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Date: 19991209

Dossier : 98-2181-IT-I

ENTRE :

MAUREEN CRILLY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Pour l’appelante : l’appelante elle-même

Avocate de l’intimée : Me Christine Mohr

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 23 novembre 1999.)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1993, 1994 et 1995, l’appelante a déduit de son revenu provenant d’autres sources certaines pertes subies relativement à une unité condominiale, soit une maison en rangée, située à Collingwood (Ontario). Elle a ainsi déduit, pour les années 1993, 1994 et 1995, les sommes respectives de 9 433 $, 9 959 $ et 6 283 $.

[2] En mars 1997, le Ministre a établi une nouvelle cotisation dans laquelle il a refusé à l’appelante la déduction de ces pertes, jugeant qu’elle n’avait pas d’expectative raisonnable de profit en louant cette maison en rangée. Les déclarations de revenus en cause ont apparemment été préparées par le comptable de l’appelante, lequel a probablement aussi rédigé son avis d’appel, ou l’a du moins aidée à le faire. Elle a comparu en personne devant moi, faisant elle-même valoir sa cause.

[3] L’appelante et son mari, avec la soeur de celui-ci et son propre mari, ont conjointement acheté l’unité condominiale à raison d'une participation de 25 p. 100 chacun. Ils ont signé l’offre d’achat en 1988 ou 1989, avant le début de la construction, et ont pris possession de l’unité en décembre 1990.

[4] Il est de notoriété publique que le marché immobilier résidentiel, dans le Sud de l’Ontario, a connu vers la fin des années 1980 une hausse très rapide des prix, qui se sont ensuite effondrés brusquement vers la fin de 1989 et en 1990.

[5] L’appelante a déclaré très candidement dans son témoignage qu’elle avait l’intention – et je crois que c’était aussi l’intention des autres copropriétaires – d’acheter cet immeuble, de n’en rester que brièvement propriétaire et de le revendre ensuite à profit, ceci étant corroboré par le fait que le prix d’achat, soit 212 000 $, avait entièrement été payé au moyen de sommes empruntées. L'hypothèque de premier rang s’élevait à 159 000 $, l'hypothèque de deuxième rang à 13 000 $, et le versement initial de 39 000 $ avait lui aussi été emprunté.

[6] Si l’appelante et les autres copropriétaires avaient réalisé leurs objectifs initiaux, leurs profits auraient bien sûr été imposables puisqu’ils auraient découlé d’une opération à caractère commercial. Malheureusement pour eux, ils n’auraient même pas pu revendre cette unité condominiale pour son prix d’achat au moment où ils en ont pris possession, à cause de l’effondrement du marché immobilier survenu en 1989 et 1990. L’appelante a démontré que la valeur de l’immeuble est tombée jusqu’à 179 000 $, au début de 1991. Il devenait donc impossible pour les propriétaires d’essuyer une telle perte en revendant l’immeuble, puisqu’il leur aurait alors fallu réunir plus de 30 000 $, en sus du prix de vente, pour acquitter le solde des emprunts hypothécaires et de l’emprunt contracté pour le versement initial. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, ils n’avaient d’autre choix que de louer l’immeuble, quoique sans aucune possibilité de profit avec un tel financement qui engendrait plus de 7 000 $ de frais annuels d’intérêts, contre un revenu annuel brut de 4 000 $.

[7] L’avocate de l’intimée prétend que l’appelante aurait pu toucher des revenus annuels de location supérieurs aux 4 000 $ qu’elle a effectivement touchés si elle avait consenti à louer l’immeuble pour de courtes périodes, au lieu d’en restreindre la location à des familles établies pour de longues périodes. C’est possible, mais le faire aurait entraîné à la fois des dépenses supplémentaires et d’importants risques de dommages par les locataires à court terme. La décision de louer exclusivement pour des périodes de quatre mois était donc une décision de gestion rationnelle.

[8] Puisqu’il s’est malheureusement avéré impossible de louer l’immeuble pendant l’été, et que celui-ci ne pouvait trouver locataire que pendant la saison de ski, le revenu annuel brut maximal que les propriétaires ont pu en tirer ne s’élevait qu’à 4 000 $, pour la période de quatre mois comprise entre le début de décembre et la fin de mars.

[9] Il en découle que les quatre propriétaires ont touché des revenus annuels bruts de 3 750 $ en 1991, et de 4 000 $ pour les années 1992 à 1995 inclusivement. Quant aux montants des dépenses, pour peu que je puisse les induire des éléments de preuve plutôt insatisfaisants, ils s’élevaient à 21 682 $ en 1991, à 23 376 $ en 1992, à 22 866 $ en 1993, à 23 908 $ en 1994, et à 16 566 $ en 1995.

[10] L’appelante a déclaré, dans son témoignage, que l'hypothèque de deuxième rang avait été purgée “ avant 1995 ”, ce qui explique l’importante diminution des dépenses entre 1994 et 1995. En outre, les propriétaires ont dû faire, et ont fait, deux importants versements forfaitaires à valoir sur l'hypothèque de premier rang, l’un de 10 000 $ vers le milieu de 1995 et l’autre de 40 000 $ vers le milieu de 1996, en échange de la prolongation des hypothèques par le créancier hypothécaire. Le second versement a réduit à 88 000 $ le solde impayé du principal de l'hypothèque de premier rang.

[11] En 1977, les frais annuels d’intérêts et le total des dépenses annuelles avaient respectivement été réduits à environ 3 000 $ et 9 400 $. Le revenu étant d’environ 9 600 $, l’appelante a déclaré pour l’année un profit de 93,55 $. Soit dit en passant, l’appelante a constamment déduit 50 p. 100 de l’excédent des dépenses sur les revenus, bien qu’elle ne soit qu’à 25 p. 100 propriétaire de l’immeuble. En 1997, elle a déclaré 50 p. 100 de l’excédent des revenus sur les dépenses. Dans son témoignage, elle a dit avoir procédé ainsi parce que son mari n’avait pas un revenu suffisant, au cours de ces années, pour absorber sa propre part de 25 p. 100 des dépenses. Il va de soi qu’elle ne pourra déduire les dépenses admissibles, le cas échéant, que jusqu’à concurrence de sa participation dans l’immeuble, soit 25 p. 100.

[12] Comme je le disais, l’appelante a déduit des pertes locatives, dans ses déclarations de revenus préparées par son comptable, comme si cette unité condominiale était un bien de location. Elle a également fait valoir dans son avis d’appel, qui est probablement aussi l’oeuvre de son comptable, une “ expectative raisonnable de profit ” découlant “ soit de la location, soit d’un gain en capital ”. Toutefois, il ressort clairement du témoignage de l’appelante que l’immeuble a été acheté dans le but de rapidement le revendre à profit, et seul l’effondrement de sa valeur a empêché ses propriétaires de le faire. J’estime donc qu’il a sans contredit été acheté à titre de bien de commerce, et non à titre de bien en immobilisation.

[13] Rien ne m’indiquait, dans le témoignage de l’appelante, qu’elle et les autres copropriétaires auraient à un moment donné abandonné l’intention de vendre leur immeuble ou de le considérer comme autre chose qu’un bien figurant dans leur inventaire. Il est vrai qu’ils l’ont loué, mais seulement pour tenter, je crois, de limiter les dégâts suite à l’échec de leur projet initial. Je conclue de son témoignage qu’il n’y a pas eu de changement d’utilisation de ce bien.

[14] Les hypothèses avancées par l’intimée dans sa réponse à l’avis d’appel comprennent notamment, au paragraphe 7 :

e)        les dépenses locatives non admissibles n’ont pas été engagées dans le but de gagner ou de produire un revenu d’entreprise ou de bien;

f)         les dépenses locatives non admissibles constituaient des frais personnels ou des frais de subsistance de l’appelante;

g)        l’appelante n’avait pas d’expectative raisonnable de profit en louant l’immeuble au cours des années d’imposition 1993, 1994 et 1995.

La troisième hypothèse est simplement une allégation relativement à la question de droit et de fait soumise à la Cour. La deuxième a été totalement écartée par le témoignage insistant de l’appelante, que j’accepte, selon lequel aucun des membres de sa famille ne skie ni n’a jamais personnellement utilisé l'unité condominiale, et qu’il n’a jamais été question qu’ils puissent l’utiliser.

[15] Quant à la première des hypothèses, elle entend régler ce que je considère être la véritable question à trancher dans le présent appel, à savoir si les dépenses annuelles se rapportant notamment aux frais d’intérêts, aux charges condominiales, aux taxes et aux services publics ont été engagées en vue de produire un revenu locatif à long terme, ou simplement en vue de préserver un bien de commerce. C’est évidemment cette dernière proposition qui l’emporte, eu égard à ma première conclusion exprimée ci-dessus. Il appert que ni l’appelante ni les autres membres du groupe n’ont, à quelque moment que ce soit, abandonné l’intention de traiter l’immeuble comme un bien figurant à leur inventaire.

[16] En raison de l’article 10.1 et du paragraphe 18(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, les propriétaires ne pouvaient donc pas, pour chacune des années 1993, 1994 et 1995, déduire de leur revenu ni les frais d’intérêts ni les impôts fonciers, sauf dans la mesure où les revenus bruts annuels dépassaient les autres dépenses engagées relativement à cet immeuble.

[17] Il s’ensuit qu’aucune perte ne pouvait être déduite pour ces années d’imposition, et que l’excédent, pour chaque année, des frais d’intérêts, taxes et autres dépenses sur le montant qui aurait été nécessaire pour réduire le revenu à zéro s’ajoute à la valeur de l'unité condominiale à titre de bien d’inventaire. Au moment de la vente réelle ou réputée de l'unité condominiale, le cas échéant, l’appelante et les autres copropriétaires calculeront leurs profits ou leurs pertes en se basant sur le coût original de l’immeuble, auquel s’ajouteront ces intérêts, impôts et autres frais de possession, et sur le produit net de sa vente, ou sa valeur marchande au moment de la vente réputée, selon le cas.

[18] Par conséquent, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 1999.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 9e jour de mai 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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