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Date : 19990317

Dossier : 1999-488-IT-G

ENTRE :

JOHN N. GREGORY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge en chef adjoint Bowman

[1] Les présents motifs ont trait à une requête présentée par l'intimée pour obtenir des directives en réponse à une requête de l'appelant sollicitant que la question de la constitutionnalité de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu soit tranchée en vertu de l'article 58 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale). L'avocat de l'intimée soutient que l'article 58 ne saurait permettre de trancher une telle question.

[2] Le ministre du Revenu national a établi la cotisation d'impôt de l'appelant pour les années d'imposition 1993, 1994, 1995 et 1996. Les cotisations se fondent sur une ou des opérations qui ont entraîné une demande de déduction par l'appelant pour une perte importante, autre qu'une perte en capital, liée à la participation de l'appelant dans une société de personnes.

[3] Il ne m'est pas nécessaire, aux fins de la présente requête, de présenter les faits que les parties ont allégués et qui ont donné lieu à la demande de déduction pour pertes. Il suffit de dire que le ministre du Revenu national a rejeté cette demande de déduction. Dans la réponse à l'avis d'appel modifié, un certain nombre d'hypothèses subsidiaires sont alléguées par le ministre pour justifier le rejet de la demande de déduction. Après avoir plaidé tous les autres moyens subsidiaires justifiant le rejet de la demande de déduction pour pertes, le ministre a plaidé subsidiairement que l'opération constituait une opération d'évitement au sens de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu, la soi-disant “ disposition générale anti-évitement ” (la “ DGAÉ ”). Les parties s'entendent sur le fait que la DGAÉ a été appliquée lors du calcul de la cotisation et que les conséquences fiscales de son application ont été déterminées au moyen d'un avis de nouvelle cotisation. J'ai expressément soulevé ce point avec l'avocat concerné parce qu'il est clair que, à la lumière du paragraphe 245(7), à moins qu'elle ne soit appliquée au moyen d'une cotisation, la DGAÉ ne peut être invoquée dans le cadre d'un appel devant la présente cour dans une situation comme celle en l'espèce; elle ne saurait justifier une cotisation établie en-dehors de son application.

[4] Ce qui importe ici, c'est qu'il a été admis que les cotisations en cause découlent de l'application de la DGAÉ, même si le ministre fait valoir un certain nombre d'arguments ou d' “ hypothèses” indépendants de la DGAÉ pour justifier la cotisation qu'il a préparée.

[5] L'appelant a fait valoir un certain nombre de faits et d'arguments au soutien de sa position sur la déduction des pertes. De plus, le paragraphe 38 de l'avis d'appel modifié se lit comme suit :

[TRADUCTION]

L'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu contrevient à l'article 7 de la Charte et le respect de la primauté du droit n'est pas assuré par application de l'article 1 de la Charte, de sorte que la disposition attaquée est inopérante en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[6] La question de la validité constitutionnelle de l'article 245 est donc très clairement soulevée.

[7] Le 22 février 2000, l'avocat de l'appelant a déposé un avis de requête rédigé comme suit :

[TRADUCTION]

PRENEZ AVIS QUE le requérant présentera une requête au tribunal le 13 avril 2000 à 10 h, ou dès qu'une telle requête pourra être entendue par la suite, au 200, rue Kent, 2e étage, Ottawa (Ontario).

LA REQUÊTE vise à trancher, conformément à l'article 58(1) des Règles de la cour canadienne de l'impôt, la question de droit suivante :

Est-ce que les dispositions de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, chap.1, avec ses modifications, sont d'une imprécision inacceptable et sont inopérantes parce que contraires aux exigences de fond de la primauté du droit, et inopérantes en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 parce que contrevenant à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ?

Le requérant a fait signifier un avis portant sur une question constitutionnelle, avis qui est déposé au présent dossier, au procureur général du Canada et au procureur général de chacune des provinces, ainsi que le requiert le paragraphe 57(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, avec ses modifications.

Les motifs invoqués à l'appui de la requête sont que la question de la validité de l'article 245 est uniquement une question de droit, qui peut être tranchée sans présentation de preuve et que, si cette question est tranchée en faveur de l'appelant, la décision ainsi rendue aura pour effet :

a) soit d'invalider les nouvelles cotisations portées en appel et de statuer sur les procédures en cours sans qu'un procès ne soit nécessaire;

b) soit d'éliminer une question essentielle dont est saisie la Cour et, par conséquent, d'éliminer la nécessité de procéder à l'audition de l'appel ou de raccourcir cette audition de façon importante.

[8] La cause a été inscrite pour être entendue à Ottawa le 13 avril 2000.

[9] Le 23 février 2000, l'avocat de l'intimée a présenté une requête rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

LA PRÉSENTE REQUÊTE vise à :

a) obtenir des directives en vertu de l'article 4(2) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) selon lesquelles la requête de l'appelant, qui, fondée sur l'alinéa 58(1)a) des Règles de procédure générale, demande au tribunal de déclarer que l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu est vague d'une façon qui enfreint la constitution, et qui doit être entendue par la Cour le 13 avril 2000 au 200, rue Kent, 2e étage, à Ottawa, doit être entendue et tranchée en deux étapes, la première visant à déterminer si la question soulevée par la requête de l'appelant peut être tranchée conformément à l'alinéa 58(1)a), et, si la Cour conclut dans l'affirmative, la deuxième visant à décider si l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu est vague d'une façon qui enfreint la constitution, la première étape devant faire l'objet d'une audition et d'une décision à la date et au lieu que fixera la Cour, mais, quoi qu'il en soit, avant le 13 avril 2000, ou, subsidiairement;

b) autoriser l'intimée à produire une preuve quant aux faits législatifs relatifs à l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu lors de l'audition de la requête de l'appelant, le 13 avril 2000.

LES MOTIFS À L'APPUI DE LA REQUÊTE SONT LES SUIVANTS :

a) une décision sur la question d'ordre constitutionnel que l'appelant veut faire trancher exigerait la présentation d'une preuve fouillée, longue et coûteuse quant aux faits en litige et aux faits législatifs concernés, ce qui pourrait devenir superflu si la Cour décidait d'entendre et de trancher la question de savoir si l'objet de la requête de l'appelant peut être tranché sur une requête présentée en vertu de l'alinéa 58(1)a), avant que ne soit entendue et tranchée la question d'ordre constitutionnel soulevée par la requête de l'appelant, et, subsidiairement,

b) la question d'ordre constitutionnel que soulève la requête de l'appelant nécessite, pour être tranchée, la présentation d'une preuve fouillée quant aux faits législatifs se rapportant à l'objet de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu et à ses conséquences.

[10] Les présents motifs se rapportent à la seconde requête, qui a été plaidée à Vancouver le 6 mars 2000.

[11] Voici le texte de l'article 58 :

58. (1) Une partie peut demander à la Cour,

a) soit de se prononcer, avant l'audience, sur une question de droit soulevée dans une instance si la décision pourrait régler l'instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement l'audience ou résulter en une économie substantielle des frais;

b) soit de radier un acte de procédure au motif qu'il ne révèle aucun moyen raisonnable d'appel ou de contestation de l'appel,

et la Cour peut rendre jugement en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible à l'égard d'une demande,

a) présentée en vertu de l'alinéa (1)a), sauf avec l'autorisation de la Cour ou le consentement des parties;

b) présentée en vertu de l'alinéa (1)b).

(3) L'intimée peut demander à la Cour le rejet d'un appel au motif que,

a) la Cour n'a pas compétence sur l'objet de l'appel;

b) une condition préalable pour interjeter appel n'a pas été satisfaite;

c) l'appelant n'a pas la capacité légale d'intenter ou de continuer l'instance, et la Cour peut rendre jugement en conséquence.

[12] Je conviens, avec l'avocat de l'intimée, qu'une demande de précisions sur une question présentée en vertu de l'article 58 comporte un examen en deux étapes : au départ, il faut décider si la question posée est susceptible d'être tranchée en vertu de l'article 58 et, dans l'affirmative, il faut entendre les arguments et trancher la question. Cela semble aller de soi.

[13] L'avocat de l'intimée soutient que la question d'ordre constitutionnel ne devrait pas être traitée comme une question préliminaire en vertu de l'article 58. Selon lui, la preuve devrait être intégralement présentée, ce qui pourrait prendre plus de deux semaines; devraient également être présentés tous les moyens, autres que ceux reliés à la DGAÉ, qui se rapportent à l'exactitude des cotisations effectuées; ensuite, dans le cas seulement où il est décidé que les cotisations ne peuvent être confirmées sans la DGAÉ, la question d'ordre constitutionnel devrait être plaidée.

[14] Il soutient de plus que l'utilisation de l'article 58 pour trancher une question d'ordre constitutionnel exige la présentation d'une preuve et que l'article 58 ne permet de présenter de preuve qu'avec la permission de la Cour ou le consentement de toutes les parties.

[15] Il est exact que, dans nombre d'affaires, la contestation de la constitutionnalité de dispositions législatives peut exiger la présentation d'une preuve des conséquences possibles des dispositions attaquées sur des personnes ou des catégories de personnes. Ce n'est cependant pas toujours le cas.

[16] Il faut faire une distinction entre les faits en litige et les faits législatifs. Dans l'affaire Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, le juge Sopinka écrit, aux pages 1099 à 1101 :

Il est nécessaire d'établir au départ une distinction entre deux catégories de faits dans un litige constitutionnel : [TRADUCTION] “ les faits en litige ” et [TRADUCTION] “ les faits législatifs ”. Ces expressions proviennent de l'ouvrage de Davis, Administrative Law Treatise (1958), vol. 2, par. 15.03, à la p. 353. (Voir également Morgan, “ Proof of Facts in Charter Litigation ”, dans Sharpe, ed., Charter Litigation (1987).) Les faits en litige sont ceux qui concernent les parties au litige : pour reprendre les termes de Davis [TRADUCTION] “ qui a fait quoi, où, quand, comment et dans quelle intention... ” Ces faits sont précis et doivent être établis par des éléments de preuve recevables. Les faits législatifs sont ceux qui établissent l'objet et l'historique de la loi, y compris son contexte social, économique et culturel. Ces faits sont de nature plus générale et les conditions de leur recevabilité sont moins sévères : par exemple, voir Renvoi : Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, le juge en chef Laskin, à la p. 391; Renvoi : Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714, le juge Dickson (plus tard Juge en chef), à la p. 723; et Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, le juge McIntyre, à la p. 318.

En l'espèce, l'appelant prétend qu'on devrait lui permettre de présenter sa requête en vertu de la règle 14.05(3)h) même en l'absence totale de faits en litige et, en outre, qu'il suffit de présenter dans sa plaidoirie (mais sans en faire la preuve par affidavit ou autrement) les “ faits ” législatifs, sous forme d'ouvrages et de documentation savante concernant la notion d'indépendance du barreau et l'historique législatif des règles contestées. À mon avis, l'appelant en l'espèce n'a pas le droit de présenter la requête dans sa forme actuelle.

Entre la date de l'autorisation de pourvoi et son audition, notre Cour a entendu et décidé le pourvoi “MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, concernant une action en jugement déclaratoire portant que certaines dispositions de la Loi sur le financement des campagnes électorales, L.M. 1982-83-84, ch. 45, violaient la garantie de la liberté d'expression prévue à l'al. 2b) de la Charte. Le juge Cory, au nom de la Cour unanime, affirme, aux pp. 361 et 362 :

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n'est pas, comme l'a dit l'intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte [...] Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.

Plus loin, le juge Cory affirme, à la p. 366 :

Un contexte factuel est d'une importance fondamentale dans le présent pourvoi. On ne prétend pas que c'est l'objet visé par la loi qui viole la Charte, mais ses conséquences. Si les conséquences préjudiciables ne sont pas établies, il ne peut y avoir de violation de la Charte ni même de cause. Le fondement factuel n'est donc pas une simple formalité qui peut être ignorée et, bien au contraire, son absence est fatale à la thèse présentée par les appelants.

Cela ne veut pas dire que de tels faits doivent être établis dans toutes les contestations fondées sur la Charte. Chaque instance doit être examinée en regard de ses propres faits (ou absence de faits). Comme le juge Beetz l'a souligné dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, à la p. 133 :

Il peut exister des cas rares où la question de la constitutionnalité se présente sous la forme d'une question de droit purement et simplement, laquelle peut être définitivement tranchée par un juge saisi d'une requête. Un exemple théorique qui vient à l'esprit est la situation où le Parlement ou une législature prétendrait adopter une loi imposant les croyances d'une religion d'État. Pareille loi enfreindrait l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés, ne pourrait possiblement pas être justifiée par l'article premier de celle-ci et courrait peut-être le risque d'être frappée d'illégalité sur-le-champ : voir Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66, à la p. 88. Or, il va sans dire qu'il s'agit là de cas exceptionnels. [Je souligne.]

Dans le cas hypothétique présenté par le juge Beetz, l'objet inconstitutionnel de la loi ressort clairement du texte même de la loi et n'exige aucune preuve extrinsèque. Il est évident qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un de ces cas exceptionnels. En général, toute contestation relative à la Charte fondée sur la prétention que les effets de la loi visée sont inconstitutionnels doit être appuyée par une preuve recevable concernant les effets contestés. En l'absence de telle preuve, les tribunaux auraient à se prononcer dans le vide ce qui est tout aussi difficile en matière constitutionnelle que dans la nature. Comme Morgan le dit, op. cit., à la p. 162 : [TRADUCTION] “ ... le processus du litige constitutionnel demeure fermement ancré à la discipline de la méthodologie de common law. ”

On ne peut donc distinguer le présent litige de l'affaire MacKay, et, avec égards, je ferais miennes et j'appliquerais les remarques du juge Cory dans cet arrêt. L'appelant veut contester les règles en raison des effets qu'elles auraient sur la profession juridique en Ontario. À mon avis, il serait difficile sinon impossible au juge saisi de la motion d'apprécier le bien-fondé de la requête de l'appelant selon la règle 14.05(3)h) sans preuve de ces effets par l'apport de faits en litige (c'est-à-dire des cas réels d'utilisation ou de menaces d'utilisation des règles contestées) et de faits législatifs (c'est-à-dire l'objet et l'historique des règles contestées ainsi que la perception qu'en ont les membres de la profession).

[17] L'avocat de l'appelant a indiqué ne pas avoir l'intention de présenter de faits en litige semblables à ceux qui ont été considérés nécessaires dans les causes Danson ou MacKay. Il soutient que l'inconstitutionnalité de l'article 245 apparaît clairement à sa lecture et qu'aucune preuve supplémentaire n'est requise. Il n'allègue aucune conséquence inconstitutionnelle touchant l'appelant, ou une catégorie donnée de personnes, et nécessitant le dépôt d'une preuve. Il soutient que la disposition législative concernée est d'une imprécision inacceptable et que, par conséquent, elle est contraire aux exigences de fond de la primauté du droit et contrevient à l'article 7 de la Charte. L'avocat de l'appelant soutient que, dans un tel cas, aucune preuve n'est requise. Il s'agit là de la façon dont il choisit de formuler sa contestation de la loi et ce n'est pas à la Cour (ni à la Couronne) de dire à l'appelant comment présenter sa cause. À mon avis, il serait tout aussi mal venu d'imposer des obstacles procéduraux à un citoyen qui essaie d'invoquer la loi suprême de notre pays.

[18] Je considère que la question soulevée en l'espèce et portant sur la constitutionnalité de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu est tout à fait susceptible d'être tranchée en vertu de l'article 58 des Règles. Plusieurs raisons m'y incitent.

[19] Bien que, dans l'ensemble de la présente instance, plusieurs faits soient contestés à la fois en ce qui a trait à la question de la DGAÉ, et en ce qui à trait aux autres questions soulevées, aucun fait en litige n'est pertinent à la contestation de la constitutionnalité de l'article 245 telle qu'elle a été formulée par l'appelant. La question en litige diffère donc substantiellement de celle soulevée dans l'affaire Carma Developers Ltd. c. La Reine, C.C.I. no 95-2100(IT)G, 19 décembre 1995 (96 D.T.C. 1803), où plusieurs des faits nécessaires pour statuer sur la question soulevée par l'appelant en vertu de l'article 58 des Règles étaient contestés par les parties.

[20] La constitutionnalité de l'article 245 est une question de droit séparée et distincte qui peut être tranchée sans se rapporter aux autres faits en litige dans le présent appel. S'il est décidé que l'article 245 est inconstitutionnel, plusieurs des faits qu'avanceraient les parties en faveur ou à l'encontre de son application dans la présente affaire perdraient leur pertinence. S'il est décidé que cet article est conforme à la Constitution, le procès peut être poursuivi en tenant pour acquis que l'article 245 est valide, sans qu'une incertitude constitutionnelle ne plane sur l'instance.

[21] Il s'agit précisément du genre de question qui doit être tranchée en vertu de l'article 58 des Règles. S'il y avait tenue d'un long procès, dont une partie au moins serait consacrée à prouver ou à réfuter des faits pertinents uniquement à l'application d'un article qui pourrait se révéler inopérant, il y aurait perte de temps.

[22] Je conviens que si le procès se déroule sans que la question d'ordre constitutionnel n'ait été tranchée de façon préliminaire, il se pourrait qu'il devienne inutile de trancher cette question : les autres moyens soulevés pour justifier la cotisation pourraient être acceptés ou, dans le cas contraire, il pourrait être décidé que la DGAÉ ne s'applique pas de toute manière.

[23] S'il est possible que le juge qui entendra l'appel conclue à l'inutilité de trancher la question d'ordre constitutionnel, cette possibilité ne justifie pas le tribunal de refuser de trancher la question maintenant. Cette question a été soulevée par un contribuable canadien à l'encontre duquel l'article 245 a été appliqué, et elle mérite une réponse. Si nous devions refuser de nous pencher sur la constitutionnalité de l'article 245, il se pourrait que cette question ne soit pas soulevée avant encore plusieurs années. Il serait malheureux que le tribunal évite la question et que le ministre du Revenu national continue d'appliquer une disposition qui soit finalement jugée inopérante.

[24] Je ne me propose pas de traiter d'un grand nombre des décisions auxquelles l'avocat a fait référence, tant dans son argumentation sur la requête que dans la correspondance qui a suivi, décisions au nombre desquelles figurent Canadian Bar Assn. British Columbia Branch v. British Columbia, [1993] B.C.J. 407, Johnson v. BC (Securities Commission), [1999] B.C.J. 552, Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, et R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606. Ces décisions et beaucoup d'autres seront indubitablement soulevées lors de l'audition de l'argumentation des parties sur la question. La présente décision ne porte que sur l'opportunité de trancher la question en vertu de l'article 58. Je ne propose pas de porter un jugement anticipé sur le fond de la cause. Il serait plutôt ironique que j'accueille l'argument de l'intimée voulant qu'il ne soit pas opportun de trancher la question d'ordre constitutionnel en vertu de l'article 58, mais que je me prononce sur le fond de la question en m'appuyant sur les décisions invoquées dans le cadre d'une requête sollicitant des directives.

[25] Quant aux faits législatifs, ils peuvent toujours être présentés en preuve et je suis entièrement disposé à accueillir la demande de l'avocat de l'intimée qu'il soit autorisé à présenter une preuve de faits législatifs qu'il juge adéquate. Il en va de même pour l'appelant.

[26] Me Chambers a également demandé la permission de procéder à un interrogatoire préalable de l'appelant. Il n'a pas besoin de ma permission pour le faire. Les Règles lui permettent de signifier une date d'interrogatoire préalable à l'appelant.

[27] La question a été inscrite pour être entendue le 13 avril 2000. Me Chambers soutient avoir besoin de plus de temps pour rassembler la volumineuse preuve des faits législatifs qu'il entend déposer. L'avocat de l'intimée indique que ces documents ont déjà été rassemblés pour une cause semblable qui s'est déroulée en Colombie-Britannique. Je ne me permettrai pas de remettre en question le jugement de Me Chambers, un avocat senior et expérimenté. S'il pense avoir besoin de plus de temps, je le lui donne. Les parties devraient communiquer avec le greffe pour convenir d'une date, en juin, qui leur sera mutuellement acceptable.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mars 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour de septembre 2000.

Benoît Charron, réviseur

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