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Date: 19991214

Dossier: 98-1477-IT-I; 98-1478-IT-I

ENTRE :

RENALD BONIN, SUSAN BONIN,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

QUESTION EN LITIGE :

[1] La question, telle qu’elle était énoncée dans la réponse à l’avis d’appel de chaque affaire, était de savoir :

[traduction]

[...] si l’appelant avait une attente raisonnable de profit à l’égard de son activité dans les années d’imposition 1994 et 1995.

Cet énoncé de la question n’est évidemment pas complet, car, qu’elle soit positive ou négative, la réponse ne permet pas à elle seule de trancher le présent appel. L’avocat de l’intimée a soutenu que, si la Cour devait conclure à l’absence d’attente raisonnable de profit, on ne pourrait pas dire que l’un ou l’autre des appelants exploitait une entreprise et les appels devraient, par conséquent, être rejetés. Cette conclusion, a-t-il poursuivi, reposerait sur la prémisse énoncée dans l’arrêt Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, à la page 5215 :

[...] il est maintenant admis que pour avoir une “ source ” de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L’expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise : Dorfman c. M.R.N. [1972 DTC 6131]

[2] Il semble que la question aurait dû être formulée comme suit : Est-ce que l’appelant exploitait une entreprise et est-ce que les pertes se rapportant à cette exploitation peuvent être déduites pour ces deux années d’imposition?

FAITS :

[3] L’appelant, Renald Bonin (“ Renald ”), représentant sa femme, Susan Bonin (“ Susan ”) et lui-même, a témoigné au nom de sa femme et en son propre nom.

[4] Renald a produit une preuve vague et incomplète et a omis de présenter les faits essentiels aux appels. Il a convenu que les montants indiqués dans la réponse relative à chaque appel n’étaient pas en litige. Il a déclaré avoir exploité une entreprise Amway avec son ex-conjointe comme associée de 1984 à 1988, seul et à titre de propriétaire unique de 1989 à 1991 et avec Susan comme associée de 1992 à 1997. Comme l’indiquent les hypothèses de fait dans la réponse à l’avis d’appel, lesquelles n’ont pas été réfutées, les pertes subies par Renald dans le cadre de cette “ activité ” ont été les suivantes :

Année

Revenus bruts

Pertes nettes

1984

2 096 $

(2 897 $)

1985

82 750

(3 733)

1986

111 994

(8 266)

1987

3 724

(7 907)

1988

Inconnus

(4 222)

1989

23 925

(3 048)

1990

58 430

(4 238)

1991

73 041

(8 561)

Année

Revenus bruts

Pertes nettes

Part de l’appelante

1992

111 717 $

(4 746 $)

(2 373 $)

1993

83 518

(8 576)

(4 288)

1994

48 182

(11 518)

(5 759)

1995

41 272

(8 952)

(4 476)

1996

45 638

(7 854)

(3 927)

1997

33 393

(5 822)

(2 911)

[5] Un montant égal à la part des pertes subies par Renald dans chacune des années allant de 1992 à 1997 a aussi été déduit aux fins de l’impôt sur le revenu de Susan comme perte subie par celle-ci dans chacune des années d’imposition correspondantes.

[6] Renald était employé à temps plein durant la période allant de 1984 à 1995. Son revenu variait habituellement entre 32 000 $ et 34 000 $ pour la plupart des années comprises dans cette période. Toutefois, il a gagné un revenu de 22 000 $ au cours d’une année, un revenu d’approximativement 37 000 $ pendant deux années et un revenu d’environ 40 000 $ au cours d’une de ces années. Le revenu de Susan a été d’environ 30 500 $ en 1992, 31 800 $ en 1993, 32 300 $ en 1994 et 14 100 $ en 1995.

[7] On retient des hypothèses énoncées dans la réponse à l’avis d’appel que la vente des produits se faisait au moyen d’un système de commercialisation par réseau. Les appelants achetaient ces produits et les revendaient normalement au même prix. Ils recevaient cependant des primes d’encouragement établies selon la quantité de produits vendus. Renald n’ayant présenté aucun élément de preuve à ce sujet, il est déclaré dans les hypothèses que :

[traduction]

une partie des primes d’encouragement gagnées par l’appelant et sa conjointe au cours des années d’imposition 1994 et 1995 incluait les ventes qu’ils se faisaient à eux-mêmes de produits qu’ils consommaient personnellement.

[8] Lorsqu’on l’a pressé de présenter plus de faits à la Cour, l’appelant a répété qu’ils s’attendaient à avoir une attente raisonnable[1]. Il a déclaré qu’ils avaient donné des cours et apporté leur aide à des gens de leur réseau. Il a aussi déclaré qu’ils comprenaient l’entreprise et ses possibilités de croissance et qu’ils mettaient en place un réseau afin de prévoir des revenus pour le futur, décrivant ceux-ci comme une “ récompense différée ”.

[9] Lors de son contre-interrogatoire, après qu’on lui eut montré l’ÉTAT DES ACTIVITÉS DE L’ENTREPRISE dans sa déclaration de revenus de 1994, Renald a admis que le coût des biens vendus dans cette année avait été de 41 183 $ et que les ventes nettes avaient totalisé 35 932 $, ce qui avait entraîné une perte de 5 251 $. Malgré les PRIMES REÇUES/VENTES DIVERSES/RISTOURNES s’élevant à 12 249 $, la perte enregistrée pour l’année avait été de 11 518 $. Cette perte avait été absorbée également par Renald et Susan. Renald a en outre admis que les produits étaient vendus à un prix inférieur à leur coût, l’objectif étant d’obtenir des primes sur les ventes.

[10] Aucune déduction pour amortissement n’a été demandée pour les années en question relativement à un ordinateur et à une automobile, ces biens étant les éléments d’actif décrits dans le tableau de la déduction pour amortissement figurant dans les déclarations de revenus.

ANALYSE ET CONCLUSION :

[11] Dans la mesure où les faits sont concernés, l’issue du présent appel repose principalement sur les hypothèses de fait qui sont énoncées dans chaque réponse et qui ne sont pas niées par les appelants.

[12] Renald a déclaré qu’il était normal d’avoir des dépenses, qu’ils avaient fait croître l’entreprise et que les dépenses diminuaient parce que l’entreprise avait fait l’objet d’une rationalisation. Il a dit qu’ils avaient toujours cru pouvoir réaliser un profit. Il a indiqué que l’état des activités de 1998 révélait que les dépenses avaient été réduites, que les pertes étaient nulles et qu’il y aurait un profit en 1999.

[13] L’avocat de l’intimée a mentionné les dispositions 3, 9(1), 9(2), 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi de l’impôt sur le revenu (“ Loi ”). Il a ensuite fait l’affirmation suivante :

[traduction]

Il n’y a pas d’entreprise ici parce qu’il n’y a pas d’attente raisonnable de profit.

[14] Il a cité les arrêts Moldowan, précité, Tonn v. Her Majesty the Queen, 96 DTC 6001, Corbett v. Her Majesty The Queen, 96 DTC 6572 et Rempel v. Her Majesty The Queen, 97 DTC 3272.

[15] L’avocat a soutenu qu’il n’y avait pas de plan d’entreprise et que le seul élément de preuve des appelants était qu’un plus grand nombre de personnes devaient être initiées à l’entreprise, mais ils n’étaient pas en mesure de dire précisément quelles ventes étaient nécessaires. Il a fait valoir qu’il n’existait aucun élément de preuve appuyant la proposition selon laquelle cette entreprise était capable de produire un profit. Il a indiqué qu’on espérerait savoir qu’est-ce qui était nécessaire, de quelle façon les primes étaient établies et distribuées et de quelle manière l’entreprise serait capable de produire un profit avec ou sans déduction pour amortissement. Il a également fait valoir qu’il y avait un élément personnel. Il a dit que la preuve relative à ce qui se passait dans les congrès, à l’égard desquels les appelants avaient déduit des dépenses, était vague. Il a déclaré que, selon le critère objectif, il n’y avait pas d’entreprise parce qu’il n’y avait pas d’attente raisonnable de profit.

[16] Avec déférence, je ne peux pas, dans les circonstances, souscrire à la théorie selon laquelle les appelants doivent avoir une attente raisonnable de profit pour avoir une entreprise. L’affaire Moldowan ne portait pas sur l’existence d’une entreprise mais plutôt sur la source de revenu. Précisément, le paragraphe 13(1) de la Loi[2] a été examiné aux fins de cette affaire. Il était libellé en partie comme suit :

Lorsque le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source [...]

[17] Pour déterminer s’il existait une entreprise, il faut examiner la définition du mot “ entreprise ” qui figure à l’article 248 de la Loi. Pour la période en question, cette définition se lisait comme suit :

“ entreprise ” Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et [...] les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial [...]

[18] Il serait difficile de ne pas définir les activités des appelants comme une entreprise ou un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, comme le prévoit manifestement la définition ci-dessus. Si les appelants exploitaient une entreprise, quelle est la validité de l’argument portant que l’absence d’attente raisonnable de profit signifie qu’il n’existe pas d’entreprise? Supposons qu’un contribuable a consulté une personne renommée possédant un diplôme universitaire de troisième cycle en administration des affaires, un comptable agréé exceptionnel et le directeur financier éminent d’une très importante société. Supposons également que l’objet de cette consultation a porté sur le projet du contribuable d’ouvrir un magasin afin d’y offrir en vente des marchandises qu’il produit. Ensuite, considérons que les trois consultants étaient unanimes à penser que le contribuable n’avait aucune chance de succès dans cette entreprise. Finalement, considérons que, déterminé, le contribuable a ouvert le magasin pour vendre ses produits et que ses efforts lui ont rapporté un profit de 50 000 $ dès la première année d’activités. Peut-on sérieusement concevoir que Revenu Canada, face à la preuve d’experts selon laquelle le contribuable n’avait aucune attente raisonnable de profit, affirmerait qu’il n’y avait pas d’entreprise, se niant par le fait même la possibilité de recueillir les fruits de l’abondante récolte du contribuable? Notre cour pourrait-elle sérieusement, dans ce contexte, conclure que le contribuable n’exploitait pas une entreprise et n’avait pas de profit aux fins de la Loi?

[19] Cet exemple ayant fait ressortir le caractère fastidieux et répétitif des arguments de Revenu Canada dans les cas de perte, poursuivons l’analyse.

[20] Si je conclus que les activités des appelants ne pouvaient fournir d’attente raisonnable de profit, je dois alors déterminer quelles sont les conséquences de cette conclusion pour ceux-ci. Supposons que je conclus en outre que ces activités constituent une entreprise en raison du fait qu’elles sont des activités de quelque genre que ce soit ou un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Dans cette situation, je dois évaluer quelle est l’importance attribuée à chacune de ces conclusions contradictoires. Avec déférence, j’affirme encore une fois que je ne peux pas conclure, à la lumière de l’abondante jurisprudence, qu’aucune attente raisonnable de profit signifie qu’il n’existe pas d’entreprise. Par conséquent, il semble que je doive m’en tenir à la définition du mot “ entreprise ”. Le mot “ entreprise ” suggère la recherche de profit et un profit qui s’ensuit. Est-ce que des activités cessent de constituer une entreprise simplement parce qu’aucun profit n’est réalisé? On s’attendrait normalement à ce que la personne qui exploite une entreprise non rentable mette fin à cette exploitation. Toutefois, si, comme en l’espèce, la personne continue d’exercer ses activités commerciales malgré de nombreuses années de pertes continues, peut-on conclure qu’il n’y a pas d’entreprise? Dans de telles circonstances, on peut supposer que l’entreprise n’est pas dirigée convenablement. S’il s’agit réellement d’une entreprise et non simplement d’une situation de perte locative visant à réduire au minimum les frais personnels ou de subsistance, quelle logique sous-tend l’observation selon laquelle il n’y a pas d’entreprise? Le fait que les appelants n’ont pas abandonné une entreprise déficitaire peut ne pas être considéré comme normal, mais pourquoi devrait-on refuser la déduction fiscale des pertes au motif qu’elles constituent des frais personnels ou de subsistance ou au motif qu’il n’y a pas d’attente raisonnable de profit?

[21] Je conclus que les appelants exploitaient une entreprise. Si le mot “ raisonnable ” a une application dans les circonstances, il peut être utilisé de façon plus appropriée dans le sens de son inclusion à l’article 67 de la Loi. Cet article se lit comme suit :

Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l’égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

[22] Les chiffres pertinents, tirés de l’état des activités de l’entreprise dans la déclaration de revenus de Renald pour 1994, sont les suivants :

Revenu net tiré des ventes 35 932 $

Primes reçues, ventes diverses et ristournes 12 249 $

Revenu brut 48 182 $

[23] Les dépenses sont les suivantes :

Publicité, promotion et rabais 648 $

Créances irrécouvrables 215 $

Taxe professionnelle, droits, droits de licence, cotisations 81 $

Livraison, transport, et messagerie 809 $

Fournitures 353 $

Intérêts 102 $

Repas et divertissements 426 $

Frais d’automobile 3 486 $

Frais de bureau 792 $

Frais juridiques et comptables et autres honoraires professionnels 112 $

Bandes retournées et produits périmés 2 008 $

Traitements, salaires et avantages 240 $

Déplacements 2 790 $

Primes distribuées 4 710 $

Congrès et autres activités 1 740 $

Total des dépenses d’entreprise 18 516 $

[24] Bien qu’il puisse être raisonnable que des pertes de cet ordre surviennent dans les premières années de l’exploitation d’une entreprise, le fait qu’elles se poursuivent ne semble pas “ raisonnable dans les circonstances ” relatives aux activités des appelants. L’examen des montants inscrits ci-dessus au titre des pertes indique que la perte de 11 518 $ en 1994 et celle de 8 952 $ en 1995[3] sont les deux plus importantes pertes en 12 ans d’exploitation de l’entreprise. Même si Renald n’a produit aucun bilan à l’appui de son affirmation selon laquelle il n’y a pas eu de perte en 1998 ni aucun document relatif au profit réalisé en 1999, il a déclaré dans son témoignage qu’ils avaient réduit considérablement les dépenses. Cette déclaration peut être considérée comme appuyant son propre jugement selon lequel les dépenses déduites dans les années faisant l’objet de l’appel n’étaient pas raisonnables.

[25] Je conclus que, pour les années d’imposition 1994 et 1995, la déduction des dépenses de l’entreprise des appelants qui excèdent le revenu de celle-ci, comme il est mentionné ci-dessus, n’était pas raisonnable dans les circonstances.

[26] Par conséquent, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 1999.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour de septembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Évidemment, une attente raisonnable de profit.

[2]               Alors en vigueur.

[3]               Il s’agit de la perte totale qui a été absorbée également par les appelants.

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