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Date: 19990719

Dossiers: 98-337-UI; 98-338-UI; 98-339-UI; 98-58-CPP; 98-59-CPP; 98-67-CPP

ENTRE :

ELIZABETH GOTTSCHALK

FAISANT AFFAIRES SOUS LE NOM DE COMMUNITY OPTIONS,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus à Edmonton (Alberta), le 23 avril 1999, sur preuve commune, du consentement des parties.

[2] L'appelante interjette appel de différentes décisions par lesquelles, le 8 décembre 1997, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a confirmé les évaluations établies à son égard au titre des cotisations au Régime de pensions du Canada et des cotisations d'assurance-chômage, en plus des pénalités et des intérêts, payables relativement à des personnes travaillant dans une résidence pour personnes âgées dont elle était propriétaire et qu'elle exploitait au cours de différentes périodes dans les années 1995, 1996 et 1997.

[3] Plus particulièrement, aux termes des décisions dont l'appelante interjette appel, un certain nombre de travailleuses, y compris Aaron Pruden et Myrna Bezzola, étaient employées aux termes de contrats de louage de services et étaient par conséquent des employées au cours des périodes pendant lesquelles elles ont travaillé en 1995 et 1996 à la résidence pour personnes âgées en cause. Ces décisions, qui forment le fondement des appels 98-337(UI) et 98-67(CPP), ont été rendues en application de l'article 93 de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi sur l'a.-e. ”) et du paragraphe 27(5) du Régime de pensions du Canada (le “ Régime ”), et elles étaient fondées sur l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi sur l'a.-c. ”), l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'a.-e et l'alinéa 6(1)a) du Régime.

[4] En outre, et plus particulièrement, aux termes des décisions dont l'appelante interjette appel, l'emploi qu'une certaine Aaron Pruden a exercé pour elle du 1er janvier 1996 au 3 mars 1997 était un emploi assurable au sens de la Loi sur l'a.-e. et un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime, au motif qu'elle était employée aux termes d'un contrat de louage de services et que, par conséquent, elle était une employée (appels 98-339(UI) et 98-59(CPP)).

[5] En outre, et plus particulièrement, aux termes des décisions dont l'appelante interjette appel, l'emploi qu'une certaine Myrna Bezzola a exercé pour elle du 1er janvier 1996 au 3 mars 1997 était un emploi assurable au sens de la Loi sur l'a.-e. et un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime, au motif qu'elle était employée aux termes d'un contrat de louage de services et que, par conséquent, elle était une employée (appels 98-338(UI) et 98-58(CPP)).

[6] Les quatre dernières décisions mentionnées ont elles aussi été rendues en application de l'article 93 de la Loi sur l'a.-c. et du paragraphe 27(2) du Régime et elles étaient fondées sur l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'a.-c., l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'a.-e et l'alinéa 6(1)a) du Régime.

[7] Les faits établis révèlent que, au cours des périodes pertinentes, l'appelante exploitait en tant que propriétaire unique un foyer de groupe pour personnes âgées appelé Community Options, à Edmonton (Alberta). Aaron Pruden a travaillé à la résidence pendant une grande partie de la période en question. Myrna Bezzola y a travaillé occasionnellement, quand on faisait appel à ses services. D'autres travailleuses ont apparemment travaillé à différentes périodes, mais aucune preuve n'a été produite sur leurs conditions de travail exactes. La question dont la Cour est saisie est donc de savoir si les travailleuses, et plus particulièrement Aaron Pruden et Myrna Bezzola, étaient engagées aux termes de contrats de louage de services et exerçaient donc un emploi assurable et ouvrant droit à pension, ou si elles étaient engagées aux termes de contrats d'entreprise et étaient donc des entrepreneuses autonomes n'exerçant pas un emploi assurable ou ouvrant droit à pension. Il incombe à l'appelante d'établir qu'il s'agissait de contrats d'entreprise.

Le droit

[8] La façon dont la Cour doit déterminer si les modalités particulières de travail constituent un contrat de louage de services, qui correspond à une relation employeur-employé, ou un contrat d'entreprise, qui correspond à une relation entre entrepreneurs indépendants, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025. Le critère devant être appliqué a également été expliqué par cette cour dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099. Par la suite, la Cour canadienne de l'impôt a rendu de nombreuses décisions, dont certaines ont été citées par les représentants des parties, qui indiquent comment ces lignes directrices ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale déclarait ceci :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] “ examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties ”. Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] “ l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations ” et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

[C'est moi qui souligne.]

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : “ Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents ”

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[9] Les critères auxquels la Cour se reportait peuvent être résumés comme suit :

a) le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le présumé employeur;

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l'intégration des travaux effectués par les présumés employés dans l'entreprise du présumé employeur.

[10] Mentionnons aussi les propos suivants tenus par le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe, précité, pour approuver l'approche retenue par les tribunaux anglais :

“ C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : “ La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte ”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[11] J'ajouterai à ces propos ceux du juge Décary, qui, dans l'arrêt Charbonneau v. Canada (M.N.R.), [1996] F.C.J. No. 1337, déclarait au nom de la Cour d'appel fédérale :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service [...]. En d'autres termes, il ne faut pas, et l'image est particulièrement appropriée en l'espèce, examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

Les faits

[12] Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre se serait fondé pour arriver à ses décisions sont énoncées comme suit dans les réponses respectives aux avis d'appel et sont à tous égards identiques dans tous les cas (98-337(UI)) :

[TRADUCTION]

l'appelante exploite en tant que propriétaire unique un foyer de groupe pour personnes âgées appelé Community Options ou Community Life Options;

l'appelante est propriétaire du foyer de groupe et assume toutes les dépenses s'y rapportant, dont les taxes foncières et les frais reliés aux services publics, aux réparations et à l'entretien;

l'appelante fournit au foyer de groupe le mobilier et tous les articles pour la cuisine de même que les appareils électroménagers;

Aaron Pruden a été engagée par l'appelante pour gérer le foyer de groupe et pour faire en sorte que des soins soient prodigués 24 heures sur 24 aux pensionnaires du foyer de groupe;

Aaron Pruden faisait en général des quarts de 24 heures au foyer de groupe;

l'appelante versait 70 $ par jour à Aaron Pruden;

l'appelante permettait à Aaron Pruden de se trouver une remplaçante lorsqu'elle devait prendre congé;

pour les années 1995 et 1996, les travailleuses de remplacement (les “ autres travailleuses ”) étaient les suivantes :

1996

Myrna Bezzola Myrna Bezzola

Chris Miller Joanne Kincaid

Susan Webber Laurette Lalonde

Taras Raulick Chloe Davis

Olga Christenson Evelyne Fagare

Laurette Lalonde Gloria Biggar

Susan Webber

les autres travailleuses ont été engagées pour prodiguer des soins aux pensionnaires du foyer de groupe;

Aaron Pruden assurait la formation des autres travailleuses;

Aaron Pruden et les autres travailleuses devaient consigner les jours où elles travaillaient;

l'appelante verse 70 $ par jour aux autres travailleuses;

les fonctions de Aaron Pruden et des autres travailleuses étaient notamment les suivantes :

prendre soin des pensionnaires du foyer de groupe et les superviser 24 heures sur 24;

s'assurer que les pensionnaires prennent leurs médicaments;

superviser les repas et la lessive faits par les pensionnaires;

fixer des rendez-vous chez le médecin pour les pensionnaires et organiser le transport aller-retour à cette fin;

tenir des registres quotidiens pour chaque pensionnaire;

effectuer des emplettes en respectant le budget mensuel établi par l'appelante;

ni Aaron Pruden ni les autres travailleuses n'étaient tenues de fournir des instruments de travail ou du matériel;

ni Aaron Pruden ni les autres travailleuses ne devaient engager de frais dans l'exécution de leurs fonctions;

Aaron Pruden et les autres travailleuses n'avaient aucune participation financière ni aucun placement dans l'entreprise de foyer de groupe de l'appelante;

ni Aaron Pruden ni les autres travailleuses ne jouissaient de suffisamment d'indépendance pour prendre des décisions ayant une incidence sur le succès ou l'échec financier de l'entreprise de foyer de groupe de l'appelante;

ni Aaron Pruden ni les autres travailleuses n'exploitaient un foyer pour elles-mêmes;

si des réparations devaient être effectuées au foyer, Aaron Pruden ou l'une des autres travailleuses devaient en aviser l'appelante;

l'appelante n'autorisait pas les autres travailleuses à engager des travailleuses pour les remplacer;

les pensionnaires du foyer de groupe versaient les frais exigés à l'appelante;

les services fournis par Aaron Pruden et les autres travailleuses font partie intégrante de l'exploitation du foyer de groupe de l'appelante;

l'appelante a versé à Aaron Pruden et aux autres travailleuses les montants indiqués à l'annexe A, ci-jointe, pour l'année 1995, et à l'annexe B, ci-jointe, pour l'année 1996. (Annexe A non jointe)

[13] Par l'intermédiaire de sa représentante, l'appelante a admis en grande partie les faits énoncés ci-dessus. Elle a aussi témoigné dans le même sens. Plus particulièrement, elle a admis les hypothèses énoncées aux alinéas 10 a), b), c), g), h) (avec quelques remarques), m) dans une certaine mesure, p), s), u) et w).

[14] Elle a nié en tout ou en partie les faits énoncés aux alinéas 10 d), e), f), i), j), l), m) dans une certaine mesure, n), o), q), r), t) et v).

[15] En ce qui concerne l'alinéa d), elle a contesté l'utilisation du terme “ engagée ”, affirmant qu'elle avait conclu un contrat à forfait avec Aaron Pruden; elle a par ailleurs déclaré que celle-ci était chargée de fournir des services et non de gérer le foyer.

[16] L'appelante a admis l'alinéa e) de façon générale, mais elle a soutenu que le travail était effectué 24 heures sur 24 et non par quarts de travail.

[17] Pour ce qui est de l'alinéa f), elle a déclaré que les montants payés variaient.

[18] À l'égard de l'alinéa h), l'appelante a fait valoir que les travailleuses en question n'étaient pas toutes des préposées aux soins, mais elle a convenu qu'elles travaillaient toutes à un titre ou un autre à la résidence.

[19] En ce qui concerne l'alinéa j), elle a soutenu que Aaron Pruden ne formait pas les autres travailleuses, mais les guidait plutôt.

[20] Pour ce qui est de l'alinéa k), elle a déclaré que les travailleuses n'avaient qu'à consigner “ le nombre ” de jours de travail, sans préciser lesquels.

[21] Pour ce qui est de l'alinéa l), l'appelante n'a pas admis qu'elles touchaient toutes 70 $ par jour.

[22] À l'égard du sous-alinéa m)(i), elle a contesté l'utilisation du terme “ superviser ”.

[23] En ce qui concerne l'alinéa n), elle a fait valoir que Aaron Pruden et d'autres travailleuses étaient tenues de fournir leurs instruments de travail et leur matériel.

[24] En ce qui a trait à l'alinéa o), elle a fait valoir que Aaron Pruden et les autres travailleuses engageaient des dépenses personnelles, et elle a donné comme exemple les frais de déplacement, qu'elle ne remboursait pas.

[25] Pour ce qui est de l'alinéa q), l'appelante estime qu'elles prenaient bel et bien des décisions de cette nature.

[26] À l'égard de l'alinéa r), elle a fait valoir qu'elles exploitaient toutes leur propre entreprise.

[27] En réponse à l'alinéa t), elle a fait valoir que les travailleuses pouvaient engager d'autres travailleuses pour se faire remplacer.

[28] Elle a nié que les services fournis par Aaron Pruden ou les autres travailleuses faisaient partie intégrante de l'exploitation de son entreprise.

[29] Il est ressorti de la preuve que, jusqu'en 1994, les travailleuses en question avaient fourni leurs services à titre d'employées. Par suite d'une intervention de la commission des relations de travail de l'Alberta relativement aux quarts de 24 heures, et des recommandations qui ont suivi, l'appelante s'est efforcée de convenir avec les personnes qui travaillaient à la résidence de conditions de travail différentes. À cette fin, elle a conclu avec Myrna Bezzola et Aaron Pruden, séparément, une forme de contrat visant à faire de ces travailleuses des entrepreneuses autonomes. Il est bien sûr établi qu'en droit on examine le fond de l'entente et non simplement la forme. Néanmoins, en cas d'ambiguïté, la Cour doit tenir compte de l'intention exprimée clairement par les parties.

[30] Myrna Bezzola et Aaron Pruden, ainsi que l'appelante pour son compte, ont toutes trois témoigné à l'audition des appels.

[31] Au cours de son témoignage, Myrna Bezzola a déclaré qu'elle se considérait comme une employée de l'appelante. Elle ne se souvenait pas clairement d'avoir signé le contrat en question, et j'ai remarqué que, de fait, celui-ci était censé avoir été signé le 1er avril 1997, rétroactivement au 1er avril 1995. Mme Bezzola travaillait principalement dans une autre résidence pour personnes âgées de l'appelante, et il semble qu'elle ne faisait qu'aider de temps en temps à la résidence de la 77e Rue, qui est l'objet des présents appels. Elle occupait, à l'autre résidence, a-t-elle dit, un poste très semblable à celui que Aaron Pruden occupait à la résidence de la 77e Rue, c'est-à-dire qu'elle était la personne clé. Elle n'était titulaire d'aucune attestation particulière à l'égard de son travail. Elle a mentionné, dans son témoignage, les heures de travail effectuées auprès des pensionnaires. Elle a déclaré qu'elle remplaçait les objets brisés dans la résidence et remettait la facture à l'appelante, qu'elle ne faisait aucune dépense pour son compte et qu'elle était à cette époque payée toutes les deux semaines, à raison de 70 $ par jour. Elle n'était payée que pour les jours où elle travaillait. Dans une certaine mesure, elle pouvait établir son propre horaire, mais si elle ne se présentait pas au travail une journée où elle était censée travailler, elle devait elle-même trouver une remplaçante. Si cette dernière était une autre travailleuse régulière de la résidence, elle était payée par l'appelante. S'il s'agissait d'une personne de l'extérieur, Mme Bezzola payait cette personne elle-même et demandait paiement pour la journée en question à l'appelante, au taux habituel. Mme Bezzola parlait apparemment avec l'appelante au téléphone une fois par semaine ou lorsque quelque chose de particulier se produisait à la résidence. L'appelante se rendait sur les lieux à peu près toutes les deux semaines, et parlait alors aux travailleuses et aux clients. L'appelante avait dès le départ exposé à Mme Bezzola les grandes lignes des fonctions dont elle devait s'acquitter à la résidence; à partir de ce moment-là, celle-ci a simplement effectué le travail. Voilà, en peu de mots, la portée de son témoignage.

[32] D'après son témoignage, Aaron Pruden se considérait vraiment comme une entrepreneuse autonome lorsqu'elle travaillait à la résidence. Il est ressorti de son témoignage que, si elle n'était pas la gérante de la résidence, elle en était à tout le moins la travailleuse principale. Elle a dit qu'elle travaillait comme préposée aux soins. Elle n'avait produit aucune déclaration de revenus pour 1995 ou 1996, mais elle avait l'intention de le faire à l'aide d'un comptable, en tant qu'entrepreneuse autonome.

[33] Elle a indiqué qu'elle avait le droit de refuser des clients au foyer et qu'elle avait en fait refusé ceux avec qui elle croyait ne pas pouvoir s'entendre.

[34] Elle engageait ses propres remplaçantes lorsqu'elle ne pouvait, pour une raison ou pour une autre, se présenter au travail un jour où elle était censée travailler. Elle établissait elle-même les horaires et assignait des tâches aux autres travailleuses. Elle suivait les normes gouvernementales dans l'exécution de ses tâches à la résidence. Elle a prétendu avoir effectué du travail à forfait pour d'autres personnes, mais les renseignements qu'elle a fournis étaient, pour le moins, sommaires.

[35] Elle utilisait sa propre machine à coudre pour aider les clients à faire des retouches à leurs vêtements. Le gros du matériel utilisé par les clients était cependant fourni par des organismes gouvernementaux. Les clients apportaient leur propre mobilier, de sorte qu'il ne manquait que le matériel de cuisine et les appareils ménagers, qui étaient fournis par l'appelante. Mme Pruden fournissait cependant parfois du matériel pour des projets qu'elle mettait sur pied à la résidence. Elle utilisait également son propre véhicule pour transporter les choses qu'elle acquérait pour la résidence. J'ai cru comprendre que cela ne se produisait que rarement. Elle utilisait cependant régulièrement son véhicule pour faire l'épicerie pour la résidence, sans que l'appelante ne lui rembourse ses frais d'automobile.

[36] Tous les travaux de réparation et d'entretien des lieux étaient selon le témoin effectués aux frais de l'appelante. Ainsi, s'il y avait un problème de plomberie, Mme Pruden appelait un plombier, faisait effectuer la réparation et appelait l'appelante, qui réglait alors le compte.

[37] Elle a convenu que, si elle voulait qu'un pensionnaire quitte les lieux, elle devait d'abord en discuter avec l'appelante.

[38] Elle a déclaré qu'elle entretenait des contacts réguliers avec l'appelante — environ deux fois par semaine.

[39] Elle travaillait approximativement 16 jours par mois.

[40] Elle a convenu que les clients payaient les frais exigés directement à l'appelante.

[41] Elle-même ne souscrivait aucune assurance-responsabilité. Elle croyait que tout le monde était couvert par l'assurance de l'appelante.

[42] Lorsqu'elle devait trouver une remplaçante, elle payait aussi cette dernière avec l'argent que l'appelante lui versait. Mme Pruden payait la remplaçante à la journée, mais elle lui versait un montant inférieur à celui qu'elle aurait touché pour cette journée.

Application du droit aux faits

[43] Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, la Cour doit examiner le fond, et non simplement la forme, des ententes conclues. J'ai de la sympathie pour l'appelante puisque, dans une certaine mesure, elle se retrouve entre l'arbre et l'écorce; d'un côté, il y a la commission des relations de travail de l'Alberta et, de l'autre, Revenu Canada. La commission lui a dit que les employés ne pouvaient pas travailler de la façon et pour la rémunération convenues pendant une période de 24 heures. C'est pourquoi elle lui a recommandé d'engager les travailleuses en tant qu'entrepreneuses autonomes et non pas à titre d'employées. C'est clairement ce que l'appelante a tenté de faire au moyen des contrats-types qu'elle a rédigés. De l'avis de la Cour cependant, il ne semble pas que les conditions de travail véritables aient sensiblement changé. En d'autres termes, la réalité n'a pas correspondu aux intentions.

[44] Il est clair que l'entreprise en cause est celle de l'appelante. Les travailleuses en question étaient certainement sous ses ordres. Bien que, dans les faits, elle ne contrôlât pas les activités quotidiennes, il est clair qu'elle avait le droit de le faire si elle le souhaitait et qu'elle pouvait préciser non seulement les tâches que les travailleuses devaient accomplir, mais aussi la façon dont elles devaient les accomplir. En droit, c'est ce droit d'exercer un contrôle qui est des plus important, non la question de savoir si, dans la pratique, ce contrôle était exercé.

[45] Il est évident également que tous les articles ménagers essentiels étaient fournis par l'appelante. Les travailleuses ne se présentaient pas à la résidence comme un plombier l'aurait peut-être fait; elles n'apportaient pas leurs instruments et leur matériel pour faire leur travail. Essentiellement, tout était là. La rare utilisation de l'automobile et de la machine à coudre ne semble pas, de l'avis de la Cour, être particulièrement importante dans le contexte général de l'affaire. Les travailleuses n'avaient aucune chance de réaliser des bénéfices additionnels, sauf si elles travaillaient un plus grand nombre de jours. De la même façon, si l'on exclut le fait qu'elles pouvaient à l'occasion engager leur propre remplaçante, et il y a peu de preuve sur la fréquence à laquelle cela se produisait, elles ne risquaient pas de subir une perte. Sur ce point, leur travail ne comportait aucun volet commercial. Elles effectuaient la somme de travail convenue, les jours prévus, c'est tout. Elles n'avaient aucun intérêt financier dans l'entreprise, si ce n'est en tant qu'employées régulières. En outre, il n'y a eu aucune preuve substantielle que l'une des travailleuses effectuait un travail semblable pour d'autres foyers.

[46] En ce qui concerne l'intégration du travail des travailleuses dans l'entreprise de l'appelante, l'entreprise était clairement celle de l'appelante et les travailleuses travaillaient dans le cadre de cette entreprise. Je ne vois aucune preuve de l'exploitation d'une entreprise indépendante par l'une de ces travailleuses.

Conclusion

[47] En définitive, si je prends en considération l'ensemble de la preuve et les différents volets des critères énoncés par la Cour d'appel fédérale, il me semble clair que, bien que l'appelante eût tenté de conclure des contrats d'entreprise avec les travailleuses en cause, en réalité, elle ne l'a fait que sur papier, et les travailleuses, surtout Mmes Pruden et Bezzola, sont demeurées des employées travaillant aux termes de contrats de louage de services. Aucune preuve n'est venue contredire les décisions du ministre relativement à toutes les autres travailleuses.

[48] Par conséquent, les appels sont rejetés et les décisions du ministre ainsi que les évaluations sont confirmées.

Signé à Calgary (Alberta), ce 19e jour de juillet 1999.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

ANNEXE B

ELIZABETH GOTTSCHALK

MONTANTS PAYÉS

1996

AARON PRUDEN

1er janvier 1996 1 120 $

15 janvier 1996 l 050 $

1er février 1996 1 120 $

15 février 1996 1 050 $

1er mars 1996 1 050 $

11 mars 1996 1 050 $

30 mars 1996 1 050 $

11 avril 1996 1 190 $

1er mai 1996 770 $

14 mai 1996 l 050 $

31 mai 1996 980 $

15 juin 1996 1 050 $

30 juin 1996 1 000 $

15 juillet 1996 910 $

15 juillet 1996 450 $

31 juillet 1996 1 050 $

15 août 1996 1 000 $

1er septembre 1996 1 000 $

15 septembre 1996 1 400 $

30 septembre 1996 1 050 $

15 octobre 1996 1 000 $

1er novembre 1996 500 $

15 novembre 1996 420 $

30 novembre 1996 630 $ 22 940 $

MYRNA BEZZOLA

1er avril 1996 140 $

30 septembre 1996 200 $

30 septembre 1996 140 $ 480 $

JOANNE KINCAID

1er mai 1996 140 $ 140 $

LAURETTE LALONDE

15 janvier 1996 280 $ 280 $

SUSAN WEBBER

15 novembre 1996 630 $ 630 $

CHLOE DAVIS

15 octobre 1996 420 $

1er novembre 1996 420 $

15 novembre 1996 210 $

1er décembre 1996 210 $

1er décembre 1996 70 $ 1 330 $

EVELYN FAGARE

1er février 1996 370 $

15 février 1996 340 $

1er mars 1996 280 $ 990 $

GLORIA BIGGAR

15 avril 1996 210 $

1er mai 1996 560 $

15 mai 1996 280 $

31 mai 1996 280 $

31 mai 1996 140 $

15 juin 1996 280 $

30 juin 1996 350 $

15 juillet 1996 420 $

30 juillet 1996 140 $

31 juillet 1996 420 $

15 août 1996 420 $

1er septembre 1996 560 $ 4 060 $

Total pour 1996 30 850 $

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