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Date : 19990406

Dossier : 97-618-IT-G

ENTRE :

WARREN J. A. MITCHELL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

[1] Toutes les dispositions mentionnées sont contenues dans la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ).

QUESTIONS EN LITIGE

[2] La question en litige est celle de savoir si l’appelant a droit à desdéductions relativement à des frais d’exploration au Canada[1] et des frais d’aménagement au Canada[2] pour les années d’impositions1988, 1989 et 1990, considérant :

a) d'une part, qu'une « corporation d’exploration en commun » ( « CEC » ) ¾ au sens de l’alinéa 66(15)g) ¾ a renoncé, en faveur de sa corporation actionnaire ( « CA » ) ¾ au sens de l’alinéa 66(15)i) ¾ aux frais d’exploration et d’aménagement, en application des paragraphes 66(10.1) et 66(10.2);

b) d'autre part, que CA a renoncé à ces mêmes frais d’exploration et d’aménagement en faveur de l’appelant, conformément à une convention prévoyant le paiement d’une action accréditive ( « AA » ), en application des paragraphes 66(12.6) et 66(12.62).

FAITS

[3] Les parties ont déposé un EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS comprenant notamment la déclaration suivante :

[TRADUCTION]

Les parties conviennent que, dans le cadre de cet appel, les questions de fait se limiteront aux faits qui suivent ainsi qu’aux documents ci-joints et que, lors de l’audition du présent appel, aucun témoin ne sera entendu et aucun autre document ne sera produit.

[4] Les parties conviennent de ce qui suit :

(1) CEC était une « corporation d’exploration en commun » au sens de l’alinéa 66(15)g).

(2) CA était une « corporation actionnaire » au sens de l’alinéa 66(15)i) et détenait 51% des droits de vote de CEC.

(3) L’appelant était l’un des administrateurs et l’unique actionnaire de CA.

(4) CEC a été constituée le 30 décembre 1987 et a commencé ses activités le 9 juin 1988. Ses années d’imposition se sont terminé le 30 décembre 1988, le 30 décembre 1989 et le 12 décembre 1990, et elle a été dissoute à cette dernière date.

(5) CA a été constituée le 30 décembre 1987 et a commencé ses activités le 9 juin 1988. À partir de 1989, ses années d’imposition se terminaient le 31 janvier.

(6) Dans une convention en date du 9 juin 1988 ( « convention de renonciation » ), CEC a convenu d’émettre à l’intention de CA des actions avec droit de vote d’une valeur de 300 000 $, d’engager des frais d’exploration et d’aménagement équivalant à la totalité de ce montant et de renoncer à ces frais en faveur de CA, en application des paragraphes 66(10.1) et 66(10.2).

(7) Dans une convention en date du 9 juin 1988 ( « convention de transfert » ), CA a accepté d’émettre à l’intention de l’appelant 300 000 actions ordinaires d’une valeur de 300 000 $, d’engager des frais d’exploration et d’aménagement s’élevant à 300 000 $ au cours de la période débutant le 9 juin 1988 et se terminant le 28 février 1990 et de renoncer à ces frais en faveur de l’appelant.

(8) CA n’a affecté aucun de ses fonds à des activités d’exploration ou d’aménagement et, par conséquent, n’a elle-même engagé aucun frais de cette nature pendant la période mentionnée ci-dessus.

(9) CEC a engagé :

(a) des frais d’exploration s’élevant à 154 909 $ au cours de son année d’imposition 1988,

(b) des frais d’exploration s’élevant à 120 091 $ au cours de son année d’imposition 1989, et

(c) des frais d’aménagement s’élevant à 25 000 $ au cours de son année d’imposition 1989.

(10) Le 29 mai 1989, CEC a déposé auprès de Revenu Canada un formulaire daté du 26 avril 1989 et consignant son choix de renoncer, en faveur de CA, à des frais d’exploration s’élevant à 154 909 $, engagés par CEC avant la fin de son année d’imposition 1988.

(11) Le 28 avril 1989, CA, utilisant le formulaire prescrit, a déposé auprès de Revenu Canada, une renonciation en faveur de l’appelant aux frais d’exploration de 154 909 $ engagés par CEC et auxquels cette dernière avait renoncé en faveur de CA. La renonciation de CA prenait effet le 31 décembre 1988 ( « renonciation de 1988 » ).

(12) Le 16 avril 1990, CEC a déposé auprès de Revenu Canada un formulaire daté du 12 avril 1990 et consignant son choix de renoncer, en faveur de CA, à des frais d’exploration et d’aménagement s’élevant respectivement à 120 091 $ et 25 000$, engagés par CEC avant la fin de son année d’imposition 1989.

(13) Le 14 mai 1990, CA, utilisant le formulaire prescrit, a déposé auprès de Revenu Canada, une renonciation en faveur de l’appelant aux frais d’exploration de 120 091 $ et d’aménagement de 25 000 $. Cette renonciation prenait effet le 31 décembre 1989 ( « renonciation de 1989 » ).

(14) Pour ses années d’imposition 1988 et 1989, l’appelant a inclus dans le calcul de ses « frais cumulatifs d’exploration au Canada » [3] les sommes de 154 909 $ et de 120 091 $, respectivement. Pour son année d’imposition 1989, il a inclus la somme de 25 000 $ à ses « frais cumulatifs d’aménagement au Canada » [4].

(15) Le ministre du Revenu national a refusé l’inclusion de ces montants à l’égard des années d’imposition 1988, 1989 et 1990 de l’appelant.

Il n’y a pas eu d’audience, les parties ayant soumis des arguments écrits à la Cour.

ARGUMENTS DE L’APPELANT

[5] La position de l’appelant est simple et sans équivoque. L’extrait pertinent du paragraphe 66(10.1) se lit comme suit :

Une corporation d’exploration en commun peut, au cours d’une année d’imposition donnée ou dans les 6 mois qui en suivent la fin, choisir, selon le formulaire prescrit, de renoncer pour cette année, en faveur d’une autre corporation, à une partie convenue de la totalité des frais d’exploration que la corporation d’exploration en commun a engagés au Canada pendant une période (se terminant avant la fin de l’année d’imposition donnée) tout au long de laquelle l’autre corporation était une corporation actionnaire [...] et, au moment du choix, cette partie convenue [i.e. ces frais] [...] est réputée représenter, aux fins des alinéas 66.1(6)a) et b), des frais d’exploration au Canada engagés parl’autre corporation pendant son année d’imposition au cours de laquelle l’année donnée se termine [...]

(les italiques sont ajoutés)

Le paragraphe 66(10.2) prévoit des règles similaires en cas de renonciation aux frais d’aménagement.

[6] Les « frais d’exploration au Canada » d’un contribuable sont définis à l’alinéa 66.1(6)a) comme étant :

les dépenses suivantes, engagées [...]

qui sont énumérées à l’alinéa. Aucune de ces dépenses ne s’applique en l’espèce.

[7] L’avocat de l’appelant fait donc valoir qu’en vertu des dispositions déterminatives, les frais d’exploration et d’aménagement engagés par CEC sont assimilables à des frais d’exploration et d’aménagement engagés par CA et ce, pour toutes fins. En raison des alinéas 66.1(6)b) et 66.2(5)b), ces frais d’exploration et d’aménagement entrent dans la catégorie des « frais cumulatifs d’exploration au Canada » ainsi que dans celle des « frais cumulatifs d’aménagement au Canada » de CA.

[8] L’avocat de l’appelant allègue ensuite que, conformément aux paragraphes 66(12.6), 66(12.61), 66(12.62) et 66(12.63), il est possible de renoncer à ces frais d’exploration et d’aménagement en faveur de l’appelant et que ceux-ci sont, de ce fait, réputés être des frais d’exploration et d’aménagementengagés par l’appelant et non pas par CA. Ces dispositions[5] se lisent comme suit :

66(12.6) Dès lors que, conformément à une convention, une personne paye une action accréditive à la corporation qui la lui émet et que la corporation engage des frais d’exploration au Canada au cours de la période commençant à la date de conclusion de la convention et se terminant 24 mois après la fin du mois qui comprend cette date, la corporation peut, en ce qui concerne cette action [...] renoncer en faveur de cette personne, dans cette période ou dans les 30 jours suivants, [...] ces frais, engagés au cours de la période et au plus tard à la date où la renonciation prend effet ¾ à savoir le premier en date du jour où la renonciation est faite et du jour de prise d’effet précisé sur le formulaire requis [...]

[9] Le paragraphe 66(12.61) est libellé comme suit :

Dans le cas où une corporation renonce à un montant en faveur d’une personne en vertu du paragraphe (12.6) :

a) d'une part, les frais d’exploration au Canada auxquels ce montant se rapporte sont réputés être des frais d’exploration au Canada de ce montant engagés par cette personne à la date où la renonciation prend effet;

b) d'autre part, les frais d’exploration au Canada auxquels ce montant se rapporte sont réputés, à compter de la date où la renonciation prend effet, n’avoir jamais été engagés par la corporation.

(les italiques sont ajoutés)

L’avocat de l’appelant invoque également le paragraphe 66(12.67), qui est libellé comme suit :

Une corporation ne peut renoncer, en vertu des paragraphes (12.6), (12.62) et (12.64), aux frais qu’elle est réputée avoir engagés à cause d’une renonciation en sa faveur en vertu du présent article par une autre corporation qui ne lui est pas liée.

Selon la position adoptée par l’avocat de l’appelant, il est implicite que CA et CEC étaient toutes deux liées au sens de la Loi, en raison du contrôle qu’exerçait la première sur la deuxième.

[10] Dans ses arguments écrits, l’avocat de l’appelant affirme qu’il ne fait aucun doute que si CA avait réellement engagé les frais, elle aurait pu y renoncer en faveur de l’appelant. Il ajoute qu’en raison de la règle déterminative, les frais qui sont réputés avoir été engagés par CA sont considérés comme s’ils avaient de fait été engagés par CA. Il soutient que c’est par le biais de règles déterminatives que le législateur manifeste son intention de considérer une chose comme étant ce qu’elle n’est pas. Il cite enfin l’extrait suivant de l’arrêt La Reine c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838 (à la p. 845) :

Une disposition déterminative est une fiction légale; elle reconnaît implicitement qu’une chose n’est pas ce qu’elle est censée être, mais décrète qu’à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu’elle n’est pas ou ne semble pas être. Par cet artifice, une disposition déterminative donne à un mot ou à une expression un sens autre que celui qu’on leur reconnaît habituellement et qu’il conserve là où on l’utilise; elle étend la portée de ce mot ou de cette expression comme le mot « comprend » dans certaines définitions; cependant, en toute logique, le verbe « comprend » n’est pas adéquat et sonne faux parce que la disposition crée une fiction.

ANALYSE ET CONCLUSION

[11] J’adhère à la position de l’appelant.

[12] Je ferai état des points principaux de la position de l’intimée ainsi que de mes réactions à ceux-ci.

[13] L’avocate de l’intimée avance que les dispositions déterminatives qui font partie des règles relatives aux corporations d’exploration en commun ne sont pas suffisamment larges pour permettre une « double renonciation » et que, par conséquent, les dépenses déduites par l’appelant ne respectent pas la lettre des règles concernant les renonciations. Elle allègue qu’en vertu du paragraphe 66(10.1), les dépenses ne sont réputées avoir été engagées par l’ « autre corporation » , en l’occurrence CA, qu’ « aux fins des alinéas 66.1(6)a) et b) de la Loi » . Elle soutient de plus que les dispositions déterminatives n’ont d’autre but que de fournir des mécanismes permettant à l’ « autre corporation » , en faveur de laquelle il y a eu renonciation, de considérer les dépenses comme si c’était elle qui les avait engagées, lors du calcul des divers blocs de dépenses à l’égard desquels elle pourrait alors demander des déductions. Elle affirme ensuite que les termes employés sont suffisamment précis pour répondre à cet objectif mais qu’ils ne permettent pas de considérer que les dépenses ont été engagées à n’importe quelle fin. Or rien, dans le libellé de ces dispositions, ne me permet d’adopter une telle interprétation. En énonçant que les frais d’exploration auxquels CEC a renoncé en faveur de CA sont réputés avoir été engagés par cette dernière, le paragraphe 66(10.1) permet, simplement et de façon explicite, de considérer ainsi ces frais – rien de plus et rien de moins. Ni ce paragraphe, ni les alinéas 66.1(6)a) et 66.1(6)b), ne restreignent l’utilisation de ces frais d’exploration. Le même raisonnement vaut à l’égard du paragraphe 66(10.2) et des alinéas 66.2(5)a) et 66.2(5)b) en ce qui a trait aux frais d’aménagement.

[14] Les arguments écrits se poursuivent ainsi :

[TRADUCTION]

Le paragraphe 66(10.1) prévoit d’autre part que les dépenses sont réputées avoir été engagées « au cours d'une année d'imposition donnée de l'autre corporation » [soit CA]. Cependant, aux termes de cette disposition, ces dépenses ne sont pas réputées avoir été engagées à un moment donné au cours de l’année d’imposition. Bien que le libellé suffise pour permettre à [CA] d’inclure les dépenses dans ses propres blocs de ressources, il n’est pas suffisamment large pour convertir ces dépenses en dépenses engagées par [CA] à n’importe quelle fin.

En réalité, l’extrait cité par l’avocate de l’intimée, à savoir [TRADUCTION] « au cours d'une année d'imposition donnée de l'autre corporation » n’est pas exact. Le paragraphe 66(10.1) édicte qu’une corporation d’exploration en commun peut, « au cours d'une année d'imposition donnée » renoncer en faisant un choix et, qu’en ce faisant, la dépense

est réputée représenter, aux fins des alinéas 66.1(6)a) et b), des frais d’exploration au Canada engagés par l’autre corporation pendant son année d’imposition au cours de laquelle l’année donnée se termine[...]

(les italiques sont ajoutés)

[15] L’avocate de l’intimée ajoute que :

[TRADUCTION]

...étant donné que ces dispositions ne précisent pas le jour auquel les dépenses sont réputées avoir été engagées, ces dernières ne peuvent être considérées dans le cadre de dispositions exigeant que la dépense soit engagée à un moment donné.

Dans le présent cas, les dispositions relatives aux actions accréditives (les paragraphes 66(12.6) et 66(12.62) de la Loi) sur lesquelles l’appelant s’appuie exigent que les frais soient engagés « au cours de la période commençant à la date de conclusion de la convention et se terminant 24 mois après la fin du mois qui comprend cette date » .

Elle soutient ensuite que :

[TRADUCTION]

Puisqu’en vertu des paragraphes 66(10.1) et 66(10.2) de la Loi, les dépenses en question ne sont pas réputées avoir été engagées au cours d’une journée donnée, l’on ne peut en conclure qu’elles ont été engagées pendant la période spécifique indiquée par les paragraphes 66(12.6) et 66(12.62) de la Loi.

Je ne suis pas d’accord. Aucune disposition n’exige qu’une dépense ait été engagée « à un moment donné » ou « au cours d’une journée donnée » . Le paragraphe 66(12.6) prévoit que dès lors que, conformément à une convention (convention de transfert), une personne (l’appelant) paye (300 000 $) une action accréditive à la corporation (CA) qui la lui émet et que,

au cours de la période commençant à la date de conclusion de la convention [9 juin 1988] et se terminant 24 mois après la fin du mois qui comprend cette date [1er juillet 1990]

la corporation a engagé des frais d’exploration, elle peut, dans cette période ou dans les 30 jours suivants,

en ce qui concerne cette action [...] renoncer en faveur de cette personne [l’appelant] [...] au plus tard à la date où la renonciation prend effet ¾ à savoir le premier en date du jour où la renonciation est faite et du jour de prise d’effet précisé sur le formulaire requis [...]

aux frais qu’elle a engagés pendant cette période.

[16] Tous les frais d’exploration et d’aménagement sont réputés avoir été engagés par CA au cours de la période mentionnée ci-dessus. Les frais d’exploration s’élevant à 154 909 $, engagés par CEC au cours de l’année d’imposition qui s’est terminée le 30 décembre 1988, sont réputés avoir été engagés par CA au cours de son année d’imposition 1989[6]. L’on a convenu que CA a renoncé à ces frais d’exploration en faveur de l’appelant et que cette renonciation prenait effet le 31 décembre 1988[7]. Les frais d’exploration de 120 091 $ de même que les frais d’aménagement de 25 000 $ engagés par CEC au cours de son année d’imposition qui s’est terminée le 30 décembre 1989 sont réputés avoir été engagés par CA au cours de son année d’imposition 1990[8]. L’on a convenu que CA a renoncé à ces frais d’exploration et d’aménagement en faveur de l’appelant et que cette renonciation prenait effet le 31 décembre 1989[9].

[17] L’avocate de l’intimée compare ensuite le libellé des dispositions déterminatives relatives aux corporations d’exploration en commun [66(10.1) et 66(10.2)] avec celui des dispositions déterminatives relatives aux actions accréditives [66(12.61) et 66(12.63)]. Elle poursuit en se référant aux propositions du budget à l’égard du paragraphe 66(12.67) ainsi qu’à [TRADUCTION] « l’économie » de la Loi concernant les dépenses de ressources. Elle aborde la question des [TRADUCTION] « incitatifs fiscaux » invoqués par l’appelant et décrit l’historique de la notion de corporation d’exploration en commun, au moment de son introduction en 1962, en y ajoutant un exposé sur l’objet des dispositions relatives aux corporations d’exploration en commun. Elle évoque également les « Notes techniques sur l’Avis de motion des voies et moyens visant à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu » publiées par le ministre des Finances au mois d’octobre 1986. Elle traite enfin de la question de l’objet et de l’esprit, alléguant que les dispositions sur les corporations d’exploration en commun n’ont pas été élaborées dans le même but que les dispositions relatives aux actions accréditives et, qu’autrement, il serait inutile d’avoir deux incitatifs distincts et, partant, deux séries de règles distinctes portant sur la renonciation d’une personne à des dépenses en faveur d’une autre.

[18] J’ai analysé cette approche et suis en désaccord avec cette interprétation des dispositions législatives en question. À cet égard, la Cour Suprême du Canada a, à de nombreuses reprises, fait des remarques portant spécifiquement sur la question de l’objet et de l’esprit de textes législatifs. Dans l’arrêt Antosko et al v. The Queen, 94 DTC 6314 (CSC), le juge Iacobucci précise (à la p. 6321) :

En l'absence d'ambiguïté des termes de la disposition, il n'appartient pas à notre Cour de conclure que les appelants devraient se voir refuser une déduction parce qu'ils ne méritent pas une « aubaine » , comme l'intimée le soutient. En l'absence d'une ambiguïté qui forcerait le tribunal à examiner les résultats de l'opération pour déterminer l'intention du législateur, l'évaluation normative des conséquences de l'application d'une disposition donnée relève du législateur et non des tribunaux.

[19] Dans l’arrêt Duha Printers (Western) Ltd. v. Her Majesty the Queen, 98 DTC 6334 (CSC), le juge Iacobucci écrit (à la p.6350) :

En outre, notre Cour a souligné dans l'arrêt Antosko, précité, [...] que, bien que diverses techniques puissent être utilisées pour interpréter la Loi, « ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l'effet juridique et pratique de l'opération est incontesté » .

[20] Dans l’arrêt Mattabi Mines Ltd. v. Ontario (Minister of Revenue), [1988] 2 C.T.C. 294 (CSC), le juge Wilson affirme (à la p. 304) :

L’interprétation selon « l’objet et l’esprit » de la Loi ne peut, à mon avis, supplanter une définition législative claire. Il ne s’agit pas d’un cas où la Cour a le choix des interprétations qu’elle peut donner au langage utilisé par le législateur. Le législateur a abordé le sujet expressément.

[21] Dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. v. The Queen, 84 DTC 6305 (CSC), le juge Estey mentionne (à la p. 6323) que dans son ouvrage Construction of Statutes 2e éd. (1983), à la p. 87, E.A. Driedger « énonce la règle moderne de façon brève » , à savoir :

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[22] Dans l’arrêt Neuman v. M.N.R., 98 DTC 6297 (CSC), la Cour Suprême du Canada fait l’observation suivante (à la p. 6305) :

Nous ne devrions pas nous empresser de rehausser la disposition en cause ici, alors qu'il est loisible au législateur d'être précis quant aux méfaits à éviter.

[23] Dans l’arrêt Friesen v. The Queen, 95 DTC 5551 (CSC), le juge Major souligne (à la p. 5553) :

J'accepte les commentaires suivants qui ont été faits à l'égard de l'arrêt Antosko dans l'ouvrage de P. W. Hogg et J. E. Magee, intitulé Principles of Canadian Income Tax Law (1995), dans la section 22.3c) [TRADUCTION] « Interprétation stricte et fondée sur l'objet visé » , aux pp. 453 et 454:

[TRADUCTION] La Loi de l'impôt sur le revenu serait empreinte d'une incertitude intolérable si le libellé clair d'une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions tacites tirées de la conception qu'un tribunal a de l'objet de la disposition. [...] [L'arrêt Antosko] ne fait que reconnaître que « l'objet » ne peut jouer qu'un rôle limité dans l'interprétation d'une loi aussi précise et détaillée que la Loi de l'impôt sur le revenu. Lorsqu'une disposition est rédigée dans des termes précis qui n'engendrent aucun doute ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée nonobstant son objet. Ce n'est que lorsque le libellé de la loi engendre un certain doute ou une certaine ambiguïté, quant à son application aux faits, qu'il est utile de recourir à l'objet de la disposition.

[24] Ainsi qu'il a été mentionné ci-dessus, le paragraphe 66(10.1) prévoit que les frais d’exploration auxquels CEC a renoncé en faveur de CA sont réputés :

représenter, aux fins des alinéas 66.1(6)a) et b), des frais d’exploration au Canada engagés par

CA. Aucune limite n’est établie à l’égard des frais d’exploration ainsi engagés par CA. Le même raisonnement vaut à l’égard des frais d’aménagement qui ont fait l’objet d’une renonciation, en application du paragraphe 66(10.2). Le libellé est sans équivoque. Il n’est nullement nécessaire de s’interroger sur l’objet et l’esprit des dispositions en cause.

[25] L’appelant a déduit les frais d’exploration et d’aménagement, lesquels ne peuvent être déduits qu’une seule fois. Voilà l'effet « juridique et pratique » [10] des dispositions législatives pertinentes. Nul autre que l’appelant ne pourrait avoir droit aux déductions demandées par ce dernier. L’une des conséquences des lois comportant des mesures d’incitation, est que des déductions soient accordées. Les autorités fiscales ne subissent aucun préjudice du fait que l’appelant obtienne gain de cause en l’espèce.

[26] Pour ces motifs, les appels sont accueillis, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’avril 1999.

« R. D. Bell »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de janvier 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]           Au sens de l’alinéa 66.1(6)a).

[2]           Au sens de l’alinéa 66.2(5)a).

[3]        Il s’agit d’un « bloc » de frais d’exploration (alinéa 66.1(6)b)) qui peuvent être déduits par le contribuable.

[4]        Il s’agit d’un « bloc » de frais d’aménagement (alinéa 66.2(5)b)) qui peuvent être déduits par le contribuable.

[5]           Seules les dispositions relatives aux frais d’exploration sont reproduites, le libellé des dispositions relatives aux frais d’aménagement étant presque identique.

[6]           En vertu du paragraphe 66(10.1), les frais d’exploration engagés au cours de l’une des années d’imposition de CEC (année d’imposition 1988) et auxquels cette dernière a renoncé, sont réputés être les frais d’exploration de CA « pendant son année d’imposition au cours de laquelle l’année donnée se termine » . Il s’agirait de l’année d’imposition 1989 de CA, puisque l’année d’imposition 1988 de CEC se termine pendant l’année d’imposition 1989 de CA.

[7]           En vertu du paragraphe 66(12.6).

[8]           La note 6 s’applique à l’égard des frais d’exploration de 120 091 $. Le paragraphe 66(10.2) est identique en ce qui a trait aux frais d’aménagement de 25 000 $.

[9]           En vertu des paragraphes 66(12.6) et 66(12.62).

[10]          D’après Duha, précité.

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