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Date: 20000803

Dossier: 1999-4999-IT-I

ENTRE :

GLENN HOFFMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Glenn Hoffman porte en appel une cotisation d'impôt pour 1997 dans laquelle le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) lui a refusé la fraction inutilisée du crédit d'impôt pour déficience de Marianne Boranko, sa belle-soeur. L'appelant reconnaît que le paragraphe 118.3(2) ne dit pas qu'un frère ou une soeur d'une personne mentalement ou physiquement handicapée peut déduire une fraction inutilisée du crédit d'impôt pour déficience accordé à une telle personne par le paragraphe 118.3(1). L'appelant soutient toutefois que les paragraphes 118.3(2) et 252(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) doivent être interprétés en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés (la “ Charte ”), notamment avec l'article 15, et que la définition du mot “ enfant ” aux fins du paragraphe 118.3(2) inclut donc une “ soeur ”. Le mot “ soeur ” devrait être considéré comme inclus dans les paragraphes 118.3(2) et 252(1) de la Loi.

[2] Aux termes du paragraphe 118.3(1), une personne mentalement ou physiquement handicapée peut déduire dans le calcul de l'impôt payable par ailleurs en vertu de la partie I de la Loi un crédit d'impôt n'excluant pas 4 118 $. Si elle ne peut utiliser le crédit, elle peut, conformément au paragraphe 118.3(2), transférer la fraction inutilisée du crédit d'impôt à un enfant, petit-enfant, parent ou grand-parent ou encore à la personne dont elle est entièrement à la charge.

[3] Marianne Boranko habite avec M. Hoffman et la famille de ce dernier. M. Hoffman est le mari de la soeur de Mlle Boranko. Il est conseiller auprès d'enfants et de jeunes. Mme Hoffman est responsable de secteur relativement aux aides à domicile. M. et Mme Hoffman ont deux enfants. Mlle Boranko vivait avec sa mère avant le décès de cette dernière survenu en 1995. Mme Hoffman avait promis à sa mère que, après le décès de celle-ci, elle s'occuperait de Mlle Boranko.

[4] Mlle Boranko, qui a 26 ans, souffre de paralysie cérébrale et est mentalement handicapée. Mme Hoffman essaie de la rendre le plus indépendante possible et a fait en sorte qu'elle accomplisse certains travaux dans le cadre de programmes d'aide gouvernementale. En 1997, Mlle Boranko recevait “ environ ” 90 $ à tous les deux mois pour son travail, ainsi que 771 $ par mois de prestations gouvernementales.

[5] Mme Hoffman a témoigné que sa soeur ne peut vivre seule et a besoin de l'aide d'autres personnes. Mlle Boranko a une mémoire à court terme. Il lui arrive d'oublier où elle se trouve et elle a besoin d'aide pour l'exercice d'activités courantes. Elle est capable de prendre une douche, mais Mme Hoffman lui donne un bain une fois par semaine. On lui prescrit des anticonvulsivants, mais il faut lui rappeler de les prendre. Mme Hoffman dit que sa soeur a besoin d'une “ surveillance constante ”. Mme Hoffman a pris sur elle et sa famille de s'occuper de Mlle Boranko et de veiller à ce qu'il soit satisfait à ses besoins physiques et intellectuels. Il n'y a aucun doute dans mon esprit que M. et Mme Hoffman font preuve d'altruisme dans les responsabilités dont ils s'acquittent envers Mlle Boranko.

[6] Le paragraphe 118.3(2) ne permet pas à M. Hoffman de déduire dans le calcul de son impôt une fraction du crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique inutilisée par Mlle Boranko. Le ministre considère que Mme Hoffman n'est pas un parent, grand-parent, enfant ou petit-enfant de Mlle Boranko et que cette dernière n'est pas un “ enfant ” au sens élargi de ce terme, défini au paragraphe 252(1) de la Loi.

[7] Le paragraphe 15(1) de la Charte dit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[8] L'alinéa 118.3(2)a) de la Loi dispose :

(2) Personne déficiente à charge. L'excédent éventuel du montant déductible en application du paragraphe (1) dans le calcul de l'impôt payable en vertu de la présente partie pour une année d'imposition par une personne (sauf une personne à l'égard de laquelle le conjoint déduit un montant pour l'année en application des articles 118 ou 118.8) qui réside au Canada à un moment donné de l'année et qui a le droit de déduire un montant pour l'année en application du paragraphe (1) sur l'impôt payable par cette personne en vertu de la présente partie pour l'année calculé avant toute déduction en application de la présente section — à l'exception des articles 118 et 118.7 — est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour l'année dans le cas où:

a) d'une part, le particulier demande pour l'année pour cette personne, une déduction prévue au paragraphe 118(1), soit par application de l'alinéa 118(1)b), soit, si la personne est un enfant ou un petit-enfant du particulier, par application de l'alinéa 118(1)d), ou, dans le cas où cette personne est le père, la mère, le grand-père, la grand-mère, un enfant ou un petit-enfant du particulier, aurait pu demander une telle déduction s'il n'avait pas été marié et si cette personne n'avait eu aucun revenu pour l'année et avait atteint l'âge de 18 ans avant la fin de l'année;

[9] Bien que l'appelant allègue dans son avis d'appel que le fait que le mot “ enfant ” n'inclut pas une soeur est une violation de la Charte, telle n'est pas la véritable question qui m'est soumise. La question dont je suis saisi est de savoir si les droits garantis à l'appelant par la Charte, c'est-à-dire par le paragraphe 15(1), sont violés par le paragraphe 118.3(2) de la Loi, notamment par l'alinéa a). L'alinéa 118.3(2)a) accorde un avantage aux parents, grands-parents, enfants et petits-enfants mais pas aux frères et soeurs ni aux cousins de la personne handicapée qui s'occupent de cette dernière. Les parents, grands-parents, enfants et petits-enfants sont des ascendants ou descendants en ligne directe de la personne handicapée. Les frères et soeurs ainsi que les cousins, par exemple, sont liés à la personne handicapée, mais ne sont pas des descendants ou ascendants en ligne directe de cette personne.

[10] L'appelant fait partie d'un groupe de dispensateurs de soins formé de membres de la famille de personnes à charge qui ne sont pas des enfants, des petits-enfants ou des parents. La distinction n'est pas basée sur la caractéristique personnelle de la personne à charge. Bien que l'appelant puisse être admissible à d'autres crédits d'impôt en vertu de l'article 118, par exemple, il n'a pas droit à un transfert de la fraction inutilisée du crédit d'impôt de la personne handicapée prévu au paragraphe 118.3(2).

[11] Dans l'arrêt Law c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[1], la Cour suprême du Canada a dit que l'objet du paragraphe 15(1) était :

[...] d'empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l'existence d'une société où tous sont reconnus par la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération.

[12] Dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia[2], le juge McIntyre a décrit la discrimination :

[...] comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.

[13] Dans l'arrêt Andrews, la Cour suprême a adopté, à l’égard du paragraphe 15(1) de la Charte, une approche comportant deux étapes. La première étape consiste à déterminer s'il y a une distinction basée sur des caractéristiques personnelles. La seconde étape consiste à déterminer si la distinction donne lieu à une discrimination, car il a été reconnu que ce ne sont pas toutes les distinctions qui donnent lieu à une discrimination. L'avocat de l'appelant invoquait l'arrêt Law, dans lequel la Cour suprême a conclu qu'il faut effectuer une analyse en trois étapes pour se prononcer sur une allégation de discrimination selon le paragraphe 15(1) de la Charte :

Premièrement, la loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? Si tel est le cas, il y a différence de traitement aux fins du par. 15(1). Deuxièmement, le demandeur a-t-il subi un traitement différent en raison d'un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement était-elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l'objet du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique?[3]

[14] La Cour suprême a conclu :

[...] Il y a violation du par. 15(1) de la Charte s'il peut être démontré que, dans la perspective d'une personne raisonnable qui se trouve dans une situation semblable à celle où se trouve le demandeur et qui tient compte des facteurs contextuels pertinents aux fins de l'allégation, l'imposition d'une différence de traitement dans la loi a pour effet de porter atteinte à sa dignité:[4]

[15] Dans l'arrêt Law, la question litigieuse avait trait aux conditions d'admissibilité à des pensions de survivant reliées à l’âge. Lorsque le conjoint survivant avait moins de 35 ans, aucune pension n'était disponible. La Cour suprême a conclu qu'il y avait une différenciation fondée sur un motif énuméré au paragraphe 15(1), à savoir l'âge. Toutefois, cette distinction ne portait pas atteinte à la dignité humaine de la demanderesse, et le paragraphe 15(1) n'était donc pas enfreint. Il semblerait donc qu'une distinction fondée sur un motif énuméré ou sur des motifs analogues n'équivaut pas à une discrimination en vertu du paragraphe 15(1) si elle ne porte pas atteinte à la dignité humaine essentielle[5].

[16] L'avocat de l'appelant a fait valoir qu'une distinction formelle est établie entre l'appelant (et Mme Hoffman) et d'autres proches parents. Il a soutenu que le fait d'être le frère ou la soeur d'une personne est une caractéristique personnelle pour l’application du paragraphe 15(1) de la Charte. À cet égard, il a invoqué l'affaire Collins c. Canada[6] à l'appui de la proposition selon laquelle le statut d'un particulier par rapport à une autre personne est une caractéristique personnelle. Concernant la première étape d'un examen selon le paragraphe 15(1), l'avocat de l'appelant a conclu que l'épouse de l'appelant se voit refuser un avantage pour la seule raison qu'elle est la soeur d'une personne handicapée et non la mère ou la grand-mère de cette personne. Cela représente une différence de traitement réelle.

[17] L'avocat de l'appelant concède qu'aucun texte juridique faisant autorité n'établit que le fait d'être le frère ou la soeur de quelqu'un est analogue ou est une situation de famille. Il soutient toutefois que [TRADUCTION] “ le fait d'être de proches parents entre dans la définition de la situation de famille ”. Il a fait en outre référence aux propos que M. John R. A. Douglas, du Tribunal canadien des droits de la personne, avait tenus dans l'affaire Schaap c. Canada (Forces armées canadiennes)[7], concernant la définition de l’expression “ situation de famille ” et, notamment, concernant son point de vue selon lequel la signification naturelle et ordinaire de l’expression “ situation de famille ” inclut, entre autres, la relation entre frères et soeurs. L'avocat a soutenu que la “ situation de famille ” est un motif de discrimination dans bien des lois sur les droits de la personne. Il a fait référence à l'arrêt Andrews, dans lequel le juge McIntyre a affirmé qu'il faut situer un fardeau discriminatoire ou le refus d'un avantage dans le contexte de l’évolution historique des codes relatifs aux droits de la personne[8].

[18] Quant à savoir s'il y a eu une discrimination réelle, l'avocat de l'appelant a cité le jugement Collins, soit les paragraphes 33 et 34, relativement à l'approche fondée sur la dignité humaine qui a été adoptée dans l'arrêt Law, pour analyser la question de savoir si une distinction législative fondée sur un motif analogue est réellement discriminatoire.

[19] L'avocat a concédé que l'appelant n'est pas victime d'une vulnérabilité ou de désavantages, stéréotypes ou préjugés préexistants. Il a indiqué cependant que, à la manière de parents et de grands-parents, des frères et soeurs s'occupent bel et bien de leurs frères ou soeurs handicapés, question de responsabilité familiale, et qu'ils ont donc les mêmes besoins et capacités que les parents et grands-parents. La loi doit prendre en compte les besoins et capacités effectifs du demandeur, faute de quoi elle risque de porter atteinte à la dignité humaine[9].

[20] Dans l'affaire Collins, le juge d'appel Rothstein a conclu que le groupe exclu de la loi n'était pas plus favorisé que les particuliers visés par la loi, de sorte que l'on ne pouvait dire que la loi avait un objet ou un effet palliatif. Cette conclusion devrait également s'appliquer au présent appel. Le juge Rothstein a fait référence à l'arrêt Law et a dit :

Il se peut que la loi qui a pour objet de remédier au désavantage dont souffrent certains individus ou groupes dans la société n'aille pas à l'encontre du paragraphe 15(1) de la Charte bien qu'elle exclue certains autres individus ou groupes. Cependant, il n'en sera ainsi que si le groupe exclu du bénéfice de cette loi est relativement plus favorisé que le groupe visé.[10]

[21] Pour ce qui est de la nature de l'intérêt touché, l'avocat a affirmé qu'il s'agit de savoir “ si la distinction restreint l'accès à une institution sociale fondamentale, si elle compromet “un aspect fondamental de la pleine appartenance à la société canadienne” ou si elle a “pour effet d'ignorer complètement un groupe particulier” ” : affaire Collins[11]. D'après l'avocat de l'appelant, le fait d'exclure les frères et soeurs de l'avantage prévu par la Loi donne à entendre qu'ils ont moins besoin de ce type d'avantage fiscal, indépendamment de leurs circonstances effectives, et ils se voient ainsi refuser l'accès à un élément de base de l'aide gouvernementale fédérale.

Analyse

[22] Nul doute que le paragraphe 118.3(2) de la Loi établit une nette distinction entre les frères et soeurs s'occupant d'une personne à charge handicapée et les parents, grands-parents, enfants et petits-enfants s'occupant d'une telle personne. Les membres d'une famille qui s'occupent d'un membre handicapé de celle-ci n'ont pas tous droit au transfert du crédit. Il y a une distinction entre les personnes s'occupant d'enfants, de parents et de grands-parents et les personnes s'occupant d'autres membres de la famille comme des frères et soeurs, et la Loi accorde un avantage au premier groupe et non au second. Cette distinction formelle donne lieu à une différence de traitement.

[23] Dans l'arrêt Miron c. Trudel[12], Mme le juge McLachlin (titre qu'elle portait alors) a fait remarquer aux pages 495 et 496 :

Les motifs de discrimination énumérés au par. 15(1) de la Charte font ressortir des caractéristiques de groupe souvent utilisées comme motifs non pertinents de distinction entre les gens. [...] Lorsque l'on détermine si une caractéristique de groupe particulière constitue un motif analogue, la logique veut que la considération fondamentale soit de savoir si cette caractéristique peut servir de motif non pertinent d'exclusion et de négation de la dignité humaine essentielle dans la tradition des droits de la personne. En d'autres termes, cette caractéristique peut-elle servir de base à un traitement inégal fondé sur des caractéristiques stéréotypées attribuées au groupe concerné, plutôt que sur les véritables mérites et capacités de la personne ou sur les circonstances qui lui sont propres? Une réponse affirmative à cette question est une indication que la caractéristique peut être utilisée d'une façon qui va à l'encontre de la dignité et de la liberté de la personne.

[24] Mme le juge McLachlin décrit plusieurs indications de motifs analogues dont la Cour suprême a été saisie : désavantage historique (affaire Andrews, précitée, page 152, juge Wilson, et affaire Turpin, précitée, pages 1331-1332); groupe constituant une “ minorité discrète et isolée ” (affaire Andrews, précitée, page 152, juge Wilson); distinction fondée sur des caractéristiques personnelles (affaire Andrews, précitée, pages 174-175, juge McIntyre); distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles et immuables (affaire Andrews, précitée, page 195, juge La Forest). Les motifs analogues incluent l'orientation sexuelle, l'état matrimonial et la citoyenneté. Ils n'incluent pas la situation de famille.

[25] À mon avis, le paragraphe 118.1(2) de la Loi n'enfreint pas le paragraphe 15(1) de la Charte, car la différence de traitement ne se fonde pas sur un motif énuméré ou sur des motifs analogues. Il y a une distinction entre des membres de la famille de la personne handicapée. Des descendants et ascendants en ligne directe de la personne handicapée peuvent obtenir un avantage auquel d'autres membres de la famille ne sont pas admissibles. Ce n'est pas inusité dans notre société; si une personne meurt intestat sans laisser de conjoint, la succession est d'abord dévolue aux ascendants et descendants du défunt[13]. Leur statut dans le groupe familial est différent. Quoi qu'il en soit, aucune preuve n'indique que des dispensateurs de soins à des membres de la famille handicapés constituent un groupe historiquement défavorisé dans le contexte de la place qu'ils occupent dans la vie sociale, politique et juridique de notre société. Le juge d'appel Linden a écrit ceci dans l'arrêt Schachtschneider c. Canada :

[...] Cependant, à ce stade-ci de l'analyse, la question qui se pose n'est pas celle de savoir si le texte de loi contesté défavorise l'individu ou le groupe en question, mais plutôt si l'individu ou le groupe est indépendamment défavorisé, de manière à ce qu'il corresponde à l'objet premier de l'article 15, qui est de mettre fin ou faire obstacle à la discrimination exercée contre les groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques et de préjugés politiques et sociaux au sein de la société canadienne. Les personnes mariées ne correspondent pas à cette description et, de ce fait, ne peuvent être considérées comme victimes de discrimination du simple fait que l'alinéa 118(1)b) les traite d'une manière différente.[14]

[26] Si la loi établit bel et bien une distinction formelle basée sur des motifs analogues, il faut alors déterminer si la différence de traitement est réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l'objet du paragraphe 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique.

[27] L'avocat de l'appelant dit que la distinction législative en cause porte atteinte à la dignité humaine de l'appelant. Je ne puis conclure que, de par son objet et son effet, le paragraphe 118.3(2) porte atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux. La loi, du point de vue de son objet ou de son effet, est conforme à une société où tous sont reconnus comme tous aussi capables et méritant le même intérêt, le même respect et la même considération[15]. L'avocat de l'appelant n'a pas démontré que l'objet ou l'effet du paragraphe 118.3(2) est une atteinte à la dignité humaine de l'appelant constituant une discrimination. Les frères et soeurs ne forment pas un groupe qui a fait régulièrement l'objet des types de désavantages, de stéréotypes ou de préjugés politiques ou sociaux subis par d'autres minorités discrètes et isolées.

[28] Comme le disait le juge Gonthier dans l'arrêt Thibaudeau c. Canada [16] :

Or il est de l'essence même de la LIR de faire des distinctions, de manière à générer des revenus pour l'État tout en composant de façon équitable avec un ensemble d'intérêts forcément divergents. Dans cette perspective, le droit au même bénéfice de la loi ne saurait signifier que chaque contribuable a un droit égal de recevoir les même sommes, déductions ou avantages mais seulement un droit d'être également régi par la loi.

[...]

Ceci étant, il ne faudrait donc pas confondre le concept d'équité fiscale, qui vise la meilleure répartition du fardeau fiscal compte tenu des besoins du fisc, de la capacité de payer des contribuables et des politiques économiques et sociales de l'État avec la notion de droit à l'égalité qui veut, comme je l'exposerai en détail ci-dessous, qu'un membre d'un groupe ne soit pas désavantagé en raison d'une caractéristique personnelle non pertinente partagée par ce groupe.

[29] L'essence même de la Loi est d'établir des distinctions, et ces distinctions ne doivent pas servir à confondre le concept d'équité fiscale avec la notion de droit à l'égalité. Les tribunaux doivent être circonspects quand ils cherchent à comprendre après coup des distinctions économiques et sociales établies par le Parlement.

[30] Heureusement pour des contribuables comme les Hoffman, le gouvernement a annoncé dans son dernier budget que le crédit d'impôt pour déficience sera modifié de manière à en permettre le transfert de fractions inutilisées à une liste élargie de personnes, y compris les frères et soeurs, qui s'occupent de membres de la famille handicapés[17]. Ce projet de modification de la Loi n'aide pas l'appelant pour 1997. J'ai donc demandé aux avocats des observations écrites pour déterminer si l'appelant pourrait avoir gain de cause dans son appel dans la mesure où je pourrais conclure que M. et Mme Hoffman tenaient lieu de parents de Mlle Boranko.

[31] Le paragraphe 252(1) de la Loi définit le mot “ enfant ” comme suit :

(1) Dans la présente loi, est considéré comme un enfant d'un contribuable :

a) une personne, née du mariage ou hors mariage, dont le contribuable est le père naturel ou la mère naturelle;

b) une personne qui est entièrement à la charge du contribuable et dont celui-ci a la garde et la surveillance, en droit ou de fait, ou les avait juste avant que cette personne ait atteint l'âge de 19 ans;

c) un enfant du conjoint du contribuable;

d) un enfant adopté par le contribuable;

e) le conjoint d'un enfant du contribuable.

[32] La liste des personnes définies comme étant des enfants au paragraphe 252(1) n'inclut pas une soeur du conjoint du contribuable, et la définition du mot “ enfant ” ne devrait pas inclure une personne pour laquelle un particulier tient lieu de parent. Les tribunaux doivent être circonspects avant de conclure qu'une intention implicite du législateur sous-tend les dispositions claires de la Loi[18].

[33] Dans l'arrêt Ogg-Moss c. R.[19],le juge Dickson, titre qu'il portait alors, a examiné le sens du mot “ enfant ” et a conclu qu'un particulier ne pouvait tenir lieu de parent d'un adulte, l'adulte n'étant pas un enfant. Il a dit aux pages 187 et 188 :

Si les adultes arriérés mentaux doivent être considérés comme des “enfants” simplement parce qu'ils dépendent d'une personne qui “fait fonction de parents”, on voit mal comment la catégorie des “enfants” se limiterait aux arriérés mentaux. On pourrait invoquer sensiblement le même argument en ce qui concerne les rapports fonctionnels entre les personnes atteintes de sénilité ou d'autres troubles des facultés cognitives, ou peut-être même les victimes d'apoplexie ou les autres invalides, et ceux qui en prennent soin. Si une incapacité de pourvoir à ses besoins fondamentaux ou une incapacité, en raison de son état mental, de fonctionner de manière indépendante dans la société sont des indices d'“infantilisme”, alors la catégorie des adultes exposés au châtiment corporel est vraiment très vaste. À mon avis, une analyse fonctionnelle d'une dépendance infantile n'est pas appropriée dans les cas que je viens de mentionner et, pour des motifs semblables, je ne peux l'accepter dans le cas des adultes arriérés mentaux.

Un adulte arriéré mental n'est un enfant ni en fait, ni aux fins de la loi en général, ni aux fins de l'art. 43 du Code criminel en particulier.

[Le soulignement est de moi.]

Ce raisonnement s'appliquerait à tous les adultes handicapés.

[34] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'août 2000.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de février 2001.

Isabelle Chénard, réviseure



[1]               [1999] 1 R.C.S. 497 (page 529, paragraphe 51).

[2]               [1989] 1 R.C.S. 143, aux pages 174 et 175.

[3]               Arrêt précité, page 524, paragraphe 39.

[4]               Page 541, paragraphe 75.

[5]               Voir Hogg, Constitutional Law of Canada, édition à feuilles mobiles, p. 52-23. Voir aussi l'arrêt M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, et l'arrêt Corbiere c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 203.

[6]               [2000] 2 C.F. 3.

[7]               [1988] D.C.D.P. No 4 (Q.L.), pages 12-13.

[8]               Arrêt précité, pages 172-174; voir l'arrêt Law, précité, page 518, paragraphe 27.

[9]               Affaire Collins, précitée, pages 49-50.

[10]             [2000] 2 C.F. 3, page 33, paragraphe 51.

[11]             Paragraphe 53.

[12]             [1995] 2 R.C.S. 418.

[13]             Voir, par exemple, Estate Administration Act, R.S. B.C., ch. 122, art. 84-89.

[14]             [1994] 1 C.F. 40, p. 74 [93 DTC 5298, à la page 5311]. Voir aussi la page 77 [DTC : page 5312], où le juge d'appel Linden considère la fonction de l'article 118.

[15]             Arrêt Laws, précité, paragraphe 99.

[16]             [1995] 2 R.C.S. 627, paragraphe 91.

[17]             28 février 2000, résolution 16.

[18]             Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 [99 DTC 5669, à la page 5677], juge McLachlin (titre qu'elle portait alors).

[19]             [1984] 2 R.C.S. 173.

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