Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990728

Dossiers: 97-1830-IT-G; 98-2419-IT-G

ENTRE :

NOËLLA SIMONEAU,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] Ces deux dossiers regroupent des appels de cotisations en matière d’impôt sur le revenu établies par le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) pour les années d’imposition 1992, 1993, 1994, 1995 et 1996 de l’appelante.

[2] L’appelante est médecin anesthésiste. Elle habite et pratique à Rivière-du-Loup (Québec). Elle est mariée à monsieur Henri Alcaraz qui a deux fils nommés Philippe et Jean Alcaraz.

[3] L’appelante possède un terrain à St-Adelphe près de Trois-Rivières (Québec) sur lequel elle exploite une plantation de conifères depuis 1987 (la “ plantation ”). Au cours des années en litige son conjoint et les fils de celui-ci ont exécuté les travaux requis sur cette plantation.

[4] De plus, depuis 1984, l’appelante utilise la raison sociale “ Centre Jardin Montchatel enr. ” (“ Montchatel ”) pour vendre des arbres, des arbustes et des plantes, de même que pour faire des travaux de terrassement l'été et de déneigement l'hiver dans la région de Québec. Les activités gérées par le conjoint de l'appelante étaient menées à partir d’un terrain situé à Loretteville (Québec) acquis par l’appelante en 1983. En 1997, les activités ont été déplacées sur un terrain loué à St-Augustin-de-Desmaures, plus près de Québec.

Question en litige

[5] Quatre questions résultant des cotisations mentionnées faisaient initialement l’objet d’un litige. D’abord, l’appelante contestait le refus du Ministre de lui accorder une déduction de 29 700 $ dans le calcul de son revenu professionnel à titre de “ frais de gérance ” payés à son conjoint pour son année d’imposition 1992. L’appelante reconnaît maintenant que ces frais se rapportent à la gestion de Montchatel et qu’ils doivent être déduits dans le calcul du revenu provenant des activités s’y rapportant. Ceci a pour effet d’augmenter d’un montant équivalent la perte de 94 416 $ de Montchatel réclamée par l’appelante et refusée par le Ministre pour cette même année d’imposition au motif que l’appelante n’avait pas d’expectative raisonnable de profit quant à ces activités. Ainsi, la perte refusée à cet égard s’élèverait à 124 116 $ plutôt qu'à 94 416 $ pour l’année d’imposition 1992 de l’appelante.

[6] La deuxième question en litige concernait le refus du Ministre d’accorder à l’appelante la déduction d’une somme de 11 503 $ à titre de cotisations professionnelles pour l'année d’imposition 1994. L’avocate de l’intimée accepte que ce montant puisse faire l’objet d’une déduction dans le calcul du revenu de l’appelante pour son année d’imposition 1995. Ainsi, la cotisation pour cette année devra être déférée au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l’appelante peut déduire ce montant de 11 503 $ pour l'année d’imposition 1995.

[7] La troisième question concernait la réclamation de pertes agricoles en rapport avec la plantation pour les années en litige. Par les cotisations pour ces années, le Ministre refusait à l’appelante la déduction complète des pertes subies en leur accordant le traitement prévu à l’article 31 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”). L’appelante ne conteste plus cette décision.

[8] Enfin, la quatrième question, la seule qui demeure en litige, concerne le refus du Ministre d’accorder à l'appelante la déduction des pertes provenant des activités de Montchatel dans le calcul de son revenu pour chacune des années 1992 à 1996 inclusivement au motif qu'elle n'avait pas d'expectative raisonnable de profit quant à ces activités.

Résumé de la preuve

[9] Les activités de Montchatel ont débuté en 1982 ou 1983 par l'achat d'un terrain situé à Loretteville pour lequel l'appelante a déboursé une somme de 48 000 $. À l'alinéa 11.cc. de la Réponse à l'avis d'appel (dossier     # 97-1830(IT)G) on signale que le terrain a été acquis d'une institution financière qui l'avait repris suite à la faillite du beau-frère de l'appelante, monsieur Jules Alcaraz. C'est monsieur Henri Alcaraz, le conjoint de l'appelante, qui a géré les activités de Montchatel depuis le tout début.

[10] Depuis 1984, l’appelante réclame des pertes importantes en rapport avec ces activités et celles-ci ont été acceptées par le Ministre de 1984 à 1991 inclusivement. Toutefois, aucun chiffre n'a été fourni concernant les années d'imposition précédant 1988.

[11] De façon à donner un aperçu global de la situation depuis les dix dernières années pour lesquelles les déclarations de revenu ont été produites, soit de 1988 à 1997, le tableau qui suit fait état pour chacune des années d’abord, dans la colonne 1, du revenu professionnel net de l’appelante, puis dans la colonne 2, des pertes réclamées à l’égard des activités de Montchatel et enfin, dans la colonne 3, du revenu brut des activités de Montchatel. Le montant représentant le total des dépenses annuelles de Montchatel et de la déduction pour amortissement réclamée à chaque année est indiqué à la colonne 4. Il s’agit simplement de l’addition des montants inscrits aux colonnes 2 et 3.[1]

(1)

(2)

(3)

(4)

Années

Rev. professionnel

(net)

Perte Montchatel

(nette)

Revenu Montchatel

(brut)

Dépenses et amortis-

sement Montchatel

1988

113 107 $

(106 825 $)

34 984 $

141 809 $

1989

125 810 $

(121 495 $)

16 041 $

137 536 $

1990

88 244 $

(80 832 $)

32 129 $

112 961 $

1991

94 691 $

(80 438 $)

38 076 $

118 514 $

Années é1992

148 940 $1

(124 116 $)1

63 723 $

   187 839 $1

½1993

147 390 $

(99 415 $)

50 151 $

149 566 $

En ½1994

163 320 $2

(123 402 $)

47 155 $

170 557 $

½1995

159 670 $2

(89 425 $)

71 151 $

160 576 $

Litige ë1996

164 550 $

(72 084 $)

82 021 $

154 105 $

1997

186 145 $

(55 977 $)

74 382 $

130 359 $

Total

1 391 867 $

(954 009 $)

509 813 $

1 463 822 $

1 Après rajustement de 29 700 $ mentionné au paragraphe [5] ci-haut.

2 Le revenu professionnel de 1994 devrait être augmenté de 11 503 $ et celui de 1995 diminué d’un même montant suite au rajustement dont il est question au paragraphe [6] ci-haut.

[12] Ces chiffres sont, pour dire le moins, troublants. J'y reviendrai un peu plus loin.

[13] Monsieur Henri Alcaraz et l'appelante ont témoigné. Madame France Côté, vérificatrice à Revenu Canada en 1995 et 1996, a témoigné pour l'intimée.

[14] Monsieur Alcaraz qui gère les activités de Montchatel depuis ses débuts en 1983 ou 1984 est fils de cultivateur et affirme avoir de l'expérience en agriculture pour avoir travaillé notamment pour le ministère de l'Agriculture et pour la société CIL dans le secteur agricole. En matière de déneigement, il dit avoir de l'expérience depuis 1975. Comme il a été mentionné, c'est avec l'achat du terrain à Loretteville que les activités de Montchatel ont débuté. Un emprunt de 50 000 $ aurait été requis pour cet achat. En 1984, l'appelante aurait obtenu une marge de crédit de 60 000 $ dont la moitié aurait été utilisée pour financer les activités de Montchatel. Elle aurait ensuite contracté d'autres emprunts jusqu'à concurrence de 70 000 $ garantis par une hypothèque sur sa résidence de Rivière-du-Loup. Aucun remboursement du capital de l'emprunt initial ou sur la marge de crédit n'aurait été effectué, seuls les intérêts étant payés à chaque année. Le terrain n'est plus utilisé pour les activités de Montchatel depuis 1997 et est loué à un centre commercial qui doit l'acquérir en 2002, ce qui permettra, selon monsieur Alcaraz, de rembourser les dettes. Le terrain a fait l'objet d'une cristallisation d'un gain en capital de 56 883 $ et d'une demande de déduction pour gains en capital d'un montant équivalent en 1994. Le prix de location de 5 000 $ par année sert à rembourser partiellement l'intérêt sur les dettes contractées par l'appelante. Le locataire est responsable du paiement des taxes foncières.

[15] Dès le début, les activités de Montchatel ont été assez variées. Elles ont évolué et ont été modifiées au fur et à mesure des années. Il est difficile, sinon impossible, d'y déceler un plan d'affaires véritable ou une direction précise concernant la voie sur laquelle l'appelante et son conjoint entendaient véritablement s'engager.

[16] Au début, les activités ont surtout consisté dans la vente au détail de plants et arbustes pour jardins de même que dans l'exécution de travaux de terrassement résidentiel par monsieur Alcaraz. L'hiver, ce dernier se servait de l'équipement acquis dont un tracteur pour faire du déneigement.

[17] Dès 1983, on a aussi tenté la culture de la pomme de terre sucrée. Malgré une récolte abondante, l'aventure connut peu de succès en raison de l'absence d'entrepôt et des difficultés d'écouler la récolte sur le marché. Pourtant, cette culture fut maintenue jusqu'en 1987 et on y ajouta même celle du sarrasin. Ces cultures furent délaissées par la suite, l'appelante disant avoir voulu réorienter les activités vers la culture de plantes en pots de façon à compléter les activités de terrassement qui se sont intensifiées à compter de 1988.

[18] En 1988 et 1989, il y a de nouveaux emprunts et de nouveaux investissements en machinerie et équipement notamment pour l'acquisition des tracteurs. Des souffleuses usagées furent aussi acquises pour le déneigement. Pour ce qui est des activités d'été, tant selon l'appelante que selon monsieur Alcaraz, l'arrivée des commerces à grande surface dans le marché au détail des plantes et arbustes a eu comme résultat une nette réduction des activités de Montchatel dans ce domaine de sorte que l'été on a mis, par la suite, l'accent plus sur le terrassement que sur la vente des plantes et arbustes. Pour l'hiver, on tentait de développer la clientèle pour le déneigement sans trop de succès. Selon l'appelante, le déneigement commercial notamment celui des immeubles à logements n'était pas rentable et exigeait trop d'efforts pour le prix qu'il était possible de demander. Les frais d'intérêt élevés de même que les réparations importantes à la machinerie et à l'équipement usagés ont aussi été mentionnés tant par l'appelante que par monsieur Alcaraz comme causes de la situation financière difficile et du peu de marge de manoeuvre jusqu'en 1990.

[19] Effectivement, durant la période de 1990 à 1994, l'accent a été mis, semble-t-il, sur le terrassement, activité qui, aux dires même de l'appelante n'a jamais pu être rentabilisée. Les raisons invoquées expliquant la non-rentabilité sont multiples. L'appelante a d'abord mentionné le fait que les contrats étaient à prix fixe et généralement accordés au plus bas soumissionnaire. Puis, elle a fait état des coûts élevés de la main-d'oeuvre de même que des aléas de la température. De plus, ma compréhension de son témoignage est que les déplacements fréquents requis pour effectuer les travaux pour de petits contrats de terrassement contribuaient également à augmenter les coûts. Pour sa part, monsieur Alcaraz a mentionné que l'activité de terrassement consistait pour moitié en la vente de produits dont les coûts ne pouvaient être contrôlés et pour moitié en fourniture de main-d'oeuvre qui imposait une lourde charge. On a également fait état des taux d'intérêts élevés et de la conjoncture économique difficile. Les difficultés reliées à la concurrence par des personnes travaillant simplement “ au pic et à la brouette ” selon l'expression employée de même que celles entraînées par l'entrée en vigueur de la Taxe sur les produits et services (“ TPS ”) et l'exonération accordée aux petits fabricants ont aussi été mentionnés comme ayant contribué à la non-rentabilité de cette activité. Pourtant, on a continué encore dans la même veine. Ainsi, selon l'appelante, en 1995 on a tenté d'obtenir des contrats de terrassement plus importants et on a embauché plus de personnel. Un certain monsieur Jean Hamel aurait même été engagé spécifiquement pour solliciter des contrats mais l'expérience se serait avérée infructueuse et il aurait quitté dès le mois de juillet. Malgré tout, on a continué encore l'activité de terrassement en 1996 tout en diminuant, dit-on, les coûts de main-d'oeuvre. L'hiver, on a continué à augmenter l'activité de déneigement.

[20] Monsieur Alcaraz a souligné que le déneigement, contrairement au terrassement, “ demandait un minimum de main-d'oeuvre et plus de machinerie ”. Toutefois, ici encore, l'appelante et son conjoint ont fait état des difficultés qui expliqueraient l'absence de profits sauf à compter de 1998. D'abord, une partie de la machinerie possédée était inadéquate pour déneiger de petites surfaces puis certains tracteurs usagés exigeaient des réparations fréquentes et coûteuses. De plus, un certain nombre de souffleuses attachées aux tracteurs étaient de mauvaise qualité et rouillaient rapidement. Somme toute, les tracteurs et les souffleuses durent graduellement être remplacés par de la machinerie et des équipements plus récents, mieux adaptés et de meilleure qualité, de façon à faire le travail plus rapidement et plus efficacement. Selon monsieur Alcaraz le changement du lieu d'exploitation à St-Augustin-de-Desmaures en 1997 ainsi que l'augmentation et la concentration de la clientèle ont aussi contribué à améliorer l'efficacité et assurer la rentabilité à compter de 1998. Ce qui a fait dire à l'appelante que l'expectative de profit était en fait réelle depuis 1996 et 1997. Selon elle, la visibilité de Montchatel dans le domaine du déneigement s'est accrue et la clientèle a augmenté considérablement passant de 450 clients en 1996 à 650 clients en 1997 et à 850 clients en 1998. Jusqu'en 1990, le nombre de clients, à l'exception des clients commerciaux, n'aurait été que de 100 à 150. Il se serait stabilisé à environ 250 clients les années suivantes. Selon monsieur Alcaraz, il y a énormément de concurrence dans le domaine du déneigement résidentiel au point qu'il paraît que 400 entreprises naissent mais aussi que 400 entreprises disparaissent à chaque année. Aucune précision n'a été apportée quant au territoire auquel s'appliqueraient ces donnés.

[21] En 1994, monsieur Alcaraz s'est adressé à la Société Extrapolation Téléphonique 2000 Inc. (“ ET 2000 ”) dans l'espoir d'augmenter la clientèle pour le déneigement (voir la pièce A-1). Toutefois, les démarches entreprises n'auraient pas donné les résultats espérés.

[22] Ainsi, après ce que l'appelante décrit comme une tentative ratée, un nouvel effort a été fait en 1996 par l'engagement d'étudiants pour livrer de la publicité de porte à porte dans les secteurs de Ste-Foy, Cap Rouge, Sillery et St-Augustin-de-Desmaures. En 1997, l'expérience a été reprise par la distribution de 8 000 à 10 000 dépliants publicitaires. En 1998, on a eu recours à la distribution par “ publi-sac ”.

[23] Tant l'appelante que son conjoint, monsieur Alcaraz, estiment que Montchatel est aujourd'hui devenu rentable au prix d'efforts et d'investissements constants sur une période de 15 ans durant laquelle ils ont dû vivre éloignés l'un de l'autre dans le but ultime de développer une entreprise dont ils espéraient, dès le départ, tirer ultérieurement des profits. Durant cette période, monsieur Alcaraz a habité une simple roulotte placée dans une serre sur le terrain servant à l'exploitation de Montchatel.

[24] La vente du terrain au cours de l'année 2002 permettra également, selon eux, de rembourser les dettes dont les intérêts ont un impact important sur les résultats. Pour 1997, la perte résultant des activités est de 197 $ avant amortissement et de 55 976 $ après amortissement. Pour l'année 1998, on indique un profit avant amortissement de 37 802 $ et un profit après amortissement de 9 802 $ (voir pièce A-2, pages 2 et 3). Selon monsieur Alcaraz, l'année 1999 s'annonce très bonne.

[25] En rapport avec l'activité de déneigement, il importe de signaler que monsieur Alcaraz, ainsi que ses deux fils, Philippe et Jean, ont, en 1997, tous trois commencé chacun une entreprise parallèle dans le même domaine. Pour ce faire, Philippe et Jean Alcaraz ont loué chacun un tracteur de l'appelante. Quant à monsieur Henri Alcaraz, il a loué un tracteur d'un tiers. Il a expliqué que ses fils avaient travaillé pour Montchatel au cours des années antérieures et avaient alors décidé de travailler pour eux-mêmes. Les livres des salaires indiquent effectivement que Philippe et Jean Alcaraz ont travaillé pour Montchatel au cours de chacune des années en litige. Quant à monsieur Henri Alcaraz il n'a reçu aucun salaire de Montchatel pour les années 1995 et 1996. Il affirme qu'il a commencé les activités de déneigement en son nom personnel en 1997 parce que, dit-il, il aurait été poussé à le faire par Revenu Canada qui ne voulait pas que sa femme lui verse un salaire. Il affirme que les clients de l'entreprise qu'il a commencé de même que les clients de ses fils ne sont pas les mêmes que ceux de Montchatel.

[26] Cette entreprise de monsieur Alcaraz est exploitée sur un terrain loué adjacent à celui loué par Montchatel à St-Augustin-de-Desmaures. En 1997, un revenu brut de 14 372,09 $ et un revenu net de 8 994,07 $ ont été déclarés par monsieur Alcaraz en rapport avec cette activité (voir pièce I-3). Toutefois, on constate que les frais de location d'un tracteur ne figurent pas à l'état des résultats soumis. Je remarquerai simplement ici que le fractionnement des activités de déneigement n'est sûrement pas de nature à renforcer les possibilités de rentabilité de Montchatel dans l'avenir.

[27] Il importe de noter qu'en contre-interrogatoire l'appelante a évidemment reconnu que les pertes importantes réclamées avaient eu pour effet de diminuer d'autant son revenu professionnel à chaque année.

[28] Madame France Côté de Revenu Canada a témoigné sur sa vérification des activités de Montchatel pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994. La vérification eut lieu en 1995 et 1996. Elle dit avoir été satisfaite quant à la conformité en ce qui concerne les revenus déclarés et les dépenses réclamées. Par ailleurs, elle affirme avoir eu certaines difficultés à faire la vérification puisque l'état des résultats de la plantation comprenait aussi des revenus provenant du déneigement. Il est également à noter qu'un seul livre des salaires était utilisé pour Montchatel et pour la plantation. Toutefois, elle a conclu que les activités de Montchatel n'étaient pas exercées avec une expectative raisonnable de profit au cours des années faisant l'objet de sa vérification d'autant plus qu'elle estimait qu'on avait donné “ sa chance au coureur ” puisque le ministère avait accepté la déduction des pertes de 1984 à 1991 inclusivement.

[29] Madame Côté a souligné l'importance des pertes réclamées depuis plusieurs années et le fait que celles-ci semblaient être causées surtout par les salaires versés et les coûts de réparations à la machinerie. Lors d'une conversation avec monsieur Alcaraz celui-ci ne lui aurait fait part d'aucun plan de redressement pour les années en cause si ce n'est la vente éventuelle du terrain situé à Loretteville et son intention d'arrêter les travaux de terrassement pour l'avenir.

[30] En avril 1996, madame Côté a rencontré l'appelante et monsieur Alcaraz dans le but de leur remettre un projet de cotisation. Monsieur Carol Lévesque, le chef-d'équipe de madame Côté assistait également à cette rencontre. Monsieur Alcaraz aurait cette fois insisté sur les frais d'intérêts et de main-d'oeuvre élevés. Il aurait aussi fait part de son intention d'abandonner les travaux de terrassement l'été. Quant aux salaires, il a mentionné qu'il ne pouvait pas se départir d'un employé, monsieur Hayet, et qu'il faisait également travailler ses fils. Madame Côté dit avoir noté de nouveau que les salaires étaient élevés et toujours payés à l'année. Une fois encore elle dit n'avoir perçu aucun plan de redressement véritable pour augmenter les revenus bruts et réduire les dépenses. Monsieur Alcaraz lui aurait dit qu'il ne faisait pas de publicité ni de sollicitation bien qu'il ait fait mention d'un sondage téléphonique par la société ET 2000. Ce sondage mentionné plus tôt a eu lieu en 1994. Au cours de cette rencontre, la vente du terrain et l'intention d'arrêter les travaux d'été non rentables ont de nouveau été mentionnés. Monsieur Alcaraz a également fait part de son intention d'augmenter les activités de déneigement l'hiver grâce à son fils Philippe qu'il a décrit comme “ bon vendeur ”. Toutefois, monsieur Alcaraz a aussi mentionné que chacun de ses fils avait l'intention de commencer une entreprise de déneigement et qu'avec Montchatel ils auraient alors un “ garage coopératif ”. Madame Côté dit s'être demandée comment la création de deux nouvelles entreprises pouvait être un élément favorable pour Montchatel. Elle a également fait remarquer que si Philippe créait sa propre entreprise il n'était pas évident de voir comment il pourrait alors augmenter la clientèle de Montchatel. De plus, souligne-t-elle, cette clientèle qu'on voulait augmenter grâce à Philippe n'avait pas connu d'augmentation alors qu'il travaillait pour Montchatel.

[31] En terminant mon résumé du témoignage de madame Côté, je souligne qu'il aurait aussi été question de machinerie inutilisée que l'appelante n'aurait pas voulu vendre préférant “ la laisser rouiller dans un champ ”. Lors de l'audition l'appelante a expliqué que ce n'était pas le cas, qu'il s'agissait d'un tracteur acheté au début des opérations et qu'il était mal adapté aux travaux de déneigement résidentiel. Elle a mentionné qu'elle avait tenté de le vendre à plusieurs reprises mais sans succès et que monsieur Alcaraz l'utilisait encore à l'occasion.

Position de l'appelante

[32] L'avocate de l'appelante insiste sur le fait que celle-ci avait définitivement un plan d'affaires en ce qui concerne les activités de Montchatel bien que ce plan n'ait pas été par écrit. Elle rappelle les efforts et les investissements dont l'appelante et son conjoint ont fait état. Elle souligne le fait que ce plan a d'ailleurs été soumis à madame Côté lors de la rencontre d'avril 1996. Il consistait alors en une augmentation de la clientèle de déneigement et en une réduction des coûts de main-d'oeuvre par l'abandon des travaux d'été dans l'avenir. De même, la vente du terrain de Loretteville avait été planifiée et devait permettre la réduction de la dette. Concernant l'augmentation de la clientèle, l'avocate de l'appelante mentionne le sondage téléphonique ainsi que la publicité dans les années subséquentes. Elle a également mentionné ce qu'elle estime être les causes des pertes répétées soit la hausse des taux d'intérêts, l'introduction de la TPS, le travail au noir et la concurrence dans les domaines d'activité de Montchatel. Elle conclut en disant que c'est essentiellement un contexte économique défavorable qui explique le grand nombre d'années requises pour réaliser un profit. Elle soutient que l'appelante y est finalement arrivé, ce qui démontre, selon elle, qu'elle avait un véritable plan d'affaires et une expectative raisonnable de profit. Au soutien de ses arguments, l'avocate de l'appelante se réfère notamment aux décisions dans les affaires: Moldowan v. The Queen, [1978] 1 S.C.R. 480; Cook v. M.N.R., 85 DTC 167; Howland v. M.N.R., 87 DTC 186; Carpenter v. M.N.R., 87 DTC 331; Landry v. The Queen, 94 DTC 6624; Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001; Mastri v. Canada, [1998] 1 F.C. 66.

Position de l'intimée

[33] L'avocate de l'intimée s'est appuyée quant à elle sur les décisions dans les affaires Moldowan, Tonn, Mastri et Landry (précitées) ainsi que sur une décision que j'ai rendue dans l'affaire Audet c. Sa Majesté La Reine, (décision non encore rapportée du 26 février 1999, dossier numéro 97-2417(IT)G)[2]. S'appuyant principalement sur les critères énoncés dans la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Landry (précitée), elle soutient que l'appelante n'avait aucune expectative raisonnable de profit en rapport avec les activités de Montchatel.

[34] L'avocate de l'intimée insiste d'abord sur le fait que l'appelante n'a réalisé aucun profit de 1984 à 1997. Au contraire, dit-elle, durant 14 ans, elle a subi des pertes considérables résultant des activités de Montchatel, activités, qui n'auraient pas été poursuivies durant une aussi longue période n'eut été de la possibilité de réduire d'autant, à chaque année, son revenu professionnel. Elle remarque qu'une entreprise commerciale n'aurait jamais pu fonctionner de cette façon d'année en année sans que des correctifs importants ne soient apportés. Elle remarque également que malgré les pertes importantes subies au cours des années antérieures on a quand même augmenté le nombre de tracteurs en 1989 et en 1990 sans faire d'étude de marché ou d'analyse de l'impact sur les revenus. Selon elle, l'existence d'une dette permanente non remboursée depuis 1984 et les charges fixes qu'elle a entraîné de même que les réparations importantes exigées par la machinerie en mauvaise condition ont fait en sorte que les ingrédients nécessaires à la réalisation d'un profit, n'étaient tout simplement pas présents.

[35] L'avocate de l'intimée souligne l'absence de planification dans les multiples activités depuis le début puisqu'on a tenté à la fois l'agriculture, le terrassement et le déneigement sans qu'on se soit attardé à analyser l'impact négatif que ces activités ont pu avoir l'une sur l'autre. L'avocate de l'intimée insiste plus particulièrement ici sur la poursuite des activités de terrassement en fin de saison qui auraient empêché d'augmenter le nombre de contrats de déneigement. Elle ajoute que l'appelante a eu sa chance puisque le Ministère a accepté les pertes réclamées de 1984 à 1991. De même, elle souligne l'absence d'un plan d'affaires, qu'il soit écrit ou non qui aurait indiqué une structure ou une orientation précise susceptible d'assurer la rentabilité des investissements réalisés malgré la concurrence et les autres éléments pouvant affecter le rendement. Selon elle, ce qui est décrit comme un manque de structure à tous les niveaux a engendré des pertes extrêmement élevées par rapport au revenu de profession de l'appelante depuis 1984. Ces pertes ne peuvent s'expliquer que par l'avantage fiscal de pouvoir les déduire de son revenu professionnel d'année en année. Cet avantage était connu de l'appelante depuis le début et c'est ce qui l'a incité à continuer.

[36] Somme toute, l'avocate de l'intimée soutient que l'appelante ne répond à aucun des critères énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Landry (précitée) et qu'ainsi elle n'avait aucune expectative raisonnable de profit quant aux activités de Montchatel au cours des années en litige soit de 1992 à 1996 inclusivement. De plus, rappelle-t-elle, le temps et l'énergie consacrés à une activité ne sont pas suffisants à eux seuls pour transformer une activité en une entreprise.

Analyse

[37] Comme on le sait, la question de déterminer s'il existe ou non une expectative raisonnable de profit en rapport avec une activité donnée doit être déterminée en fonction des critères élaborés par la jurisprudence depuis plus d'une vingtaine d'années et dont la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan (précitée) constitue en quelque sorte le point de départ. Depuis quelques années, la Cour d'appel fédérale a élaboré sur les critères pertinents et leur application dans différentes situations. Les décisions dans les affaires Landry, Tonn et Mastri (précitées)ainsi que dans l'affaire Mohammad v. Canada, [1998] 1 F.C. 165 traitent des principes applicables. Bien que je n'aie pas l'intention de faire l'analyse détaillée de ces décisions, certains éléments m'apparaissent plus pertinents pour la solution du présent litige et méritent d'être soulignés.

[38] D'emblée, je reconnais que des activités comme celles exercées par Montchatel telles la vente de plantes et d'arbustes, le terrassement et le déneigement sont des activités commerciales susceptibles d'engendrer un profit malgré la concurrence et les autres composantes de l'économie à une période donnée. La conjoncture économique est une réalité à laquelle personne n'échappe et qui doit normalement être prise en compte dans la mesure du possible par ceux et celles qui commencent une entreprise avec une expectative raisonnable d'en tirer ultérieurement un profit. J'emploie le terme ultérieurement puisqu'il est reconnu que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce que certaines activités exigent une plus longue période de démarrage que d'autres avant de pouvoir devenir rentables. Évidemment, les circonstances particulières à chaque situation doivent être examinées.

[39] Ces propos en guise d'introduction me ramènent directement à ceux du juge Dickson de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan (précitée) qui disait à la page 485 du jugement :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une “ source ” de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise: Dorfman c. M.R.N.2

_______________________________

2 [1972] C.T.C. 151.

et plus loin :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants: l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise: La Reine c. Matthews3.

________________________________

3 (1974), 74 D.T.C. 6193.

[40] Dans l'affaire Landry (précitée), le juge Décary de la Cour d'appel fédérale insiste sur le fait que les facteurs identifiés par le juge Dickson ne sont pas exhaustifs et varieront effectivement selon la nature et l'importance de l'entreprise. Il poursuit à la page 6500 en disant :

Il vient donc un temps, dans la vie de toute entreprise déficitaire, où le ministre doit pouvoir déterminer objectivement, après, le cas échéant, avoir donné la chance au coureur pendant un certain nombre d'années, qu'un espoir raisonnable de profit s'est transformé en rêve impraticable.

[41] Se référant ensuite à de multiples décisions, le juge Décary énumère à la même page les critères retenus par les tribunaux au fil des ans dans les termes suivants :

Outre les critères énumérés par le juge Dickson, ceux dont la jurisprudence a tenu compte, à ce jour, pour déterminer s'il y avait espoir raisonnable de profit, comprennent les suivants: le temps requis pour rentabiliser une activité de ce genre, la présence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, l'état des profits et pertes pour les années postérieures aux années en litige, le nombre d'années consécutives pendant lesquelles des pertes ont été enregistrées, l'accroissement des dépenses et la diminution des revenus au cours des périodes pertinentes, la persistance des facteurs qui causent les pertes, l'absence de planification, et le défaut d'ajustement. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes arrêts que la bonne foi et la réputation du contribuable, la qualité du résultat obtenu, le temps et l'énergie consacrés, ne suffisent pas, en eux-mêmes, à transformer en entreprise l'exercice d'une activité.[5]

[Les références ont été omises.]

[42] Par ailleurs, dans l'affaire Tonn (précitée), la Cour d'appel fédérale a rappelé ce qui suit aux pages 75 et 76 :

L'application du critère de l'arrêt Moldowan comme critère objectif vise donc principalement à empêcher les réductions d'impôt illégitimes; le critère ne doit pas servir d'instrument permettant de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale des contribuables. Sauf s'il en est prévu autrement dans la Loi, les erreurs de jugement n'empêchent pas un contribuable de réclamer les déductions des pertes qui en découlent. Le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l'“ appréciation commerciale ” du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise.

Un examen approfondi de l'entreprise dans le contexte de ses activités est donc nécessaire et le caractère raisonnable d'une activité doit être évalué en fonction de tous les facteurs pertinents.

(Les soulignés sont de moi.)

[43] Dans l'affaire Mastri (précitée), la Cour d'appel fédérale a précisé le sens des remarques précédentes dans les termes suivants aux pages 67 et 68 :

L'arrêt Tonn n'avait pas l'intention d'établir une règle de droit selon laquelle, même s'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, les pertes sont déductibles d'autres sources de revenu à moins, par exemple, que l'activité productrice de revenu comporte un élément personnel. La mention dans Tonn que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué “ avec modération ” voulait être une ligne directrice fondée sur le bon sens pour les juges de la Cour de l'impôt. En d'autres termes, l'expression “ avec modération ” visait à expliquer que dans certains cas, par exemple, où il n'y a aucun élément personnel, le juge devrait appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit de façon moins assidue qu'il ne l'aurait fait en présence d'un tel facteur.

[44] Dans le cas présent, l'appelante a subi des pertes importantes résultant des activités de Montchatel de 1984 à 1991 soit durant huit années consécutives. La déduction de ses pertes a été accordée. L'appelante réclame maintenant la déduction de pertes totalisant 508 442 $ pour la période de 1992 à 1996. La preuve présentée indique également une perte pour l'année 1997. En 1998, les activités auraient généré un maigre profit après amortissement. De façon objective, je crois qu'on ne peut plus parler d'une période de démarrage au cours des années en litige et qu'il y a lieu d'attacher une importance particulière à la structure même des activités ou à certains éléments particuliers susceptibles d'expliquer l'absence totale de rentabilité sur une période de 14 ans. Certes, les explications fournies par l'appelante et son conjoint, monsieur Alcaraz sur les causes de leurs insuccès doivent être prises en compte. Toutefois, j'estime que les raisons invoquées n'expliquent que pour partie les résultats désastreux obtenus.

[45] D'abord, on est surpris de constater qu'après plusieurs années de pertes l'appelante et son conjoint qui gérait les activités de Montchatel n'aient pas envisagé la poursuite de ces activités au cours des années en litige de façon plus systématique traduisant un plan d'affaires véritable susceptible d'apporter les correctifs nécessaires ou à tout le moins des éléments de solutions planifiés d'une façon ordonnée après analyse des causes probables des difficultés survenues. Ainsi pour 1991, on constate non seulement que les activités n'étaient pas rentables après huit ans mais que la perte réclamée était encore supérieure au double du revenu brut généré ce qui a de quoi laisser songeur. Cela est d'autant plus frappant lorsque l'on constate que la situation demeure à peu près la même au cours des trois années suivantes (voir le tableau au paragraphe 11 ci-dessus). Bien avant les années en litige, la situation était alarmante et aurait dû commander des redressements majeurs. Pourtant, malgré l'expérience dont monsieur Alcaraz a fait état, on a la nette impression à l'examen de son témoignage que les activités de Montchatel n'étaient pas gérées de façon très rigoureuse en fonction d'objectifs planifiés. On a l'impression qu'elles l'étaient à très court terme et en réaction aux événements. Au-delà de cet aspect, les données soumises, si elles traduisent bien la réalité, peuvent aussi laisser supposer que d'autres objectifs que celui de réaliser un profit aient pu être poursuivis ce qui aurait pu avoir un impact sur le rendement des activités de Montchatel.

[46] Les parties ont présenté une preuve documentaire volumineuse. Certains documents méritent un examen plus approfondi que celui qu'ils ont reçu lors de l'audition. Examinons donc certaines données d'un peu plus près. Si les pertes réclamées par l'appelante pour les cinq années en litige s'élèvent à 508 442 $, on constate d'abord que les pertes avant amortissement s'élèvent à 271 258 $ soit des pertes moyennes avant amortissement de plus de 54 000 $ annuellement par rapport à un revenu brut moyen de 62 840 $ au cours de ces années[3].

[47] Au chapitre des dépenses, on constate que les intérêts et frais financiers se sont élevés à 75 437,33 $ (pièce A-2, page 1) au cours de la même période soit 24% du revenu brut total déclaré de 314 201 $ pour la même période. Il a été mis en preuve qu'il s'agit d'intérêts sur des dettes contractées en grande partie dès le début des activités de Montchatel notamment pour l'acquisition du terrain dont le principal n'a jamais fait l'objet d'un remboursement. Si on peut parler d'intérêts élevés on ne peut certainement pas invoquer des taux d'intérêts élevés ou même de hausses importantes des taux d'intérêts durant les années 1992 à 1996 pour justifier une absence de rendement. Les intérêts sont élevés parce que la dette totale est élevée depuis le début et que la situation n'a jamais été corrigée. On compte simplement sur la vente du terrain de Loretteville en l'an 2002 pour rembourser la dette. Il n'est pas nécessaire de discuter très longuement sur l'effet que des frais de financement élevés peuvent avoir sur les possibilités de rendement. Il faut cependant continuer et analyser l'impact avec d'autres éléments.

[48] Un autre poste de dépenses auquel on a souvent fait référence lors des témoignages est celui des salaires. Au cours de la période en litige les salaires se sont élevés à 218 212 $ (voir pièce A-2)[4] soit plus de 69% du revenu brut généré. Le détail pour chacune des années en litige est le suivant :

Année Revenu Salaires

1992 63 723 $ 64 638 $

1993 50 151 $ 23 639 $

1994 47 155 $ 43 876 $

1995 71 151 $ 54 134 $

1996 82 021 $ 31 924 $

[49] Il va sans dire, encore ici, qu'un tel niveau de salaires n'était pas non plus de nature à permettre une expectative quelconque de profit au cours de ces années. Les années 1992 et 1994 sont particulièrement remarquables à cet égard.

[50] Lors de leur témoignage l'appelante et son conjoint, monsieur Henri Alcaraz, ont beaucoup insisté sur le fait que le coût de la main-d'oeuvre était particulièrement élevé en rapport avec les activités de terrassement et qu'ils étaient beaucoup moins élevés en ce qui a trait aux activités de déneigement.

[51] Si on constate une progression importante des revenus provenant des activités de déneigement entre 1991 et 1996 qui passent de 16 049,83 $ en 1991 à 65 031,74 $ en 1996, on ne constate par ailleurs aucune variation marquée dans les revenus provenant des activités d'été qui se situent dans une fourchette d'environ 16 500 $ à 22 000 $ par année pour la même période[5]. Ainsi, dans la mesure où les activités d'été sont relativement stables au cours de la période en litige, il est difficile de comprendre comment les coûts de main-d'oeuvre ont pu être réduits de façon sensible au cours de cette période.

[52] Dans la pièce A-2 soumise en preuve, l'appelante fait état pour l'année 1997 d'un revenu de 74 381,96 $ et de salaires payés d'environ 7 000 $. Pour 1998, on fait état d'un revenu de 124 773 $ et de salaires versés d'environ 10 000 $. On constate ainsi que les salaires ne seraient plus que de 8.5% des revenus pour ces deux années. Il s'agit d'un revirement exceptionnel de la situation. On est très loin de la moyenne de 69% des revenus pour les cinq années en litige et plus particulièrement de l'année 1992 au cours de laquelle les salaires ont excédé le revenu et de l'année 1994 au cours de laquelle ils se situaient à 93% du revenu gagné. Cette efficacité soudaine apparaît à première vue suspecte et on se demande bien comment on a pu desservir en 1998 les 850 clients que l'appelante dit avoir eu pour le déneigement en plus des autres travaux requis en ne versant que 10 000 $ en salaire aux opérateurs des quelques 10 à 12 tracteurs utilisés, selon la preuve soumise, par Montchatel au cours de cette année. Mais là n'est pas la question à laquelle je dois répondre et je reviens à mon propos.

[53] Ces données fournies par l'appelante elle-même, si elles sont exactes, expriment un changement draconien dans la façon de procéder à compter de 1997 et démontrent de manière flagrante l'existence d'une situation anormale au cours des années antérieures et plus particulièrement durant la période en litige. En réalité, les données inscrites aux livres des salaires pour les années en litige suscitent plus de questions qu'elles n'apportent de réponses.[6]

[54] D'abord, disons qu'il a été mis en preuve qu'il n'y avait qu'un seul livre des salaires pour tenir compte de la rémunération versée aux employés pour le travail effectué tant pour Montchatel que pour la plantation alors qu'il a été reconnu qu'il s'agissait de deux activités distinctes. D'ailleurs, pour chacune des années un état des résultats distinct a été produit par l'appelante. Comme la vérificatrice madame Côté a noté dans son témoignage, une certaine confusion a été créée du fait que des revenus de déneigement étaient également déclarés en rapport avec les activités de la plantation. De plus, le fait de ne tenir qu'un seul livre des salaires pour les deux activités, avec comme seules indications le salaire hebdomadaire versé et les retenues le cas échéant, est à mon avis tout à fait inacceptable et aussi de nature à créer de la confusion, puisque aucun élément ne permet d'en faire une vérification adéquate.

[55] En deuxième lieu, il faut noter les disparités importantes dans les salaires payés à certains employés pour différentes périodes à chaque année et qui paraissent difficilement conciliables avec le travail qu'ils sont censés avoir accompli. Ainsi, à titre d'exemple, monsieur Henri Hayet qui travaillait, selon monsieur Henri Alcaraz, comme mécanicien surtout l'hiver a été payé un salaire de 500 $ par semaine de janvier à avril 1992. De mai à décembre de la même année son salaire n'était plus que de 70 $ par semaine. L'année 1993 présente à peu près la même variation. En 1994, c'est plutôt du milieu de janvier au mois de juillet qu'il aurait reçu un salaire de 500 $ par semaine avec indication d'une cessation d'emploi en date du 10 juillet. De septembre à décembre 1994, il n'aurait reçu qu'une rémunération de 70 $ par semaine. En 1995, la rémunération de 70 $ par semaine est maintenue en janvier. Puis, de février au début de juillet, avec indication d'une cessation d'emploi en date du 7 juillet, la rémunération passe de nouveau à 500 $ par semaine. En octobre elle redescend à 70 $ par semaine jusqu'à la fin de décembre. En 1996, la rémunération de 70$ par semaine est, contre toute logique, maintenue en janvier et février. De mars au milieu d'août, avec indication d'une cessation d'emploi en date du 12 août, la rémunération est de nouveau portée à 500 $ par semaine. Il a été mis en preuve que la plupart des tracteurs sont principalement utilisés l'hiver pour faire du déneigement et que c'est à cette période de l'année que les services du mécanicien sont principalement requis. Les modalités de la rémunération de monsieur Hayet sont tout à fait incompréhensibles au regard des explications fournies et pointent dans une autre direction.

[56] Je prends comme deuxième exemple celui de monsieur Jean Alcaraz, l'un des fils du conjoint de l'appelante. En 1992, sa rémunération est de 70 $ par semaine de janvier au milieu du mois de juin. Puis elle passe à 500 $ jusqu'au 17 octobre pour redescendre à 70 $ en novembre et décembre. En 1993, on constate à peu près les mêmes variations. En 1994, c'est différent : la rémunération est de 60 $ par semaine de janvier à mai, puis, du début du mois d'août jusqu'à Noël, la rémunération est de nouveau portée à 500 $ par semaine. En 1995, la rémunération indiquée est de 60 $ par semaine de la fin d'avril au début de mai. Puis, elle passe à 500 $ par semaine du milieu de juin au milieu d'octobre. Puis, du milieu de novembre à la fin de décembre, elle est réduite à 63 $ par semaine. En 1996, ce salaire de 63 $ par semaine est maintenu jusqu'au début d'avril.

[57] Le troisième exemple concerne Philippe Alcaraz, l'autre fils du conjoint de l'appelante. Pour l'année 1992, la rémunération indiquée est de 270 $ par semaine du milieu de juin au milieu de novembre. En 1993, elle est de 280 $ par semaine de la fin du mois de mai au début du mois de novembre. En 1994, la rémunération indiquée est de 280 $ par semaine pour le mois de septembre puis de 320 $ par semaine d'octobre jusqu'à la fin de décembre. En 1995, la rémunération demeure inchangée pour les mois de janvier à mars avec indication d'une cessation d'emploi en date du 25 mars. Reprise en novembre jusqu'à la fin de décembre à un salaire de 350 $ par semaine. En 1996, cette rémunération de 350 $ par semaine est maintenue de janvier au début d'avril avec indication d'une cessation d'emploi en date du 6 avril.

[58] À l'égard des deux exemples qui précèdent, il est difficile de comprendre les modalités de la rémunération avec le maintien d'une rémunération fixe élevée durant des mois puis une rémunération également fixe mais minimale sur une autre longue période. Ceci est particulièrement frappant lorsque l'on considère la période d'hiver au cours de laquelle l'activité de déneigement est encore plus tributaire de la nature et ne peut manifestement pas être répartie de façon égale sur toutes les semaines et les mois de la saison. Il est évident que l'intensité du travail requis pour effectuer du déneigement résidentiel varie de jour en jour, de semaine en semaine et de mois en mois. La structure de rémunération n'en tient aucunement compte.

[59] Quelques exemples supplémentaires suffiront pour illustrer ce que l'on peut considérer comme des anomalies. Au cours des années 1992 à 1996, les livres des salaires indiquent aussi que plusieurs employés ne sont payés que durant les mois d'hiver une rémunération fixe de 56 $, 60 $ ou 70 $ par semaine selon le cas. Il a été expliqué par l'appelante et monsieur Henri Alcaraz que pour le déneigement on embauche des individus disponibles sur appel et qu'on leur garanti un salaire de dix heures par semaine. Comme je l'ai déjà dit, compte tenu des aléas de la température, il est surprenant ici de constater la même rémunération minimale fixe de semaine en semaine durant toute la saison comme si le travail requis était toujours réparti de façon égale et que tous ces employés ne travaillaient toujours que le minimum garanti de dix heures par semaine.

[60] Par ailleurs, on constate que monsieur Jules Alcaraz, le frère du conjoint de l'appelante, aurait été payé à raison de 750 $ par semaine de la fin d'octobre au milieu de décembre 1993. On se demande bien ce qui aurait pu justifier une rémunération aussi élevée et si ponctuelle, supérieure même à la rémunération maximale versée à monsieur Henri Alcaraz, le conjoint de l'appelante en 1992 soit 2 700 $ par mois.

[61] Quant au conjoint de l'appelante, il a effectivement été payé à raison de 2 700 $ par mois pour un total de 29 700 $ en 1992. On sait que ce salaire avait initialement été réclamé en déduction du revenu professionnel de l'appelante pour cette année. Lors de l'audition, il a été reconnu qu'il était en rapport avec les activités de Montchatel. En 1993, monsieur Alcaraz a reçu une rémunération de 2 400 $ par mois pour les mois de janvier, février et mars seulement pour un total de 7 200 $. En 1994, c'est une somme de 1 280 $ par mois qu'il a reçu pour les mois de mai à octobre puis de 1 600 $ en novembre et de 1 920 $ en décembre pour un total de 11 200 $. En 1995 et 1996, monsieur Alcaraz n'a retiré aucun salaire. Il est évident que sa rémunération n'était pas établie en fonction du travail exécuté puisqu'il gérait les activités de Montchatel durant toute l'année depuis le tout début et qu'à ce titre une rémunération comparable à celle que l'on aurait versée à un tiers aurait été tout à fait normale. Les variations importantes dans la rémunération en 1992, 1993 et 1994 ainsi que l'absence totale de rémunération en 1995 et 1996 ne peuvent s'expliquer en fonction des modalités de travail et des responsabilités. On n'a aucune peine à imaginer l'impact qu'aurait eu le versement d'un salaire normal et régulier sur le niveau des pertes réclamées.

[62] À l'examen de la structure de la rémunération versée aux cours des années en litige on peut très certainement en inférer que d'autres objectifs que celui de l'exercice des activités avec une expectative raisonnable de profit étaient poursuivis. Il suffit de dire que la structure de la rémunération présente des anomalies qui s'ajoutent aux autres éléments déjà mentionnés.

[63] De 1992 à 1996, le total des intérêts et frais financiers (75 437 $) et des salaires versés (218 212 $) est égal à 93,46% du revenu brut déclaré de 314 201 $. Il est difficile de parler de marge de manoeuvre puisque l'on doit considérer non seulement toutes les autres dépenses mais également l'amortissement. Avec de tels éléments négatifs caractérisant la structure d'une activité on ne peut, je crois, parler d'expectative raisonnable de profit à moins de redressements majeurs. Comme je l'ai dit, l'année 1997 marque un changement radical en ce qui concerne la rémunération, changement qui ne peut, à mon avis, s'expliquer exclusivement par l'efficacité accrue dont l'appelante et son conjoint ont fait état. Je ne peux m'empêcher de souligner la coïncidence avec les cotisations établies en 1996 suite à la vérification des trois premières années en litige.

[64] En 1997, d'autres changements sont aussi survenus. Il y eut d'abord le déménagement des activités à St-Augustin-de-Desmaures plus près de Québec, ce qui est certes un élément favorable. Toutefois, il y eut aussi division des activités, monsieur Alcaraz et ses deux fils commençant chacun en matière de déneigement une activité parallèle à celle de Montchatel. Au lieu d'utiliser tous ses tracteurs l'appelante en a loué un à chacun des fils de son conjoint. Ce dernier a, quant à lui, loué un tracteur d'un tiers. On constate que dès cette première année d'exploitation à titre personnel, monsieur Alcaraz a fait état d'un profit de 8 994 $ alors que Montchatel enregistrait toujours une perte de 197 $ avant amortissement et une perte de 55 976 $ après amortissement. Et cela après 14 ans d'exploitation.

[65] Lorsqu'une activité, après une période de démarrage raisonnable compte toujours des éléments dont l'importance est telle qu'il devient impensable qu'une entreprise exploitée sur une base strictement commerciale aurait pu se poursuivre pour plus que quelques années avec de telles caractéristiques, on doit chercher ailleurs les motifs de son maintien. Au-delà de toute spéculation concernant les motifs, il est évident que la possibilité d'annuler ou de réduire considérablement un revenu qui serait autrement imposable par la déduction des pertes engendrées par la poursuite d'une activité non rentable constitue en quelque sorte une subvention qui en rend la poursuite moins onéreuse, à concurrence de l'impôt ainsi épargné. Cet élément ajouté à d'autres que l'on peut facilement soupçonner sont susceptibles d'entraîner des avantages tels qu'ils relèguent au second plan la recherche d'un profit résultant de l'activité elle-même.

[66] Compte tenu de l'ensemble des éléments de preuve et plus particulièrement du niveau élevé de la dette depuis le début des activités, du nombre d'années au cours desquelles des pertes ont été subies, de l'importance de ces pertes par rapport aux revenus bruts générés, de la structure de la rémunération telle que révélée par la preuve documentaire et de l'absence de redressements significatifs aux cours des années en litige, je ne crois pas que l'appelante ait démontré objectivement qu'elle avait une expectative raisonnable de profit quant aux activités de Montchatel durant ces années.

[67] Les appels pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994 et 1996 sont donc rejetés.

[68] L'appel pour l'année d'imposition 1995 est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l'appelante peut déduire une somme de 11 503 $ à titre de cotisations professionnelles. L'appelante n'a droit à aucun autre redressement pour cette année.

[69] Le tout avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de juillet 1999.

“ P.R. Dussault ”

J.C.C.I.



[1][1]          Le tableau a été confectionné à partir des documents suivants : pièce I-1, onglets 5 et 13 (1988), onglets 6 et 14 (1989), onglets 7 et 15 (1990), onglets 8 et 16 (1991), onglets 9 et 17 (1992), onglets 10 et 19 (1993), onglets 11 et 21 (1994), onglets 12 et 23 (1995), onglets 56 et 57 (1996), pièce I-2 (1997).

[2]               Cette décision a été portée en appel à la Cour d'appel fédérale.

[3]               Voir les documents auxquels il est fait référence à la note 1.

[4]               Aux montants indiqués a été ajouté un salaire de 29 700 $ payé à monsieur Henri Alcaraz en 1992 et dont la déduction a été réclamée comme dépense dans le calcul du revenu de profession de l'appelante. Il a été admis qu'il s'agit d'un salaire versé en rapport avec les activités de Montchatel.

[5]               Voir les onglets 17, 19, 21, 23 et 57 de la pièce I-1. Pour l'année 1994 (onglet 21) la ventilation entre les revenus d'été et d'hiver n'est pas faite.

[6]               Il s'agit des documents reproduits aux onglets 63 à 67 de la pièce I-1.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.