Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19991112

Dossier: 98-1617-IT-I; 98-1618-IT-I

ENTRE :

VINCENT CASCONE, LOUISE CASCONE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Taylor, C.C.I.

[1] Les appels dont il s'agit, qui ont été entendus sur preuve commune à Toronto (Ontario) le 20 octobre 1999, sont interjetés à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années 1991 et 1993, cotisations dans lesquelles l'intimée a refusé des déductions de frais d'intérêts de 24 434,50 $ et de 16 401,53 $ respectivement (soit des montants que les appelants avaient divisés entre eux moitié-moitié dans leurs déclarations d'impôt).

[2] Je reproduis l'avis d'appel de Vincent Cascone, car il illustre bien les prétentions des deux appelants :

[TRADUCTION]

A. Motifs de l'appel

1. Dans ses déclarations d'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991 et 1993, l'appelant a déduit de son revenu de location divers frais liés au bien locatif. Il a notamment déduit des frais d'intérêts de 12 217 $ et de 8 201 $ pour les années d'imposition 1991 et 1993 respectivement. Les frais d'intérêts ont été déduits du revenu de location gagné ces années-là.

2. Par de nouvelles cotisations en date du 24 mai 1997, le ministre du Revenu national a refusé les déductions de frais d'intérêts de 12 217 $ et de 8 201 $ pour les années 1991 et 1993 respectivement.

3. Des avis d'opposition aux nouvelles cotisations établies en vertu des dispositions du paragraphe 165(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu ont été déposés le 24 mars 1997. En réponse aux avis d'opposition, le ministre du Revenu national a délivré des avis de ratification en date du 27 mars 1998 en vertu des dispositions du paragraphe 165(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

B. Énoncé des faits pertinents à l'appui de l'appel

1. En 1978, l'appelant et sa conjointe ont acheté le bien situé au 32, Stubbswood Square, Agincourt (Ontario) (le « bien de Stubbswood » ), soit un bien qu'ils ont occupé comme résidence principale.

2. En février 1987, l'appelant et sa conjointe ont présenté une offre d'achat, à 216 900 $, à l'égard d'une maison neuve située au 30, Tomlinson Circle, Markham (Ontario) (le « bien de Tomlinson » ), l'opération devant se conclure en janvier 1988.

3. L'appelant et sa conjointe entendaient acheter le bien de Tomlinson en vue d'en tirer un revenu de location.

4. Au cours de l'automne, puis au cours de l'hiver 1987, l'appelant et sa conjointe ont cherché un locataire pour le bien de Tomlinson.

5. L'appelant et sa conjointe ont fait paraître des annonces dans le Toronto Star et ont mis le bien en location auprès de Bungaro Real Estate.

6. À cette époque, le secteur dans lequel se trouvait le bien de Tomlinson était nouveau, isolé et peu aménagé. L'appelant et sa conjointe n'arrivaient pas à trouver quelqu'un qui soit intéressé à louer le bien de Tomlinson.

7. En janvier 1988, l'appelant et sa conjointe ont commencé à chercher un locataire pour le bien de Stubbswood.

8. En janvier 1988, l'appelant et sa conjointe ont emprunté 220 000 $ en hypothéquant le bien de Stubbswood.

9. L'appelant et sa conjointe ont utilisé les fonds pour acquérir le bien de Tomlinson et pour payer les droits de cession immobilière ainsi que les frais de clôture de l'opération.

10. En février 1988, l'appelant et sa conjointe ont emménagé dans le bien de Tomlinson, qu'ils ont occupé comme résidence principale.

11. Le bien de Stubbswood a été loué à une personne sans lien de dépendance avec l'appelant et sa conjointe du 1er mars 1988 jusqu'en juin 1993, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il soit vendu.

12. Pour les années d'imposition 1991 et 1993, l'appelant et sa conjointe ont reçu leur part respective du revenu de location du bien de Stubbswood, et chacun a indiqué des déductions de frais d'intérêts hypothécaires de 12 217 $ et de 8 201 $ dans le calcul de sa part du revenu de location.

C. Dispositions législatives et raisons invoquées

L'appelant interjette appel devant l'honorable Cour à l'encontre des nouvelles cotisations à son égard pour 1991 et 1993 en date du 24 mars 1997, relativement au rejet de ses demandes de déduction de frais d'intérêts qu'il a engagés en vue de gagner un revenu de location.

L'appelant soutient que les frais d'intérêts indiqués pour les années d'imposition 1991 et 1993 ont été payés en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur une somme payable pour un bien acquis en vue d'en tirer un revenu ou de tirer un revenu d'une entreprise.

L'appelant soutient également que les frais d'intérêts indiqués pour 1991 et 1993 ont été payés sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

L'appelant demande respectueusement à l'honorable Cour d'accueillir son appel et de renvoyer les nouvelles cotisations pour ses années d'imposition 1991 et 1993 au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation tenant compte du fait qu'il a droit aux déductions de frais d'intérêts qu'il avait demandées pour ces années-là.

L'appelant invoque notamment l'article 3, les alinéas 20(1)c) et 18(1)a) et le paragraphe 45(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[3] Pour ce qui est de la thèse de l'intimée, la réponse à l'avis d'appel dit ceci :

[TRADUCTION]

A. Énoncé des faits

1. Concernant le préambule de l'avis d'appel, il admet que l'appelant a, pour les années d'imposition 1991 et 1993, fait l'objet de nouvelles cotisations, dont des avis simultanés ont été mis à la poste le 24 mars 1997.

2. Il admet les faits énoncés au paragraphe 1 de la partie A de l'avis d'appel, sauf qu'il nie que lesdits frais d'intérêts aient été engagés pour tirer un revenu d'un bien locatif.

3. Il admet les faits énoncés aux paragraphes 2 et 3 de la partie A de l'avis d'appel, sauf qu'il dit que les avis de nouvelles cotisations ont été mis à la poste le 24 mars 1997 et que les avis d'opposition ont été déposés le 29 mai 1997.

4. Il admet les faits énoncés aux paragraphes 1, 2, 4, 5, 8, 9 et 10 de la partie B de l'avis d'appel.

5. Il admet les faits énoncés dans la première phrase du paragraphe 6 de la partie B de l'avis d'appel.

6. Pour ce qui est des faits allégués au paragraphe 3 ainsi que dans la deuxième phrase du paragraphe 6 de la partie B de l'avis d'appel, il n'en a aucune connaissance et les met en question.

7. En ce qui a trait aux faits énoncés aux paragraphes 7 et 11 de la partie B de l'avis d'appel, il dit que l'appelant a signé un bail le 24 janvier 1988 pour louer le bien de Stubbswood du 1er mars 1988 au 28 février 1989. Il dit en outre que l'appelant a déclaré des pertes provenant de la location du bien de Stubbswood de 1988 à 1993, et ce bien a été vendu en octobre 1993.

8. En ce qui concerne les faits énoncés au paragraphe 12 de la partie B de l'avis d'appel, il admet seulement que l'appelant a déduit lesdits frais d'intérêts du revenu de location pour les années d'imposition 1991 et 1993 respectivement.

9. Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1991 et 1993, l'appelant a déduit de son revenu de location des frais d'intérêts de 12 217 $ et de 8 201 $ respectivement.

10. Le ministre a établi des cotisations à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1991 et 1993, soit des cotisations dont les avis ont été mis à la poste le 21 juillet 1992 et le 12 mai 1994 respectivement.

11. Le 19 juin 1995, l'appelant a déposé une renonciation à l'égard de la période normale de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1991.

12. Dans les nouvelles cotisations qui ont été établies à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1991 et 1993 et dont les avis simultanés ont été mis à la poste le 24 mars 1997, le ministre a refusé la déduction des frais d'intérêts de 12 217 $ et de 8 201 $.

13. Dans ces nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant, le ministre se fondait sur les hypothèses de fait suivantes :

a) les faits ci-devant admis ou énoncés;

b) la conjointe de l'appelant est agente, courtière et gestionnaire en immeubles depuis 1976;

c) l'appelant est agent immobilier à temps partiel depuis 1991;

d) en septembre 1978, l'appelant et sa conjointe ont acheté un bien, situé au 32, Stubbswood Square, Agincourt (Ontario) (le « bien de Stubbswood » ), à un prix de 106 000 $, comme résidence principale;

e) le 29 janvier 1988, l'appelant a acheté un bien, situé au 30, Tomlinson Circle, Markham (Ontario) (le « bien de Tomlinson » ), à un prix de 216 900 $;

f) l'achat du bien de Tomlinson a été financé par un emprunt hypothécaire de 220 000 $ (les « fonds empruntés » ), soit une hypothèque enregistrée sur le bien de Stubbswood le 29 janvier 1988;

g) le 1er février 1988, l'appelant a déménagé du bien de Stubbswood et a emménagé dans le bien de Tomlinson;

h) en octobre 1988, l'appelant a vendu le bien de Tomlinson 320 000 $;

i) en octobre 1988, l'appelant et sa conjointe ont utilisé le produit de la vente du bien de Tomlinson pour acheter un autre bien, situé au 63, John Striver Crescent, Richmond Hill (Ontario) (le « bien de Richmond Hill » ), pour la somme de 369 900 $, comme nouvelle résidence principale;

j) depuis le 1er février 1988, l'appelant louait le bien de Stubbswood;

k) en octobre 1993, l'appelant a vendu le bien de Stubbswood 255 000 $;

l) pour les années d'imposition 1991 et 1993, l'appelant a déclaré à l'égard de la location du bien de Stubbswood les montants suivants comme revenus bruts de location, dépenses et pertes locatives :

1991 1993

Loyer brut 18 300,00 $ 9 300,00 $

Impôt foncier 3 448,85 $ 3 153,00 $

Entretien 414,10 $ 8 544,68 $

Intérêts 24 434,50 $ 16 401,53 $

Assurances 526,00 $ 526,00 $

Éclairage, chauffage,

eau et autres 106,80 $ 141,36 $

Dépenses totales 28 930,25 $ 28 998,99 $

Perte nette 10 630,25 $ 19 698,99 $

Part de l'appelant (50 %) 5 315,12 $ 9 849,50 $

m) dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1991 et 1993, l'appelant a déduit de son revenu de location sa part des frais d'intérêts sur les fonds empruntés, soit les sommes de 12 217 $ et de 8 201 $ respectivement (les « Sommes » );

n) les fonds empruntés ont directement servi à acheter le bien de Tomlinson — qui a fini par être utilisé comme résidence principale par l'appelant en 1988 —, puis à acheter le bien de Richmond Hill, comme nouvelle résidence;

o) à l'époque de l'achat du bien de Tomlinson, l'appelant connaissait le marché immobilier local et aurait dû prévoir qu'il serait difficile de louer ce bien, situé dans un secteur qui était à cette époque nouveau, isolé et peu aménagé;

p) l'appelant ne pouvait avoir une attente raisonnable de profit à l'égard de la location du bien de Tomlinson puisqu'il avait effectué un emprunt représentant 100 p. 100 du prix d'achat;

q) à l'époque de l'achat du bien de Tomlinson, l'appelant entendait revendre ce bien à profit, soit une opération totalement exonérée si ce bien était occupé comme résidence principale;

r) pour les années d'imposition 1991 et 1993, les paiements d'intérêts ont dépassé le loyer reçu relativement au bien de Stubbswood;

s) l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit à l'égard de la location du bien de Stubbswood dans les années d'imposition 1988, 1989, 1990, 1991, 1992 et 1993, et ce bien ne représentait donc pas une source de revenu;

t) le bien de Stubbswood, celui de Tomlinson et celui de Richmond Hill n'ont pas été acquis par l'appelant en vue de gagner un revenu;

u) les fonds empruntés ont été utilisés non pas en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, mais pour acquérir une résidence principale;

v) les Sommes n'ont pas été versées en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

w) les Sommes étaient des frais personnels ou de subsistance de l'appelant.

B. QUESTIONS À TRANCHER

14. Il s'agit de savoir si les Sommes déduites par l'appelant dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1991 et 1993 ont été versées en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

C. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES, MOTIFS INVOQUÉS ET MESURE DE REDRESSEMENT DEMANDÉE

15. Il invoque les articles 3, 4, 9 et 67, le paragraphe 248(1) et les alinéas 18(1)a), 18(1)h) et 20(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) dans sa forme modifiée pour les années d'imposition 1991 et 1993.

16. Il soutient que les Sommes déduites par l'appelant dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1991 et 1993 n'ont pas été versées en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, car les fonds empruntés ont servi à acquérir une résidence principale et étaient donc des frais personnels ou de subsistance de l'appelant, et qu'il a à bon droit établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant, conformément aux alinéas 18(1)a), 18(1)h) et 20(1)c) de la Loi.

17. Il soutient en outre que, vu que l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit à l'égard de la location du bien de Stubbswood dans les années d'imposition 1991 et 1993 et que ce bien ne représentait pas une source de revenu, les fonds empruntés n'ont pas été utilisés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien comme l'exige l'alinéa 20(1)c) de la Loi. Donc, les sommes déduites comme frais d'intérêts pour les années d'imposition 1991 et 1993 ne sont pas déductibles en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi.

18. Subidiairement, la déduction des frais d'intérêts refusés n'est pas permise par l'article 67 de la Loi, car ces frais ne sont pas raisonnables dans les circonstances.

[4] Il ressort clairement des renseignements ci-dessus que d'autres questions étaient soulevées par l'intimée et qu'il pourrait y avoir d'autres points en litige, mais je les laisse de côté, car la seule question qui ait été directement débattue est celle des deux éléments de frais d'intérêts.

[5] La preuve et le témoignage qui ont été présentés pour le compte des appelants reflétaient ce qui a été décrit précédemment quant aux faits à l'origine du litige. Certaines explications ont été fournies concernant l'opération (ou les opérations) en cause — c'est-à-dire au sujet de la deuxième maison (le bien de Tomlinson), qui était située dans un secteur difficile en 1987 du point de vue locatif et que les appelants ont trouvée trop petite en y vivant, en 1988, etc. J'estime toutefois que ces points n'ont pas une grande valeur dans l'examen de l'ensemble des événements considérés. La question est simplement de savoir si, dans les circonstances connues, les sommes en cause sont déductibles en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi.

[6] Dans son argumentation, le représentant des appelants a résumé comme suit les deux thèses qui s'affrontent :

[TRADUCTION]

« [...] de l'argent a été emprunté sur le bien, lequel a fini par devenir un bien locatif, et l'appelant a déduit les frais d'intérêts du revenu de location. De son côté, l'avocat du ministère de la Justice considère que l'argent a été emprunté dans le but précis d'acheter une résidence principale. »

[7] Le représentant des appelants a renvoyé la Cour à certains arrêts faisant jurisprudence qui, à son avis, appuyaient les appelants de façon notable, soit : Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, 36 D.L.R. (4th) 197, 87 DTC 5059 (C.S.C.); John M. Tennant v. H.M.Q., 96 DTC 6121 (C.S.C.); Zahid Mohammad v. H.M.Q., 97 DTC 5503 (C.A.F.).

[8] Comme on lui avait fourni à l'avance des copies de la jurisprudence sur laquelle l'avocat de l'intimée entendait formuler des observations, le représentant des appelants a également fait référence aux jugements suivants : Evertz v. M.N.R., [1997] 1 C.T.C. 2088, 97 DTC 672 (C.C.I.); Michael v. M.N.R., [1991] 2 C.T.C. 2131, 91 DTC 1076 (C.C.I.); Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] A.C.S. no 30.

[9] L'avocat de l'intimée, outre qu'il a traité des jugements précités ainsi que du sommaire fourni par le représentant des appelants, a fait référence aux jugements suivants : Holotnak v. R., [1990] 1 C.T.C. 13, 89 DTC 5527 (C.A.F.); Holman v. Minister of National Revenue, [1979] C.T.C. 2653, 79 DTC 594 (Commission de révision de l'impôt).

[10] On a également abordé des arrêts faisant jurisprudence comme Tonn v. R., [1996] 1 C.T.C. 205, 96 DTC 6001, 191 R. 182, [1996] 2 C.F. 73, et Mastri v. R., [1997] A.C.F. no 880, 97 DTC 5420, [1997] 3 C.T.C. 234, concernant la question de l' « attente raisonnable de profit » . Cependant, comme je l'ai fait remarquer précédemment, les débats, tels que je les ai suivis, ont porté en l'espèce sur la déductibilité des frais d'intérêts. La question de l'attente raisonnable de profit avait été soulevée par l'intimée dans la réponse à l'avis d'appel, précitée, mais elle n'est pas le fondement des cotisations ni des appels, de la manière dont je comprends la situation. Voici aux seules fins du dossier (sans mes observations) le point de vue du représentant des appelants sur cette question :

[TRADUCTION]

Je trouve la cotisation plutôt odieuse en ce sens que le fait qu'ils ont refusé les frais d'intérêts est plus lourd de conséquences que s'ils avaient refusé les pertes en se fondant sur le critère de l'attente raisonnable de profit. J'ai tendance à croire que ce peut être exactement ce qu'ils voulaient. Ils ont décidé de ne pas se fonder sur le critère de l'attente raisonnable de profit parce que, ce faisant, ils auraient refusé seulement les pertes, alors que, en refusant les dépenses et les frais d'intérêts sur ce point technique, le montant des déductions refusées aurait été plus élevé.

[11] À la conclusion de l'argumentation, la Cour a signalé que la jurisprudence suivante pourrait avoir une certaine pertinence, mais elle n'a formulé aucune autre observation, et les parties n'ont rien fait valoir à cet égard après le procès, quoique la Cour leur ait donné l'occasion de le faire : Singleton v. R., [1996] 3 C.T.C. 2873 (C.C.I.), et Singleton v. The Queen, 99 DTC 5362 (C.A.F.).

Observations

[12] À mon avis, la thèse des appelants est simplement que, quoique les fonds empruntés aient été obtenus en donnant en garantie la résidence initiale (le bien de Stubbswood), ils ont été utilisés pour acheter le bien de Tomlinson en vue d'en tirer un revenu de location, ce qui entre nettement dans le cadre de la Loi, précitée. La thèse de l'intimée est que les fonds hypothécaires obtenus grâce à la garantie sur le bien de Stubbswood ont été utilisés pour acquérir une nouvelle résidence — le bien de Tomlinson —, puis le bien de Stubbswood a été loué. Les appelants disent que, comme ils n'avaient pas de succès dans les efforts décrits comme visant à louer le bien de Tomlinson, ils ont changé de plan : ils ont emménagé dans le bien de Tomlinson comme résidence principale et ont loué le bien de Stubbswood. Ipso facto (d'après le représentant des appelants), ils ont simplement hypothéqué le bien de Stubbswood et l'ont loué, ce qui autorise la déduction des frais d'intérêts en cause.

[13] La conclusion de l'intimée me semble bien résumée aux alinéas 13b), o) et q) de la réponse à l'avis d'appel (précitée), et je réitère ici ces alinéas :

[TRADUCTION]

b) la conjointe de l'appelant est agente, courtière et gestionnaire en immeubles depuis 1976;

[...]

o) à l'époque de l'achat du bien de Tomlinson, l'appelant connaissait le marché immobilier local et aurait dû prévoir qu'il serait difficile de louer ce bien, situé dans un secteur qui était à cette époque nouveau, isolé et peu aménagé;

[...]

q) à l'époque de l'achat du bien de Tomlinson, l'appelant entendait revendre ce bien à profit, soit une opération totalement exonérée si ce bien était occupé comme résidence principale.

[14] En termes simples, l'intimée fait valoir que la série d'opérations représentait un stratagème ou plan conçu pour atteindre l'objectif visé, soit acquérir une nouvelle résidence, tout en réduisant les conséquences fiscales.

Conclusion

[15] À mon avis, le point en litige doit être réglé en fonction des paramètres de l'arrêt Shell, précité, et des deux jugements Singleton, précités. La question fondamentale à poser est la suivante :

[TRADUCTION]

Compte tenu des termes particulièrement pertinents de l'alinéa 20(1)c) de la Loi, soit « de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien » (le soulignement est de moi), en vue de quoi l'argent emprunté a-t-il été utilisé?

[16] Bien que la proposition de l'intimée soit à mon avis intéressante et plausible, elle se fonde sur l'hypothèse voulant que, pour une raison quelconque, les contribuables ne soient pas autorisés à scruter les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu dans le but délibéré de faire en sorte d'obtenir des avantages directs et tangibles. À n'en pas douter, en examinant la situation dans son ensemble, on pourrait faire un lien entre les actions détaillées des appelants et les résultats maintenant considérés par l'intimée comme insidieux, voire perfides. Dans le labyrinthe des efforts visant à réduire l'impôt, je comprends bien ce raisonnement, et je ne blâme pas l'intimée de voir ainsi la situation. Toutefois, en l'espèce, la question du « trompe-l'oeil » , bien qu'ayant été mentionnée et en fait débattue par l'intimée, n'a pas été suffisamment abordée dans la preuve et les témoignages pour fonder la cotisation là-dessus. Je citerai le passage suivant de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Singleton, précité, soit un extrait qui figure à la page 5369 :

Quant au deuxième point, le ministre ne soutient pas que ce qui s'est passé dans ce cas-ci était un trompe-l'oeil ou qu'il y a eu dissimulation; il ne soutient pas non plus que le libellé de l'alinéa 20(1)c) est ambigu. L'emprunt contracté par l'appelant satisfaisait aux exigences de l'alinéa 20(1)c) d'une manière qui n'était pas factice. Il ne conviendrait pas de trancher la question de la déductibilité des intérêts en se fondant sur la question de savoir si, de l'avis de la Cour, l'appelant pouvait déduire les intérêts.

[17] La thèse relative aux « séries d'opérations » a également été soulevée par l'intimée, soit une thèse qui diffère de l'argument susmentionné concernant le « trompe-l'oeil » . Maintenant, dans le jugement de la C.C.I. Singleton, précité, le juge Bowman, à la page 2878, rejette la thèse du « trompe-l'oeil » et entreprend d'examiner la série d'opérations :

Je ne fonde pas ma décision sur l'objectif fiscal admis que l'appelant a cherché à atteindre en structurant l'opération d'une certaine manière, ni ne laisse entendre que le « fond » différait de la « forme » ou que l'une ou l'autre des mesures était invalide en droit. Ces questions ne se posent pas, l'unique question étant celle de savoir à quelle fin les fonds ont été utilisés. Dans ce contexte, à tout le moins en l'espèce, toute tentative d'appliquer le concept voulant que le fond l'emporte sur la forme ne fait que brouiller les cartes. Ce que l'appelant a cherché à faire, il l'a fait. Je conclus ainsi du fait que, même si l'on accepte la validité en droit des mesures prises et que l'on traite l'objectif fiscal manifeste comme étant sans importance, on ne peut nier le fait que la véritable fin économique à laquelle l'argent emprunté a été utilisé était l'achat d'une maison, et non pas l'accroissement de la capacité productive du cabinet au moyen d'un apport de capital.

[18] Dans l'analyse soignée que notre cour a faite dans l'affaire Singleton, précitée, il est facile de suivre la logique appliquée à ces événements par le juge Bowman et d'en voir l'application possible dans la présente espèce. Il s'agit d'un raisonnement implacable en fonction duquel on peut considérer l'utilisation et le but concernant une série d'opérations apparemment liées entre elles. Toutefois, un passage figurant à la page 5369 de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Singleton, précité, traite de cet aspect de l'alinéa 20(1)c) de la Loi, et je dois en tenir compte :

Enfin, la réalité juridique et commerciale de cette opération est que l'appelant a retiré ses propres fonds de son cabinet d'avocats en vue d'acheter une maison. Le même jour, il a emprunté de l'argent pour remplacer les fonds qui devaient être dans son compte de capital, au cabinet. Dans l'arrêt Bronfman Trust, la Cour a adopté une approche qui obligeait le contribuable à établir que les fonds empruntés avaient été utilisés à une fin identifiable directe ouvrant droit à la déduction prévue à l'alinéa 20(1)c). Comme je l'ai déjà conclu dans ces motifs, l'appelant a satisfait à ces exigences. Il ne conviendrait pas d'omettre de tenir compte de l'essence d'un emprunt opposable en droit qui a été contracté à des fins productives de revenu dans le présent appel.

[19] Le juge Bowman avait basé sa décision sur la réalité commerciale de la série d'opérations telle qu'il la voyait. La Cour d'appel fédérale a basé son jugement sur un examen de chaque opération au lieu de considérer la situation globalement. Dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Singleton, précité, soit une affaire dans laquelle les fonds empruntés avaient été injectés et utilisés dans le cabinet d'avocats, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'argent emprunté avait été utilisé en vue de gagner un revenu. Les appelants soutiennent dans la présente espèce que le fait qu'ils ont emprunté les fonds en donnant le bien de Stubbswood en garantie et qu'ils ont loué ce bien représente une opération qui s'intègre parfaitement au cadre prévu par la Loi. L'arrêt de la Cour d'appel fédérale Singleton, précité, ne vient que renforcer ce point de vue d'après le représentant des appelants.

[20] Toutefois, dans la présente espèce, peut-on dire que le montant de 220 000 $ qui a été emprunté a déjà été « utilisé en vue de » tirer un revenu? Il a été utilisé pour acheter un bien qui n'a jamais permis de tirer un revenu (un loyer), qui n'a servi que de résidence principale et qui a fini par être mis en vente. Je ne puis conclure que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Singleton, précité, accorde une telle extension à la règle de l'opération unique, telle que je la comprends en lisant cet arrêt. Dans l'affaire Singleton (C.A.F., précitée), les fonds empruntés avaient à tout le moins été injectés — pour utilisation dans l'entreprise — directement dans le cabinet d'avocats. La Cour d'appel fédérale a estimé que le fait que l'argent avait été emprunté pour remplacer des capitaux utilisés pour acheter une maison n'était pas pertinent aux fins de l'impôt. Dans la présente espèce, même si j'accepte le fait que (comme les appelants le soulignent) l'emprunt a été fait dans l'intention d'acheter un bien locatif, il reste que les fonds empruntés n'ont pas été utilisés en vue de cela. Quoique l'on puisse soutenir que les termes « dans l'intention de » et « en vue de » sont quelque peu interchangeables, ils n'équivalent pas au mot « utilisé » . Comme le juge Bowman le dit si pertinemment et succinctement à la page 2876 du jugement de la Cour canadienne de l'impôt Singleton, précité :

Il y a lieu de noter que dans la version anglaise les termes sont « used for the purpose of » (utilisé en vue de) et non « borrowed for the purpose of » (emprunté en vue de).

Dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Singleton, précité, je ne trouve aucune base permettant d'accepter la prétention des appelants dans la présente espèce.

[21] Dans un effort pour examiner tout ce qui pourrait aider les appelants, je passe maintenant au dernier chapitre écrit jusqu'à maintenant dans la saga de l'alinéa 20(1)c) de la Loi, soit l'arrêt Shell, précité. Sans l'examiner en détail, il comporte au moins un point pouvant être comparé aux faits de la présente espèce. Dans l'affaire Shell, précitée, on avait effectué une opération entre le moment de l'emprunt effectif et celui de l'utilisation de l'argent, c'est-à-dire que l'on avait converti les fonds néo-zélandais en argent américain, malgré un taux d'intérêt bien inférieur. Si je ne m'abuse, feu le juge en chef de notre cour (qui était alors juge en chef adjoint) et les juges de la Cour suprême convenaient du fait que cela ne changeait pas le caractère des fonds néo-zélandais empruntés, du point de vue de la déductibilité en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi, à savoir que les fonds pouvaient « être directement rattachés à une utilisation générant un revenu » . Cette situation ne cadre pas à mon avis avec celle du présent appel. Dans l'affaire Shell, précitée, les fonds empruntés (bien qu'ils puissent avoir été transformés ou modifiés) avaient fini par être utilisés dans l'entreprise de l'appelante, d'après les tribunaux. Dans la présente espèce, le fait est, simplement, que le revenu de location (provenant seulement du bien de Stubbswood) aurait pu être gagné sans l'argent emprunté — quels que soient les arrangements que les appelants pourraient avoir dû conclure concernant leur propre résidence. L'achat du bien de Tomlinson — soit un bien qui a clairement été utilisé seulement pour fins de résidence personnelle et pour fins de vente — ne semble pas représenter simplement un détour sur la voie menant à une façon de gagner un revenu (voir l'arrêt Shell, précité); il semble être nettement distinct des opérations concernant le bien de Stubbswood, qui ont consisté à hypothéquer ce bien, puis à le quitter et à le louer. L'achat du bien de Tomlinson dans les circonstances du présent appel a fini par n'être aucunement différent d'une autre disposition personnelle des fonds empruntés : il ne comportait aucune des caractéristiques d'une entreprise commerciale. Le représentant des appelants a beaucoup insisté sur les efforts, quoique infructueux, que les appelants avaient déployés pour louer le bien de Tomlinson. L'intimée a signalé que cela avait été fait avant que les appelants soient propriétaires de ce bien. Je ne suis pas sûr que l'un ou l'autre de ces deux points ait beaucoup d'importance dans le cadre de ces événements, car le fait crucial est que les fonds n'entrent même pas dans la catégorie des fonds pouvant « être directement rattachés à une utilisation générant un revenu » (arrêt Shell, précité), de la façon dont j'interprète cet arrêt.

[22] Bien que le récent arrêt de la Cour d'appel fédérale Singleton, précité, et l'arrêt encore plus récent que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Shell, précitée, puissent de prime abord sembler conforter davantage certains contribuables et leurs conseillers dans les tentatives pour accorder de l'extension à la jurisprudence ainsi qu'aux paramètres relatifs à l'alinéa 20(1)c) de la Loi, une étude approfondie de ces deux causes types devrait commander l'adoption d'une approche très prudente à l'égard de toute entreprise semblable et un examen attentif de tous les jugements faisant jurisprudence concernant cet alinéa de la Loi.

[23] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de novembre 1999.

« D. E. Taylor »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 18e jour de juillet 2000.

Benoît Charron, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.