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Date: 19990915

Dossier: 96-4369-IT-G

ENTRE :

RAINBOW PIPE LINE COMPANY, LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Depuis 1967, l'appelante exploite un oléoduc, d'une longueur de 781 kilomètres (485 milles), dans la région nord-ouest de l'Alberta. L'extrémité sud du pipeline est à Edmonton. En 1992 et en 1993, il y a eu trois fuites dans le pipeline. Au cours de son année d'imposition se terminant le 31 décembre 1994, l'appelante a dépensé au total environ 19 600 000 $ à l'égard de projets résultant de ces fuites ou s'y rapportant. L'appelante interjette appel à l'encontre d'une cotisation d'impôt sur le revenu pour son année d'imposition 1994 et soulève trois points, à savoir :

1. si la somme de 15 002 590 $ dépensée en 1994 pour remplacer 5,7 p. 100 (44 kilomètres ou 27 milles) de la longueur totale du pipeline représentait une dépense courante pouvant être déduite dans le calcul du revenu pour 1994 ou une dépense en capital devant être ajoutée à la fraction non amortie du coût en capital du pipeline;

2. si la somme de 2 518 579 $ dépensée en 1994 pour des travaux d'excavation et de réparation à 523 endroits le long du pipeline représentait une dépense courante pouvant être déduite dans le calcul du revenu pour 1994 ou une dépense en capital devant être ajoutée à la fraction non amortie du coût en capital du pipeline;

3. si la totalité ou une partie de la somme de 2 081 325 $ dépensée en 1994 relativement aux fuites dans le pipeline et aux réparations y afférentes représentait une dépense pour des “ activités de recherche scientifique et de développement expérimental ” au sens de l'article 37 de la Loi de l'impôt sur le revenu tel qu'il s'appliquait à l'année 1994. Une telle dépense permettrait à l'appelante de déduire un crédit d'impôt à l'investissement de 416 265 $ (20 p. 100) en vertu du paragraphe 127(5) de la Loi.

[2] Au début du procès, les avocats ont déposé un exposé conjoint des faits (“ ECF ”), qui a ultérieurement été inscrit sous la cote 58. L'ECF est un long document (de 31 paragraphes sur 11 pages) qui renvoie à 35 pièces. Vu sa longueur et vu les nombreux renvois à des pièces, j'en présenterai un sommaire dans les présents motifs du jugement pour résumer les faits pertinents. Les numéros attribués aux paragraphes dans mon sommaire ci-dessous correspondent aux numéros des paragraphes de l'ECF, dans lequel l'appelante est appelée “ Rainbow ”. Des parties de divers paragraphes de l'ECF sont omises dans le sommaire ci-dessous.

[TRADUCTION]

Contexte

1. Rainbow a été constituée en société le 22 septembre 1965, pour exploiter un pipeline (d'un diamètre de 10, 20 et 24 pouces selon les endroits) dans la région de Zama du nord-ouest de l'Alberta, sur un parcours de 781 kilomètres (485 milles) allant jusqu'à un terminal de livraison, situé à Edmonton. L'appelante transporte du pétrole brut léger qu'elle reçoit de 64 raccords situés le long de sa conduite principale (elle est également propriétaire-exploitant d'environ 307 kilomètres (191 milles) de lignes de collecte d'un diamètre de 4 à 10 pouces), lequel pétrole est destiné aux raffineries d'Edmonton de Petro-Canada ou de la Compagnie pétrolière impériale ou est destiné à des raccords aux pipelines de Pipeline Interprovincial et Trans Mountain, pour être ensuite transporté vers des marchés de l'Alberta, de la Colombie-Britannique, du “ midwest ” américain et de l'Est du Canada. Une carte des lignes de collecte et de la conduite principale de Rainbow figure en annexe sous la cote 1.

2. Chacune des sociétés suivantes détient le tiers des actions de Rainbow : Mobil Oil Canada Ltd., la Compagnie pétrolière impériale Ltée et Shell Canada Limitée (collectivement appelées les “ actionnaires de Rainbow ”). Mobil Oil fournit des services de gestion, y compris du personnel, aux fins de l'exploitation de Rainbow au nom des actionnaires de Rainbow et, au cours de l'exercice 1994, on lui a payé à cet égard des frais de gestion de 934 327 $. En outre, sur les 36,1 millions de dollars de revenus de Rainbow, gagnés grâce aux tarifs de transport demandés aux utilisateurs du pipeline, une somme d'environ 14,88 millions de dollars représentait des tarifs demandés aux actionnaires de Rainbow. Ces questions, entre autres choses, sont mentionnées dans la note 3 (Opérations entre apparentés) afférente aux états financiers vérifiés de Rainbow pour son exercice 1994 (pièce 2). Dans les états financiers, le coût d'origine du pipeline était d'environ 105 millions de dollars, et sa valeur comptable nette en 1994 était de 39,64 millions de dollars. Le coût de remplacement estimatif du pipeline en 1994 était probablement bien supérieur à sa valeur comptable nette et certainement bien supérieur à son coût historique.

3. Rainbow a effectué des “ études de corrosion ” relatives à sa conduite principale en 1979, en 1984 et en 1989. Ces études visent à détecter la présence de corrosion métallique dans le pipeline. La fissuration par corrosion sous tension (“ FCST ”) a causé des ruptures de la conduite principale en 1993. En termes bien simples, la FCST consiste en une série de très petites lézardes dans un tube, habituellement liées à la corrosion sous forme de perte de métal, qui se combinent pour former de larges fissures avec le temps et, si les fissures prennent trop d'ampleur, elles entraînent la rupture d'un tube.

4. Depuis 1967, il y a eu trois fuites dans le segment de la conduite principale de Rainbow situé entre les stations d'Utikuma et de Flatbush, qui peuvent se résumer ainsi :

(i) le 2 novembre 1992, au poteau milliaire 239.6, une fuite attribuable à des piqûres de corrosion, qui a entraîné un déversement de pétrole de 0,1 m3;

(ii) le 4 février 1993, au poteau milliaire 248, une fuite attribuable à la FCST et à la corrosion métallique, qui a causé un déversement de pétrole d'environ 1 793 m3; ainsi, Rainbow a réduit de 15 p. 100 la pression manométrique maximale de service (“ PMMS ”) de ce segment;

(iii) le 18 juillet 1993, au poteau milliaire 260, une fuite attribuable à la FCST et à la corrosion métallique, qui a causé un déversement de pétrole d'environ 2 230 m3; la PMMS a été réduite davantage, de sorte que le pipeline fonctionnait alors à un régime de 55 p. 100.

5. La PMMS normale de la conduite principale de Rainbow est de 5 380 kilopascals, soit 780 psi (livres par pouce carré), conformément au permis délivré par l'Alberta Energy and Utilities Board (“ AEUB ”). Après les fuites de 1993, la pression de service du segment du pipeline allant d'Utikuma à Flatbush était de 3 000 kilopascals (435 psi), soit environ 56 p. 100 de la PMMS, et la pression de service du segment allant de Flatbush à Edmonton était de 4 300 kilopascals, soit environ 80 p. 100 de la PMMS.

6. [...]

7. Dans le cadre du cycle quinquennal d'inspection de Rainbow et après la fuite de février 1993, on a retenu les services de British Gas pour que cette dernière inspecte sur place le segment du pipeline de Rainbow allant de la station d'Utikuma jusqu'à Edmonton, soit une distance de 297 kilomètres. Une inspection, à l'aide de l'instrument de diagnostic “ SMARTPIG ”, a été effectuée sur environ deux segments à 60 heures, entre le 5 et le 13 juin. L'inspection de British Gas a permis de localiser et de mesurer la corrosion externe sous forme de perte de métal et d'analyser le facteur de réparations estimatives (“ FRE ”), soit en fait un facteur de réduction de pression pour défectuosités majeures attribuables à la perte de métal. L'instrument de diagnostic de British Gas ne permet pas de localiser et de mesurer la FCST. Les coûts liés à cet examen ont été passés en charges par Rainbow en 1993 et ne font pas l'objet du présent appel.

8. Par suite de l'inspection de British Gas, Rainbow a décidé de remplacer une section de tube de 44 kilomètres (27 milles) allant du poteau milliaire 235 au poteau milliaire 262.4 (le “ remplacement de pipeline ”). British Gas avait déterminé que, en aval du poteau milliaire 262, il y avait environ 523 endroits à l'égard desquels le FRE était supérieur ou égal à 1,00 et qui nécessitaient donc des réparations. Rainbow a résolu de mettre en oeuvre un programme de réparation de pipeline qu'elle appelait son “ programme d'intégrité ” ou son “ programme de réadaptation ” (la “ réparation de pipeline ”). La pièce 4 renferme des extraits du rapport de British Gas.

Remplacement de pipeline

9. La section de pipeline allant de la station d'Utikuma jusqu'au poteau milliaire 262.4 présentait des fissures qui font partie des fissures ayant causé les fuites de février et juillet 1983 survenues à la hauteur des poteaux milliaires 248 et 260 respectivement. La vieille section de pipeline a été abandonnée sur place, et le pipeline de remplacement a été construit en parallèle. La nouvelle canalisation représentait environ 5,7 p. 100 de la longueur totale de la conduite principale de Rainbow et n'a pas, en soi, donné lieu à une augmentation quelconque de la PMMS. La nouvelle section de pipeline pourrait théoriquement fonctionner à sa pression nominale de 7 710 kilopascals (1 118 psi) et était plus épaisse (de 0,75 millimètre) que l'ancienne section. L'autre différence entre les deux tient au fait que la nouvelle section est enrobée d'un matériau époxy, tandis que l'ancienne était revêtue d'une bande de polyéthylène (enrobant la surface de la canalisation). Les différences reflètent des changements apportés depuis 1966 en ce qui a trait à la conception des tubes et aux matériaux.

10. La durée économique du pipeline est fonction de la durée productive des champs de pétrole dont les expéditeurs utilisant le pipeline sont propriétaires ou locataires. À l'époque du remplacement de pipeline, la durée économique du pipeline pour fins d'amortissement qui était utilisée par Rainbow — selon la durée estimative des réserves exploitées dans les champs de pétrole dont les expéditeurs utilisaient la canalisation — allait jusqu'à l'an 2007; depuis, elle a prolongée jusqu'à l'an 2015. Actuellement, de nouvelles technologies d'extraction permettent d'accroître indéfiniment la durée productive des champs de pétrole.

11. Au cours de son exercice 1994, Rainbow a dépensé 15 002 590 $ à l'égard du remplacement de pipeline (les “ coûts de remplacement ”). Les coûts de remplacement ont été capitalisés dans les états financiers de Rainbow pour 1994. La pièce 7 est une copie de l'autorisation de dépenses (“ AD ”) de 15 013 706 $ de Rainbow, soit l'autorisation no 9360535.

12. Dans sa déclaration de revenu de société pour 1994, Rainbow a capitalisé les coûts de remplacement selon la catégorie 1 (13 992 289 $) et la catégorie 8 (1 010 301 $) de l'annexe 2 du Règlement de l'impôt sur le revenu. Elle spécifiait toutefois ceci dans une note de bas de page de l'annexe T2S(8) :

[TRADUCTION]

Catégorie 1 : En 1993, il y a eu deux ruptures, ainsi qu'une fuite attribuable à des piqûres de corrosion, dans une partie du pipeline s'étendant sur 40 kilomètres. Il a fallu remplacer ce segment, pour rétablir l'intégrité d'origine du pipeline, à cause de revêtements de canalisation de mauvaise qualité ayant donné lieu à une corrosion externe excessive, avec fissuration externe par corrosion sous tension. Les coûts liés à ces travaux de restauration ont été capitalisés d'abord aux fins des états financiers, puis aux fins de l'impôt sur le revenu. Vu la nature des dépenses, les coûts peuvent être des frais de réparations et devraient être pris en compte dans les frais d'exploitation aux fins de l'impôt sur le revenu. Nous entendons faire d'autres recherches quant à la nature des coûts. En attendant les résultats de nos recherches, nous pourrions déposer un avis d'opposition à l'encontre de la cotisation.

Coûts de réparation de pipeline

13. L'inspection de British Gas, qui avait révélé une perte de métal importante (et non une FCST), indiquait que, à environ 523 endroits en aval du poteau milliaire 262.4, il y avait des travaux d'excavation et de réparation à faire. Pour effectuer ces réparations, Rainbow avait entrepris un projet d'intégrité de pipeline dont les objectifs déclarés étaient les suivants :

(i) réparer ou remplacer d'ici juin 1994 (si le temps le permet) toutes les sections où il y a une corrosion sous forme de perte de métal dans la mesure où cela influe sur la PMMS;

(ii) déterminer comment la FCST se répartit le long du pipeline, de manière à pouvoir prévoir, localiser et réparer une FCST avant qu'il y ait une fuite.

14. Rainbow a, conjointement avec le projet d'intégrité de pipeline, mis en oeuvre un programme à long terme en matière d'intégrité de pipeline dont les objectifs déclarés étaient les suivants :

(i) maintenir un niveau élevé d'intégrité de pipeline;

(ii) maintenir le débit grâce au maintien de la PMMS du pipeline.

Il était dit que cela devait être accompli en prenant les mesures suivantes :

(i) mettre en oeuvre un programme d'évaluation de risque;

(ii) continuer à faire périodiquement des inspections internes de pipeline pour surveiller l'apparition de nouvelles pertes de métal et pour établir des taux de corrosion quant aux pertes de métal existantes;

(iii) travailler en étroite collaboration avec des compagnies qui élaborent des techniques de détection de fissures, pour être à la fine pointe de la mise en oeuvre;

(iv) évaluer l'information provenant du projet d'intégrité à court terme (constatation concernant les réparations relatives aux pertes de métal, les sections de remplacement et la FCST).

15. [...] Rainbow a dépensé 2 518 579 $ (les “ coûts de réparation ”) pour rétablir l'intégrité du pipeline de 24 pouces de diamètre en aval du poteau milliaire 262.4, ce qui lui a permis de revenir à la PMMS. Rainbow ou ses sous-traitants ont également examiné et réparé au besoin des points du pipeline où le revêtement était défectueux, les réparations consistant à enlever les éléments corrosifs de la surface de la conduite, ce qui empêchait que la corrosion se poursuive.

16. Les travaux d'excavation et de réparation relatifs aux 523 anomalies en aval du poteau milliaire 262.4 (déterminées comme représentant un FRE supérieur ou égal à 1) ont exigé l'aménagement de 142 sites d'excavation et de réparation. Les critères quant au choix des sites d'excavation ont été établis par Rainbow. Rainbow avait également retenu les services de J. E. Marr & Associates (“ J. E. Marr ”) pour que cette entreprise détermine, par levé photogrammétrique, des sites pouvant être susceptibles de FCST et pour qu'elle caractérise la FCST à un tel site d'excavation en utilisant des techniques d'investigation sur place. Dans plusieurs cas, toutefois, J. E. Marr a choisi des sites d'excavation qu'elle croyait être susceptibles de FCST. Aux sites d'excavation choisis, là où une FCST était susceptible de se produire, environ 50 mètres de tube ont été déterrés, et des données supplémentaires concernant le sol, l'environnement et d'autres facteurs ont été réunies pour élargir les connaissances quant aux façons dont le type de sol, le drainage et la topographie peuvent influer sur l'existence d'une FCST.

17. Un des trois types suivants de réparations était choisi :

(i) remplacement (de quelques mètres de tube seulement ou de toute une section de tube, pouvant mesurer entre 12 et 18 mètres de longueur). Dans un cas, on a remplacé plusieurs sections de tube;

(ii) installation de fourreaux, soit deux demi-cylindres soudés ensemble, qui ont un diamètre légèrement supérieur à celui de la conduite d'origine et qui sont soudés par-dessus la conduite principale. L'espace entre le fourreau et la conduite est rempli d'époxy pour qu'une partie des tensions dans la conduite soit transférée au fourreau, de manière à empêcher une détérioration supplémentaire et un accroissement de la FCST;

(iii) élimination de la défectuosité par sablage de la surface de la canalisation (à la condition que le sablage ne fasse pas que l'épaisseur de paroi restante soit inférieure à 92 p. 100 de l'épaisseur de paroi nominale selon les spécifications initiales de l'usine).

18. Encore là, dans les états financiers de Rainbow pour 1994, les coûts de réparation de 2 518 579 $ ont été capitalisés (biens immobilisés, installations et équipement).

19. Dans l'établissement de sa déclaration d'impôt de société pour 1994, Rainbow a capitalisé les coûts de réparation de pipeline, attribuant 1 976 922 $ à des biens de la catégorie 1 de l'annexe 2 du Règlement de l'impôt sur le revenu et 541 657 $ à des biens de la catégorie 8. Rainbow invoque la même note de bas de page que celle qui est citée au paragraphe 12 du présent exposé.

Composante “ recherche scientifique et développement expérimental ” (“ RSDE ”)

20. Le 4 novembre 1995 ou vers cette date, Rainbow a déposé un formulaire de Revenu Canada T661(E), soit une demande de déduction pour les dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental effectuées au Canada (pièce 16). L'ensemble du programme de Rainbow dont cette dernière dit qu'il s'agit d'un programme de recherche scientifique et de développement expérimental réalisé en 1994 est décrit dans un document portant ce titre et incluant toute la documentation. Ce document (pièce 17) a été fourni à M. Coutts, de Revenu Canada, et à la consultante en science, Mme Cheung.

21. Les dépenses de RSDE alléguées par Rainbow faisaient partie de sommes visées par les autorisations de dépenses (“ AD ”) en matière de réparation nos 9460500S, 9460523 et 9460526. Une autre AD, à l'égard de dépenses de RSDE seulement, a été établie le 13 septembre 1994 concernant des épreuves hydrostatiques relatives à une partie de la conduite principale que l'on était en train de réparer. Cette autorisation porte le numéro 946054X, et une copie conforme de cette autorisation figure ci-joint, soit la pièce 18. En vertu de la dernière AD mentionnée, une somme de 632 287 $ a été dépensée et passée en charges par Rainbow en 1994. Un document de discussion sur ce programme d'épreuves hydrostatiques, établi le 22 août 1994, figure sous la cote 19.

22. Le programme complet d'épreuves hydrostatiques réalisé par Petro-Line Upgrading Services Ltd. (“ Petro-Line ”) est décrit dans le rapport de cette dernière, dont une copie conforme figure à la pièce 20 ci-jointe.

23. Revenu Canada a rejeté la demande de déduction de dépenses de RSDE de Rainbow, ce qu'il indiquait dans sa lettre à Rainbow du 5 mars 1997, à laquelle était joint le rapport de la consultante en science de Revenu Canada concluant que le projet n'était pas admissible parce qu'il ne répondait pas aux critères en matière de RSDE énoncés à l'alinéa 2900a) du Règlement de l'impôt sur le revenu ainsi que dans la circulaire d'information 86-4R3. Revenu Canada considérait en outre que les dépenses auraient pu être refusées pour non-conformité aux subdivisions 37(8)a)(ii)(A)(I) et (III) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La lettre du 5 mars 1997 de Revenu Canada figure à la pièce 21 ci-jointe.

24. Avant de rejeter la demande de déduction de dépenses de RSDE de Rainbow et au cours de sa vérification y afférente, Revenu Canada avait fait des demandes d'information à Rainbow pour obtenir des documents supplémentaires de Rainbow. Une de ces demandes d'information, de M. Coutts, en date du 31 octobre 1996, figure à la pièce 22 ci-jointe. Le 20 novembre 1996, une réunion s'est tenue entre M. Coutts et Mme Cheung, de Revenu Canada, et M. Norman Tozer et M. Alan Logan, représentant Rainbow. Des sommaires des discussions qui ont eu lieu à cette réunion, soit des sommaires établis par M. Tozer, de Rainbow, et par Mme Cheung, figurent collectivement à la pièce 23 ci-jointe. Une autre demande d'information a été faite à Rainbow par Revenu Canada le 5 décembre 1996; elle figure à la pièce 24 ci-jointe. La réponse de Rainbow à cette demande d'information du 5 décembre 1996 est contenue dans une lettre de M. Hankinson, de Mobil Oil Canada, en date du 10 décembre 1996 (avec note d'accompagnement, au sujet des pièces jointes, établie par M. Tozer pour Rainbow), laquelle lettre figure à la pièce 25 ci-jointe. Une réponse semblable, en date du 8 janvier 1997, encore là avec note d'accompagnement de M. Tozer décrivant les pièces jointes, figure à la pièce 26 ci-jointe. Revenu Canada a confirmé que Rainbow avait répondu à toutes ses demandes d'information, et les avocats ont convenu de ne pas inclure parmi les pièces toute la documentation que Rainbow avait fournie en donnant ses réponses. Les avocats conviennent toutefois que cette documentation pourra être examinée par la Cour à l'audience si cela est nécessaire.

Demandes de renseignements de l'Office national de l'énergie et de l'AEUB

25. Le prédécesseur de l'AEUB, soit l'Energy Resources Conservation Board (“ ERCB ”), avait demandé à Rainbow de faire rapport sur l'état de son projet d'intégrité de pipeline. Figure à la pièce 27 ci-jointe une lettre de Rainbow en date du 24 août 1994 comportant en annexe un ordre du jour et un “ plan d'action ” pour la réunion du 30 août 1994.

26. Rainbow a en outre fait rapport sur l'état de son projet d'intégrité, relativement à une demande de l'ERCB visant le retour à la PMMS, dans sa lettre à l'ERCB du 16 novembre 1994 avec pièces jointes. Cela figure à la pièce 28 ci-jointe. En accordant à Rainbow l'autorisation de revenir à la PMMS, l'ERCB indiquait, dans sa lettre du 21 novembre 1994, qu'il continuait à s'intéresser au programme de réadaptation de Rainbow et désirait être tenu au courant de l'évolution de ce programme. La lettre de l'ERCB à ce sujet figure à la pièce 29 ci-jointe.

27. L'ONE a invité Rainbow à participer à son enquête publique sur la FCST concernant les oléoducs et gazoducs canadiens. Figure à la pièce 30 ci-jointe l'avis de l'ONE à cet égard en date du 30 septembre 1995. Figure à la pièce 31 ci-jointe une note de l'ONE à Rainbow en date du 15 novembre 1995 avec en annexe deux communiqués de l'ONE relatifs au projet d'enquête sur la FCST. Enfin, il y avait aussi avec la pièce 31 une liste préliminaire de l'ONE de questions relatives à l'enquête sur la FCST, qui figure à la pièce 32 ci-jointe. Rainbow a participé à l'enquête sur la FCST et a, aux fins de l'enquête, communiqué les résultats de sa recherche en matière de FCST effectuée par suite des ruptures de pipeline de février et juillet 1993.

Avis d'opposition

28. Par un avis de cotisation en date du 28 août 1995, le ministre du Revenu national a notifié à Rainbow que les coûts de remplacement et de réparation avaient été inclus dans les catégories 1 et 8 de l'annexe 2 du Règlement de l'impôt sur le revenu, comme l'avait déclaré Rainbow. Figure à la pièce 33 ci-jointe une copie conforme de cet avis de cotisation.

29. Par un avis d'opposition en date du 24 novembre 1995, Rainbow s'est opposée à cette cotisation et a déposé un formulaire T66(CE), soit une demande de déduction de dépenses alléguées en matière de RSDE. Rainbow s'est également opposée à ce que 1 414 484 $ de ses coûts allégués en matière de RSDE soient inclus dans le calcul de coûts en capital de biens amortissables faisant partie de la catégorie 1 de l'annexe 2 du Règlement de l'impôt sur le revenu et à ce que ses coûts allégués en matière de RSDE soient exclus du calcul de ses crédits d'impôt à l'investissement. Une copie conforme de l'avis d'opposition de Rainbow (formulaire T400A), avec certaines des pièces jointes, figure sous la cote 34. Les autres pièces jointes constituent d'autres pièces du présent ECF.

30. En préparant son avis d'opposition, Rainbow a établi un tableau de ventilation dans lequel les coûts de remplacement, les coûts de réparation et les coûts de RSDE allégués sont rapprochés de l'AD appropriée et de la catégorie appropriée de biens amortissables. Une copie conforme de ce tableau de ventilation figure à la pièce 35 ci-jointe.

31. [...]

[3] En principe, le premier et le deuxième des points en litige sont identiques, car il s'agit de savoir si une somme particulière (15 002 590 $ ou 2 518 579 $ respectivement) peut être déduite comme dépense courante dans le calcul du revenu ou si elle doit être capitalisée et amortie sur un certain nombre d'années. Comme l'indique l'ECF, les circonstances ayant nécessité les dépenses diffèrent considérablement, car, dans le cas du premier point en litige, la somme de 15 002 590 $ a été dépensée pour remplacer 44 kilomètres du pipeline de 24 pouces de diamètre allant de la station d'Utikuma, située à la hauteur du poteau milliaire 235.0, jusqu'au poteau milliaire 262.4 (en aval, en direction d'Edmonton), tandis que, dans le cas du deuxième point en litige, la somme de 2 518 579 $ a été dépensée en partie pour réparer 523 points du pipeline de 24 pouces de diamètre en aval du poteau milliaire 262.4 et en partie pour rétablir l'intégrité de ce même segment du pipeline, de manière que l'on puisse revenir à la pression manométrique maximale de service (“ PMMS ”). La plupart des distances sont mesurées en kilomètres et en milles, mais, dans les présents motifs du jugement, j'utiliserai probablement des kilomètres, malgré le fait que des éléments importants situés le long du pipeline, par exemple des stations de pompage, sont identifiés par un “ poteau milliaire ”, le pipeline ayant été construit en 1966 et en 1967.

[4] La question de savoir si un paiement particulier doit être déduit pour l'année d'imposition comme dépense courante ou s'il doit être capitalisé et amorti sur un certain nombre d'années a été examinée à de nombreuses occasions dans le contexte d'appels en matière d'impôt sur le revenu. Déjà dans l'affaire M.N.R. v. Vancouver Tug Boat Company Limited, 57 DTC 1126 (Cour de l'Échiquier), le juge Thurlow disait, à la page 1128 :

[TRADUCTION]

La ligne de démarcation entre ce que sont en général des dépenses en capital et ce que sont des frais d'exploitation est difficile à définir, et il n'est pas moins difficile d'établir une règle stricte ou rapide pour déterminer quand des dépenses semblables aux dépenses en cause concernant des immobilisations seront considérées comme des dépenses en capital et quand elles ne le seront pas. [...]

Ces propos sont encore vrais 42 ans plus tard, après de nombreuses autres causes relatives à la même question. Dans l'affaire Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, la question était de savoir si certains paiements d'incitation à la location faits par un propriétaire à des locataires commerciaux, pour les inciter à signer des baux à long terme, étaient déductibles comme dépenses courantes pour l'année dans laquelle ils avaient été faits ou s'ils devaient être amortis sur toute la durée des baux auxquels ils se rapportaient. En rendant l'arrêt de la Cour, le juge Iacobucci a énoncé certains principes, et je cite les passages de son jugement que je considère les plus pertinents. Il disait aux pages 164 à 166 :

La grande difficulté qui semble avoir affligé les tribunaux dans la détermination du bénéfice aux fins de l'impôt sur le revenu fait ressortir la nécessité de formuler le plus clairement possible le critère juridique applicable à cet égard. Le postulat de départ est évidemment que la détermination du bénéfice visé au par. 9(1) est une question de droit, non de fait. Les facteurs juridiques déterminants sont au nombre de deux: premièrement, l'existence d'une disposition expresse de la Loi de l'impôt sur le revenu commandant l'application d'un traitement précis à l'égard de certaines dépenses ou recettes, notamment la limite générale formulée à l'al. 18(1)a), et, deuxièmement, l'existence de règles de droit établies découlant de l'interprétation que les tribunaux ont donnée de ces diverses dispositions au fil des ans.

À part ces paramètres, tous les autres moyens d'analyse susceptibles d'aider à déterminer le bénéfice ne sont que ce que leur nom indique: des critères d'interprétation, sans plus. Entrent dans cette catégorie les “principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable)” mentionnés dans l'arrêt Symes, également appelés “principes commerciaux ordinaires” ou “principes ordinaires des affaires commerciales”, entre autres. Ces principes ont été formellement codifiés dans les “principes comptables généralement reconnus” (“PCGR”) établis par la profession comptable pour la préparation des états financiers. [...] Il ne faut toutefois pas oublier qu'il s'agit d'outils non juridiques et, de ce fait, extrinsèques à la détermination du bénéfice en droit, alors que les dispositions de la Loi et les autres règles de droit établies constituent la base même de cette notion.

[...] En l'absence de définition de la notion de bénéfice dans la loi, il ne serait pas sage que le droit renonce aux indications précieuses qu'offrent des principes commerciaux bien établis. En effet, plus souvent qu'autrement, ces principes constitueront la base même de la détermination du bénéfice. Cependant, des principes commerciaux reconnus ne sont pas des règles de droit et, partant, il est possible qu'un principe donné ne s'applique pas à tous les cas. [...]

À la page 170, il disait :

[...] Tenter de produire une image utile du bénéfice par rapport seulement à des catégories strictes de dépenses — dépenses courantes, rattachables et ainsi de suite — peut devenir un exercice frustrant et futile: voir Richard B. Thomas, “The Matching Principle: Legal Principle or a Concept?” (1996), 44 Can. Tax J. 1693. Au lieu de tenter de déterminer dans quelle case entre une dépense donnée, le contribuable devrait présenter son revenu de la manière qui reflète le mieux sa véritable situation financière pour l'année, c'est-à-dire qui donne une “image fidèle” du bénéfice. Agir autrement reviendrait à laisser les arbres que sont ces divers principes et pratiques lui cacher la forêt de la fiscalité. Autrement dit, les notions contradictoires de dépenses courantes et de rattachement qui paraissent être en jeu dans le présent pourvoi entrent dans la catégorie des principes commerciaux reconnus, ni plus ni moins. Elles sont simplement des outils d'interprétation importants, qui peuvent se révéler utiles mais non déterminants pour obtenir une image fidèle du revenu du contribuable.

À la page 171, après avoir traité de la décision rendue par le juge en chef adjoint Thurlow dans l'affaire Oxford Shopping Centres, il disait :

Selon moi, il s'agit d'un excellent exemple de l'approche qui doit être suivie dans le calcul du bénéfice. Dans la mesure où ils peuvent s'appliquer à des circonstances particulières, les principes commerciaux reconnus ne doivent être appréciés et appliqués qu'au cas par cas, et uniquement dans le but d'obtenir une image fidèle du bénéfice pour l'année en question aux fins de l'impôt sur le revenu. [...]

Enfin, aux pages 174 et 175, il disait :

Il va de soi que le cadre d'analyse exposé n'est utile que dans la mesure où il est appliqué à des cas concrets. L'examen des faits du présent cas illustrera comment cette méthode raisonnée de calcul du revenu est censée fonctionner. Tout d'abord, cependant, il pourrait être utile et approprié de résumer les principes que j'ai énoncés précédemment:

(1) La détermination du bénéfice est une question de droit.

(2) Le bénéfice tiré d'une entreprise pour une année d'imposition est déterminé en déduisant des revenus tirés de l'entreprise pour l'année en question les dépenses engagées pour gagner ces revenus: M.N.R. c. Irwin, précité, Associated Investors, précité.

(3) Dans la détermination du bénéfice, l'objectif est d'obtenir une image fidèle du bénéfice du contribuable pour l'année visée.

(4) Dans la détermination du bénéfice, le contribuable est libre d'adopter toute méthode qui n'est pas incompatible avec:

a) les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu;

b) les principes dégagés de la jurisprudence ou les “règles de droit” établis;

c) les principes commerciaux reconnus.

(5) Les principes commerciaux reconnus, notamment ceux codifiés formellement dans les PCGR, ne sont pas des règles de droit mais des outils d'interprétation. Dans la mesure où ils peuvent influencer le calcul du revenu, ils ne le feront qu'au cas par cas, selon les faits relatifs à la situation financière du contribuable.

(6) En cas de nouvelle cotisation, une fois que le contribuable a prouvé qu'il a donné une image fidèle de son revenu pour l'année, image qui est compatible avec la Loi, la jurisprudence et les principes commerciaux reconnus, il incombe alors au ministre de prouver que le chiffre fourni ne donne pas une image fidèle ou qu'une autre méthode de calcul fournirait une image plus fidèle.

[5] Je suis frappé de voir à quel point le juge Iacobucci parle souvent de l'“ image fidèle ” du revenu ou du bénéfice. Voir les pages 162, 169, 170, 171, 174 et 175. Dans son résumé de principes, il dit au point 3 que, dans la détermination du bénéfice, l'objectif est d'“ obtenir une image fidèle ” du bénéfice.

[6] Dans les actes de procédure, les parties ont clairement déterminé trois points en litige distincts, et cette distinction est maintenue dans l'ECF, par exemple aux paragraphes 11, 15 et 23. Ces points en litige sont résumés au paragraphe 1 des présents motifs. Dans de nombreuses causes relatives au choix entre dépenses courantes et dépenses en capital, les parties ont présenté une preuve d'opinion quant aux principes comptables généralement reconnus (“ PCGR ”). Dans le présent appel, chaque partie a appelé un témoin expert en comptabilité. L'appelante a appelé comme expert M. Matt Bootle, c.a., et l'intimée a appelé comme expert Mme Kay Holgate, c.a.

[7] La lettre d'opinion de M. Bootle, datée du 24 juillet 1998, a été déposée sous la cote 46. L'opinion de M. Bootle visait le premier et le deuxième des points en litige. Au début de sa lettre d'opinion, M. Bootle renvoie aux paragraphes 4 et 11 de l'avis d'appel. Le paragraphe 4 décrit les 15 002 590 $ qui ont été dépensés pour remplacer une section de pipeline de 44 km, et le paragraphe 11 décrit les 2 518 579 $ qui ont été dépensés pour réparer le pipeline à 523 endroits en aval de la section remplacée. Aux fins de son opinion, M. Bootle combine ces deux sommes et les définit comme étant les “ Dépenses ”. Tout au long de sa lettre d'opinion, qui s'étend sur 10 pages, il traite seulement des sommes combinées appelées “ Dépenses ” et ne fait jamais d'observation sur l'une ou l'autre composante, soit la somme de 15 002 590 $ et la somme de 2 519 579 $. D'un point de vue théorique, je peux comprendre que M. Bootle ait combiné les deux sommes car, en principe, le premier et le deuxième des points en litige sont identiques. D'un point de vue pratique, toutefois, je suis déçu qu'il ait combiné les deux sommes comme “ Dépenses ” tout au long de sa lettre d'opinion, car les circonstances relatives à chacune des dépenses sont bien différentes. Dans ma décision sur le premier point en litige, je tenterai de considérer l'opinion de M. Bootle comme si elle visait uniquement la somme de 15 002 590 $.

Premier point en litige : la somme de 15 002 590 $ — paragraphes 9, 10, 11 et 12 de l'ECF

[8] M. Bootle a un baccalauréat en commerce (avec majeure en comptabilité) de l'université de Calgary (1982). Il a été admis à l'Alberta Institute of Chartered Accountants en 1986 et a obtenu un baccalauréat en droit de l'université de Calgary en 1992. Il a fait son stage chez Ernst & Young, à Calgary, et a progressé jusqu'au niveau de chef de service de vérification de troisième année au cours de la période allant de 1982 à 1989. De 1993 à 1997, il était chef comptable de l'Alberta Securities Commission. De 1997 jusqu'à l'audience, il était directeur au sein des services nationaux de comptabilité et de vérification chez Ernst & Young, au bureau de Calgary. Une liste plus complète de ses compétences professionnelles figure à la pièce 46, immédiatement après sa lettre. M. Bootle a beaucoup d'expérience en comptabilité comme praticien et a été accepté comme témoin expert autorisé à exprimer ses opinions sur les PCGR.

[9] Par souci de commodité, je désignerai la somme de 15 002 590 $ par les termes “ coûts de remplacement ”, pour reprendre l'expression utilisée par les parties au paragraphe 11 de l'ECF. Les coûts de remplacement représentent évidemment l'une des deux composantes entrant dans la définition de “ Dépenses ” donnée par M. Bootle dans sa lettre d'opinion. Dans le résumé figurant à la page 1 de sa lettre, M. Bootle dit que les Dépenses “ pourraient avoir été à juste titre comptabilisées comme charges [...] en vertu des PCGR ” dans les états financiers de l'appelante pour 1994. Il était tenu de dire “ pourraient avoir été ”, car ces coûts de remplacement ont en fait été capitalisés dans les états financiers vérifiés de l'appelante pour 1994. L'opinion de M. Bootle n'est pas compromise du fait que les coûts de remplacement ont été capitalisés dans les états financiers vérifiés. Dans l'affaire Canderel, la société avait capitalisé les paiements d'incitation à la location dans ses états financiers, mais la Cour suprême a statué que ces paiements étaient déductibles comme dépenses courantes dans le calcul du revenu en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[10] La référence de base de M. Bootle était le Manuel de l'Institut Canadien des Comptables Agréés, communément appelé le “ manuel de l'ICCA ”. La recommandation suivante figure au paragraphe 3060.18 :

Les immobilisations doivent être comptabilisées au coût.

Au paragraphe 3060.29, le manuel de l'ICCA précise comme suit cette recommandation :

Les coûts engagés pour accroître le potentiel de service d'une immobilisation correspondent à une amélioration. Le potentiel de service peut être accru lorsque la capacité de production physique ou de service estimée antérieurement est augmentée, que les frais d'exploitation y afférents sont réduits, que la durée de vie ou durée de vie utile est prolongée ou que la qualité des extrants est améliorée. Les coûts engagés pour le maintien du potentiel de service d'une immobilisation correspondent à une réparation, et non à une amélioration. Lorsque les coûts correspondent à la fois à une réparation et une amélioration, la partie considérée comme donnant lieu à une amélioration est incluse dans le coût de l'immobilisation en cause.

[11] M. Bootle fait remarquer que les coûts de remplacement n'ont pas augmenté la capacité de production physique ou de service estimée antérieurement, qu'ils n'ont pas réduit les frais d'exploitation y afférents, qu'ils n'ont pas prolongé la durée de vie utile ou qu'ils n'ont pas amélioré la qualité des extrants du pipeline. Appliquant ces critères, il a conclu que les coûts de remplacement pouvaient être considérés comme une charge de l'exercice courant. Comme le paragraphe 3060.29 est en soi non pas une recommandation, mais seulement une précision relative à une recommandation et qu'il ne représente pas une disposition habilitante à l'égard de la passation en charges des coûts de remplacement en vertu des PCGR, M. Bootle traite de quatre autres références pour l'exercice d'un jugement professionnel quant à savoir comment les PCGR peuvent être appliqués aux coûts de remplacement.

1. Utilisant les grands principes et conventions d'application générale, M. Bootle conclut que les coûts de remplacement peuvent être considérés comme des charges (c.-à-d. qu'ils peuvent être déduits) ou comme des coûts correspondant à un actif (c.-à-d. qu'ils peuvent être capitalisés). Aux pages 4 et 5 de son rapport (pièce 46), il présente les raisons relatives aux deux conclusions.

2. Concernant des pratiques généralement reconnues du fait de leur utilisation dans des circonstances semblables par un nombre important d'entités au Canada, M. Bootle fait remarquer que tout le pipeline est situé en Alberta et qu'il n'est pas assujetti aux réglementations de prix de l'Office national de l'énergie (ONE) ou d'autres organes de réglementation. Dans l'esprit de M. Bootle, l'absence de réglementation de prix est un facteur important quant à la façon de considérer l'appelante par rapport à des circonstances semblables. À la page 7 de son rapport, il assimile à des “ entités semblables ” trois autres sociétés de pipeline non réglementées exploitant un oléoduc ou un gazoduc; il attire l'attention sur le traitement comptable des dépenses dans les états financiers publiés de chaque société; il dit qu'il s'est entretenu avec un représentant de chaque société ou avec les vérificateurs de chacune et qu'il leur a décrit les coûts de remplacement; enfin, il cite de tels représentants comme personnes reconnaissant que chacune des trois sociétés aurait pu imputer les coûts de remplacement au revenu dans l'année où ils avaient été engagés.

3. L'équivalent américain des PCGR du Canada s'appelle “ Statements of Financial Accounting Standards ” (“ SFAS ”). M. Bootle fait référence à l'article 71 des SFAS, où l'on compare la comptabilité des entreprises à tarifs réglementés avec celle des entreprises à tarifs non réglementés, et il conclut que les coûts de remplacement devraient être passés en charges en vertu de l'équivalent américain des PCGR dans le cas d'entreprises non réglementées.

4. Pour ce qui est d'autres sources de documentation en comptabilité, M. Bootle fait référence au fameux ouvrage canadien de R. M. Skinner intitulé Accounting Standards in Evolution (1987). Comme M. Skinner ne traite pas de principes de comptabilité propres au secteur des pipelines ou à des entreprises à tarifs réglementés, M. Bootle fait référence aux observations de M. Skinner sur la capitalisation d'actifs et trouve une justification à la passation en charges des coûts de remplacement, car ceux-ci n'ont pas accru le potentiel de service ou la durée de vie et n'ont pas donné lieu à une “ amélioration ” au sens attribué à ce terme par les comptables.

[12] À mon avis, M. Bootle s'évertuait à étayer son opinion. Tout d'abord, il se fonde sur le fait que l'appelante exploite un pipeline non réglementé (non assujetti aux règles de l'ONE ou d'une autre autorité albertaine). Ce fait était sans aucun doute vrai en 1994, et aucun élément de preuve n'indique que l'appelante est, depuis, devenue réglementée. En raison de l'actuel statut non réglementé de l'appelante, M. Bootle considère le pipeline de l'appelante comme s'il était impossible qu'il soit un jour réglementé. Je trouve cela difficile à accepter, car les avocats des deux parties reconnaissent que, en vertu de l'article 44 de la loi albertaine intitulée Oil and Gas Conservation Act, l'appelante pourrait être désignée transporteur public relativement à son pipeline et, si elle était ainsi désignée, la régie des services publics de l'Alberta (l'Alberta Public Utilities Board) ou la régie de l'énergie et des services publics de l'Alberta (l'Alberta Energy and Utilities Board) pourrait réglementer le tarif demandé par l'appelante à ses expéditeurs. Le paragraphe 44(1) dit :

[TRADUCTION]

44(1) Si l'office a déclaré que le propriétaire d'un pipeline était un transporteur public et que le propriétaire et une personne désirant faire transporter son pétrole ou son brut synthétique dans le pipeline n'arrivent pas à s'entendre sur le tarif devant être demandé pour le transport, l'une ou l'autre partie peut, conformément à la loi intitulée Public Utilities Board Act, présenter une demande à la régie des services publics.

Autrement dit, si l'un des expéditeurs de l'appelante concluait qu'on lui demande un tarif excessif pour l'expédition de pétrole, il pourrait présenter une requête pour que l'appelante soit désignée transporteur public. Je conclus qu'il existe une possibilité constante (probable ou non) que le pipeline de l'appelante devienne réglementé par la province.

[13] Malgré cette possibilité, M. Bootle traite seulement de sociétés non réglementées dans sa deuxième référence (circonstances semblables/nombre important d'entités). Même les entités mentionnées (Koch Pipelines, AEC Pipelines et Pembina Pipeline) n'appuient pas fermement l'opinion de M. Bootle. La note afférente aux états financiers de Koch Pipelines pour 1997 citée à la page 7 du rapport de M. Bootle est équivoque :

[TRADUCTION]

Les dépenses engagées pour une expansion de système et pour des améliorations et des renouvellements majeurs sont capitalisées; les frais de réparations et d'entretien sont passés en charges à mesure qu'ils sont engagés.

Cette note pose la question de savoir ce que sont des dépenses engagées pour une expansion de système et pour des améliorations et des renouvellements majeurs et ce que sont des frais de réparations et d'entretien. Bien que les coûts de remplacement ne donnent pas lieu à une “ amélioration ” au sens attribué à ce terme par les comptables, l'assertion selon laquelle les coûts de remplacement ne représentent pas un renouvellement majeur ne reflète que le jugement de M. Bootle. Les notes afférentes aux états financiers d'AEC Pipeline et de Pembina Pipeline pour 1997, également citées à la page 7, sont équivoques de la même manière.

[14] Dans sa troisième référence (l'équivalent américain des PCGR), M. Bootle se fonde presque exclusivement sur la distinction entre les entreprises à tarifs réglementés et les entreprises à tarifs non réglementés. C'est étonnant, car, relativement à sa première référence (grands principes et conventions d'application générale), il conclut à la page 5 de son rapport qu'il y a un bon fondement en vertu des PCGR pour capitaliser les coûts de remplacement. Sa conclusion se fonde sur des faits qui rendent le pipeline de l'appelante semblable à celui d'une entreprise à tarifs réglementés. Je vais citer un extrait de la page 5 du rapport de M. Bootle, en rappelant que le terme “ Dépenses ” employé par M. Bootle inclut les coûts de remplacement ainsi que les 2,5 millions de dollars de coûts de réparation :

[TRADUCTION]

[...] La Compagnie a dit à ses expéditeurs que les Dépenses étaient nécessaires à la poursuite de l'exploitation du pipeline et devraient être recouvrées auprès d'eux sous forme de tarifs accrus par baril de pétrole expédié.

Les expéditeurs ont accepté de payer de tels tarifs accrus, mais ils n'étaient pas contractuellement tenus de le faire. Aucun expéditeur n'a consenti à expédier une quantité minimum de pétrole ou à payer pour une capacité de pipeline s'il ne l'utilisait pas. De plus, aucun expéditeur n'a accepté de s'abstenir de chercher d'autres modes de transport pour son pétrole, par exemple le camionnage ou encore d'autres pipelines comme le Peace Pipeline. Dans la pratique, toutefois, il était économiquement sensé pour les expéditeurs de consentir à payer des tarifs plus élevés, car il n'y avait pas d'autres solutions économiques pour assurer le transport de leur pétrole jusqu'au marché. Pourtant, un tarif accru allait réduire le recouvrement net de l'expéditeur sur le pétrole produit. Si les prix du brut baissaient, le tarif accru serait un facteur dans la décision d'un producteur de suspendre la production.

L'engagement de l'expéditeur de payer des tarifs accrus pour le financement relatif aux Dépenses avait un fondement. En vertu des PCGR, un tel engagement permet la constatation d'un actif. De ce point de vue, les Dépenses représentent un actif, car elles donnent lieu à un avantage économique futur sous forme de tarifs futurs supérieurs devant être payés par les expéditeurs. La Compagnie contrôle l'accès à cet avantage, car elle perçoit les tarifs, et l'événement donnant lieu à l'actif, soit les Dépenses, s'est déjà produit.

Voilà comment la Compagnie étayait la capitalisation des Dépenses dans ses états financiers du 31 décembre 1994 et ses états financiers subséquents. Nous étions d'accord sur le fait que ce traitement des “ Dépenses ” était et est encore acceptable en vertu des PCGR. [...]

[15] L'honnête concession de M. Bootle selon laquelle il était économiquement sensé pour les expéditeurs de consentir à payer des tarifs plus élevés, parce qu'“ il n'y avait pas d'autres solutions économiques pour assurer le transport de leur pétrole jusqu'au marché ”, est un aveu de fait que le pipeline de l'appelante pourrait n'importe quand être assujetti par la province d'Alberta à une réglementation tarifaire.

[16] Il y a une deuxième raison pour laquelle j'estime que M. Bootle s'évertuait à étayer son opinion. M. Bootle a combiné deux sommes très différentes (15 millions de dollars de coûts de remplacement et 2,5 millions de dollars de coûts de réparation); il a considéré le total comme étant les “ Dépenses ”, puis il a exprimé l'ensemble de son opinion à l'égard de ce total comme si tout son raisonnement s'appliquait également aux deux sommes. Je considère que c'est une approche boiteuse quand les circonstances relatives aux deux sommes sont si différentes. La seule justification d'une telle approche tient au fait que chaque somme est l'objet du même point en litige, à savoir si elle devrait être passée en charges ou capitalisée dans le calcul du revenu aux fins de l'impôt sur le revenu.

[17] Au bas de la page 7 du rapport de M. Bootle, il y a un bon exemple des raisons pour lesquelles le fait de combiner les deux sommes n'était pas une bonne idée. M. Bootle disait, juste après avoir fait référence aux états financiers pour 1997 de Koch Pipelines, d'AEC Pipelines et de Pembina Pipeline et à ses discussions avec un représentant de chaque société :

[TRADUCTION]

Aux fins de l'expression de la présente opinion, je me suis entretenu avec un représentant des trois émetteurs assujettis susmentionnés ou leurs vérificateurs. J'ai décrit brièvement les Dépenses mentionnées dans la présente opinion. Ces personnes reconnaissaient que, en vertu de chacune de ces politiques comptables déclarées, les Dépenses auraient pu être imputées au revenu dans l'année où elles avaient été engagées.

[...] La pratique consistant à imputer les Dépenses à l'exercice courant est donc une pratique généralement acceptée par un nombre important d'entités canadiennes.

Lorsqu'il a décrit “ les Dépenses ” à ces représentants, il décrivait la somme de 15 millions de dollars et la somme de 2,5 millions de dollars. Lorsque ces représentants ont reconnu que les Dépenses “ auraient pu être imputées au revenu dans l'année où elles avaient été engagées ”, parlaient-ils avec autant de conviction des deux sommes? Il y a une grande différence entre “ auraient pu ” et “ auraient été ”. Dans le premier cas, on exprime une possibilité; dans le second, on exprime une certitude. À mon avis, les discussions avec ces trois représentants, telles qu'elles sont résumées aux pages 7 et 8 du rapport de M. Bootle, ne justifient pas la conclusion énoncée dans la dernière phrase précitée quant à “ une pratique généralement acceptée par un nombre important d'entités canadiennes ”.

[18] M. Bootle a conclu son rapport par la phrase suivante :

[TRADUCTION]

[...] En définitive, bien qu'ayant exprimé une opinion sans réserve sur les états financiers pour 1994 et les états financiers subséquents, nous croyons que la théorie et la pratique appuient davantage la solution consistant à inscrire les Dépenses dans l'état des résultats pour l'année dans laquelle elles ont été engagées plutôt que de les capitaliser comme représentant un actif.

À la fin de sa déposition orale, je lui ai dit que, lorsque je rédige un jugement, si je commence ma phrase de décision par les termes “ en définitive ”, c'est que j'essaie d'indiquer au sujet de deux propositions opposées que, bien que trouvant les deux presque aussi convaincantes, je penche un peu plus pour l'une que pour l'autre. Je lui ai ensuite demandé s'il utilisait les termes “ en définitive ” de la même manière. Il a dit que oui.

[19] Mme Kay Holgate, soit le témoin expert appelé par l'intimée, a un baccalauréat en administration des affaires de l'université Mount Saint Vincent (1973). Elle a été admise au Nova Scotia Institute of Chartered Accountants en 1975 et à l'Alberta Institute of Chartered Accountants en 1977. Elle a une maîtrise en administration des affaires de l'université de Calgary (1992). Elle a beaucoup d'expérience comme théoricienne, ayant enseigné la comptabilité financière et la comptabilité de gestion pour deux universités (1976-1984) et, à temps partiel, pour l'Alberta Institute of Chartered Accountants. De 1989 à 1997, elle a été consultante à contrat pour Stephen Johnson, Chartered Accountants, principalement en matière de litiges ou de projets de réglementation. Mme Holgate avait plus d'expérience comme théoricienne que comme praticienne en comparaison avec M. Bootle, mais elle a été acceptée comme témoin expert autorisé à exprimer ses opinions sur les PCGR. Son rapport, en date du 10 août 1998 (établi après qu'elle eut lu le rapport de M. Bootle), a été déposé sous la cote 54.

[20] L'opinion de Mme Holgate visait uniquement les 15 millions de dollars dépensés pour remplacer la section de pipeline de 44 km (les coûts de remplacement), bien que Mme Holgate renvoie parfois à l'opinion de M. Bootle sur les “ Dépenses ”, lesquelles dépenses, ainsi que je l'ai mentionné précédemment, sont définies comme incluant la somme de 15 millions de dollars et une somme de 2,5 millions de dollars. Il ressort toutefois clairement de la page 1 de son rapport qu'elle considère seulement la somme de 15 millions de dollars. Contrairement à M. Bootle, Mme Holgate n'estime pas que les deux traitements comptables (dépenses courantes ou dépenses en capital) de la somme de 15 millions de dollars sont appuyés par les PCGR de façon presque égale. Elle est fortement d'avis que la somme de 15 millions de dollars devrait être capitalisée. À la page 1 de son rapport, elle commence comme suit la formulation de son opinion :

[TRADUCTION]

1. Nous ne sommes pas d'accord sur l'opinion d'Ernst & Young selon laquelle la théorie et la pratique appuient davantage la solution consistant à inscrire les Dépenses dans l'état des résultats pour l'année dans laquelle elles ont été engagées plutôt que de les capitaliser comme représentant un actif.

2. À notre avis, les Dépenses devraient être capitalisées, car :

la somme de 15 millions de dollars est importante pour Rainbow;

la capitalisation est conforme à la définition d'un actif, les Dépenses assurant des avantages particuliers pour des exercices futurs;

la capitalisation est l'application appropriée du principe du rapprochement et donne lieu à une corrélation rationnelle et systématique entre les coûts et les recettes;

les états financiers qui en résulteraient seraient vus comme exacts par l'observateur ordinaire;

la capitalisation est conforme à ce qui est la pratique dans l'industrie.

3. À notre avis, ces Dépenses ne doivent pas être passées en charges, car elles ne sont pas conformes à notre interprétation de ce qu'est une charge par définition, et le fait de les passer en charges fausserait grandement les dépenses déclarées dans les états financiers.

[21] On a retenu les services de Mme Holgate pour qu'elle réponde au rapport de M. Bootle, et son rapport est donc exactement cela : une réponse. À la page 4 de son rapport, elle commence une longue réponse à l'examen fait par M. Bootle de grands principes et conventions. En particulier, elle dit qu'elle considère que l'approche de M. Bootle était trop étroite en ce que M. Bootle limitait son analyse à ce qu'est un “ actif ” et ce qu'est une “ charge ” par définition d'après le manuel de l'ICCA. Elle dit que d'autres grands principes et conventions devraient être pris en compte, par exemple l'importance, le rapprochement et la fidélité. Concernant la définition d'“ actif ”, M. Bootle avait reconnu que la capitalisation de 15 millions de dollars “ était et est encore acceptable en vertu des PCGR ”, mais il avait essayé de limiter cette admission en affirmant que les tarifs accrus payés par les actionnaires / propriétaires en tant qu'expéditeurs représentaient, d'un point de vue économique, des fonds propres supplémentaires. Mme Holgate réfutait cette affirmation pour les raisons suivantes :

[TRADUCTION]

Ernst & Young, toutefois, poursuit en faisant état d'une limitation de l'argument selon lequel les Dépenses représentent un actif. Dans cette analyse, il fait valoir que les tarifs accrus payés par les propriétaires représentent essentiellement des fonds propres supplémentaires. Nous ne voyons aucune distinction aux fins comptables entre les tarifs d'origine et les tarifs accrus, car les deux représentent des frais relatifs à un service fourni et semblent avoir été traités ainsi par Rainbow dans ses états financiers vérifiés. Nous comprenons qu'il n'y a aucun rapport entre le pourcentage de propriété et les volumes expédiés, de sorte que les “ injections de capitaux propres ” hypothétiques n'ont pas à être proportionnelles. Enfin, conformément au traitement comptable symétrique habituel, si les tarifs étaient considérés comme représentant des fonds propres dans le pipeline, ils devraient être assimilés à des investissements faits par les propriétaires. À notre connaissance, les propriétaires n'ont jamais traité les tarifs qu'ils payaient en tant qu'expéditeurs comme un investissement dans un pipeline. Pour ces raisons, nous ne croyons pas que les tarifs accrus devant être payés par les propriétaires / expéditeurs correspondent à des fonds propres, pour l'essentiel, et nous estimons que les arguments visant à réfuter la thèse selon laquelle les Dépenses représentent un actif ne sont pas fondés.

[22] Concernant la définition de “ charge ”, M. Bootle avait dit que la FCST n'était pas prise en compte dans les frais annuels de l'appelante pour fins d'amortissement, mais Mme Holgate a fait remarquer que le calcul de l'amortissement implique des estimations de la durée de vie utile ou de la capacité ainsi que de la valeur de récupération de l'actif et que des estimations sont nécessairement révisées fréquemment. Pourquoi l'appelante n'aurait-elle pas révisé la base de l'amortissement de son pipeline à la fin de 1994 après avoir dépensé 15 millions de dollars pour remplacer 44 km de la conduite de 24 pouces (le plus gros diamètre)? Nous savons que l'appelante a bel et bien révisé cette situation, car elle a en fait capitalisé les coûts de remplacement aux fins des états financiers.

[23] Il y a deux aspects du rapport de Mme Holgate que je trouve particulièrement intéressants. À la page 16, au sujet des PCGR concernant des réparations majeures, Mme Holgate dit :

[TRADUCTION]

Des réparations sont habituellement faites à une unité d'une installation ou d'une machine, soit un composant distinct de l'ensemble d'une installation ou d'une machine. Un pipeline est formé de nombreux composants distincts formant un tout homogène appelés des “ unités de canalisation ”. En présumant qu'une unité de canalisation de 60 pieds avait été utilisée, environ 2 240 unités auraient été nécessaires pour remplacer les 44 km de pipeline. Comme nous croyons comprendre que la pratique dans l'industrie est de considérer comme une immobilisation tout ce qui est plus gros qu'une unité de canalisation, il est paradoxal que les travaux de restauration du pipeline aient été assimilés à des réparations. Dans les circonstances relatives à Rainbow, la valeur comptable nette de l'actif avant les réparations était de 23 millions de dollars, de sorte que les “ réparations ” représentent plus de 65 p. 100 de la valeur comptable nette, au début de 1994, du pipeline et du matériel en tant qu'actifs.

À la page 20, les observations de Mme Holgate en matière d'“ importance ” rattachent également les coûts de remplacement de 15 millions de dollars à la valeur comptable du pipeline au 1er janvier 1994 (23 millions de dollars). Mme Holgate dit :

[TRADUCTION]

L'envergure du programme de remplacement de Rainbow, soit 15 millions de dollars, est suffisamment grande — par rapport à la valeur comptable nette de 23 millions de dollars du pipeline et de l'équipement, par rapport aux 32,5 millions de dollars d'actifs totaux et par rapport aux 7 millions de dollars de revenu net déclaré — pour que cela ait de l'importance pour les utilisateurs dans la prise de décisions.

[...] À notre avis, [...] le fait de changer la politique comptable et de passer les Dépenses en charges au lieu de les capitaliser fausse grandement les charges et le revenu net.

[24] M. Bootle et Mme Holgate reconnaissent qu'un degré élevé de jugement intervient dans la détermination de la question de savoir si une dépense particulière est une dépense courante (déduite du profit pour la période dans laquelle elle a été engagée) ou une dépense en capital (capitalisée et amortie sur une période plus longue). Selon moi, l'opinion de Mme Holgate doit être retenue de préférence à celle de M. Bootle. Mme Holgate est non équivoque dans son opinion : la somme de 15 millions de dollars doit être capitalisée, et traiter cette somme comme une dépense courante fausserait grandement les charges et le revenu net. Son opinion coïncide avec la façon dont je vois la question.

[25] La pièce 2 est le rapport annuel de l'appelante pour 1994, qui inclut les états financiers vérifiés de l'appelante au 31 décembre 1994, avec montants correspondants pour la période allant au 31 décembre 1993. Même sans bénéficier d'opinions d'experts, je vois à partir du bilan que la valeur comptable nette (après amortissement cumulé) du pipeline et de l'équipement au 31 décembre 1993 était de 23 087 000 $ et qu'elle était au 31 décembre 1994 de 39 646 000 $. L'augmentation de 16 559 000 $ (71,7 p. 100) était principalement attribuable à la somme de 15 millions de dollars dépensée pour remplacer 44 km du pipeline de 24 pouces. Lorsqu'une somme est dépensée à l'égard d'un actif comme un pipeline et qu'elle est égale à 65 p. 100 de la valeur comptable nette de l'actif, j'ai du mal à imaginer que la somme représente une dépense courante et non une dépense en capital.

[26] Les états financiers vérifiés de la pièce 2 renferment un état des résultats avec montants correspondants pour 1993 et 1994. Le revenu avant impôt pour 1994 était de 12 941 000 $ avec la capitalisation des coûts de remplacement. Comme l'amortissement du pipeline pour fins d'états financiers était basé sur la méthode d'amortissement par années de production, je ne peux déterminer ce que l'amortissement représentait sur la somme de 15 millions de dollars dépensée en 1994, mais l'amortissement total en 1994 s'élevait à 3 460 000 $. Si je présume (i) que le tiers de l'amortissement en 1994 (1 150 000 $) était rattachable aux 15 millions de dollars dépensés à l'égard des coûts de remplacement et (ii) que les 15 millions de dollars devraient être passés en charges et non capitalisés, le profit de l'appelante (revenu avant impôt) dans ses états financiers vérifiés pour 1994 serait modifié comme suit :

Revenu avant impôt 12 941 000 $

Plus amortissement sur

coûts de remplacement 1 150 000 $

Revenu avant impôt révisé 14 091 000 $

Moins coûts de remplacement

comme dépenses courantes 15 000 000 $

Perte nette 909 000 $

Si les coûts de remplacement avaient été traités comme une dépense courante dans les états financiers vérifiés pour 1994, un profit avant impôt de 12 941 000 $ aurait été supprimé et remplacé par une perte d'environ 909 000 $, selon mes hypothèses. Mme Holgate a effectué une opération semblable au tableau 3 de l'annexe A de son rapport et est arrivée à une perte nette d'environ 600 000 $.

[27] La section de 44 km de nouveau pipeline allant de la station d'Utikuma jusqu'au poteau milliaire 262.4 représente environ 5,7 p. 100 de la longueur totale de la conduite principale de l'appelante (781 km). Le pipeline de 24 pouces allant d'Utikuma jusqu'à Edmonton s'étend sur environ 300 km (paragraphe 7 de l'ECF). Donc, la section de 44 km de nouveau pipeline représente environ 14,6 p. 100 du segment de 24 pouces de la conduite principale. Selon l'une ou l'autre norme, le pourcentage de nouvelles canalisations n'est pas important. Est-ce qu'un pourcentage relativement faible de l'ensemble indique que les coûts de remplacement devraient être considérés comme une dépense courante et non comme une dépense en capital? À mon avis, tout dépend du caractère de l'ensemble.

[28] Si l'ensemble est une machine complexe qui, après une période d'utilisation, nécessite un certain nombre de pièces de rechange (toutes différentes) représentant collectivement 5 à 10 p. 100 de la taille de la machine, je suis enclin à penser que le coût de telles pièces représenterait une dépense courante de réparation et non une dépense en capital engagée pour remplacer une partie d'un actif. Par ailleurs, si l'ensemble est une combinaison d'éléments homogènes comme un chemin de fer allant de Vancouver à Calgary qui, après une période d'utilisation, nécessite le remplacement d'un seul bout de voie représentant 5 à 10 p. 100 de l'ensemble, je suis enclin à penser que le coût de remplacement de ce seul bout de voie représenterait une dépense en capital engagée pour remplacer une partie d'un actif et non une dépense courante de réparation. Certes, la comparaison sert les fins de ma conclusion sur le premier point en litige, mais elle illustre la difficulté de poser une règle générale ou de tirer une ligne de démarcation pour trancher un tel point selon un pourcentage de l'actif dans son ensemble. Elle illustre également le besoin de faire preuve de jugement au cas par cas. Voir l'arrêt de la Cour suprême du Canada Johns-Manville Canada Inc. v. The Queen, 85 DTC 5373, comme exercice de jugement dans une affaire qui, je pense, aurait pu aller dans un sens ou dans l'autre.

[29] Je reviens au résumé de principes fait par le juge Iacobucci aux pages 174 et 175 de l'arrêt Canderel (précité). Le point 4 concerne la liberté qu'a le contribuable, dans la détermination du bénéfice, d'adopter toute méthode qui n'est pas incompatible avec :

a) les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu;

b) les principes dégagés de la jurisprudence;

c) les principes commerciaux reconnus.

L'interdiction de déduire une dépense en capital qu'énonce l'alinéa 18(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu pose la question dans ce cas-ci, car le premier point en litige est de savoir si la somme de 15 millions de dollars était une dépense courante ou une dépense en capital. Pour ce qui est des principes dégagés de la jurisprudence, dans une décision de la Chambre des lords qui remonte à 1926, le vicomte Cave disait :

[TRADUCTION]

[...] lorsqu'une dépense est effectuée non seulement une fois pour toutes, mais en vue de créer un actif ou avantage pour le bénéfice durable d'une entreprise, je pense qu'il y a une très bonne raison (en l'absence de circonstances spéciales conduisant à une conclusion contraire) de traiter une telle dépense comme étant à juste titre attribuable non pas au revenu, mais au capital.

Voir l'affaire Atherton v. British Insulated and Helsby Cables Ltd., [1926] A.C. 205, à la page 213. Le principe susmentionné, établi dans l'affaire Helsby Cables, a été approuvé et appliqué par la Cour suprême du Canada dans l'affaire British Columbia Electric Railway Company Limited v. M.N.R., 58 DTC 1022, aux pages 1025 et 1028. Il a également été cité avec approbation dans de nombreuses autres causes canadiennes d'impôt sur le revenu. À mon avis, les 44 km de nouveau pipeline entre la station d'Utikuma et le poteau milliaire 262.4 étaient un actif ou avantage pour le bénéfice durable de l'entreprise de l'appelante.

[30] Les principes commerciaux reconnus (y compris les PCGR) jouent contre l'appelante. Premièrement, concernant la preuve d'experts, je privilégie nettement l'opinion de Mme Holgate plutôt que celle de M. Bootle. Je conclus qu'il y a un fondement beaucoup plus fort dans les PCGR pour capitaliser les coûts de remplacement. Deuxièmement, je suis influencé par le motif commercial adopté par l'appelante pour capitaliser les coûts de remplacement dans ses états financiers vérifiés pour 1994. Au paragraphe 6 de l'avis d'appel, l'appelante allègue ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les états financiers de l'appelante pour 1994 capitalisaient les Coûts (15 millions de dollars) comme correspondant à des biens immobilisés, installations et équipement. [...] Dans le choix entre capitaliser les Coûts et les passer en charges, l'appelante a opté pour la première solution afin de promouvoir sa relation d'affaires avec les expéditeurs utilisant le pipeline. Si les Coûts avaient été passés en charges, les expéditeurs auraient eu à en supporter la somme totale dans l'année suivant l'année de la dépense, sous forme d'augmentation de tarifs de pipeline pour cette année subséquente. En traitant les Coûts comme des dépenses en capital, une légère augmentation des tarifs annuels a été mise en oeuvre, ce qui a réduit le fardeau financier immédiat des Coûts pour les expéditeurs en répartissant le fardeau sur le reste de la durée utile estimative du pipeline.

Cette allégation n'a pas été admise par l'intimée, mais lorsque, au cours de son interrogatoire principal, le premier témoin de l'appelante, Norman Tozer, a été interrogé au sujet de la décision de l'appelante de capitaliser les coûts de remplacement dans les états financiers vérifiés pour 1994, il a dit :

[TRADUCTION]

Ils auraient été capitalisés pour éviter une augmentation à court terme radicale des tarifs devant être payés par les expéditeurs. (Transcription, page 104)

En outre, le rapport de M. Bootle dit à la page 5 :

[TRADUCTION]

L'engagement de l'expéditeur de payer des tarifs accrus pour le financement relatif aux Dépenses avait un fondement. En vertu des PCGR, un tel engagement permet la constatation d'un actif. De ce point de vue, les Dépenses représentent un actif, car elles donnent lieu à un avantage économique futur sous forme de tarifs futurs supérieurs devant être payés par les expéditeurs. [...]

Si la capitalisation de la somme de 15 millions de dollars dans les états financiers vérifiés permettait à un expéditeur de répartir l'augmentation modérée de tarifs sur la durée de vie du pipeline ou sur la durée de vie du champ de pétrole au lieu de devoir faire face à une augmentation de tarifs marquée en 1995, c'était une bonne raison commerciale pour capitaliser cette somme. Une proportion d'environ 58 p. 100 des recettes tarifaires de l'appelante (36,1 millions de dollars en 1994) provient d'expéditeurs qui ne sont pas des actionnaires (paragraphe 2 de l'ECF).

[31] Eu égard à toutes les circonstances de la présente espèce, je conclus que la somme de 15 millions de dollars représentait une dépense en capital, car : (i) ce n'était pas une dépense récurrente; (ii) il s'agissait de réparations majeures; (iii) cette dépense a donné lieu à un actif (la partie remplacée de la section de 24 pouces de la conduite principale) pour le bénéfice durable de l'entreprise de l'appelante; (iv) cette dépense était importante par rapport à la valeur comptable de l'ensemble du pipeline et par rapport aux autres dépenses ainsi qu'aux profits annuels.

[32] Dans l'arrêt Canderel, la Cour suprême a dit que l'objectif est d'obtenir une image fidèle du bénéfice du contribuable pour l'année. À mon avis, la capitalisation des 15 millions de dollars de coûts de remplacement donne une image plus fidèle du revenu de l'appelante pour 1994 que la déduction de cette somme comme dépense courante. En fait, je conclus que passer en charges les 15 millions de dollars ne donne pas une image fidèle du revenu de l'appelante pour 1994 aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, si utile que puisse être la passation en charges pour un investisseur potentiel ou un créancier, comme le disait M. Bootle en contre-preuve. L'intimée obtient gain de cause pour ce qui est du premier point en litige.

Deuxième point en litige : la somme de 2 518 579 $ — paragraphes 13 à 19 de l'ECF

[33] L'appelante a effectué des “ études de corrosion ” à l'égard de sa conduite principale en 1979, en 1984 et en 1989. Dans le cadre du cycle quinquennal d'inspection et après les trois fuites survenues dans le segment de conduite principale situé entre Utikuma et Flatbush (novembre 1992, février 1993 et juillet 1993), l'appelante a retenu les services de British Gas pour que cette dernière inspecte sur place le pipeline de 24 pouces allant d'Utikuma jusqu'à Edmonton, soit une distance de 297 kilomètres. L'inspection de British Gas a permis de localiser et de mesurer la corrosion externe sous forme de perte de métal et d'analyser le facteur de réparations estimatives (“ FRE ”) pour défectuosités majeures attribuables à la perte de métal. Plus précisément, British Gas a déterminé que, en aval du poteau milliaire 262.4 (extrémité sud du segment de 44 kilomètres décrit précédemment au sujet du premier point en litige), il y avait 523 endroits à l'égard desquels le FRE était supérieur ou égal à 1,00 et qui nécessitaient donc des travaux d'excavation et de réparation. Par suite de l'inspection de British Gas, l'appelante a pris deux décisions importantes. Premièrement, elle a décidé de remplacer le segment de 44 kilomètres décrit précédemment. Deuxièmement, elle a décidé de mettre en oeuvre un programme de réparation de pipeline, soit le projet d'intégrité de pipeline décrit précédemment, aux paragraphes 3 à 17 de l'ECF.

[34] En 1994, l'appelante a effectué des travaux d'excavation et de réparation aux 523 endroits en aval du poteau milliaire 262.4 à l'égard desquels le FRE était supérieur ou égal à 1,00. Cette opération a exigé l'aménagement de 142 sites d'excavation et de réparation. Les réparations effectivement faites à un endroit donné étaient des réparations de l'un des trois types suivants :

(i) remplacement d'une partie ou de l'ensemble d'une section de tube; à un endroit, on a remplacé plusieurs sections de tube;

(ii) application d'un “ fourreau ” (deux demi-cylindres soudés ensemble) à une canalisation existante;

(iii) suppression de la défectuosité par sablage de la surface de la canalisation, de manière à conserver au moins 92 p. 100 de l'épaisseur de paroi nominale.

[35] L'appelante a dépensé 2 518 579 $ en 1994 pour rétablir l'intégrité du pipeline de 24 pouces en aval du poteau milliaire 262.4, ce qui lui a permis de revenir à la PMMS. Elle a également fait des travaux d'investigation et de réparation, selon les besoins, à tous les endroits où le revêtement du pipeline s'était détérioré, travaux qui ont consisté à enlever les éléments corrosifs de la surface de la canalisation pour empêcher toute autre corrosion. Dans ses états financiers vérifiés pour 1994, elle a capitalisé la somme de 2 518 579 $ comme correspondant à des biens immobilisés, installations et équipement. Dans sa déclaration de revenu pour 1994, elle a capitalisé la même somme en la répartissant entre la catégorie 1 (1 976 922 $) et la catégorie 8 (541 657 $) de l'annexe 2 du Règlement. Dans une note de bas de page de l'annexe TES(8) de sa déclaration de revenu, l'appelante faisait état de la capitalisation et disait que, après d'autres recherches, elle pourrait signifier un avis d'opposition à l'encontre d'une cotisation concernant la déclaration de revenu telle qu'elle avait été produite.

[36] Revenu Canada a établi une cotisation concernant la déclaration de revenu de l'appelante pour 1994 telle qu'elle avait été produite, et l'appelante a signifié un avis d'opposition, alléguant, entre autres, que la somme de 2 518 579 $ était une dépense courante déductible et non une dépense en capital. Tel est le deuxième point en litige dans le présent appel. M. Bootle a combiné la somme de 2 518 579 $ et la somme beaucoup plus importante (15 002 590 $) dépensée pour remplacer le segment de canalisation de 44 kilomètres décrit précédemment; il a défini le montant total comme étant “ les Dépenses ”, puis il a exprimé son opinion quant à l'application des PCGR à ces dépenses. En tranchant le premier point en litige, j'ai expliqué pourquoi je ne me fonderais pas sur son opinion. L'experte de l'intimée n'a pas exprimé d'opinion concernant la somme plus petite de 2 518 579 $ et les PCGR.

[37] Je vais trancher le deuxième point litigieux en faveur de l'appelante, car les quatre facteurs principaux qui, à l'égard du premier point en litige, m'ont amené à conclure que la somme plus élevée (15 002 590 $) représentait une dépense en capital m'amènent dans la direction opposée pour ce qui est du deuxième point en litige. Premièrement, le remplacement d'un segment de 44 kilomètres du pipeline de 24 pouces semble être un événement non récurrent. Les trois sortes de réparations décrites au paragraphe 34 des présents motifs reviendront probablement jusqu'à un certain point à tous les ans dans le cadre du projet d'intégrité de pipeline ou à tous les cinq ans dans le cadre des études de corrosion. Ce seront des événements récurrents. Deuxièmement, compte tenu des 142 sites d'excavation et des 523 endroits où l'on a fait des réparations, il n'y a pas un seul site ou un seul endroit qui représente des réparations majeures. Considéré isolément, chaque endroit correspond à un rafistolage de la conduite principale. Il s'agissait d'un genre typique de réparation. Le remplacement de 44 kilomètres du pipeline de 24 pouces était une réparation majeure. Troisièmement, le coût d'une réparation quelconque ou de toutes les réparations considérées ensemble n'était pas important par rapport à la valeur comptable du pipeline et par rapport aux frais annuels ou aux profits annuels. Quatrièmement, la réparation faite à un endroit quelconque considéré seul et les réparations faites à de nombreux endroits considérés ensemble n'ont pas donné lieu à un actif durable pour le bénéfice de l'entreprise de pipeline de l'appelante. L'appelante a gain de cause sur le deuxième point en litige.

Troisième point en litige : recherche scientifique et développement expérimental (RSDE)

[38] L'article 37 de la Loi de l'impôt sur le revenu permet de déduire dans le calcul du revenu certaines sommes dépensées en matière de recherche scientifique et de développement expérimental (“ RSDE ”). En vertu du paragraphe 127(5) de la Loi,certains crédits d'impôt à l'investissement peuvent être déduits “ de l'impôt payable par ailleurs ”. Le paragraphe 127(9) contient de nombreuses définitions, mais les définitions des trois expressions suivantes revêtent une importance particulière dans le présent appel :

“ crédit d'impôt à l'investissement ” inclut une dépense admissible;

“ dépense admissible ” désigne une dépense pour RSDE au sens de l'article 37;

“ pourcentage déterminé ” désigne au sous-alinéa e)(iv) 20 p. 100 des dépenses de RSDE engagées en Alberta.

Collectivement, les dispositions susmentionnées permettent de déduire un crédit d'impôt à l'investissement représentant 20 p. 100 des activités de RSDE exercées en Alberta. Les activités de RSDE sont définies comme suit à l'article 2900 du Règlement de l'impôt sur le revenu :

2900(1) Pour l'application de la présente partie ainsi que des articles 37 et 37.1 de la Loi, “ activités de recherche scientifique et de développement expérimental ” s'entend d'une investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse, c'est-à-dire :

a) la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

b) la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science avec application pratique en vue;

c) le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l'intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l'amélioration, même légère, de ceux qui existent;

d) les travaux relatifs à l'ingénierie, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l'analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) et servent à les appuyer directement.

Ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental les travaux relatifs aux activités suivantes :

e) [non pertinent aux fins du présent appel]

[39] Eu égard à la définition précitée des activités de RSDE, l'appelante ne cherche pas à entrer dans le cadre de la “ recherche pure ” prévue à l'alinéa a) (étude théorique), mais elle prétend bel et bien être admissible en vertu de l'alinéa b), recherche appliquée, de l'alinéa c), développement expérimental, et de l'alinéa d), travaux relatifs à l'ingénierie, à la conception, etc. En raison des trois fuites survenues dans sa conduite principale en novembre 1992, en février 1993 et en juillet 1993, l'appelante était impatiente de savoir la cause et l'effet de la fissuration par corrosion sous tension (“ FCST ”) considérée isolément ou par rapport à d'autres cas de corrosion métallique relatifs à des oléoducs situés en Alberta. Telle a été l'“ application pratique ” de la recherche appliquée visée à l'alinéa b).

[40] Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelante a particulièrement insisté sur l'alinéa c), “ développement expérimental ”, à savoir des travaux entrepris dans l'intérêt du progrès technologique en vue “ de la création de nouveaux [...] procédés ou de l'amélioration, même légère, de ceux qui existent ”. L'appelante soutient que son “ procédé ” a consisté à déterminer la cause et l'effet de la FCST, même s'il n'y a eu qu'une amélioration “ légère ” de ce processus. Pour ce qui est de l'alinéa d), l'appelante soutient qu'elle a effectué des travaux relatifs à l'ingénierie, à la recherche opérationnelle, à la collecte de données et aux essais qui étaient proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas b) et c) et qui servaient à les appuyer directement.

[41] En 1995-1996, l'ONE a tenu une enquête sur la FCST concernant des oléoducs et gazoducs canadiens. D'après un tableau figurant à la page 11 du rapport d'enquête de l'ONE (pièce 36), TransCanada Pipelines Ltd. (“ TCPL ”, qui exploite un gazoduc) était la seule société au Canada à avoir connu une rupture pour cause de FCST avant les deux ruptures de 1993 du pipeline de l'appelante. TCPL avait en fait eu trois fuites attribuables à ce facteur en 1985-1986 et deux autres en 1991-1992. Il semble que l'appelante ait été le premier exploitant d'un oléoduc à avoir connu une fuite pour cause de FCST. Le tableau de la page 11 de la pièce 36 indique, sous les rubriques relatives aux activités de recherche et aux programmes d'investigation, qu'il y a eu très peu de recherche en matière de fuites pour cause de FCST de pipeline avant 1993-1994.

[42] Les événements de 1994 doivent être placés dans une certaine perspective. L'appelante avait exploité la conduite principale de 24 pouces allant d'Utikuma à Edmonton (environ 300 kilomètres) pendant 26 ans (1967 à 1993) sans aucune fuite. En février et en juillet 1993, il y a eu deux fuites importantes dans le segment de 24 pouces du pipeline de l'appelante. Ces deux fuites ont été causées par la FCST et la corrosion métallique et ont exigé que le pipeline fonctionne à un régime de 55 p. 100 par rapport à la PMMS (voir le paragraphe 4 de l'ECF). D'autres travaux d'inspection ont permis de découvrir 523 défectuosités nécessitant des réparations dans le pipeline de 24 pouces au sud du poteau milliaire 262.5. Les 523 défectuosités étaient causées par la FCST et / ou la corrosion du métal. Je suis prédisposé à penser qu'une société de pipeline comme l'appelante, n'ayant jamais eu de problèmes et étant soudainement obligée de faire une réparation majeure (remplacement de 44 kilomètres de canalisations) et 523 réparations mineures, ne se lancerait pas dans un programme de remplacement et de réparation de 17,5 millions de dollars sans en même temps entreprendre une étude sérieuse de la cause et de l'effet de telles réparations. Il est indéniable que l'appelante a entrepris une telle étude. La question est de savoir s'il s'agissait d'activités de RSDE.

[43] J'accorde beaucoup de poids au rapport d'enquête de l'ONE (pièce 36), car ce rapport n'a pas été établi pour faire valoir la cause de l'une ou l'autre partie à la présente instance. Bien que l'enquête ait été commandée en septembre 1995 et que le rapport ait été signé en novembre 1996, le rapport est pertinent aux fins du présent appel pour l'année d'imposition 1994, car il décrit indirectement l'état des connaissances en matière de FCST (cause et effet) en 1993 et en 1994, époque où il y a eu dans le pipeline de l'appelante deux fuites majeures attribuables à la FCST et où l'appelante a effectué des travaux nécessaires de remplacement et de réparation. Le rapport dit aux pages 67 et 69 :

L'information recueillie par TransCanada lors de ses fouilles exploratoires à la fin des années 1980 indique que la présence de FCST “importante” dans un pipeline était reliée aux conditions du terrain autour du pipeline où les revêtements des conduites pouvaient se détacher. Forte de ce résultat, TransCanada a retenu, en 1992, les services J.E. Marr Associates (Canada) Ltd. afin d'élaborer un modèle prédictif de la vulnérabilité à la FCST.

Depuis, plusieurs autres compagnies pipelinières ont élaboré de tels modèles prédictifs. Dans la plupart des cas, ces modèles étaient basés sur la méthode mise au point par TransCanada et J.E. Marr Associates (Canada) Ltd. [...]. Au moment de l'enquête, six compagnies membres de l'ACPRÉ [Association Canadienne des Pipelines de Ressources Énergétiques] utilisaient des modèles prédictifs pour évaluer la vulnérabilité de leurs réseaux (ou de certaines parties de leur réseau) à la FCST, et cinq autres compagnies membres avaient entrepris d'en élaborer [...]

En général, la première étape dans l'élaboration d'un modèle prédictif est l'examen des données concernant un pipeline particulier : antécédents d'exploitation, type de revêtement, année de construction, etc. Plus ces données sont exactes et complètes, meilleur est le modèle initial.

[...]

Même si l'information sur les conditions de terrain réputées propices à la FCST est applicable à tous les pipelines d'une même région, un modèle prédictif n'est valable que pour le pipeline pour lequel il a été élaboré. Ceci est dû au fait que les données sur chaque pipeline (revêtement, année de construction, antécédents d'exploitation) peuvent être passablement uniques, et elles constituent un élément important du modèle prédictif. Par conséquent, il ne faudrait pas effectuer des hypothèses sur la vulnérabilité à la FCST d'un certain réseau pipelinier en se basant sur un modèle prédictif élaboré pour un autre réseau.

Au dernier paragraphe précité, la collecte de données et les antécédents d'exploitation dont il est question pourraient faire que l'appelante entre dans le cadre de l'alinéa 2900(1)d) du Règlement de l'impôt sur le revenu. L'appelante avait retenu les services de J.E. Marr Associates en 1994 pour que cette dernière établisse un modèle de prévision quant à la susceptibilité de son pipeline à la FCST. Une partie de la pièce 26 est le contrat du 1er juin 1994 entre l'appelante et J.E. Marr Associates concernant l'exécution de travaux d'excavation et l'établissement d'un modèle de prévision en matière de susceptibilité à la FCST. La pièce 26 renferme aussi le contrat du 10 janvier 1994 entre l'appelante et Petro-Line Upgrading Services Ltd. concernant les épreuves hydrostatiques. Une description plus complète de ces épreuves figure à la pièce 20.

[44] Les paragraphes 7 et 8 de l'ECF décrivent l'inspection sur place effectuée par British Gas en 1993 et la localisation de défectuosités (corrosion attribuable à la perte de métal) représentant un facteur de réparations estimatives (“ FRE ”) supérieur ou égal à 1,00. Il y avait 819 défectuosités semblables, et la pièce 5 est un sommaire de leur emplacement dans le pipeline. La pièce 5 indique clairement pourquoi les 44 kilomètres de pipeline au sud du poteau milliaire 235 ont été remplacés et pourquoi les 523 défectuosités restantes au sud du poteau milliaire 262.5 ont été réparées. La pièce 19 est un document de discussion sur les épreuves hydrostatiques en date du 22 août 1994. À la page 7 de la pièce 19 figure un sommaire de l'inspection relative à la FCST et à la perte de métal qui indique comment les anomalies ont été corrigées ou comment l'on a changé le revêtement de la canalisation allant du poteau milliaire 262.5 jusqu'à Edmonton. Ce sommaire est intéressant, car il montre que certaines anomalies étaient causées par la FCST, d'autres par la perte de métal et d'autres encore par une combinaison de ces deux facteurs.

[45] L'intimée arguait que les dépenses engagées pour des activités de RSDE ou relativement à de telles activités sont assujetties à des conditions prévues à la subdivision 37(8)a)(ii)(A)(III), qui dit :

(III) soit une dépense en capital pour la fourniture de locaux, d'installations ou de matériel qui, au moment où la dépense est engagée, répondent à l'une des conditions suivantes :

1. ils sont censés être utilisés, pendant la totalité, ou presque, de leur temps d'exploitation au cours de leur vie utile prévue, dans le cadre d'activités de recherche scientifique et de développement expérimental exercées au Canada,

2. la totalité, ou presque, de leur valeur est censée être consommée dans le cadre d'activités de recherche scientifique et de développement expérimental exercées au Canada,

[...]

L'intimée a fait valoir (et ceci a été admis par l'appelante) que l'appelante ne pensait même pas à des activités de RSDE en 1994, quand elle a commencé l'étude sur la cause et l'effet de la FCST et de la perte de métal. La demande de déduction de l'appelante en matière de RSDE n'a été présentée à Revenu Canada qu'à l'automne 1995, après la production de la déclaration de revenu de l'appelante pour 1994, mais l'intimée ne soulève aucun argument quant à la date de présentation de cette demande. L'intimée argue simplement que, pour reprendre les termes de la subdivision (III), l'appelante n'entre pas dans le cadre du libellé suivant : “ qui, au moment où la dépense est engagée, répondent à l'une des conditions suivantes : 1. ils sont censés être [...] 2. la totalité [...] de leur valeur est censée être [...] ”. L'appelante soutient pour sa part que la subdivision (III) exige non pas l'existence d'une intention particulière d'exercer des activités de RSDE, mais seulement l'existence d'une intention de réaliser un objectif pouvant se révéler correspondre à des activités de RSDE au sens du paragraphe 2900(1) du Règlement. L'appelante argue également que toutes les dépenses qu'elle estime être des dépenses pour RSDE peuvent être considérées comme des dépenses courantes, donc comme des dépenses visées à la subdivision (II) et non à la subdivision (III). J'accepte l'argument de l'appelante concernant la subdivision (III).

[46] La pièce 35 décrit toutes les sommes qui étaient contestées lorsque l'appelante a déposé son avis d'opposition pour 1994 (le document dit “ 1995 ”, mais c'est une erreur). Dans la colonne “ compte de dépenses de RSDE ” figurent quatre sommes représentant le montant total de 2 081 325 $. Chacune des quatre sommes correspond à une autorisation de dépenses (“ AD ”). Les AD figurent aux pièces 12, 13, 14, 17 et 18. Seule la somme de 632 287 $ indiquée dans la pièce 18 a été traitée comme une dépense courante aux fins des états financiers et aux fins de l'impôt sur le revenu. Les autres sommes ont été capitalisées aux fins des états financiers et elles ont été attribuées à des catégories relatives à la fraction non amortie du coût en capital aux fins de l'impôt sur le revenu.

[47] La pièce 17 est le rapport de l'appelante quant aux activités de RSDE de 1994 établi aux fins de la demande que l'appelante a présentée à Revenu Canada en novembre 1995. À la page 5 du rapport, sous la rubrique “ Coûts ” figure le coût de programme total de 4 541 188 $, dont une somme de 2 081 325 $ est attribuée à des activités de RSDE. À peu près dix pages plus loin figurent une analyse des frais engagés en vertu de l'AD 9460500 et une répartition de ces frais entre des activités de RSDE et des réparations ordinaires. Norman Tozer, soit un témoin de l'appelante, a dit qu'il avait probablement consacré plus de temps que qui que ce soit d'autre à la demande de déduction de l'appelante en matière de RSDE. À la page 114 de la transcription, il décrit ce que l'appelante essayait d'apprendre ou avait besoin de savoir en 1993-1994 :

[TRADUCTION]

Eh bien, nous savions que nos fuites résultaient en partie de la fissuration par corrosion sous tension (FCST); il nous fallait donc en apprendre davantage sur la FCST, savoir ce qui en était la cause, savoir ce qui causait la formation de fissures, savoir ce qui faisait que les fissures s'élargissaient, connaître les paramètres représentant la cause de la formation de fissures — les facteurs causant l'apparition et la croissance de la FCST; il nous fallait en apprendre davantage sur les taux de croissance, savoir comment repérer la FCST existant dans le pipeline et savoir comment prévoir à quels endroits cela pourrait arriver.

[48] On a attiré l'attention de M. Tozer sur la pièce 17 et notamment sur une analyse de trois pages concernant l'AD 9460500. Environ 140 dépenses différentes faisaient l'objet de l'AD 9460500. M. Tozer a expliqué comment il avait procédé à son analyse. Il avait d'abord supprimé les frais engagés en 1995, de manière à traiter seulement des frais engagés en 1994. Il avait ensuite consulté un certain nombre d'entrepreneurs (dont les services ont été retenus et payés en vertu de l'AD 9460500) pour déterminer quelle partie de leur travail était rattachable à des activités de RSDE et quelle partie était rattachable à des réparations. D'après les réponses qu'il avait reçues et se fondant sur sa propre expérience, qui est considérable, il a élaboré la formule suivante pour attribuer un pourcentage de chaque coût à des activités de RSDE :

A. - 0 p. 100 de RSDE; activités techniques tout à fait courantes

B. - pourcentages divers de RSDE, selon le contrat en cause

C. - 30 p. 100 de RSDE; soutien technique nécessaire pour des travaux de RSDE

D. - 100 p. 100 de RSDE

E. - 0 p. 100 de RSDE; exclu du projet.

[49] Utilisant la formule précitée, M. Tozer a pu déterminer que, sur les dépenses de 1994 ($3 663 561 $) faisant l'objet de l'AD 9460500, la somme de 1 295 878 $ était attribuable à des activités de RSDE. La pièce 35 fait état de la plus importante des quatre composantes de la demande de déduction de l'appelante en matière de RSDE. Dans la pièce 17, quelques pages avant l'analyse de l'AD 9460500, on détaille sur deux pages les éléments faisant l'objet de l'AD 946054X. Il s'agit de l'AD relative aux dépenses totales de 632 286 $, qui ont toutes été imputées à l'exercice et attribuées à des activités de RSDE. L'intimée n'a pas démontré par son contre-interrogatoire ou par une preuve positive que le témoignage de M. Toser concernant la pièce 17 et concernant sa répartition de coûts visés dans l'AD 9460500 était déraisonnable.

[50] L'appelante a invoqué la décision rendue par notre cour dans l'affaire Northwest Hydraulic Consultants Limited v. The Queen, 98 DTC 1839, dans laquelle le juge Bowman avait accueilli partiellement l'appel de la contribuable. Après avoir fait référence aux termes “ de l'amélioration, même légère, de ceux qui existent ”, figurant à l'alinéa 2900(1)c) du Règlement, le juge Bowman disait, à la page 1840 :

[10] L'ajout de ces mots, en 1995, s'appliquant aux années d'imposition prenant fin après le 2 décembre 1992, semble découler du fait qu'on se préoccupait de ce que la réalisation ou les tentatives de réalisation de légères améliorations ne soient pas visées. Il me semble qu'il n'aurait pas été nécessaire de le dire. En général, la recherche scientifique comporte des progrès graduels et, de fait, infimes. Les réussites spectaculaires sont rares et ne constituent qu'une partie infime des résultats de la RS & DE au Canada.

[11] Les stimulants fiscaux accordés à ceux qui se livrent à la RS & DE visent à encourager la recherche scientifique au Canada (Consoltex Inc. v. The Queen, 97 DTC 724). Cela étant, la législation concernant pareils stimulants “ s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ” (article 12 de la Loi d'interprétation).

Le juge Bowman pose cinq questions à partir du paragraphe 16 de ses motifs du jugement pour indiquer comment il voit l'approche à suivre en matière de demande de déduction pour activités de RSDE. Il n'est pas nécessaire de passer en revue les cinq questions, mais, eu égard à l'utilité du modèle de prévision en matière de susceptibilité à la FCST élaboré par J.E. Marr Associates, il est utile de citer une partie des réponses du juge Bowman aux questions 3 et 4 :

3. Les procédures adoptées sont-elles conformes aux principes établis et aux principes objectifs de la méthode scientifique, définis par l'observation scientifique systématique, la mesure et l'expérimentation ainsi que la formulation, la vérification et la modification d'hypothèses?

a) [...]

b) Ce qui peut sembler habituel et évident après coup ne l'était peut-être pas au début des travaux. Ce n'est pas uniquement l'adhésion à des pratiques systématiques qui distingue l'activité courante des méthodes nécessaires selon la définition de la RS & DE figurant à l'article 2900 du Règlement, mais l'adoption de la méthode scientifique décrite ci-dessus dans son ensemble, en vue d'éliminer une incertitude technologique au moyen de la formulation et de la vérification d'hypothèses innovatrices non vérifiées.

4. Le processus a-t-il abouti à un progrès technologique, c'est-à-dire à un progrès en ce qui concerne la compréhension générale?

a) [...]

b) Le rejet, après l'essai d'une hypothèse, constitue néanmoins un progrès en ce sens qu'il élimine une hypothèse jusque là non vérifiée. Une bonne partie de la recherche scientifique vise justement à cela. Le fait que l'objectif initial n'est pas atteint n'invalide ni l'hypothèse qui a été émise ni les méthodes qui ont été employées. Au contraire, il est possible que l'échec même renforce le degré d'incertitude technologique.

[51] L'intimée a invoqué la décision rendue par notre cour dans l'affaire Sass Manufacturing Limited v. M.N.R., 88 DTC 1363, dans laquelle la contribuable soutenait que certaines dépenses engagées afin de fabriquer un prototype de machine pour installer un drain étaient des dépenses de RSDE. Dans cette affaire-là, l'intimé avait appelé un témoin expert (R. Garth Doel, ing. p.), qui avait exprimé son opinion quant à savoir pourquoi la fabrication du prototype ne correspondait pas à de la recherche scientifique. Rejetant la demande de déduction de la contribuable pour des activités de RSDE, le juge Sarchuk disait à la page 1371 :

La preuve est loin de démontrer l'existence d'une investigation ou recherche systématique d'ordre technologique effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse. À mon avis, le règlement 2900 exige que l'appelante produise des preuves convaincantes des expériences ou des analyses effectuées. Les mots "recherche systématique" impliquent l'existence d'expériences surveillées, la prise de mesures extrêmement précises et la confrontation des théories du chercheur à des preuves empiriques. La recherche scientifique doit s'entendre d'une entreprise visant à expliquer et à prédire, ainsi qu'à approfondir les connaissances relatives au domaine dont relève l'hypothèse formulée. Ce processus doit nécessairement s'accompagner d'expériences répétées pendant lesquelles on note avec soin les étapes suivies, les changements apportés et les résultats obtenus. En l'espèce, on n'a pas prouvé qu'un tel processus a été observé, que ce soit dans le contexte de la recherche appliquée ou dans celui de la mise au point. Je ne saurais faire droit à l'appel relativement à cette question.

[52] Il me semble que, dans l'affaire Sass Manufacturing, la contribuable n'avait pas un problème technique (comme des fuites de pipeline) menaçant son entreprise. La société Sass essayait simplement de construire un prototype de machine, tandis que la Rainbow Pipe Line s'est attaquée au problème menaçant son entreprise et a concurremment entrepris une “ investigation [...] systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse ”. Le juge Sarchuk a fait remarquer dans l'affaire Sass qu'aucune des conclusions de l'expert de l'intimée n'avait sérieusement été contestée par la contribuable.

[53] Au paragraphe 42 des présents motifs, j'ai dit que j'étais prédisposé à penser qu'une société de pipeline comme l'appelante ne dépenserait pas 17,5 millions de dollars à l'égard de travaux de remplacement et de réparation sans faire un genre d'enquête sur la cause et l'effet de tels travaux. L'intimée n'a appelé aucun témoin pour réfuter l'ensemble ou une partie des quatre composantes (voir les pièces 35 et 17) de la demande de déduction de l'appelante en matière de RSDE. À mon avis, l'appelante s'est acquittée de la charge qui lui incombait de prouver qu'elle avait exercé en 1994 des activités de RSDE représentant la somme de 2 081 325 $. L'appelante a gain de cause sur le troisième point en litige. Je suis disposé à entendre des observations des avocats au sujet des frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de septembre 1999.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de juin 2000.

Benoît Charron, réviseur

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