas si la division Explosifs était en fait exploitée comme une entreprise distincte, mais plutôt si elle était exploitée de telle manière qu'elle était facilement séparable comme entreprise en exploitation.

[31] L'avocat de l'intimée disait que, dans la jurisprudence canadienne à cet égard, la principale décision est celle que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Frankel Corporation Ltd. v. M.N.R., 59 DTC 1161. Il a cité un extrait de la note préliminaire figurant aux pages 1161 et 1162 et un extrait des motifs figurant à la page 1168 :

[TRADUCTION]

L'entreprise de la compagnie appelante était diversifiée : elle s'occupait de ferraille, ainsi que de métaux non ferreux affinés ou non affinés, effectuait des opérations de récupération et de sauvetage, fabriquait de l'acier et construisait des ouvrages en acier. En 1952, la division des métaux non ferreux, y compris les stocks, a été vendue à une autre compagnie. [...]

[...] La vente des stocks de métaux, qui faisait partie de la vente des actifs de la division des métaux non ferreux de la compagnie appelante, n'était pas une vente faite dans le cadre de l'entreprise de l'appelante, mais plutôt une vente d'une entreprise de l'appelante. [...]

[...]

Et maintenant, pour ce qui est des faits de l'espèce, mentionnons que, bien que n'étant pas distincte des autres divisions de l'appelante à tous les égards, la division des métaux non ferreux en était distincte à bien des égards et était dans l'ensemble facilement séparable des autres. Elle était presque entièrement distincte des autres concernant les sources de ses approvisionnements, l'employé de l'appelante chargé de l'achat de ses approvisionnements, la machinerie et l'outillage qu'elle utilisait, les employés qui l'exploitaient, la partie des locaux où elle était exploitée, les clients qui achetaient ses produits, les employés de l'appelante qui les vendaient, le nom sous lequel elle était exploitée, la marque de commerce et l'appellation commerciale qu'elle utilisait sur les produits ainsi que la surveillance exercée. En fait, l'ensemble du processus donnant lieu à la réalisation de profits semble avoir été bien distinct des autres, sauf en ce qui concerne l'acquisition de petites quantités de ferraille provenant de la division de récupération et de sauvetage, l'intégration pour certaines fins de la comptabilité de cette division avec celle de la division de la ferraille et des questions générales comme le contrôle exercé par le même conseil d'administration, l'existence d'une seule et unique convention collective pour tous les employés de l'appelante, les régimes de retraite et d'assurances des employés et l'établissement final du compte de résultats des divisions de la compagnie.

[32] L'avocat de l'intimée soutenait que l'appelante a essayé de montrer qu'il y avait une intégration du fait du contrôle exercé aux niveaux supérieurs de son administration, c'est-à-dire à partir du niveau de vice-président. L'appelante a présenté des éléments de preuve pour montrer que certaines fonctions des divisions étaient contrôlées par un organe central (p. ex. en matière de finances) ou réglementées par un organe central (p. ex. en matière d'achats, d'embauchage d'employés de niveau supérieur et de paiement d'impôts). La Cour suprême du Canada a reconnu qu'un tel contrôle correspondait simplement au devoir qu'ont les administrateurs de contrôler tous les services, c'est-à-dire les différentes entreprises de la compagnie (voir l'arrêt H.A. Roberts Ltd. v. M.N.R., 69 DTC 5249 (C.S.C.), à la page 5253). L'avocat de l'intimée soutenait que, au niveau opérationnel, la division Explosifs n'était pas intégrée aux autres divisions de l'appelante. Le bénéfice d'exploitation de chaque division était calculé séparément et, au bout du compte, tout cela était combiné pour indiquer les résultats finaux de l'appelante. En ce qui a trait à la convention de vente, celle-ci prévoyait également la vente du fonds commercial. Le fonds commercial est toujours lié à une entreprise et ne peut exister séparément d'elle. De plus, la Convention contenait une clause établissant que la ETI deviendrait le successeur de Dupont à l'égard de la convention collective. Cette obligation est conforme à la jurisprudence, qui établit que l'acheteur d'une entreprise prend en charge les modalités afférentes à la convention collective. Lorsque toutes les dispositions de la Convention sont considérées ensemble, il est clair que la vente de la division Explosifs était la vente d'une entreprise facilement séparable. L'opération a eu pour effet de mettre la ETI en possession d'une entreprise en exploitation, dont les activités seraient poursuivies par la ETI sans interruption.

Conclusion

[33] Avant d'énoncer ma conclusion, je voudrais citer l'extrait suivant de l'arrêt de la Cour suprême du Canada H.A. Roberts Ltd., précité, qui figure aux pages 5252 et 5253 :

[TRADUCTION]

[...] Certes, notre cour a effectivement décidé que la vente des stocks n'était pas une vente s'inscrivant dans le cadre normal de l'entreprise, mais, pour parvenir à cette conclusion, la Cour devait statuer que l'objet du contrat entre la compagnie Frankel et l'acheteur était la vente d'une entreprise, malgré le fait que cette entreprise n'était pas l'objet de statuts constitutifs distincts. Le juge Martland, rendant le jugement de la Cour, a cité de larges extraits du jugement du juge de première instance, de la Cour de l'Échiquier du Canada, puis il a dit qu'il était d'accord sur ces conclusions.

Le savant juge de première instance, de la Cour de l'Échiquier, avait pris en considération des circonstances comme la source des approvisionnements de la division, les employés de la Frankel chargés d'acheter ces approvisionnements, la machinerie et l'outillage utilisés par la division, les employés affectés à cette machinerie, la partie des locaux où la division était exploitée, les clients qui achetaient les produits, les employés de la Frankel qui vendaient ces produits, le nom sous lequel la division était exploitée, ainsi que la marque de commerce et l'appellation commerciale qu'elle utilisait sur les produits. Il disait notamment :

En fait, l'ensemble du processus donnant lieu à la réalisation de profits semble avoir été bien distinct des autres, sauf en ce qui concerne l'acquisition de petites quantités de ferraille provenant de la division de récupération et de sauvetage, l'intégration pour certaines fins de la comptabilité de cette division avec celle de la division de la ferraille et des questions générales comme le contrôle exercé par le même conseil d'administration, l'existence d'une seule et unique convention collective pour tous les employés de l'appelante, les régimes de retraite et d'assurances des employés et l'établissement final du compte de résultats des divisions de la compagnie.

[Je souligne.]

[34] Le concept d'entreprise distincte exprimé au paragraphe 1101(1) du Règlement et au paragraphe 14(1) de la Loi a nécessairement un sens. Si je devais conclure dans les circonstances du présent appel que la division Explosifs n'était pas une entreprise distincte de l'appelante, je ne vois pas dans quelles circonstances un tribunal pourrait parvenir à une telle conclusion. Le fait qu'il y avait une certaine gestion unifiée aux niveaux supérieurs de l'administration de l'appelante, ainsi que des services centralisés et des règles communes, ne signifie pas que l'appelante avait une seule entreprise. Je comparerais la situation à ce qu'il en est par exemple dans la gestion d'une administration gouvernementale. Dans une administration gouvernementale, certaines règles s'appliquent de façon générale, et certains services sont centralisés. Je parle par exemple des règles concernant l'emploi ainsi que la trésorerie et des fonctions concernant les services juridiques et le système de la paye. Cela ne veut pas dire que les ministères ne sont pas distincts les uns des autres.

[35] Les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Frankel et H.A. Roberts Ltd. ne diffèrent pas de ceux qui avaient été énoncés par les tribunaux britanniques dans l'affaire Scales, et mon analyse de ces principes est la suivante : on considérera qu'il y a une seule entreprise lorsqu'il existe une interdépendance telle que l'on peut conclure à l'existence d'une seule entité productive de revenu; on considérera qu'il y a une entreprise distincte lorsque les circonstances sont telles que l'ensemble du processus donnant lieu à la réalisation de profits est bien distinct des autres, malgré le fait que l'entreprise n'aie pas fait l'objet de statuts constitutifs distincts. À mon sens, cette interprétation offre l'avantage d'être conforme au concept d'entreprise au sens de la Loi.

[36] À mon avis, la preuve indique clairement que la division Explosifs était gérée comme étant en soi une entité productive de revenu : la fabrication, la supervision et l'orientation, la commercialisation, les ventes des produits, le personnel ainsi que la comptabilité relevaient d'un organe central, malgré le fait que certaines règles s'appliquaient de façon générale à toutes les divisions et à certains services. Donc, il s'agissait d'une entreprise distincte de l'appelante.

[37] L'appel est rejeté, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 1999.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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