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Date: 20000726

Dossier: 97-3629-IT-G

ENTRE :

STANLEY TRZOP,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Les appels en instance se rapportent à de nouvelles cotisations établies pour les années d'imposition 1977 et 1980 relativement aux obligations de l'appelant aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). Les nouvelles cotisations en cause ont été établies par le ministre du Revenu national (le ministre) en application d'un arrêt de la Cour suprême du Canada. Cet arrêt était l'aboutissement de quelque dix années de procédures judiciaires ayant commencé devant la Cour canadienne de l'impôt, sur la question de l'interprétation de l'alinéa 20(14)b) de la Loi. Les motifs du jugement unanime de la Cour suprême ont été prononcés par M. le Juge Iacobucci, et sont rapportés dans l'arrêt Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312.

les faits

[2] Le 1er mars 1975, l'appelant et Boris Antosko ont conclu un contrat avec la Commission des finances industrielles du Nouveau-Brunswick (la commission). Ils devaient prendre en charge l'exploitation d'une compagnie de fabrication qui était au bord de la faillite et la remettre sur les rails. Les principales modalités de l'entente sont exposées au paragraphe 4 des motifs du juge Iacobucci :

4. Le 1er mars 1975, la commission a conclu avec les appelants Antosko et Trzop une entente en vertu de laquelle ces derniers acquéraient, pour la somme de 1 $, la totalité des actions ordinaires détenues par la commission dans la compagnie. La commission s'est également engagée à faire en sorte que la compagnie soit dépourvue de toute dette, à l'exception de la somme de 5 millions de dollars due à la commission, plus l'intérêt accumulé, et à retarder le remboursement de la dette et de l'intérêt en question pendant deux ans. En échange, les appelants promettaient d'exploiter la compagnie pendant la période en cause d'une manière convenable et sérieuse. La commission a consenti à vendre aux appelants, à l'expiration de la période de deux ans et si toutes les conditions étaient remplies, la dette de 5 millions de dollars plus l'intérêt accumulé, pour la somme de 10 $.

Afin d'assurer la rentabilité de la compagnie, M. Antosko a consacré tout son temps et toutes ses énergies, durant la période de deux ans prévue, au volet fabrication de l'entreprise, et l'appelant a consacré une grande partie, mais non la totalité, de son temps au volet commercial. M. Antosko n'avait aucune autre source de revenu et il avait besoin de toucher un salaire de la compagnie pour subvenir aux besoins de sa famille. M. Trzop, pour sa part, possédait déjà - avant de faire l'acquisition de la compagnie - plusieurs entreprises desquelles il tirait un revenu, de sorte qu'il était en mesure, en consacrant une grande partie de son temps à l'entreprise de la compagnie, et le reste à l'une de ses autres entreprises, de subvenir aux besoins de sa famille sans recevoir de salaire de la compagnie. M. Antosko et M. Trzop se sont donc entendus pour que, pendant les deux années prévues, M. Trzop s'occupe du secteur commercial de la compagnie sans être rémunéré.

[3] La suite des événements est décrite par le juge Iacobucci aux paragraphes 5, 6 et 7 :

5. À la suite de la signature de l'entente décrite ci-dessus, les appelants ont changé le nom de la compagnie pour l'appeler Resort Estates Limited. En 1976, les obligations de la commission sont passées à la province du Nouveau-Brunswick, représentée par le ministre du Commerce et du Développement. L'entente est toutefois demeurée inchangée. Les appelants s'étant acquittés des obligations qui leur incombaient en vertu de l'entente, la commission leur a vendu, le 6 juillet 1977, la dette totale de la compagnie. Le ministre du Commerce et du Développement a cédé aux appelants la débenture, les billets à ordre, l'hypothèque immobilière et l'hypothèque mobilière qui avaient été consentis en garantie de la dette de la compagnie envers la commission.

6. L'intérêt sur la débenture émise par la compagnie afin de garantir la somme de 3,375 millions de dollars que la commission a versée à la banque pour honorer sa garantie de l'emprunt a été traité comme s'accumulant quotidiennement au taux annuel de 11,5 % à compter de la date à laquelle la banque a été remboursée. L'intérêt sur les quatre billets à ordre s'est également accumulé quotidiennement. Au cours de l'année d'imposition 1977, les appelants ont tous deux reçu 38 335 $ de la compagnie en paiement partiel de l'intérêt qui s'était accumulé sur la dette totale avant le transfert. Les appelants ont inclus cet intérêt dans leur revenu conformément à l'al. 12(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, pour ensuite le déduire conformément à l'al. 20(14)b). Au cours de l'année d'imposition 1980, l'appelant Trzop a reçu 283 363 $ de la compagnie encore une fois à titre de paiement partiel de l'intérêt. Cette somme a également été incluse dans son revenu, puis déduite.

7. Le ministre du Revenu national a refusé les déductions. Les appelants en ont appelé avec succès de ces refus à la Cour canadienne de l'impôt. La Cour fédérale, Section de première instance, a accueilli l'appel du ministre intimé, puis la Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel des appelants, de sorte que les déductions ont été refusées. Les appelants se pourvoient maintenant devant notre Cour contre la décision de la Cour d'appel fédérale.

[4] Les appelants ont obtenu gain de cause dans le cadre de leur pourvoi devant la Cour suprême. Devant chaque tribunal d'appel, le ministre a soutenu que le paragraphe 20(14)[1] de la Loi avait été adopté pour que, dans les cas où il y a transfert d'une créance entre les dates de paiement de l'intérêt, et que l'intérêt accumulé avant et après la date du transfert est par la suite versé au bénéficiaire du transfert, l'impôt sur l'intérêt accumulé avant la date du transfert soit payable, non pas par le bénéficiaire du transfert, mais par l'auteur de celui-ci. Pour ce faire, l'auteur du transfert doit inclure l'intérêt accumulé avant la date du transfert aux termes de l'alinéa 20(14)a), et le bénéficiaire du transfert, la totalité de l'intérêt reçu aux termes de l'alinéa 12(1)c); le bénéficiaire du transfert peut toutefois déduire, dans le calcul de son revenu, un montant égal au montant que l'auteur du transfert a inclus dans son revenu aux termes de l'alinéa 20(14)b) au titre de l'intérêt accumulé avant la date du transfert.

[5] En l'espèce, l'auteur du transfert était Sa majesté la Reine du chef de la province du Nouveau-Brunswick, laquelle n'est pas assujettie à l'impôt. La Couronne a fait valoir que, puisque l'auteur du transfert ne pouvait être tenu de payer de l'impôt sur l'intérêt accumulé avant le transfert, M. Antosko et M. Trzop ne pouvaient pas se prévaloir des déductions compensatoires prévues à l'alinéa 20(14)b). Leur thèse, qui l'a finalement emporté, était qu'en vertu des termes clairs et nets de l'alinéa 20(14)b) ils avaient droit à la déduction, que l'auteur du transfert soit ou non assujetti à l'impôt sur le montant correspondant. Les motifs de la Cour suprême se terminent par les deux paragraphes suivants :

VI. Conclusion et dispositif

51. Les appelants peuvent déduire l'intérêt accumulé avant le transfert et payable par la suite. L'opération intervenue entre eux et la commission satisfait aux exigences du par. 20(14). L'intérêt qui s'est accumulé pendant la période où le remboursement de la dette était suspendu n'est devenu payable qu'après le transfert. Les parties conviennent toutefois que ce résultat peut avoir d'autres conséquences fiscales pour les appelants, comme un gain en capital imposable conformément au par. 40(3). À cet égard, ces conséquences et toutes les autres possibles peuvent être prises en considération par l'intimée dans l'établissement d'une nouvelle cotisation.

52. Les pourvois sont par conséquent accueillis, l'arrêt de la Cour d'appel fédérale est infirmé et les affaires sont renvoyées au Ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisation conformément aux présents motifs. Les appelants ont droit à leurs dépens dans toutes les cours.

[6] C'est l'application de cet arrêt qui est à l'origine des appels en instance. Manifestement, le ministre avait l'obligation, à la suite du jugement, d'établir une nouvelle cotisation à l'égard des appelants “ conformément aux présents motifs ” [2]. Le ministre prétend s'être conformé à cette directive; l'appelant soutient le contraire.

les dispositions législatives

[7] Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent dans le cadre de l'examen des nouvelles cotisations visées par l'appel :

20(1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

20(14) Lorsque, en raison d'une cession ou autre transfert d'une créance, à l'exception d'une obligation à intérêt conditionnel, d'une obligation pour le développement de la petite entreprise et d'une obligation pour la petite entreprise, le bénéficiaire du transfert a obtenu, pour une période commençant avant le moment du transfert et se terminant à ce moment, le droit à un montant d'intérêt qui s'est accumulé pendant cette période et qui n'est payable qu'après le moment du transfert, ce montant :

a) est inclus, à titre d'intérêt, dans le calcul du revenu de l'auteur du transfert pour son année d'imposition dans laquelle le transfert survient, sauf dans la mesure où il a été inclus dans le calcul de son revenu, pour l'année d'imposition ou une année d'imposition antérieure;

b) est déductible dans le calcul du revenu du bénéficiaire pour une année d'imposition, dans la mesure où il a été inclus à titre d'intérêt dans le calcul de son revenu pour l'année.

[...]

40(3) Lorsque :

a) le total des montants qui, en vertu du paragraphe 53(2) (sauf l'alinéa 53(2)c)), doivent être retranchés dans le calcul du prix de base rajusté d'un bien, pour le contribuable, à un moment donné d'une année d'imposition,

dépasse

b) le total des éléments suivants :

(i) le coût de ce bien, pour le contribuable, déterminé pour le calcul du prix de base rajusté du bien, pour lui , à ce moment,

(ii) les sommes qui, en vertu du paragraphe 53(1), doivent à ce moment être ajoutées au coût du bien, pour le contribuable, dans le calcul du prix de base rajusté du bien, pour le contribuable,

les présomptions suivantes s'appliquent :

c) [non pertinent], l'excédent est réputé être un gain du contribuable pour l'année tiré de la disposition du bien à ce moment;

[...]

53(2) Dans le calcul du prix de base ajusté du bien, pour un contribuable, à un moment donné, doivent être déduits, au titre du bien, ceux des montants suivants qui sont appropriés :

[...]

l) lorsque le bien est une créance, tout montant déductible en vertu du paragraphe 20(14) dans le calcul du revenu du contribuable pour toute année d'imposition commençant avant ce moment à l'égard des intérêts sur celle-ci;

[...]

164(4.1)Lorsque la Cour canadienne de l'impôt, la Cour d'appel fédérale ou la Cour suprême du Canada, en se prononçant sur un appel concernant des impôts, intérêts ou pénalités payables par un contribuable résidant au Canada en vertu de la présente loi, ordonne :

a) soit le renvoi d'une cotisation au ministre pour réexamen et pour établissement d'une nouvelle cotisation;

b) soit la modification ou l'annulation d'une cotisation,

le ministre, avec diligence, qu'un appel de la décision de la cour ait été ou puisse être interjeté ou non :

c) d'une part, réexamine la cotisation et en établit une nouvelle conformément à la décision de la cour, sauf instruction écrite contraire du contribuable, dans le cas du renvoi d'une cotisation au ministre;

d) d'autre part, rembourse tout paiement en trop qui découle de la modification ou de l'annulation d'une cotisation, ou de l'établissement d'une nouvelle cotisation;

de plus, le ministre peut rembourser tout impôt, tout intérêt ou toute pénalité ou remettre toute garantie qu'il a acceptée, pour ceux-ci, à ce contribuable ou à un autre contribuable qui a fait opposition ou interjeté appel, s'il est convaincu, compte tenu des motifs exposés dans le prononcé sur l'appel, qu'il serait juste et équitable de faire ce remboursement ou cette remise; il est entendu toutefois que le ministre peut en appeler de la décision de la cour conformément aux dispositions de la présente loi, de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, de la Loi sur la Cour fédérale ou de la Loi sur la Cour suprême relatives à l'appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt ou de la Cour fédérale du Canada, malgré la modification ou l'annulation de la cotisation par la cour ou l'établissement d'une nouvelle cotisation par le ministre en vertu de l'alinéa c).

les nouvelles cotisations dont il est interjeté appel

[8] Le 6 novembre 1996, le ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1977 et 1980 aux termes du paragraphe 164(4.1) de la Loi, en application de l'arrêt de la Cour suprême. Pour en arriver à ces nouvelles cotisations, le ministre, ou plutôt ses représentants, a suivi le raisonnement suivant : premièrement, la déduction demandée par l'appelant aux termes de l'alinéa 20(14)b) de la Loi devait être autorisée, en conformité avec l'arrêt de la Cour suprême; deuxièmement, il était nécessaire, aux termes de l'alinéa 53(2)l) de la Loi de retrancher du prix de base rajusté des débentures, pour le contribuable, un montant égal au montant qui, la Cour suprême du Canada avait-elle statué, était déductible dans le calcul du revenu de l'appelant aux termes de l'alinéa 20(14)b); troisièmement, une fois effectuée la déduction prévue à l'alinéa 20(14)b) qui, croyait-elle, était le paiement de 10 $, le prix de base rajusté était devenu un montant négatif; quatrièmement, aux termes du paragraphe 40(3) de la Loi, le prix de base rajusté négatif est réputé être un gain résultant de la disposition du bien (la débenture) par le contribuable à ce moment-là. Ce raisonnement a donné lieu à l'établissement d'une cotisation dans laquelle le ministre a accordé à l'appelant la déduction prévue au paragraphe 20(14) de la Loi qu'il demandait depuis le début, mais a conséquemment assujetti à l'impôt le gain présumé résultant de la disposition présumée du bien aux termes du paragraphe 40(3) de la Loi.

l'effet du délai

[9] L'appelant conteste le droit du ministre de prendre en considération et d'appliquer le paragraphe 40(3) à ce stade de la procédure en faisant valoir qu'elle se trouve ainsi à invoquer un nouveau fondement pour établir la cotisation, alors que la période normalement allouée pour établir une nouvelle cotisation est expirée depuis longtemps et que les questions ont été tranchées par la Cour suprême du Canada. Avant de me pencher sur cette prétention, toutefois, j'examinerai l'un des arguments de l'avocat de l'appelant selon lequel les cotisations devraient être annulées, qu'elles soient fondées ou non, pour le simple motif qu'un délai déraisonnable s'est écoulé depuis que les cotisations initiales ont été établies en 1978 et en 1981 et que la Cour suprême s'est prononcée sur les questions en 1994. À l'appui de son argument, Me Mockler a invoqué la décision rendue par le juge en chef adjoint Christie, de la Cour canadienne de l'impôt, dans l'affaire Ginsberg c. La Reine[3] ainsi que l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[10] L'appelant fait fausse route en s'appuyant sur l'affaire Ginsberg. Dans cette affaire, le juge en chef adjoint Christie a admis l'appel et a annulé la cotisation pour le motif que le ministre avait fait défaut de se conformer à la directive réglementaire énoncée au paragraphe 152(1), soit d'établir la cotisation à l'égard du contribuable avec diligence, et n'avait pas produit de preuve suffisante pour justifier le retard. L'avocat de l'appelant a raison de dire que les mêmes principes s'appliquent en l'espèce. Cependant, la décision du juge en chef adjoint Christie de la Cour a ultérieurement été annulée par la Cour d'appel fédérale[4]. Cette dernière n'a pas tenu compte du délai qui s'était écoulé entre le moment où l'appelant avait produit sa déclaration de revenu et celui où le ministre avait établi la cotisation initiale. Elle a plutôt statué que, même si le délai était déraisonnable, l'appelant ne pouvait pas obtenir l'annulation de la cotisation. Quoique le ministre ait le devoir légal d'établir la cotisation “ avec toute la diligence possible ”, un manquement à cet égard ne le prive pas de son pouvoir d'établir une cotisation, laquelle est valide et exécutoire du fait des dispositions du paragraphe 152(8). En outre, le défaut d'établir une cotisation n'a pas d'incidence sur les responsabilités du contribuable. En conséquence, une cotisation ne peut être annulée pour le simple motif qu'elle n'a pas été établie “ avec toute le diligence possible ”. Ce moyen d'appel est sans fondement.

[11] De même, l'article 7 de la Charte n'est d'aucun secours à l'appelant. Cet article est ainsi libellé :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[12] L'avocat de l'appelant a fait référence à l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Blencoe v. British Columbia (Human Rights Commission)[5]. Dans cette affaire, la cour a statué que l'article 7 de la Charte justifiait qu'il soit mis fin à une enquête sur une plainte de harcèlement sexuel qui avait été formulée contre l'appelant. Me Mockler a soutenu que l'affaire appuie la notion selon laquelle :

[TRADUCTION]

[...] l'art. 7 protège un citoyen contre une poursuite de durée illimitée intentée par le gouvernement. Une telle poursuite porte atteinte à la sécurité de la personne[6].

Il n'existe aucune similarité, sur le plan des principes, entre la présente affaire et l'affaire Blencoe. L'appelant ne fait l'objet d'aucune enquête. Sa plainte à cet égard tient uniquement au fait qu'il a fallu près de 13 années, dans le cadre d'appels des premières nouvelles cotisations portés devant quatre instances différentes, pour régler la question de fond ayant donné lieu à l'établissement des nouvelles cotisations. Celles-ci n'étaient pas l'aboutissement d'une longue recherche des faits; il n'y avait qu'une question sur laquelle les parties divergeaient de vues, et c'était simplement l'interprétation d'un article de la Loi. Je n'ai pas l'intention de relater la genèse du litige. Il me suffit de dire que l'appelant pouvait se prévaloir de certaines procédures qui auraient permis de réduire les délais au minimum, s'il avait choisi de les invoquer. Dans le même ordre d'idées, même si le ministre a tardé à établir les nouvelles cotisations après l'arrêt de la Cour suprême, et qu'il a également tardé à ratifier les cotisations après que l'appelant s'y fut opposé, ce délai était attribuable, en partie du moins, à la correspondance échangée avec l'avocat quant au bien-fondé des nouvelles cotisations. À n'importe quel moment, l'appelant aurait pu insister pour obtenir les nouvelles cotisations afin de pouvoir interjeter appel. En outre, après le dépôt des avis d'opposition, le délai d'attente n'était que de 90 jours pour interjeter appel devant la Cour. L'appelant a préféré attendre que les cotisations soient ratifiées, ce qui a pris plus de sept mois. Ces faits diffèrent à tous égards des faits de l'affaire Blencoe, dans laquelle l'enquête sur une plainte très grave semblait ne jamais vouloir aboutir et avait un effet néfaste sur la vie et le bien-être de M. Blencoe et de sa famille. Dans cette affaire, le juge en chambre a fait une constatation de fait particulière, à savoir que la tache associée à la plainte était l'une des principales causes de la dépression clinique pour laquelle l'appelant avait dû être traité.

[13] Cependant, il existe une raison plus fondamentale encore pour laquelle l'article 7 ne peut être d'aucun secours à l'appelant en l'espèce. L'opinion acceptée concernant l'article 7 de la Charte est que la protection accordée n'englobe pas la protection des droits purement économiques : voir l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général)[7], motifs prononcés par le juge en chef Dickson, à la page 1003. Il n'y a aucun doute dans mon esprit que le litige interminable, ainsi que l'établissement des nouvelles cotisations qui, aux dires de l'appelant, ne donnent pas effet à tous égards au jugement prononcé en sa faveur par la Cour suprême, ont été pour lui une source importante de frustration et d'exaspération. Cependant, les droits qui sont en jeu en l'espèce sont des droits purement pécuniaires et ils ne relèvent donc pas de la portée de l'article 7. Ce moyen d'appel est lui aussi sans fondement.

la question de fond

[14] J'en viens maintenant au motif fondamental pour lequel l'appelant s'oppose aux nouvelles cotisations. Si j'ai bien compris l'argument qui m'a été présenté, il existe une similitude entre les nouvelles cotisations en cause en l'espèce et les affaires dans lesquelles le ministre a essayé de confirmer les cotisations établies en invoquant un nouveau motif d'imposition, ou a établi de nouvelles cotisations en s'appuyant sur le paragraphe 152(4) de la Loi, après l'expiration de la période normalement allouée pour établir de nouvelles cotisations. À l'appui de sa thèse, l'avocat invoque les arrêts Banque Continentale du Canada c. Canada[8], et Canada c. McLeod[9], les affaires British Columbia Telephone Co. v. M.N.R.[10], et Waxstein v. M.N.R.[11], et l'arrêt Succession Reilly c. La Reine[12].

[15] S'appuyant sur les avis formulés par le Conseil privé dans l'affaire M.N.R. v. Wrights' Canadian Ropes Ltd.[13], l'appelant soutient également que les nouvelles cotisations visées par l'appel, ainsi que l'impôt payable sur le gain présumé résultant de la disposition présumée des débentures, privent l'appelant des fruits de la victoire qu'il a remportée devant la Cour suprême du Canada. Il s'agit là, à mon avis, d'une autre façon de formuler la même opposition. L'appelant soutient essentiellement en l'espèce qu'il a le droit que soient établies à son égard, pour les deux années en question, des cotisations qui lui permettent de déduire l'intérêt accumulé avant le transfert, en application du paragraphe 20(14) de la Loi, mais de se soustraire à l'impôt sur le gain en capital présumé résultant de cette déduction.

[16] Pour les motifs exposés ci-après, je ne partage pas ce point de vue.

[17] Dans l'arrêt Banque Continentale, l'avocat du ministre a essayé, au cours de sa plaidoirie devant la Cour suprême du Canada, de justifier les cotisations visées par l'appel en invoquant une toute nouvelle théorie, qui ne concordait pas avec le fondement sur lequel les cotisations avaient été établies. Dans son argument subsidiaire, il s'est employé à établir que le montant, qui, dans la cotisation initiale, avait été considéré comme un gain de nature commerciale résultant de la vente d'une participation dans une société en commandite, était en réalité le produit de la vente d'éléments d'actifs amortissables donnant lieu à la récupération de la déduction pour amortissement. Ce nouveau fondement a été invoqué alors que le délai normalement alloué pour établir de nouvelles cotisations était expiré, sans que soit établie une nouvelle cotisation, et dans des circonstances où des éléments de preuve auraient certainement été produits sur cette question au procès si le contribuable avait été informé en conséquence. Le principe sur lequel s'appuie l'affaire a été énoncé par le juge McLachlin, à la page 370 :

[...] Le ministre ne saurait être autorisé à avancer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin.

[18] Les arrêts McLeod et British Columbia Telephone Co. ne servent qu'à illustrer le même principe. Les arrêts Waxstein et Succession Reilly constituent des exemples de l'application de la règle législative bien connue voulant que, dans le cas où il établit de nouvelles cotisations fondées sur le paragraphe 152(4) de la Loi après l'expiration de la période normalement allouée à cette fin, le ministre a le fardeau d'établir que le contribuable a fait une présentation erronée. Cette règle ne s'applique pas en l'espèce. La nouvelle cotisation a été établie par le ministre, non pas de sa propre initiative, aux termes du paragraphe 152(4) de la Loi, mais en vertu du paragraphe 164(4.1), afin de donner suite à une directive de la Cour suprême. L'appelant ayant obtenu gain de cause sur la question en litige, il incombait au ministre d'établir les nouvelles cotisations aux termes du paragraphe 164(4.1) de la Loi pour appliquer l'arrêt de la Cour suprême. Pour ce faire, elle doit établir les cotisations qui auraient été établies à l'époque où ont été établies les nouvelles cotisations initiales dont il a été interjeté appel, si le ministre avait interprété correctement le paragraphe 20(14) de la Loi. En l'espèce, le ministre n'a pas cherché à étayer les nouvelles cotisations initiales ni à invoquer un nouveau fondement. Il a simplement calculé le montant de l'impôt payable pour les années en cause en appliquant l'interprétation du paragraphe 20(14) de la Loi que la Cour suprême du Canada a jugée être la bonne interprétation en l'espèce. La présomption d'une disposition et de la réalisation d'un gain par suite de cette disposition est la conséquence logique et inévitable de la victoire remportée par l'appelant sur la question des déductions.

[19] L'avocat de l'appelant a d'ailleurs reconnu cet état de chose dès le mois de mai 1991, au paragraphe 3.13 de l'exposé des faits et du droit qu'il a déposé devant la Cour d'appel fédérale.

[TRADUCTION]

3.13 Cependant, le fait d'accorder la déduction demandée ne signifie pas qu'il n'y aura pas de conséquence fiscale pour l'appelant. Si les garanties en cause sont des biens en capital de M. Trzop et de l'appelant [sic], tout montant déduit en application du paragraphe 20(14) de la Loi de l'impôt sur le revenu serait retranché du prix de base rajusté du bien aux termes de l'alinéa 53(2)1). Cela pourrait donner lieu à un gain en capital.

(Les caractères gras sont de moi.)

La Cour suprême du Canada a également admis cette possibilité dans ses motifs du jugement. Par souci de commodité, je reproduis le paragraphe 51, dans lequel le juge Iacobucci évoque expressément la possibilité que le résultat du jugement de la Cour puisse avoir pour conséquence “ [...] un gain en capital imposable conformément au par. 40(3). ”

51. Les appelants peuvent déduire l'intérêt accumulé avant le transfert et payable par la suite. L'opération intervenue entre eux et la commission satisfait aux exigences du par. 20(14). L'intérêt qui s'est accumulé pendant la période où le remboursement de la dette était suspendu n'est devenu payable qu'après le transfert. Les parties conviennent toutefois que ce résultat peut avoir d'autres conséquences fiscales pour les appelants, comme un gain en capital imposable conformément au par. 40(3). À cet égard, ces conséquences et toutes les autres possibles peuvent être prises en considération par l'intimée dans l'établissement d'une nouvelle cotisation.

(Les caractères gras sont de moi.)

[20] L'avocat de l'appelant, si j'ai bien compris son propos, nie qu'il y avait accord sur ce point devant la Cour suprême, mais c'est pourtant ce qu'il a soutenu devant la Cour d'appel fédérale. À mon avis, c'est ainsi qu'il faut voir les choses. Je doute que la Cour suprême aurait inclus dans son dispositif des pourvois les termes que j'ai soulignés en s'appuyant uniquement sur l'accord en question, si les juges n'avaient pas été d'avis que c'était un énoncé juste de l'effet de leur jugement.

[21] Dans l'affaire Wrights' Ropes, le ministre avait établi une cotisation à l'égard de l'appelante pour trois années d'imposition afin de refuser la déduction d'une grande partie des commissions qu'elle avait payées et dont elle avait demandé la déduction à titre de dépenses, pour le motif qu'il ne s'agissait pas de dépenses raisonnables. La Cour suprême du Canada a statué que les dépenses étaient raisonnables, a admis les pourvois, et a déféré les cotisations au ministre pour “ nouvel examen ” en vertu du paragraphe 65(2) de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu. Dans le cadre d'un second pourvoi, le Conseil privé a confirmé que l'appelante avait droit aux déductions demandées, mais il a statué que la Cour suprême n'aurait pas dû déférer les cotisations au ministre pour nouvel examen aux termes du paragraphe 65(2), car cela permettait uniquement au ministre d'exercer ses pouvoirs discrétionnaires pour trancher à nouveau la question du caractère raisonnable des dépenses en cause, et refuser à nouveau, peut-être, la déduction des mêmes montants ou d'autres montants. Le Comité judiciaire du Conseil privé était d'avis que la Cour suprême aurait plutôt dû déférer les cotisations au ministre en lui donnant pour directive “ de modifier les cotisations en conformité avec les présentes décisions ”. Il convient de noter que, dans ses motifs, Lord Greene a fait allusion au pouvoir inhérent de la Cour de donner cette directive. Le libellé du paragraphe 65(2) de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu n'est pas aussi explicite que celui du paragraphe 164(4.1), qui oblige le ministre à établir la nouvelle cotisation “ conformément à la décision de la cour ”. La décision rendue dans le cadre du pourvoi devant le Conseil privé est exposée dans les deux derniers paragraphes des motifs[14].

[TRADUCTION]

L'ordonnance formelle de la Cour suprême devrait, de l'avis de leurs seigneuries, être modifiée en donnant pour directive que les cotisations soient déférées au ministre (sans mention du paragraphe 65(2)) pour que les chiffres soient modifiés suite à l'accueil du pourvoi de l'intimé devant la Cour suprême.

Pour ces motifs, leurs seigneuries informent humblement Sa Majesté que le pourvoi devrait être rejeté, mais que l'ordonnance de la Cour suprême devrait être modifiée de la manière décrite ci-dessus. L'appelant doit assumer les frais du présent pourvoi. (Nous soulignons.)

[22] Les termes utilisés par Lord Greene que j'ai soulignés sont presque identiques à ceux qu'a utilisés le juge Iacobucci, et le pouvoir inhérent auquel il avait fait allusion précédemment était celui de donner des directives sur la manière d'établir les nouvelles cotisations, ainsi que le fait le paragraphe 164(4.1) de la Loi actuelle. Les cotisations en cause en l'espèce ne privent pas l'appelant des fruits de sa victoire; il s'agit simplement des premières cotisations qui auraient dû être établies à l'égard de l'appelant pour les années en cause.

[23] Avant de délaisser cette question, je devrais formuler des observations sur la preuve documentaire. Deux volumineux cartables contenant en tout 38 documents ont été soumis par l'avocat de l'appelant au début de l'audience et ont été produits en preuve sur le consentement de l'avocat de l'intimée. Ils contenaient entre autres choses la transcription de la plaidoirie présentée devant la Cour suprême du Canada, et une lettre d'opinion que l'avocat de l'appelant a obtenue d'un ancien juge de la Cour suprême du Canada qui est retourné à la pratique privée. Me Mockler m'a invité à tirer des conclusions favorables à son client des questions posées et des observations formulées par les juges de la Cour suprême au cours de la plaidoirie. À mon avis, on aurait tout à fait tort d'attribuer quelque opinion que ce soit à la Cour elle-même ou à l'un ou l'autre de ses juges sur la foi de cette plaidoirie. Les questions que posent les juges au cours de la plaidoirie ne visent pas à exposer leurs vues sur les questions en litige, mais à éprouver les prétentions des avocats. Les propos tenus par un juge, quel qu'il soit, au cours de la plaidoirie, ne devraient pas être considérés comme l'expression de ses vues sur la question que le tribunal doit trancher. Je n'ai pas tenu compte de la transcription. J'ai également fait fi de la lettre d'opinion. Même si elle porte la signature d'une personne en vue, elle contient simplement l'opinion d'un avocat sur le point de droit dont je suis saisi, et il n'y a pas lieu de lui accorder quelque autre importance. C'est une preuve inadmissible.

l'argument subsidiaire de l'appelant

[24] L'avocat de l'appelant a soutenu, subsidiairement, que, si une cotisation d'impôt doit être établie à l'égard de M. Trzop aux termes de l'article 40 de la Loi sur un gain résultant de la disposition des débentures, il faudrait alors inclure dans le prix de base rajusté (PBR) la valeur des deux années de travail non rémunéré qu'il a consacrées à la compagnie. Cet argument ne se trouve dans le mémoire de l'appelant et je crois que c'est, en quelque sorte, un ajout après coup. Il prend sa source dans cette phrase tirée des motifs de la Cour suprême[15] :

De plus, le transfert en question dans le présent pourvoi comportait non seulement le paiement de la somme symbolique de 10 $, mais également l'engagement d'exploiter la compagnie d'une manière convenable et sérieuse.

Ces paroles ont été prononcées en réponse à un argument de l'avocat du ministre voulant que le transfert des débentures ait été effectué sans contrepartie valide. L'engagement d'exploiter la compagnie d'une manière convenable et sérieuse faisait partie de la contrepartie, mais il ne peut être assimilé à une obligation de la part de l'appelant de travailler pendant deux ans sans rémunération. C'est une décision qu'il a prise de sa propre initiative, et le succès de l'entreprise a été sa récompense. Le calcul du PBR d'une garantie est assujetti principalement à l'article 53 de la Loi, dont les termes performatifs sont, en l'espèce, “ un contribuable doit, dans le calcul [...] d'un bien [...] ajouter au coût [...] de ce bien [...] ”. Le reste de la disposition n'est d'aucun secours à l'appelant, de sorte que, pour que cet argument l'emporte, il faudrait que l'appelant inclue la valeur de sa main­-d'oeuvre dans “ [...] le coût, pour lui, de ce bien [...] ”. Étant donné que l'entente conclue avec la Commission ne renfermait aucune modalité obligeant l'appelant à travailler sans rémunération, il ne peut satisfaire à cette exigence.

[25] Quoique cela ne soit pas nécessaire, compte tenu de ce qui précède, j'aimerais ajouter que je ne suis pas d'accord avec la valeur que l'appelant attribue à sa main-d'oeuvre. Dans son témoignage, il a dit qu'elle se situait entre 320 000 $ et 416 000 $, en s'appuyant sur son estimation de 6 400 heures travaillées au cours de la période de deux ans, à un taux horaire se situant entre 50 $ et 65 $. Un montant plus réaliste, serait, à mon avis, le montant de 50 000 $ que la compagnie a versé chaque année à M. Antosko, et qui, déduction faite de l'impôt, donne un total de l'ordre de 65 000 $ pour les deux années.

[26] Les appels sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa (Ontario) ce 26e jour de juillet 2000.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de février 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Reproduit au paragraphe 7 ci-après.

[2]               Voir le paragraphe 164(4.1) de la Loi reproduit au paragraphe 7 ci-après.

[3]               C.C.I., no 92-413(IT)G, 19 avril 1994 (94 DTC 1430).

[4]               C.A.F., no A-242-94, 5 juin 1996 (96 DTC 6372).

[5]               (1998) 160 D.L.R. (4th) 303 (C.A.C.-B.).

[6]               Mémoire de l'appelant, p. 18.

[7]               [1989] 1 R.C.S. 927.

[8]               [1998] 2 R.C.S. 358.

[9]               C.F., 1re inst., no T-1787-84, 3 avril 1990 (90 DTC 6281 (C.F. 1re inst.)).

[10]             167 N.R. 112.

[11]             90 DTC 1348.

[12]             C.F., 1re inst., no TI-5821-80, 7 décembre 1983 (84 DTC 6001).

[13]             [1947] A.C. 109.

[14]             Précitée, à la page 126.

[15]              Précitée, à la page 330.

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