Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990507

Dossier: 98-1493-IT-I

ENTRE :

MARLÈNE GODIN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels visant les années d'imposition 1993, 1994 et 1995. Au cours de cette période, l'appelante exécutait un travail de barmaid dans un bar portant le nom de Disco-Spec Dagobert Inc.( « Disco » ). Dans le cadre de ses fonctions, l'appelante touchait des pourboires.

[2] Le litige porte sur le montant des pourboires que l'appelante a reçus pour ces trois années d'imposition.

[3] Lors de son témoignage, l'appelante a indiqué qu'elle travaillait toujours les jeudi, vendredi, samedi et dimanche à l'un des huit bars localisés sur trois paliers à la Disco. Effectivement, elle partageait la responsabilité du seul bar situé au troisième palier. Elle et sa compagne y travaillaient ensemble; toutes les ventes de boisson étaient enregistrées sur la même caisse enregistreuse. Les pourboires versés par les clients n'étaient pas partagés entre elles. Chacune gardait ses propres pourboires; par contre, elles devaient remettre un pourcentage de 1 p. 100 de la moitié des ventes aux garçons qui travaillaient sur le plancher.

[4] Tous les jours, l'appelante complétait un registre des pourboires fournis par le ministère du Revenu national ( « Ministère » ) au gouvernement du Québec; elle y inscrivait le total des ventes, le montant de ses pourboires en argent et ceux apparaissant sur les feuillets de cartes de crédit des clients. Le registre indiquait finalement le montant remis aux garçons de plancher correspondant au pourcentage sur la moitié des ventes enregistrées.

[5] À la fin de l'année, ses revenus de pourboires étaient additionnés et son conjoint complétait les déclarations de revenus auprès des deux paliers de gouvernement.

[6] Monsieur Michel Côté, vérificateur du Ministère, a expliqué que le dossier de l'appelante avait fait l'objet d'une vérification dans le cadre d'une méga-enquête portant spécifiquement sur la catégorie de contribuables bénéficiant de pourboires. Parmi les nombreux dossiers vérifiés, figurait la Disco où l'appelante travaillait comme barmaid.

[7] Il a expliqué que le Ministère avait avisé tous les tenanciers des établissements faisant l'objet d'une vérification que des vérificateurs du Ministère se rendraient éventuellement sur les lieux aux fins d'y colliger toutes les informations dont ils avaient besoin dans le cadre de leur analyse et vérification.

[8] Ainsi, l'établissement où travaillait l'appelante a fait l'objet d'une telle observation et analyse. Monsieur Côté et un collègue se sont donc rendus à la Disco le 25, 26, 27 avril et le 1er mai 1995 pour y observer la qualité, quantité et générosité de l'achalandage dans le but de déterminer les revenus émanant des pourboires.

[9] Monsieur Jean-Paul Fortin, responsable du dossier au niveau de l'élaboration des cotisations a aussi témoigné. Il a reconnu que les données relatives au montant des ventes inscrites à la caisse enregistreuse et transcrites dans le registre complété quotidiennement par l'appelante balançaient avec les chiffres fournis par l'entreprise.

[10] Présumant que les données fournies par l'appelante ne correspondaient pas avec la réalité constatée lors des observations, le Ministère a refusé de donner foi aux prétentions amendées de l'appelante, d'autant plus que cette dernière avait, dans un premier temps, fourni des informations mensongères.

[11] D'autre part, les nombreuses études, analyses et observations réalisées par le Ministère, tant auprès du dossier Disco-Spec Dagobert Inc. que dans les autres dossiers semblables, ont été utilisées pour élaborer des barèmes, constituer certaines normes ou standards.

[12] Monsieur Côté a fait état de ses diverses constatations, dont celle qu'il s'agissait d'un établissement très achalandé; il a aussi noté que la clientèle était généralement de niveau jeune professionnel, d'où les pourboires octroyés étaient généralement très généreux.

[13] Selon monsieur Côté, les revenus émanant des pourboires déclarés par l'appelante ne correspondaient aucunement avec les différents constats recueillis au cours de ses quatre visites à l'établissement où travaillait l'appelante.

[14] Monsieur Côté a aussi remarqué que les clients remettaient très généralement des pourboires beaucoup plus élevés que ceux attribués par le Ministère à l'appelante; ainsi, selon l'intimée, les cotisations contestées représentaient des pourboires plus que raisonnables, voire même minimaux.

[15] L'approche du Ministère était certes valable et raisonnable, eu égard aux faits et circonstances disponibles dans la très grande majorité des dossiers semblables où les contribuables n'ont aucune donnée, ni registre, ni comptabilité. En pareille matière, il est normal et usuel, voire essentiel de recourir à une méthode où certains faits et constats deviennent les fondements d'une extrapolation permettant d'établir une cotisation en partie arbitraire, mais valable et raisonnable, étant donné qu'il s'agit là de la seule façon de l'établir.

[16] Lors du recours à un tel procédé, il est essentiel que les fondements d'une telle approche soit crédibles, solides et surtout hautement pertinentes.

[17] En l'espèce, la visite des lieux a eu lieu au mois d'avril 1995, un lundi, mardi, mercredi et jeudi. Lors de ces quatre visites d'une durée de quelques heures, les huit bars localisés sur trois paliers différents ont fait l'objet d'observations.

[18] La preuve avait révélé avant même la description des circonstances entourant les visites que les trois paliers ciblaient des clientèles différentes mais surtout que l'intensité des activités variait beaucoup au cours des jours de la même semaine. Monsieur Côté n'a fait aucune remarque ou commentaire à cet égard, soutenant que les constats observés valaient pour tous les jours incluant les périodes où l'appelante travaillait, c'est-à-dire les jeudi, vendredi, samedi et dimanche.

[19] Il a été démontré qu'en début de semaine, il y avait des spectacles et des activités qui généraient habituellement un achalandage plus soutenu et des clients généralement plus âgés.

[20] À ces réalités ponctuelles, s'ajoutait le fait que certaines périodes dans l'année étaient plus achalandées que d'autres; à titre d'exemple, le conjoint de l'appelante a indiqué que la période où les étudiants ontariens visitaient la région de Québec était très particulière en ce que les commerces en général bénéficiaient d'un achalandage exceptionnel.

[21] En cette matière, le fardeau de la preuve incombe à l'appelante. Il ne suffit pas d'attaquer la méthode utilisée pour l'élaboration d'une cotisation pour avoir gain de cause, il est impératif de faire la démonstration du bien-fondé de ses prétentions au moyen d'une preuve crédible et vraisemblable.

[22] À cet égard, l'appelante a témoigné d'une manière irréprochable et la preuve n'a fourni aucun motif à ce Tribunal qui justifie la mise à l'écart en totalité ou même en partie de ce témoignage. Elle a témoigné d'une façon franche, crédible et spontanée.

[23] En bout de piste, le Tribunal doit trancher entre deux comptabilités. L'une étant le résultat d'un exercice plausible constitué de données hypothétiques consignées à partir d'un échantillonnage ponctuel.

[24] L'autre est le résultat d'une comptabilité quotidienne complétée d'une manière dont la preuve ne permet pas de mettre en doute la qualité.

[25] Le seul élément qui discrédite la vraisemblance des prétentions de l'appelante est le fait que son conjoint, auteur des déclarations de revenu de son épouse, a pris l'initiative d'y amputer certains chiffres sous prétexte que Revenu Canada traitait injustement les employés à pourboires. Suite à la vérification du dossier, le conjoint de l'appelante, qui avait préparé les déclarations de revenus de cette dernière pour les années en litige, a refait les calculs à partir des données qu'elle inscrivait quotidiennement dans le registre conçu pour cela. Au terme des nouveaux calculs documentés et très ventilés, l'appelante a soutenu avoir eu des revenus émanant des pourboires aux montants respectifs de 11 551 $, 3 965 $ et 8 310 $ pour les années en litige (pièce A-1).

[26] L'appelante est certes imputable de cette grossière négligence; cependant, cette négligence doit-elle discréditer la qualité de son témoignage? Je ne le crois pas. L'appelante a témoigné d'une façon spontanée et le Tribunal croit qu'elle a fourni la preuve du bien-fondé de ses prétentions.

[27] Le Tribunal accepte donc les chiffres corrigés et consignés à la comptabilité quotidienne tenue par l'appelante.

[28] L'appel est accueilli en ce que les revenus de pourboires de l'appelante pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 sont réputés avoir été de 11 551 $, 3 965 $ et 8 310 $, le tout sans frais.

Signé à Ottawa, Canada ce 7e jour de mai 1999.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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