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Dossier : 2014-1399(IT)G

ENTRE :

CHRISTOPHER GRANT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 2 juin 2017, à Sudbury (Ontario),
et jugement et motifs du jugement rendus
par conférence téléphonique le 22 juin 2017
à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Guy R. Smith


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Steven D. Leckie

 

JUGEMENT

  L’appel à l’encontre de l’avis de cotisation daté du 14 mai 2012 établi en application de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1, 5e suppl., avec ses modifications successives, pour les sommes dues par RII Holdings Inc. à l’égard de l’impôt sur le revenu fédéral retenu à la source sur le traitement et le salaire versés aux employés pendant les années d’imposition 2005 et 2006, ainsi que les pénalités et les intérêts s’y rapportant, est rejeté, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Montréal (Québec), ce 22e jour de juin 2017.

« Guy Smith »

Le juge Smith

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d’août 2018.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2017 CCI 121

Date : 20170622

Dossier : 2014-1399(IT)G

ENTRE :

CHRISTOPHER GRANT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

rendus par conférence téléphonique

le 22 juin 2017 à Montréal (Québec).

Le juge Smith

[1]  Notre Cour est saisie d’un appel à l’encontre d’un avis de cotisation établi en application de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les sommes dues par RII Holdings Inc. (la « société ») à l’égard de l’impôt sur le revenu fédéral retenu à la source sur le traitement et le salaire versés à ses employés, tel qu’il est indiqué dans l’avis de cotisation du 14 mai 2012 et dans l’avis de confirmation du 10 janvier 2014.

[2]  La société a fait une cession de biens le 1er août 2006, puis l’appelant a fait l’objet d’un avis de cotisation à l’égard du solde impayé des retenues à la source, ainsi que des pénalités et des intérêts, qui s’élève à 66 865,44 $.

[3]  L’appelant conteste l’avis de cotisation pour les motifs ci‑après, chacun étant invoqué à titre subsidiaire des autres :

1.  le ministre n’a pas remis au syndic de faillite de preuve de réclamation en bonne et due forme, en violation de l’alinéa 227.1(2)c) de la Loi;

2.  l’appelant a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables, conformément au paragraphe 227.1(3) de la Loi;

3.  la cotisation de l’appelant a été établie plus de deux ans après qu’il eut cessé d’être administrateur de la société, en violation du paragraphe 227.1(4) de la Loi;

4.  le ministre n’a pas émis l’avis de cotisation « avec diligence », en violation du paragraphe 152(1) de la Loi.

[4]  J’ajoute que l’appelant a également soulevé la question des difficultés financières au début de l’audience. Notre Cour a refusé d’examiner des éléments de preuve ou d’entendre des observations à cet égard au motif que la Cour canadienne de l’impôt n’est pas un tribunal d’equity et qu’elle a pour rôle et pour mission de juger la validité et l’exactitude d’une cotisation en se fondant les dispositions pertinentes de la loi et sur les faits donnant lieu à la responsabilité légale du contribuable.

Les faits pertinents

[5]  L’appelant a été le seul témoin. Il a dit être l’actionnaire majoritaire et l’administrateur de la société. Il y avait aussi trois autres entreprises dont le rôle principal était de détenir des biens immobiliers, mais la société s’occupait de toutes les retenues à la source.

[6]  L’appelant a expliqué que, à la fin de 2005 et au début de 2006, la société a été aux prises avec de graves difficultés financières et a eu des difficultés avec un investisseur privé, une certaine Mme Kivela, qui détenait aussi une sûreté sur les éléments d’actif de la société et des autres entreprises débitrices. Elle avait investi environ 3 millions de dollars. Le 15 juin 2006, la Cour supérieure de l’Ontario a nommé un séquestre intérimaire. Son rôle consistait à surveiller les activités de la société et plus particulièrement, comme le montrent les motifs du jugement inclus à l’onglet 4 du recueil conjoint de documents, il était autorisé à examiner tous les débours et chèques.

[7]  L’appelant a dit avoir retenu les services du syndic de faillite Surgeson Carson Associates Inc. pour le conseiller, ce qui a débouché sur la préparation et le dépôt d’un avis d’intention de déposer une proposition. Le dépôt de cet avis a entraîné la suspension de l’instance, en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

[8]  En fin de compte, l’appelant n’a pas été en mesure de respecter les propositions et la société a par conséquent fait faillite le 1er août 2006. Une première réunion des créanciers a eu lieu le 26 août 2006, moment auquel l’appelant a rencontré la représentante en recouvrement de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), Mme Dombroskie. Ils ont discuté des sommes dues à l’ARC et tous deux étaient convaincus qu’elles seraient remboursées étant donné l’actif de la société. Lors de cette réunion, un nouveau syndic de faillite a été nommé, Christopher Crupi and Associates Inc. Après cette date, le 28 août 2016, le service de recouvrement de l’ARC a envoyé une preuve de réclamation au premier syndic de faillite. On ne sait pas si cette preuve de réclamation a été remise au nouveau syndic de faillite. Quoi qu’il en soit, une preuve de réclamation révisée ou modifiée a été déposée auprès du deuxième syndic de faillite environ 11 mois plus tard, le 24 juillet 2007.

[9]  Selon un document déposé en preuve, la pièce A­2, un rapport daté du 28 avril 2015 produit par BDO en qualité de syndic gardien de l’actif de Christopher Crupi and Associates Inc., les créances s’élevaient à environ 5 millions de dollars, dont environ 1,6 million en dettes non garanties, 3,3 millions en dettes garanties et 47 000 $ en créances prioritaires, soit les réclamations de l’ARC.

[10]  J’ajouterai que ce document corrobore la version des faits de l’appelant quant au changement de syndic de faillite le 26 août 2006. Il prouve également le dépôt d’une proposition le 29 juin 2006. En outre, il confirme que tous les biens immobiliers ont été transférés au créancier hypothécaire, conformément à une ordonnance de forclusion définitive, et que l’administrateur-séquestre nommé par la Cour a pris en sa possession et sous sa responsabilité l’argent à la banque, les comptes à recevoir, la machinerie et l’équipement, de telle sorte qu’il ne restait aucuns capitaux propres à l’actif du failli.

[11]  Comme je l’ai déjà mentionné, l’appelant a été le seul témoin. Il est évident pour notre Cour qu’il a un intérêt dans l’issue de la présente instance. Comme à l’habitude, notre Cour doit faire preuve de vigilance face à un témoignage intéressé et non corroboré. Tout compte fait, je conclus que l’appelant était un témoin crédible qui a donné un exposé détaillé, juste et honnête des faits. Son incapacité à répondre à certaines questions était tout simplement attribuable, selon moi, au passage du temps ou à la complexité intrinsèque de la situation et des faits. En outre, je conclus que son témoignage était dans l’ensemble corroboré par les documents inclus dans le recueil conjoint de documents, entre autres les rapports rédigés et signés par BDO ainsi que les motifs du jugement du juge Hackland de la Cour supérieure de l’Ontario.

Le droit applicable

[12]  Avant de passer aux observations de l’appelant, j’aimerais examiner rapidement le droit applicable. Le paragraphe 227(1) de la Loi porte sur l’obligation d’une personne de déduire ou de retenir des sommes pour l’impôt et le paragraphe 227(4) dispose que les sommes ainsi déduites sont détenues en fiducie en vue de les« verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi ».

[13]  Dans l’arrêt Canada c. Barrett, 2012 CAF 33, la juge Dawson a examiné une disposition semblable de la Loi sur la taxe d’accise selon laquelle la TPS était réputée être détenue en fiducie pour la Couronne. Elle a expliqué (au paragraphe 34) que la responsabilité de l’administrateur n’a pas trait à une dette ordinaire. Il s’agit plutôt d’une obligation à l’égard de sommes perçues auprès de tiers et détenues en fiducie relativement aux obligations incombant aux tiers sous le régime de cette loi.

[14]  La juge Dawson a ajouté (au paragraphe 35) que, en ce qui concerne la nature de la relation de l’administrateur avec la personne morale débitrice, un administrateur est présumé, en raison de son statut d’administrateur, être au courant de l’obligation de la personne morale de remettre les sommes détenues en fiducie en vertu de sa charge, et de la capacité de payer de la personne morale. Un administrateur est présumé également avoir le pouvoir légal d’ordonner à la personne morale de remettre les sommes en cause.

1.   « Avec diligence »

[15]  Je vais maintenant examiner chaque motif d’appel dans l’ordre inverse, en commençant par l’argument de l’appelant selon lequel le ministre n’a pas établi la cotisation « avec diligence », en violation du paragraphe 152(1) de la Loi.

[16]  L’appelant souligne qu’il s’est écoulé maintenant presque 11 ans depuis la date de la faillite. Il déclare n’avoir été informé de sa responsabilité quant aux retenues à la source que près de six ans après la date de la faillite. Il soutient que ce délai est anormalement long et déraisonnable et qu’il ne respecte pas le critère prévu par la loi, à savoir que la cotisation doit être établie « avec diligence ».

[17]  Je souligne que l’expression « avec diligence » figure au paragraphe 152(1) en rapport avec l’obligation du ministre d’examiner la déclaration de revenu du contribuable pour une année d’imposition. Par conséquent, il est supposé qu’une déclaration de revenu a été produite. Deuxièmement, la même expression figure au paragraphe 165(3) de la Loi en rapport avec l’obligation du ministre d’examiner de nouveau la cotisation lorsque le contribuable produit un avis d’opposition. Encore une fois, il est supposé que le contribuable a déposé un document.

[18]  L’appelant a renvoyé à un certain nombre de décisions pour ce qui est du sens de l’expression « avec diligence », mais je ne compte pas examiner cette jurisprudence au motif que les paragraphes 152(1) et 165(3) font tous deux partie de la section I de la Loi, intitulée « Déclarations, cotisations, paiement et appels », tandis que le paragraphe 227(1) fait partie de la partie XV, intitulée « Application et exécution ». Je souligne en outre que, bien que le paragraphe 227.1(1) soit la disposition établissant la responsabilité des administrateurs, le paragraphe 227(10) dispose que « [l]e ministre peut, en tout temps, établir une cotisation ».

[19]  Le sens ordinaire de l’expression « en tout temps » donne à penser que la signification d’un avis de cotisation à l’encontre d’un administrateur ne se prescrit pas, sauf pour ce qui est du délai de deux ans dont je traiterai ci-après.

[20]  Ainsi, j’accepte la thèse de l’intimée selon laquelle l’expression « avec diligence », qui figure au paragraphe 152(1) de la Loi, n’a aucune incidence sur la présente analyse. Par conséquent, l’argument de l’appelant doit être rejeté.

2.   Le délai de deux ans

[21]  L’appelant affirme que le ministre a émis un avis de cotisation plus de deux ans après qu’il eut cessé d’être un administrateur à la suite de la faillite de la société le 1er août 2006. Il soutient que le syndic de faillite a assumé l’entière responsabilité des affaires de la société.

[22]  En réponse à cette observation, je dirai que, bien qu’il soit vrai que, dans le contexte d’une faillite, tous les éléments d’actifs et les entreprises de la société sont dévolus au syndic pour qu’il dispose des éléments d’actif du failli ou les liquide en bonne et due forme pour le bénéfice des créanciers, il n’en demeure pas moins que les sociétés sont régies par leur loi habilitante, en l’espèce la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (la « LSAO »).

[23]  La Loi est silencieuse sur l’élection et la révocation des administrateurs. Ces questions relèvent de la LSAO. Plus précisément, le mandant d’un administrateur prend fin s’il décède, s’il fait lui-même faillite, s’il démissionne ou s’il est destitué par une résolution des actionnaires. En l’espèce, l’appelant ne se trouve dans aucune de ces situations et il a reconnu ne pas avoir signé ou remis de lettre de démission. Il a tout simplement supposé qu’il n’était plus administrateur de la société à la date de la faillite.

[24]  Cette situation a été examinée de front par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kalef v. The Queen, 1994 N.R. 39, où la Cour a conclu que M. Kalef n’avait pas cessé d’être administrateur du fait de la nomination d’un syndic de faillite. Au paragraphe 15 de la décision, le juge McDonald a écrit ce qui suit :

[…] Bien qu’il puisse être loisible au législateur fédéral de s’écarter expressément des principes du droit des compagnies pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, je ne crois pas que l’on doive lui imputer une telle intention. Compte tenu du silence de la Loi de l’impôt sur le revenu, je crois qu’il convient de se guider sur loi sur les compagnies applicable, en l’espèce la Loi sur les compagnies de l’Ontario. Un administrateur ne peut pas et ne devrait pas bénéficier des avantages de la constitution en personne morale que confère la Loi sur les compagnies de l’Ontario sans accepter aussi les responsabilités que cette loi lui impose. […]

[25]  L’appelant affirme que sa situation est factuellement différente étant donné que le syndic de faillite l’a expulsé des biens immobiliers et lui en a refusé l’accès. Cet argument ne me convainc pas et je conclus que la situation de l’appelant est en fait typique de la plupart des administrateurs de sociétés en faillite. Ce qui est plus important encore, je constate que la cotisation en question a trait à des sommes dues à Sa Majesté la Reine avant la date de la faillite.

[26]  À la lumière des éléments de preuve qui m’ont été présentés, je conclus que l’appelant était encore administrateur de la société lorsque l’avis de cotisation a été émis en mai 2012. Pour ces motifs, je dois également rejeter l’argument de la prescription.

3.   La diligence raisonnable

[27]  Je me pencherai maintenant sur la défense dite de la diligence raisonnable prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi.

[28]  L’appelant n’a pas expressément invoqué ce moyen, mais je conclus qu’il est implicite dans son avis d’appel. Quoi qu’il en soit, la question a aussi été soulevée dans la réponse.

[29]  En ce qui concerne les faits propres à l’espèce, l’appelant a dit que la société attendait un remboursement assez important lié au crédit de taxe sur les intrants sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise ainsi qu’un remboursement lié au crédit d’impôt pour activités de recherche scientifique et de développement expérimental, mais peu de détails ont été fournis. Il a aussi affirmé avoir pris des mesures en vue du dépôt d’une proposition au titre de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pour permettre à la société de conclure une entente avec les créanciers et de poursuivre ses activités. Après examen des avis de cotisation, je constate que, même si la majeure partie du témoignage de l’appelant portait sur des événements ayant eu lieu au milieu de 2006, les sommes en question concernaient les années 2004, 2005 et 2006.

[30]  Cette question a été abordée le plus récemment dans l’arrêt Canada c. Buckingham, 2011 CAF 142. Il portait précisément sur le paragraphe 227.1(1) de la Loi. Je cite le paragraphe 33, où le juge Mainville s’exprime ainsi :

[…] il incombe aux administrateurs de démontrer que les conditions requises pour se prévaloir avec succès d’une telle défense sont remplies. […] Les administrateurs doivent établir qu’ils ont exercé le degré de soin, de diligence et d’habileté requis « pour prévenir le manquement ». L’objet de ces dispositions est clairement de prévenir les défauts de versement.

[Non souligné dans l’original.]

[31]  Comme le montre cet arrêt, il faut se pencher principalement sur les mesures préventives prises par l’administrateur, mais l’analyse ne s’arrête pas là. Le libellé de la disposition contient aussi l’expression « dans des circonstances comparables », ce qui indique qu’il faut également analyser la responsabilité de l’administrateur dans le contexte d’une société qui est aux prises avec de graves difficultés financières. Au paragraphe 52 de cet arrêt, le juge Mainville s’exprime ainsi :

Le Parlement n’a pas requis des administrateurs qu’ils soient assujettis à une responsabilité absolue relativement aux versements de leurs sociétés. En conséquence, le Parlement accepte qu’une société puisse, dans certaines circonstances, ne pas effectuer des versements sans que la responsabilité de ses administrateurs ne soit engagée. Ce qui est requis des administrateurs, c’est qu’ils démontrent qu’ils se sont effectivement préoccupés des versements fiscaux […]

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Autrement dit, l’administrateur devrait présenter des éléments de preuve pour établir qu’il a prêté attention aux versements requis.

[33]  À titre d’éléments de preuve, l’appelant a avancé, d’une part, qu’il attendait des remboursements d’impôt pour payer les versements et, d’autre part, qu’il avait déposé des propositions afin d’éviter la faillite de la société.

[34]  Tout compte fait, je conclus que notre Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que l’appelant s’est acquitté de l’obligation de diligence que la Loi lui impose. J’estime plus particulièrement que très peu d’éléments de preuve, voire aucun, n’ont été présentés à l’égard des années 2004 et 2005 et du début de 2006, lorsque les versements étaient exigibles.

[35]  Par conséquent, je dois également rejeter l’argument de la diligence raisonnable.

4.   La preuve de réclamation

[36]  Je me pencherai maintenant sur la question du dépôt d’une preuve valide de réclamation, mais, avant d’examiner les observations de l’appelant, j’examinerai plus en détail le paragraphe 227.1(2). Il prévoit que l’administrateur n’encourt pas la responsabilité prévue au paragraphe 227.1(1), la disposition qui impose la responsabilité, à moins que le ministre n’ait satisfait à l’une des conditions préalables énoncées aux alinéas a), b) et c). Ces alinéas opèrent de façon disjonctive, c’est-à-dire qu’un seul peut s’appliquer. En l’espèce, il s’agit de l’alinéa c). Il comporte deux volets :

1.  la personne (ou en l’espèce la société) qui était assujettie à l’obligation de faire une retenue en conformité avec le paragraphe 227(1), a fait une cession;

2.  le ministre a déposé une preuve de réclamation auprès du syndic de faillite dans les six mois suivant la date de la faillite.

[37]  Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Worrell c. La Reine, [2000] A.C.F. no 1730 (QL), la responsabilité de l’administrateur « ne se cristallise qu’une fois que les conditions prévues au paragraphe 227.1(2) auront été réunies ». Par contre, comme on le verra plus loin, la Cour d’appel fédérale a conclu dans des décisions subséquentes qui lient notre Cour que le paragraphe 227.1(2) est de nature directrice. Par conséquent, il est pertinent de tenir compte de l’article 166 de la Loi, qui est rédigé ainsi :

166.  Une cotisation ne peut être annulée ni modifiée lors d’un appel uniquement par suite d’irrégularité, de vice de forme, d’omission ou d’erreur de la part de qui que ce soit dans l’observation d’une disposition simplement directrice de la présente loi.

[38]  L’intimée a fait référence à deux arrêts de la Cour d’appel fédérale. Le premier est Kyte c. La Reine, [1996] A.C.F. no 1615 (QL), qui porte sur l’alinéa 227.1(2)a) de la Loi. Le contribuable avait soutenu que le montant indiqué dans le certificat déposé auprès de la Cour fédérale était inexact et que le ministre n’avait pas présenté d’éléments de preuve établissant que cette inexactitude avait été faite par suite « d’irrégularité, de vice de forme, d’omission ou d’erreur », dans les termes du paragraphe 166 de la Loi. Cette disposition n’avait pas été invoquée, mais la Cour d’appel fédérale a conclu que l’erreur en question était néanmoins liée à une disposition simplement directrice de la Loi et que le juge de première instance avait le droit d’invoquer l’article 166. La Cour d’appel fédérale a fait observer que la somme due dans bon nombre de cas peut être fluide et que l’exigence selon laquelle il faut indiquer le montant exact de l’obligation fiscale dans le certificat était donc seulement une exigence directrice.

[39]  Le deuxième arrêt est Moriyama c. Canada, 2005 CAF 207. Dans cette affaire, le contribuable était l’administrateur d’une société en faillite. Le litige portait sur de la TPS impayée. Je signale que les dispositions applicables de la Loi sur la taxe d’accise sont pour l’essentiel identiques aux dispositions de la Loi.

[40]  Le contribuable avait soulevé plusieurs arguments, notamment celui voulant que le ministre n’ait pas déposé de preuve de réclamation dans les six mois suivant la date de la faillite. D’après les faits, il semble qu’une preuve de réclamation originale ait été déposée à temps, mais que des sommes supplémentaires soient devenues exigibles dans les mois précédant immédiatement la faillite et aient été incluses dans la deuxième preuve de réclamation déposée auprès du syndic de faillite plus de douze mois après la date de la faillite.

[41]  Le contribuable avait soutenu que l’exigence d’établir la perte dans les six mois était obligatoire et que l’omission par le ministre de respecter le délai signifiait qu’il n’était pas responsable en tant qu’administrateur des sommes indiquées dans la deuxième preuve de réclamation. Se fondant sur l’arrêt Kyte, que j’ai cité précédemment, le juge de première instance a conclu que la disposition visée était directrice et que le dépôt en retard d’une preuve de réclamation modifiée n’était pas fatal. La Cour d’appel fédérale a souscrit à cette conclusion.

i) La remise à l’appelant d’une preuve de réclamation signée

[42]  L’appelant soutient que le ministre ne lui a pas remis de copie de la preuve de réclamation dans les six mois suivant la date de la faillite et que la preuve de réclamation jointe à l’avis de cotisation et à l’avis de confirmation n’était ni signée ni faite sous serment. Je prends note que, au titre du paragraphe 124(2) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la preuve de la réclamation doit être remise selon la forme prescrite. Il s’agit essentiellement de faire une déclaration solennelle quant aux sommes à payer. Il est évident qu’elle doit être signée par un représentant du créancier et faite sous serment devant un commissaire aux serments.

[43]  Avant de tirer une conclusion sur cette question, j’aborderai une question préliminaire connexe soulevée à l’audience. L’intimée a déposé un recueil conjoint de documents. Bien que je n’aie aucune raison de douter que l’appelant en ait accepté le contenu, il était évident d’après son témoignage qu’il n’avait jamais vu la version complète signée et faite sous serment de la preuve de réclamation qui figurait à l’onglet 1. Il a affirmé avoir demandé à plusieurs reprises une version signée et qu’aucune ne lui avait été remise.

[44]  Cette situation est particulièrement troublante compte tenu de l’article 89 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), selon lequel une partie ne peut utiliser en preuve un document qu’elle n’a pas communiqué à l’autre partie à moins d’avoir obtenu l’autorisation de la Cour.

[45]  J’estime que cette situation n’est pas sans ressembler à celle dans la décision Walsh c. la Reine, 2009 CCI 557, où le juge Sheridan a considéré une lettre provenant du shérif, exigée aux termes de l’alinéa 227.1(2)a), comme étant inadmissible au motif qu’elle ne figurait pas dans la liste des documents de l’intimée et qu’elle n’avait été produite que le jour de l’audience.

[46]  En l’espèce, l’avocat de l’intimée a affirmé que la version signée avait été remise dans le cadre de la communication des documents. Le dossier de la Cour montre que l’appelant était au début représenté par un avocat et que, en novembre 2015, il a décidé de défendre sa cause lui-même. Dans les circonstances, nous pouvons supposer que la preuve de réclamation signée avait probablement été produite et remise à l’ancien avocat de l’appelant, mais nous n’avons aucun élément de preuve à cet effet, si ce n’est les observations de l’avocat en sa qualité de fonctionnaire judiciaire.

[47]  Après examen du dossier de la Cour, je constate que la liste des documents de l’intimée mentionne la preuve de réclamation de l’ARC du 28 août 2006. Je constate également qu’elle comprend un avis d’examen des documents signalant que tous les documents peuvent être examinés et copiés sur rendez-vous, à certaines heures de la journée, à l’adresse précisée, à Ottawa. Si ni l’appelant ni son ancien avocat n’ont vu la preuve de réclamation signée, je ne peux que conclure qu’ils ne se sont pas prévalus de la possibilité d’examiner et de copier les documents originaux.

[48]  Pour ces motifs, et sur le fondement des affirmations de l’avocat de l’intimée en tant que fonctionnaire judiciaire selon lesquelles la preuve de réclamation signée a été rendue disponible dans le cadre de la communication des documents, je conclus que le document était admissible en preuve.

[49]  Étant parvenu à cette conclusion quant à l’admissibilité de la preuve de réclamation signée, je conclus que rien dans le libellé de l’alinéa 227.1(2)c) n’exige que la preuve de réclamation signée soit remise à l’appelant en tant qu’administrateur. Cela dit, j’ajouterai que le témoignage de l’appelant consistait à dire qu’il avait rencontré la représentante de l’ARC lors de la première réunion des créanciers. Même si tous deux avaient supposé qu’il y aurait suffisamment d’éléments d’actif pour payer la créance impayée, j’estime que rien n’empêchait l’appelant de faire un suivi auprès de Mme Dombroskie ou de son successeur, pour vérifier et confirmer que cela avait effectivement été fait.

[50]  En outre, et même si cela pouvait irréaliste dans les mois qui ont suivi la faillite, rien n’empêchait l’appelant de faire un suivi ou de conclure une entente avec l’ARC. Je le mentionne parce que le paragraphe 227.1(6) de la Loi prévoit que l’administrateur peut payer la somme impayée et assumer le privilège qui est accordé à la Couronne dans les cas de faillite.

ii)  La production de la preuve de réclamation auprès du syndic de faillite

[51]  Je me pencherai maintenant sur la question de la production de la preuve de réclamation initiale. Comme on l’a constaté lors de l’audience, Surgeson Carson Associates Inc. a aidé l’appelant à rédiger un avis d’intention de déposer une proposition et, lorsque cela n’a pas fonctionné, a convoqué une première réunion des créanciers pour le 26 août 2006. Lors de cette réunion, les créanciers ont décidé, en vertu de l’article 14 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, de remplacer le premier syndic par un nouveau syndic, soit Christopher Crupi and Associates Inc.

[52]  La thèse de l’appelant est que la représentante de l’ARC, Mme Dombroskie, assistait à la réunion et qu’elle savait qu’il y avait eu changement de syndic. Le témoignage de l’appelant sur cette question n’est pas contesté.

[53]  Néanmoins, Mme Dombroskie a rédigé une lettre d’accompagnement et une preuve de réclamation datée de deux jours après la première réunion des créanciers et a adressé le tout à Surgeson Carson, même s’il n’était plus le syndic. En l’absence d’autres témoignages, soit de la part de Mme Dombroskie ou d’un autre représentant de l’ARC, notre Cour ne peut que faire des suppositions quant à savoir si la preuve de réclamation a par la suite été acheminée au nouveau syndic, soit par Mme Dombroskie lorsqu’elle s’est rendu compte de son erreur, soit par le premier syndic par courtoisie professionnelle. Au bout du compte, il existe un vide évident dans les éléments de preuve et notre Cour ne peut qu’émettre des conjectures sur ce qui s’est produit. L’appelant soutient que, en raison de cette erreur, on peut dire que le ministre n’a pas satisfait à l’exigence voulant qu’une preuve de réclamation soit acheminée au syndic de faillite dans les six mois et que, en conséquence, la cotisation devrait être annulée.

[54]  J’estime que l’envoi de la preuve de réclamation au premier syndic était en effet une erreur. Cependant, sur le fondement du libellé de l’article 166 de la Loi, je conclus que notre Cour ne peut pas annuler la cotisation. Je juge cette conclusion conforme à la jurisprudence mentionnée précédemment et, en particulier, à la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle les alinéas 227.1(2)a), b) et c) sont directeurs.

[55]  J’ajouterai que, même si cette conclusion était erronée, on ne conteste pas qu’une deuxième preuve de réclamation a été envoyée au nouveau syndic de faillite quelque onze mois après la date de la faillite. Je conclus que l’arrêt Moriyama c. La Reine, précité, étaye l’hypothèse qu’il s’agissait d’une preuve de réclamation valide et qu’il était satisfait aux exigences de l’alinéa 227.1(2)c), encore une fois en raison de la nature directrice de cette disposition.

iii) La modification des sommes indiquées dans la preuve de réclamation initiale

[56]  L’appelant soutient que les sommes indiquées dans la preuve de réclamation initiale diffèrent de celles indiquées dans la deuxième preuve de réclamation et que sa responsabilité devrait se limiter aux sommes initiales. Bien entendu, l’appelant a aussi soutenu que la première preuve de réclamation était invalide.

[57]  Quoi qu’il en soit, pour ce qui est des sommes additionnelles pour 2005 et 2006, il se peut que l’ARC n’ait pas été en mesure de calculer les sommes dues avant d’avoir pu examiner les salaires versés pour déterminer le bon montant des retenues d’impôt. Les autres sommes représentaient les pénalités et les intérêts.

[58]  Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kyte c. La Reine, précité, il peut y avoir des divergences étant donné que les sommes à verser au titre des retenues à la source peuvent être fluides. M’appuyant sur cet arrêt, je conclus qu’il est sans importance que les sommes à verser aient changé entre la preuve de réclamation initiale et la deuxième preuve de réclamation.

Conclusion

[59]  Les arguments soulevés par l’appelant ont tous été examinés. L’appel doit être rejeté pour l’ensemble des motifs qui précèdent.

[60]  Je m’empresse d’ajouter que, même si notre Cour a conclu à l’exactitude de l’avis de cotisation, elle estime également qu’il pourrait s’agir d’un cas où il conviendrait que le ministre envisage de renoncer aux pénalités et aux intérêts, au motif de ce que j’appellerais un retard de traitement inacceptable de la part de l’ARC ainsi que de l’évidente mauvaise gestion des éléments d’actif du failli par le deuxième syndic, dont les dossiers ont été saisis sur ordonnance du surintendant des faillites et transférés à BDO Canada Limited en tant que syndic gardien chargé de la disposition finale.

[61]  Malheureusement, notre Cour n’a pas compétence sur la renonciation aux pénalités et aux intérêts et il faudrait que l’appelant soulève cette question directement auprès du ministre, s’il choisit de le faire.

[62]  Au vu de l’ensemble des circonstances, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder de dépens.

Signé à Montréal (Québec), ce 22e jour de juin 2017.

« Guy Smith »

Le juge Smith

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d’août 2018.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 121

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-1399(IT)G

INTITULÉ :

CHRISTOPHER GRANT c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Sudbury (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juin 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Guy R. Smith

DATE DU JUGEMENT RENDU PAR CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE :

Le 22 juin 2017

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Steven D. Leckie

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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