Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981120

Dossier: 98-593-IT-I

ENTRE :

PATRICIA CORBETT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Représentant de l'appelante : Barry Fleming

Avocat de l'intimée : Me John Bodurtha

Motifs du jugement

(rendus oralement le 18 août 1998 à St. John's (Terre-Neuve))

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Mme Patricia Corbett interjette appel à l'encontre d'une cotisation d'impôt sur le revenu établie par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) pour les années d'imposition 1994 et 1995. Le ministre a refusé la déduction de « cotisations supplémentaires facultatives » versées par Mme Corbett à son régime de pension en 1994 et en 1995.

[2] Le ministre soutient que ces cotisations n'ont pas été versées en conformité avec la législation actuelle régissant le régime de pension de l'appelante.

Les faits

[3] En 1989, Mme Corbett était participante à un régime de pension qui était régi par une loi de Terre-Neuve intitulée The Public Service (Pensions) Act (la « Loi de 1970 » ). En vertu de l'article 32 de la Loi de 1970, il était possible à un tel participant d'acheter des années de service inexistantes. Plus précisément, cet article conférait au ministre chargé de l'application de la Loi de 1970 le pouvoir de prendre des règlements établissant des conditions en vertu desquelles un employé pourrait acheter des services à prendre en compte comme services validables.

[4] De tels règlements étaient en fait en vigueur en 1989, lorsque Mme Corbett s'est prévalu du droit d'acheter sept années de service supplémentaires. Elle pouvait verser un montant forfaitaire de 20 690,04 $ ou payer par retenues à la source de 140,74 $ étalées sur 181 périodes de paye, plus une retenue finale de 141,41 $, soit un coût total de 25 615,35 $. Mme Corbett avait opté pour cette dernière solution.

[5] En 1991, la Loi de 1970 a été remplacée par la loi intitulée Public Service Pensions Act, 1991 (la « Loi de 1991 » ). Dans cette nouvelle loi, aucune disposition ne permettrait à un participant à un régime de pension d'acheter des années de service inexistantes. Toutefois, l'article 4 de la Loi de 1991 dispose que le régime de pension de la fonction publique prévu dans la Loi de 1970 est maintenu comme régime de pension sous réserve de la Loi de 1991 et des règlements pris en application de celle-ci. En outre, l'article 39 de la Loi de 1991 dispose que toutes les prestations acquises en vertu de la Loi de 1970 avant l'entrée en vigueur de la Loi de 1991 sont protégées en vertu de la Loi de 1991.

[6] Après l'entrée en vigueur de la Loi de 1991, Mme Corbett a continué à verser des cotisations par voie de retenues à la source à l'égard de ses années de service inexistantes, et le ministre des Finances, qui, si je ne m'abuse, est le ministre responsable de l'administration du régime de pension de l'appelante, n'a pas remis à Mme Corbett les sommes ainsi retenues par l'employeur de Mme Corbett.

Analyse

[7] La question dont je suis saisi est de savoir si les cotisations versées au titre d'années de service inexistantes répondent aux conditions énoncées à l'alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Cet alinéa dit ceci :

Un particulier peut déduire dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition se terminant après 1990 le total des montants suivants :

a) les cotisations (sauf celles visées par règlement) qu'il verse au cours de l'année à un régime de pension agréé pour une période postérieure à 1989, dans la mesure où il les verse conformément au régime tel qu'il est agréé;

(Le soulignement est de moi.)

Les parties ont convenu au cours de l'audience que la seule question soumise à notre cour était de savoir si les cotisations en cause avaient été versées « conformément au régime » . Aucune question n'est soulevée concernant d'autres restrictions imposées par la Loi.

[8] Les cotisations versées par Mme Corbett au titre d'années de service inexistantes ont-elles été versées conformément au régime? La thèse du ministre est qu'aucune disposition de la Loi de 1991 ne permettrait de telles cotisations. À mon avis, telle n'est pas la façon dont il convient de traiter la question. L'article pertinent de la Loi exige seulement que les cotisations soient versées conformément à un régime de pension et non conformément à une loi comme la Loi de 1991.

[9] Le régime de pension auquel participait Mme Corbett existait depuis de nombreuses années avant 1989. Conformément à un accord (la « Modification de 1989 » ) conclue en 1989, le régime de pension de Mme Corbett a en fait été modifié de manière à obliger Mme Corbett à verser des cotisations supplémentaires (25 615 $ au total) et à lui donner droit à des prestations supplémentaires. Il est vrai que la Loi de 1991 n'accorde pas à Mme Corbett le droit d'acheter des années de service inexistantes. Cependant, la Modification de 1989 avait été conclue en 1989, lorsqu'un tel achat était possible, et l'on ne m'a pas fait valoir que ce n'était pas conforme au régime de pension de Mme Corbett, à la Loi de 1970 et aux règlements y afférents qui existaient à cette époque.

[10] Étant donné que le régime de pension de Mme Corbett qui existait en 1989 a été maintenu en 1991, lorsque la Loi de 1991 est entrée en vigueur, et que l'article 39 de la Loi de 1991 dit clairement que toutes les prestations acquises en vertu de la Loi de 1970 sont protégées en vertu de la Loi de 1991, je considère que les prestations supplémentaires accumulées à partir de la Modification de 1989 sont admissibles comme prestations. Mme Corbett avait droit à ces prestations, pourvu qu'elle verse ses cotisations supplémentaires jusqu'en 1996. Donc, je conclus que les cotisations relatives à des années de service inexistantes versées par Mme Corbett en 1994 et en 1995 ont été versées conformément à son régime de pension, modifié par la Modification de 1989, et qu'elles répondaient aux exigences de l'alinéa 147.2(4)a) de la Loi[1].

[11] Je crois que cette issue cadre avec les principes d'interprétation législative. Parmi la jurisprudence citée par le représentant de Mme Corbett, je renvoie à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Morguard Properties Ltd. v. City of Winnipeg, (1983) 3 D.L.R. (4th) 1, à la page 13. Pour qu'un avantage soit refusé à un citoyen, les tribunaux considèrent qu'il faut que le Parlement ou les assemblées législatives provinciales aient légiféré expressément à cet effet. Je renvoie aussi à un passage de Maxwell on the Interpretation of Statutes, 12e édition (1969), aux pages 251 et 252, soit un passage cité par le juge Rutherford de la Haute Cour de justice de l'Ontario dans l'affaire Re Ontario Medical Association and Workers' Compensation Board, (1985) 22 D.L.R. (4th) 321, à la page 327 :

[TRADUCTION]

Des lois empiétant sur les droits du sujet, qu'il s'agisse de droits relatifs à la personne ou aux biens, sont assujetties à une stricte interprétation, de la même manière que des lois pénales. Il est bien établi que, dans la mesure du possible, elles doivent être interprétées de façon à respecter de tels droits et, en cas d'ambiguïté, c'est l'interprétation favorable à la liberté de l'individu qui doit être adoptée. Un aspect de cette approche de la législation est la présomption selon laquelle une loi n'abroge pas rétrospectivement des droits acquis.

[12] Je crois aussi que l'article 39 de la Loi de 1991 révèle une intention claire de ne pas abroger des droits acquis. Je conclus donc que les cotisations versées en 1994 et en 1995 par Mme Corbett ont été versées conformément à son régime de pension tel qu'il a été modifié par la Modification de 1989. Aucune disposition de la Loi de 1991 n'interdit que des cotisations relatives à des années de service inexistantes soient versées en vertu d'un tel régime.

[13] Pour ces motifs, les appels sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, compte tenu du fait que les cotisations versées à l'égard d'années de service inexistantes sont déductibles dans le calcul du revenu de l'appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de novembre 1998.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de juin 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Pour un point de vue contraire, voir l'affaire Vivian v. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2922, 95 DTC 664.

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