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Date: 19971027

Dossiers: 95-2093-IT-I; 95-2094-IT-I

ENTRE :

MURIELLE DUCHESNEAU, DENIS DUCHESNEAU,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] Les appelants en l'instance interjettent appel de la cotisation d'impôt sur le revenu établie à leur égard pour l'année 1991. Les deux appelants ont choisi de procéder sous le régime de la procédure informelle et les deux appels ont été entendus sur preuve commune.

Questions en litige

[2] Les deux questions que je suis appelé à trancher sont les suivantes :

1- L'un ou l'autre appelant ou les deux ont-ils reçu un avantage de 20 000 $ d'une société dont ils détenaient les actions à parts égales, en contravention du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”)?

Dans l'affirmative,

2- L'un ou l'autre appelant ou les deux sont-ils tenus au paiement des pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi et de l'intérêt accumulé sur celles-ci?

Les faits

[3] Dès l'ouverture de l'audition, les parties se sont entendues sur les faits suivants :

1) En 1988, Denis Duchesneau (“ DD ”) a apparemment acheté un bien-fonds et un immeuble appelé le clapier (le “ clapier ”), qu'il a payés 30 150 $. Bien que le titre ait été enregistré au nom de DD personnellement, ce dernier a en fait acheté le clapier en fiducie pour 657461 Ontario Inc. (la “ société ”), une compagnie dont lui et son épouse, Murielle Duchesneau (“ MD ”), détenaient les actions à parts égales. C'est la société qui a avancé les fonds.

2) Au cours des années qui ont suivi l'acquisition du clapier, la société a inscrit celui-ci sur son bilan. Elle a demandé des déductions pour amortissement relativement au clapier dans le calcul de son revenu imposable.

3) Le 19 juillet 1991, la société a vendu 55 000 $ une partie de l'immeuble formant le clapier à MY-T Fresh Inc., une société avec laquelle elle n’avait pas de lien de dépendance (l'“ acheteur ”). Un montant de 40 000 $, payé en argent lors de la signature des contrats, et un billet de 15 000 $ payable le 20 décembre 1991, ont constitué le produit de la vente. L'acheteur a pris une partie de l'immeuble formant le clapier et l'a transporté ailleurs, laissant le reste de l'immeuble et le bien-fonds dont, bien entendu, DD était toujours propriétaire en fiducie pour la société.

4) Le 19 juillet 1991, DD a déposé les 40 000 $ du produit de la vente du clapier dans le compte numéro 0025-173-(08) (“ (08) ”) à la coopérative de crédit Northern.

5) L'acheteur n'ayant pas respecté les modalités du contrat et n'ayant jamais honoré le billet, la société a récupéré et réparé ce qui restait des immeubles.

6) La vente du clapier n'a jamais été déclarée dans la déclaration de revenus de la société pour l'année se terminant le 30 avril 1992. La fraction non amortie du coût en capital du clapier a donc continué de figurer au compte d'actif de la société.

7) Revenu Canada a effectué une vérification de la société et ajouté au revenu de celle-ci, pour l'exercice se terminant le 30 avril 1992, le produit de vente non déclaré du clapier. Revenu Canada a également établi une nouvelle cotisation à l'égard de MD et de DD en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada pour le motif que le dépôt du produit de la vente dans le (08) constituait l'attribution d'un avantage par la société à MD et à DD. Revenu Canada a également imposé des pénalités à MD et à DD en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[4] En outre, les deux appelants, ainsi que leur comptable, Brian Webb (“ M. Webb ”), ont témoigné. De leur témoignage, je tire les conclusions de fait suivantes :

a) DD a une huitième année;

b) MD a une septième année;

c) DD est un travailleur acharné, un homme à tout faire, qui travaille de longues journées dans la forêt, loin du bureau à domicile, aux fins de l'exploitation de son entreprise forestière. Il avait confié à MD toute la tenue de livres et les affaires bancaires de la société, de même que ses affaires bancaires personnelles;

d) MD tient tous les livres de la société, s'occupe des finances personnelles de la famille et se fie énormément à M. Webb;

e) au début de l'année 1991, lorsque la loi sur la TPS est entrée en vigueur, un compte d'épargne ((07)) a été ouvert sur la recommandation de M. Webb et tous les paiements reçus au titre de la TPS y ont été déposés. Le compte ne contenait que de l'argent se rapportant à l'entreprise et aucun montant d'argent appartenant aux appelants;

f) DD et MD avaient aussi un compte d'épargne personnel ((08)), dans lequel était déposé leur propre argent;

g) les 40 000 $ du produit de la vente de l'immeuble formant le clapier ont été reçus par DD sous la forme d'un chèque libellé à l'ordre de DD personnellement;

h) DD a remis le chèque à MD;

i) MD a déposé le chèque de 40 000 $ dans le compte (08);

j) peu après, MD a été informé par la coopérative de crédit que, plus le montant déposé dans un compte est élevé, plus le taux d'intérêt qui s'y applique est élevé. Les fonds se trouvant dans le compte (07) ont donc été transférés dans le compte (08);

k) après le regroupement du compte (07) et du compte (08), la société a eu besoin d'une injection de 20 000 $. Un chèque a été écrit sur le compte (08) et, dans le livre de dépôt de la société, on peut lire l'inscription “ prêt ”;

l) DD avait confié à son épouse MD la gestion des finances de la société et des siennes;

m) MD se fiait à M. Webb pour préparer toutes les déclarations de revenus et voir à ce que tout soit en ordre;

n) à la fin de l'exercice, M. Webb n'a pu faire la conciliation du compte (08). Après s'être informé auprès de MD, le comptable a été avisé que de l'argent appartenant aux appelants se trouvait dans le compte (08);

o) à la fin de l'exercice, le comptable n'a jamais été informé de la vente du clapier, ni du fait que DD avait reçu le montant de 40 000 $. La société a continué à amortir le coût du clapier et le montant de 40 000 $ n'est apparu nulle part.

Dispositions législatives pertinentes

[5] La partie pertinente du paragraphe 15(1) de la Loi se lit comme suit :

La valeur de l'avantage qu'une corporation confère au cours d'une année d'imposition à un actionnaire [...] doit être incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année [...] si cet avantage est conféré autrement que :

a) sans objet;

b) sans objet;

c) sans objet;

d) sans objet.

[6] Le juge suppléant Rowe, de la C.C.I., dans l'affaire Robinson v. M.N.R., 93 DTC 254, a dit à la page 257 :

Au paragraphe 15(1), il est question de biens attribués à un actionnaire ou devant servir à son profit et d'un avantage accordé à un actionnaire par une compagnie. À titre de seul actionnaire de la compagnie, l'appelant peut soit s'approprier, soit mettre de côté à des fins particulières un élément de valeur appartenant à la compagnie ou, à titre de dirigeant de la compagnie, être responsable de l'octroi d'un avantage, tout en consentant, à titre personnel, à accepter cet avantage ou à l'adapter à ses propres besoins. Bien qu'il s'agisse de la même personne dans les deux cas, l'appelant, à titre d'actionnaire, n'a rien fait qui puisse être considéré comme un acte visant à s'approprier un avantage et, à titre d'administrateur et de président contrôlant la compagnie, il n'avait pas l'intention de s'accorder quoi que ce soit. Enfin, s'il a été un présumé bénéficiaire, cela a été involontairement et à son insu. L'écriture erronée ne découle pas d'une directive donnée aux comptables afin que ce résultat soit atteint pour le compte de la compagnie ou de l'appelant à titre d'actionnaire. De toute évidence, les écritures n'étaient pas conformes aux faits et allaient à l'encontre de l'intention que l'appelant avait dès le début, lorsqu'il a entrepris de rectifier une erreur en déposant dans le compte bancaire de la compagnie des capitaux qui appartenaient en fait à celle-ci. Il s'acquittait de sa fonction de fiduciaire, rendue nécessaire à cause de l'erreur du payeur, qui avait établi le chèque au nom de l'appelant. Dans l'arrêt M.N.R. v. Pillsbury Holdings Limited, 64 DTC 5184, le juge Cattanach de la Cour de l'Échiquier (telle qu'elle était désignée à l'époque) a examiné l'application du paragraphe 8(1) de la Loi, qui, pour les besoins de l'espèce, est identique au paragraphe 15(1) actuel de la Loi. À la page 5187, le juge Cattanach a déclaré :

[TRADUCTION]

“Si on applique l'alinéa c), il faut donner à tous les termes leur plein poids. Il doit y avoir “un bénéfice ou un avantage” et celui-ci doit être “attribué” par une corporation à un “actionnaire”. Le terme “attribuer” signifie “consentir à donner” ou “accorder”.

[...]

Pour qu'il y ait eu attribution de capitaux, il faut que l'appelant se les soit attribués. Dans le Black's Law Dictionary, sixième édition, le terme “appropriate” (s'attribuer) est défini comme suit :

[TRADUCTION]

“Faire sien; s'allouer la propriété de quelque chose; exercer un contrôle sur un objet dans le but d'en faire un usage personnel ou d'en jouir.”

Il est évident que les termes employés au paragraphe 15(1) se rapportent à un acte dont le caractère intentionnel est bien affirmé et qu'ils ne peuvent certes pas s'appliquer à un événement qui est le résultat d'une erreur réciproque des parties, c'est-à-dire l'actionnaire et la compagnie, lorsque l'erreur est attribuable à une omission ou à un acte commis par un tiers qui agit de bonne foi, mais se fonde sur des faits erronés.

La question de savoir si un avantage a été accordé ou non est une question de fait qu'il faut évaluer en fonction de la mesure dans laquelle l'appelant a réussi à invalider les faits présumés sur lesquels se fonde la cotisation. (Voir Kennedy v. M.N.R., 73 DTC 5359, page 5361.)

[7] Mon collègue le juge Mogan, dans l'affaire Chopp v. The Queen, 95 DTC 527, a dit ceci à la page 532 au sujet de la décision rendue dans l'affaire Robinson :

Je n'irais pas aussi loin que le juge Rowe en disant que les termes employés au paragraphe 15(1) se rapportent à un acte dont le caractère intentionnel est bien affirmé. Je crois qu'un avantage peut être conféré, au sens du paragraphe 15(1), sans que l'actionnaire ou la corporation ait l'intention de le faire ou soit réellement au courant de la chose, si les circonstances sont telles que l'actionnaire ou la corporation aurait dû savoir qu'un avantage était conféré et n'a rien fait pour changer la situation. [...]

[8] Dans l'affaire Smith v. The Queen, 96 DTC 1638, après avoir examiné la décision rendue dans l'affaire Robinson et avoir cité le juge Mogan dans l'affaire Chopp, mon collègue le juge McArthur a dit ceci à la page 1640, souscrivant aux propos du juge Mogan :

Je souscris à ce raisonnement et l'applique à la présente affaire. Je conclus qu'aucune erreur comptable véritable n'a été commise. La tenue des livres de la compagnie laissait à désirer. Le contribuable doit, de toute évidence, être tenu responsable de ses propres faits et gestes. [...]

[9] Mon collègue le juge Bowman, dans l'affaire Long v. The Queen, dont la décision a été rendue le 24 juillet 1997, a dit ceci :

Dans l'affaire M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., 64 DTC 5184, le juge Cattanach disait, à la page 5187, au sujet de l'ancêtre du paragraphe 15(1) :

[TRADUCTION]

Dans l'application de l'alinéa c), il faut accorder tout le poids nécessaire à tous les termes de cette disposition. Il doit y avoir un “avantage”, et cet avantage doit être “accordé” par une corporation à un “actionnaire”. Le mot “accorder” signifie “conférer”. Même lorsqu'une corporation a formellement résolu de donner un privilège ou un statut particulier aux actionnaires, la question de savoir si le but de la corporation était d'accorder un avantage aux actionnaires ou si le but de la corporation se rapportait à l'entreprise de celle-ci — par exemple lorsqu'il s'agit d'inciter les actionnaires à être clients de la corporation — est une question de fait. Dans cette mesure, lorsque le ministre soutient que ce qui semble être une opération commerciale ordinaire entre une corporation et un actionnaire est en réalité une façon d'accorder un avantage à l'actionnaire en tant qu'actionnaire doit également être une question de fait.

Je ne vois pas comment on peut dire qu'une erreur comptable dont le seul actionnaire de la société n'était pas au courant, qu'il n'a pas sanctionnée et qui n'était pas conforme aux pratiques établies de la société constitue “en réalité une façon d'accorder un avantage à l'actionnaire en tant qu'actionnaire”.

Me Levesque, soit l'avocate de l'intimée, m'a très honnêtement renvoyé à un certain nombre de décisions de notre cour, et notamment aux jugements Robinson v. M.N.R., 93 DTC 254, Simons v. M.N.R., 85 DTC 105, et Chopp v. The Queen, 95 DTC 527, soit des affaires dans lesquelles des inscriptions comptables erronées avaient été considérées comme n'étant pas un fondement approprié aux fins de l'imposition. Si je ne m'abuse, les jugements Robinson et Chopp ont été portés en appel devant la Cour fédérale. D'une manière générale, ces jugements étayent la conclusion à laquelle je suis parvenu, et je pense que, question de principe, les juges de notre cour doivent chercher dans la mesure du possible à être uniformes. Toutefois, comme l'indique le jugement Pillsbury, lorsqu'il est question du paragraphe 15(1), chaque cas dépend des faits qui lui sont propres, et je considère comme avéré qu'aucun avantage n'a été conféré à l'appelant en tant qu'actionnaire au sens du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Analyse

[10] Un contribuable qui mélange l'argent de l'entreprise avec son propre argent agit à ses risques et périls. Le chèque de 40 000 $ a été déposé dans un compte personnel, à savoir le compte (08), alors que les appelants avaient le compte (07), qui contenait uniquement de l'argent de la société en dépit du fait qu'il a été ouvert aux noms de DD et de MD. Je suis convaincu que cette action seule constitue une appropriation du montant de 40 000 $ de la société par DD et MD. Cependant, il y a une autre preuve d'appropriation par DD et MD, à savoir que, lorsque le chèque de 20 000 $ a été libellé à l'ordre de la société, MD a écrit sur le bordereau de dépôt “ prêt ” et “ non ” quelque inscription comme, par exemple, “ transfert de fonds de société ”.

[11] Les contribuables en l'espèce doivent assumer la responsabilité de leurs actions. DD se fiait à MD et il est par conséquent responsable de ce que MD a fait. MD peut se fier énormément à M. Webb mais, en bout de ligne, c'est à elle qu'il incombe d'informer pleinement M. Webb, soit verbalement soit au moyen de livres bien tenus. De toute évidence, MD effectuait une tenue de livres suffisante pour permettre à M. Webb de préparer des états financiers et des déclarations de revenus pour toutes les parties concernées et de traiter correctement la T.P.S. et leurs déclarations. MD n'a pas tenté de constituer une documentation qui aurait permis au comptable de traiter correctement le chèque de 40 000 $. Je conclus que le chèque de 40 000 $ a été délibérément déposé dans un compte d'épargne conjoint qui, à l'époque, contenait de l'argent appartenant exclusivement aux appelants.

[12] Je suis donc convaincu que DD et MD ont tous deux reçu de la société un avantage de 20 000 $ dans l'année d'imposition 1991 et, à cet égard, l'appel est rejeté.

[13] La deuxième question dont je suis saisi vise les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[14] Pour que des pénalités soient imposées en vertu du paragraphe 163(2), le contribuable doit :

(i) sciemment ou

(ii) dans des circonstances équivalant à faute lourde;

faire un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration.

[15] La partie pertinente du paragraphe 163(2) de la Loi se lit comme suit :

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à un règlement d'application, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse — appelé “déclaration” au présent article — rempli ou produit pour une année d'imposition conformément à la présente loi ou à un règlement d'application, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50% du total :

a) de l'excédent éventuel [...]

[16] Comme MD et DD vivaient loin de M. Webb, je ne suis pas convaincu, compte tenu de la preuve qui m'a été présentée, qu'ils ont sciemment fait un faux énoncé ou une omission dans leurs déclarations de revenus.

[17] Il n'y a pas de doute que DD, MD et leur comptable ont tous été négligents. Leurs actions, en l'espèce, n'équivalent pas à une faute lourde.

[18] Les appels sont admis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que toutes les pénalités et l'intérêt sur celles-ci doivent être annulés.

“ Gordon Teskey ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de mars 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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