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Date: 19970117

Dossier: 94-1744-IT-G

ENTRE :

SAVERIO VINCELLI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Montréal (Québec), le 17 janvier 1997.)

Le juge Archambault, C.C.I.

M. Vincelli interjette appel d'une cotisation d'impôt sur le revenu établie par le ministre du Revenu national (ministre) pour l'année d'imposition 1989. Le ministre a refusé la “perte déductible au titre d'un placement d'entreprise” de 250 000 $ dont M. Vincelli a demandé la déduction. Ce montant représente les deux tiers d'une “perte au titre d'un placement d'entreprise” de 375 000 $.

Au cours de l’audience, le ministre a convenu que M. Vincelli avait subi en 1989 des pertes au titre d'un placement d'entreprise totalisant 163 296 $ [136 756 $ + 26 540 $] relativement à deux prêts consentis à Pre-Fur Canada Inc. (Fur) et garantis par M. Vincelli.

Le premier montant représente une partie d'un prêt (prêt de Rousseau) consenti par M. Rousseau et Mme Sourroubille (groupe Rousseau) et, le deuxième, un prêt consenti par la Caisse Populaire Côte-des-Neiges (Caisse Populaire). Par conséquent, le montant des pertes en litige au titre d'un placement d'entreprise s'élèvent en l'espèce à 211 704 $ [375 000 $ – 163 296 $]. Le ministre soutient que le montant en question n'est pas admissible comme perte parce que M. Vincelli n'a pas engagé sa responsabilité à l'égard de ce montant en vue de tirer un revenu comme le requiert le sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi).

La question que soulève l'appel en l'instance concerne trois groupes de prêts. Le premier est le prêt de Rousseau, le deuxième est un prêt (prêt de Taillage) consenti par une compagnie appelée Taillage P.R. Ltée (Taillage), et le troisième est un prêt (prêt de la Caisse Populaire) consenti par la Caisse Populaire à MM. Vincelli et Mercille. Je me pencherai sur chacun d'entre eux à tour de rôle afin de déterminer si M. Vincelli peut déduire une perte au titre d'un placement d'entreprise à l'égard de l'un ou l'autre d'entre eux.

Le prêt de Rousseau

Le 15 avril 1987, Fur a acheté à 2332-6267 Quebec Inc. (6267) une parcelle de terrain (Mont Alouette) qu'elle a payée 300 000 $, par versements. Le solde du prix d'achat, garanti par une hypothèque de premier rang, était assujetti à une clause de dation en paiement. Le dernier versement de 100 000 $ payable le 15 octobre 1988 n'a pas été effectué et, le 26 janvier 1989, 6267 a institué, en vertu de la clause de dation en paiement, un recours en résolution de la vente et en rétrocession du Mont Alouette. Comme Fur avait obtenu le prêt de Rousseau, soit un prêt de 170 000 $, en octobre 1988 pour financer une partie du prix d'achat et que, pour garantir ce prêt, elle avait consenti au groupe Rousseau une hypothèque de deuxième rang sur le Mont Alouette, le groupe a dû intervenir dans l'action en dation en paiement pour protéger sa propre créance et, le 26 janvier 1989, il a versé à 6267 le montant qui était alors dû à celle-ci, soit 110 757 $, et il a par conséquent obtenu par subrogation les droits de 6267 dans l'action en dation en paiement.

Fur n'a pas non plus remboursé le prêt de Rousseau et, comme M. Vincelli avait garanti ce prêt hypothécaire de deuxième rang, le groupe Rousseau a obtenu le 28 septembre 1989 un jugement ordonnant à M. Vincelli de payer 130 893 $ plus les intérêts. Le 21 novembre 1989, le groupe Rousseau a obtenu une saisie après jugement à l'égard des biens de M. Vincelli. Le 5 décembre 1989, M. Vincelli a versé au groupe Rousseau le montant de 272 500 $, qui représentait censément le montant total de ses dettes envers le groupe, dont le montant payé par le groupe Rousseau à 6267 sur l'hypothèque de premier rang. Il a par conséquent acquis par subrogation les droits du groupe Rousseau dans l'action en dation en paiement. De fait, en mars 1991, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement formel transférant le Mont Alouette à M. Vincelli rétroactivement au 22 avril 1987.

Le 30 janvier 1990, M. Vincelli a déposé à la Cour supérieure du Québec une demande de paiement d'au moins 136 756,16 $ contre Fur en raison du paiement qu'il avait effectué le 5 décembre 1989. C'est ce montant que le ministre a consenti à reconnaître comme perte au titre d'un placement d'entreprise pour l'année d'imposition 1989. J'estime qu'il s'agit là d'une conclusion juste étant donné la preuve qui m'a été présentée, dont la déclaration de M. Vincelli selon laquelle Fur était devenue, en décembre 1989, une “compagnie défunte”.

De fait, Fur s'était lancée dans une entreprise de débit de boisson désastreuse et avait constaté qu'il était difficile d'exploiter le Mont Alouette. En outre, Fur n'était pas en mesure de rembourser ses créanciers et n'avait ni payé le solde du prix d'achat à 6267 ni remboursé le prêt de Rousseau. L'action en dation en paiement était en cours à ce moment-là et, à la fin, Fur a perdu le Mont Alouette rétroactivement au mois d'avril 1987.

Compte tenu de la preuve dont j'ai été saisi, j'estime que, sur le montant de 272 500 $ payé par M. Vincelli, 110 757 $ se rapportaient à l'hypothèque de premier rang et 161 743 $ à l'hypothèque de deuxième rang consentie au groupe Rousseau et garantie par M. Vincelli. Le deuxième montant constitue une créance de M. Vincelli sur Fur, laquelle créance est devenue irrécouvrable à la fin de 1989, et je conclus que le montant de 136 756 $ déjà accepté par le ministre devrait être porté à 161 743 $.

J'arrive à cette conclusion même si la demande de paiement de M. Vincelli contre Fur ne mentionnait que 136 756 $. Premièrement, on précisait dans la demande que le montant dû était d'“au moins” 136 756 $, ce qui indique clairement selon moi qu'il ne s'agissait pas d'un chiffre définitif. Deuxièmement, je le répète, je suis convaincu que le montant de 161 743 $ a été payé par M. Vincelli conformément à la garantie qu'il avait donnée et que son obligation s'élevait au même montant.

Conformément aux alinéas 79f) et g) de la Loi, le coût du Mont Alouette est réputé être égal au coût de la créance de M. Vincelli, c'est-à-dire 110 757 $, et le coût de sa créance relativement à l'hypothèque de premier rang lui ayant permis d'acquérir le Mont Alouette est réputé nulle. Par conséquent, aucune perte au titre d'un placement d'entreprise ne peut être déduite relativement au montant de 110 757 $.

Le prêt de Taillage

Fur a vu le jour en février 1986 et ses deux actionnaires à parts égales étaient MM. Vincelli et Daniel Mercille. Ce dernier a convaincu M. Vincelli de former la compagnie pour exploiter une entreprise de peluche. L'argent nécessaire pour financer les activités proviendrait de M. Mercille, qui connaissait une veuve, une certaine Mme Langis, qu'il avait fréquentée et dont la compagnie, Taillage, prêterait 220 000 $ à Fur. Apparemment, cela faisait partie d'un plan qui permettrait à Mme Langis de soustraire ses biens pour qu'ils ne fassent pas partie de la succession de feu son ex-époux dont le testament risquait d'être contesté par le demi-frère de celui-ci. Ce frère n'avait pas reconnu le testament parce que Mme Langis avait divorcé de son défunt époux peu avant le décès de ce dernier. Conformément à deux actes notariés, Taillage a prêté 220 000 $ à M. Mercille en février 1986, mais les fonds ont apparemment été remis directement à Fur.

À des fins comptables, ce prêt a été inscrit dans les états financiers de Fur à titre d'avances des actionnaires. Le comptable de Fur a témoigné qu'il était indiqué que le prêt avait été fait par M. Mercille. M. Vincelli n'est pas intervenu pour garantir ces prêts. En mars 1988, Mme Langis et Taillage ont institué des procédures judiciaires contre Fur, M. Mercille et M. Vincelli, alléguant des représentations frauduleuses relativement au prêt et à l'acquisition de certains biens provenant de la succession de l'ex-époux de Mme Langis.

M. Vincelli a engagé un avocat, un certain Me Ronald Stein, qui a déposé une défense niant essentiellement ces prétentions et affirmant notamment qu'il n'y avait aucun lien de droit entre Taillage et M. Vincelli relativement au prêt. Cependant, le 5 décembre 1989, M. Vincelli a convenu de payer à Mme Langis et à Taillage le montant de 175 000 $, ce qui lui a permis d'obtenir par subrogation le droit de réclamer 175 000 $ à M. Mercille et à Fur du fait du prêt de 220 000 $ consenti à M. Mercille et qui, d'après Taillage, avait été obtenu pour le compte de Fur. Le fait que Taillage a versé ce montant de 220 000 $ directement à Fur appuie cette thèse.

À mon avis, M. Vincelli devait me convaincre que la créance qu'il avait acquise en décembre 1989 l’avait été, comme le requiert le sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi, en vue de tirer un revenu. Je ne suis pas convaincu que c'est le cas en l'espèce. Rien ne prouve qu'au moment où il a été subrogé dans les droits de Taillage relativement à une partie du prêt de 220 000 $, M. Vincelli aurait pu s'attendre à obtenir de M. Mercille le paiement du principal et des intérêts. M. Vincelli a déclaré que M. Mercille n'avait pas la moindre ressource, ce qui est confirmé par le fait qu'il n'a même pas donné suite à son action en remboursement contre M. Mercille de la part du prêt de Rousseau que ce dernier aurait dû payer. À l'instar de M. Vincelli, M. Mercille avait garanti ce prêt. Je ne crois pas que M. Vincelli ait institué quelque action judiciaire que ce soit contre M. Mercille relativement au prêt de Taillage non plus. La même chose vaut pour la créance contre Fur. En raison de l'action en justice intentée par 6267 et continuée par M. Vincelli lui-même, Fur était sur le point de perdre son seul élément d'actif, le Mont Alouette, qui ne valait même pas ce qu'elle avait payé pour l'acquérir. À la fin, M. Vincelli a dû l'abandonner à la municipalité pour taxes impayées en 1995. Il n'y avait donc aucune attente de paiement de la part de Fur non plus.

En outre, je ne puis souscrire à la position de l'avocat de M. Vincelli suivant laquelle nous pouvons inférer que M. Vincelli avait garanti le prêt de Taillage. Une garantie tire sa source soit d'un contrat, soit de la loi. Il n'y a aucune preuve de l'existence de l'une ou l'autre source dans la présente affaire. Au contraire, dans sa défense, M. Vincelli a déclaré qu'aucun lien de droit n'existait entre Taillage et lui-même. De plus, bien que Me Stein ait témoigné, personne ne lui a demandé d'expliquer pourquoi M. Vincelli avait accepté de payer une partie importante du prêt de Taillage qui, au risque de me répéter, avait été consenti soit à M. Mercille, soit à Fur. Étant donné que l'action intentée par Taillage alléguait que M. Vincelli avait commis une fraude, il n'est pas impossible que cela ait pu contribuer à le convaincre de rembourser le prêt de Taillage. Cependant, ce n'est qu'une hypothèse puisque Me Stein n'a pas été interrogé sur cette question.

Quant à la réponse de M. Vincelli selon laquelle il s'est senti obligé de payer parce que le prêt avait été utilisé dans l'entreprise de Fur, je trouve plutôt étonnant qu'un actionnaire qui, en droit, n'est pas responsable de la dette de sa compagnie, accepte de payer, plus particulièrement compte tenu des circonstances de la présente affaire. Il n'est pas impossible qu'il l'ait fait par obligation “morale”. Cependant, étant donné qu'il a été établi qu'aucune obligation “légale” n'existait avant le 5 décembre 1989, il faudrait déterminer si cette créance a été acquise à ce moment-là en vue de tirer un revenu. Ainsi que je l'ai dit précédemment, aucune attente de profit n'existait à l'époque. Par conséquent, la perte est réputée être nulle conformément à l'alinéa 40(2)g) de la Loi.

Le prêt de la Caisse Populaire

En l'espèce, la preuve a révélé que la Caisse Populaire a prêté 20 467 $ à MM. Mercille et Vincelli en décembre 1987. Je ne suis pas convaincu que ce prêt a été utilisé en vue de tirer un revenu. La seule preuve est le témoignage oral de M. Vincelli, qui a déclaré qu'il avait prêté l'argent à Fur. Cependant, le montant ne figure pas à la rubrique des avances d'un actionnaire dans le bilan de Fur pour les exercices 1987 à 1989.

De plus, Fur a été en mesure de produire le relevé de la Caisse Populaire établissant que le prêt de 220 000 $ consenti par Taillage avait été déposé dans le compte de Fur en 1986. Aucune explication n'a été fournie sur l'absence d'un relevé semblable pour l'année civile 1987 relativement au prêt consenti par la Caisse Populaire. Je ne crois pas que M. Vincelli mentait, mais je crois qu'il faisait erreur.

Pour ces motifs, l'appel est admis, sans frais, et la cotisation pour l'année d'imposition 1989 est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de la perte au titre d'un placement d'entreprise dont l'appelant peut tenir compte dans le calcul de sa perte déductible au titre d'un placement d'entreprise est de 188 283 $.

Pierre Archambault

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conformece 17e jour de mars 1998.

Benoît Charron, réviseur.

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