Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991201

Dossier: 98-168-IT-I

ENTRE :

JANINE GIBSON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Au moyen d'Avis de prestation fiscale pour enfants datés du 19 septembre 1997, le ministre du Revenu national (le ministre) a informé l'appelante qu'il avait été établi, par voie de nouvelle détermination, qu'elle était admissible à un crédit d'impôt pour enfants de 239,60 $ relativement à l'année de base 1995 et qu'elle n'était pas admissible à ce crédit pour l'année de base 1996.

[2] Lorsqu'il a effectué une nouvelle détermination portant sur l'admissibilité de l'appelante au crédit d'impôt pour enfants pour les années de base 1995 et 1996, le ministre a formulé les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

a) en conformité avec l'article 122.6 de la Loi, l'“ année de base ” 1995 s'entend du mois de juillet 1996 au mois de juin 1997 inclusivement;

b) en conformité avec l'article 122.6 de la Loi, l'“ année de base ” 1996 s'entend du mois de juillet 1997 au mois de juin 1998 inclusivement;

c) l'appelante était une personne seule qui, pendant toutes les périodes pertinentes, et jusqu'au 4 avril 1998, avait une (1) “ personne à charge admissible ” née le 4 avril 1980, soit Andrew Grant (l'“ enfant ”);

d) au terme d'un jugement de divorce daté du 15 octobre 1987, la Cour du banc de la Reine de l'Alberta, district judiciaire de Calgary, a confié la garde de l'enfant à l'ex-époux de l'appelante, Gordon Grant;

e) depuis le mois d'août 1995, l'appelante ne réside plus avec l'enfant;

f) à toutes les périodes pertinentes, l'appelante était un “ particulier admissible ” à l'égard de l'enfant;

g) l'appelante était admissible à une prestation fiscale pour enfants de 239,60 $ relativement à l'“ année de base ” 1995 et à aucune relativement à l'“ année de base ” 1996.

[3] Seule l'appelante a témoigné. Elle a affirmé qu'en 1987 son ex-époux, qui vivait alors à Brooks (Alberta), a obtenu la garde exclusive de leur fils de sept ans, Andrew. En 1995, ou quelque temps avant ou après, quand Andrew avait 14 ans, la relation est devenue tendue entre le père et le fils et celui-ci a demandé de passer plus de temps avec l'appelante. Andrew passait déjà le jour de Noël, le jour de l'Action de grâce et les vacances scolaires estivales avec l'appelante, et, quoiqu'il appréciât les visites, il n'avait pas beaucoup d'amis à l'endroit où habitait sa mère parce que, à partir de l'âge de 6 ans, il avait fréquenté l'école à Brooks (Alberta) d'abord, puis à Vancouver Nord (C.-B.). Cependant, comme les choses ne s'amélioraient pas entre le père et le fils, les parents ont finalement convenu, lorsqu'Andrew avait 15 ans, qu'il vivrait avec l'appelante. À cette époque, il a également été convenu que le crédit d'impôt pour enfants versé au père serait transféré à l'appelante.

[4] L'appelante a précisé qu'elle est experte-conseil en culture organique et qu'elle vit dans une collectivité parallèle, la Northern Sun Farm Co-op, près de Steinbach. Les habitants de cette collectivité se préoccupent beaucoup de l'environnement; ils tirent leur énergie de panneaux de photopiles et ils se passent de bien des commodités, comme l'eau courante par exemple. L'appelante a indiqué que Steinbach est située dans une région assez conservatrice, et, bien que, de façon générale, la collectivité soutienne la Co-op, les études d'Andrew posaient un problème. Plus particulièrement, même si Andrew aimait vivre dans la ferme comme telle, il ne voulait pas fréquenter les écoles de l'endroit. Il a quitté l'école de Steinbach pour étudier à l'école de Grunthal, mais son attitude n'a à peu près pas changé. Par conséquent, on a finalement décidé de l'inscrire au programme d'enseignement à domicile par les parents. Le problème n'en a pas pour autant été résolu, et il est devenu évident que Andrew voulait retourner à Vancouver Nord et fréquenter l'école de Sea Cove, où il comptait beaucoup d'amis. Même si son père habitait la région de Vancouver, Andrew a refusé de retourner vivre avec lui de sorte qu'il a été décidé de lui trouver une “ chambre et une pension dans une maison de chambres ” afin qu'il puisse fréquenter l'école de son choix. Au cours de cette période, l'appelante et son ex-époux ont versé de l'argent à Andrew pour payer le loyer et d'autres dépenses. Dans son témoignage, l'appelante a en outre déclaré que le père d'Andrew lui avait suggéré de déclarer Andrew comme personne à charge afin d'avoir droit au crédit d'impôt au titre de la prestation versée pour Andrew. C'est relativement à cette période que la question en litige se pose.

[5] L'appelante soutient qu'elle est la personne qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation d'Andrew au cours des “ années de base ” en cause. L'appelante soutient également qu'Andrew ne résidait pas avec son père au cours de cette période.

Conclusion

[6] Les articles 122.6 à 122.64 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) ont été adoptés en 1992 afin de grouper les prestations qui étaient alors versées pour les enfants à charge. La prestation est payable à l'égard des “ personnes à charge admissibles ”. Une personne à charge admissible doit être âgée de moins de 18 ans au moment pertinent, ce qui était en fait le cas d'Andrew. La prestation est payable à un “ particulier admissible ”. Afin d'être considéré comme un particulier admissible, le particulier doit, à ce moment a) résider avec la personne à charge; b) être la personne — père ou mère — qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de l'enfant. Dans l'appel en l'instance, l'appelante doit faire la preuve qu'elle a satisfait aux deux critères.

[7] En ce qui concerne la question de savoir si l'appelante résidait avec la personne à charge admissible au cours de la période pertinente, je me dois de préciser que très peu d'affaires traitent en substance de la définition de la phrase “ réside avec la personne à charge ”. Cependant, dans l'affaire Eliacin v. Canada[1], le juge Rip s'est penché sur les termes “ réside avec ”. Dans cette affaire, le juge devait déterminer si l'appelante avait le droit de déduire les frais d'entretien de son enfant aux termes de l'article 63, ce qu'elle pouvait faire uniquement si l'enfant “ résidait ” avec elle. Étant donné que la question à trancher dans l'affaire Eliacin est identique à celle dont je suis saisi, les observations suivantes du juge Rip sont pertinentes en l'espèce :

L'avocate de l'intimée s'est basée sur l'arrêt Thomson c. M.R.N., [1946] R.C.S. 209, [1946] C.T.C. 51, 2 DTC 812, un jugement de la Cour suprême, qui a confirmé le principe selon lequel un contribuable peut avoir plus d'une résidence. À mon avis cet arrêt n'a aucune application aux faits de cet appel. L'alinéa 63(3)d) emploie les mots “...le conjoint...a résidé avec le contribuable...”. (“ "resided with" dans la version anglaise de la Loi ”). Dans l'affaire Thomson on a discuté si le contribuable a résidé au Canada.

Le Petit Robert 1 définit le mot “avec”

1. (Marque le RAPPORT : présence physique simultanée; accord moral, entre une personne et qqn ou qqch.). En compagnie de (qqn). V. préf. Co-. Aller se promener avec qqn. Mon plus grand plaisir est de sortir avec vous. Il a toujours son chien avec lui. – Être avec qqn : en sa compagnie. Ils sont toujours l'un avec l'autre. V. Auprès (de). “Elle était maintenant avec un homme très riche” (FLAUB.) : elle vivait avec lui...

Le même dictionnaire dit que le mot “à” comprend “...position dans un lieu”.

En anglais, il y a aussi une différence entre les mots "in" et "with". The Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles définit le mot "in" à comprendre"... the preposition expressing the relation of inclusion, situation, position, existence, or action within limits of space...". Le mot comprend aussi "...within the limits or bounds of, within (any place or thing)..."

The Shorter Oxford English Dictionary définit le mot "with" comme suit :

...II. Denoting personal relation, agreement, association, union, addition. ...13. Following words expression accompaniment or addition, as associate, connect, join, marry, share, unite vbs. ... 19.Expressing association, conjunction, or connection in thought, action or condition. ... 25. Indicating an accompanying or attendant circumstance, or a result following from the action expressed by the verb.

La jurisprudence anglaise avait à définir les mots “résider avec” ("reside with") qui apparaissent au paragraphe I(4) du Summary Jurisdiction (Separation and Maintenance) Act, 1925, (15 & 16 Geo. 5, c. 51). Ce paragraphe stipule qu'une ordonnance de pension alimentaire n'est pas exécutoire si la femme “réside avec” son mari. Les mots “résider avec” ont été définis comme étant “vivre dans la même maison avec” ("residing in the same house as") (voir Evans v. Evans, [1948] 1 K.B. 175, à la page 182) or ("living in the same house with") (voir Hewitt v. Hewitt, [1952] 2 Q.B. 627, à la page 631). [...]

On peut dire à la lumière de cette jurisprudence que les mots “résider avec” ont une définition plus large et ne signifient pas vivre dans une relation conjugale; ils signifient seulement vivre dans la même maison que quelqu'un d'autre. [...]

[Les caractères gras sont de moi]

[8] Je fais également remarquer que le Black's Law Dictionary définit le mot "residence" [“résidence”] de la façon suivante : [TRADUCTION] “ présence personnelle dans un lieu d'habitation quelconque sans intention actuelle de quitter ce lieu de manière définitive et prématurée et aux fins d'y demeurer pour une période indéterminée autrement que de façon sporadique, mais pas nécessairement dans le but avoué d'y demeurer de façon permanente ”.

[9] Il n'est pas possible dans les circonstances de la présente affaire de conclure que la personne à charge admissible, Andrew, “ résidait avec ” l'appelante. En conséquence, la décision du ministre selon laquelle l'appelante n'était pas admissible à la prestation fiscale pour enfants pour les années de base 1995 et 1996 était correcte. Compte tenu de la conclusion que j'ai tirée relativement à cette exigence, il n'est nul besoin de déterminer si l'appelante était la personne qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation d'Andrew au cours de la période en cause. Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre 1999.

“ A.A. Sarchuk ”   

J.C.C.I.

[Traduction française officielle]

Traduction certifiée conforme ce 9e jour d'août 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               [1993] 2 C.T.C. 2635 (C.C.I).

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