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Date: 19990302

Dossier: 97-2583-IT-I

ENTRE :

PASCAL CHIASSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] L’appelant en appelle, par voie de la procédure informelle, de la cotisation du ministre du Revenu national (le « Ministre » ), établie sous l’autorité de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[2] L’article 160 de la Loi prévoit que lorsqu’une personne a transféré un bien à une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance, le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables de la dette fiscale de l’auteur pour un montant égal au moins élevé des deux montants suivants : soit le montant de l’excédent de la valeur marchande du bien transféré sur la contrepartie payée, soit le montant de la dette fiscale.

[3] Il s’agit donc dans le présent appel de savoir si un immeuble, propriété de Alstep Inc. ( « Alstep » ), dont l’actionnaire à 90 pour cent, monsieur Stéphane Chiasson, est le frère de l’appelant, a été transféré à l’appelant avec ou sans contrepartie valable.

[4] Les faits sur lesquels le Ministre s’est fondé sont décrits au paragraphe 7 de la Réponse à l’avis d’appel (la « Réponse » ) comme suit :

a) selon un contrat notarié, daté du 20 décembre 1994, la société « Alstep Inc. » , l'auteur du transfert, a vendu à l'appelant un emplacement sur la rue Bolivar à Boisbriand pour la somme de 25 000 $;

b) monsieur Stéphane Chiasson est l'actionnaire majoritaire de la société « Alstep Inc. » ;

c) l'appelant est le frère de monsieur Stéphane Chiasson;

d) au moment du transfert, l'avantage conféré à l'appelant totalisait la somme suivante :

i) juste valeur marchande

du bien transféré 25 000 $

ii) contrepartie versée 0 $

iii) valeur de l'avantage 25 000 $

e) au 29 janvier 1996, l'auteur du transfert était redevable envers le ministre, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, à l'égard des exercices financiers se terminant respectivement les 31 juillet 1990 et 1991 d'une somme totale de 10 861,22 $ :

...

f) au 29 janvier 1996, le ministre émettait un avis de cotisation à l'encontre de l'appelant, selon l'article 160 de la Loi, pour une somme de 10 861,22 $ qui est égale au moindre de la dette fiscale de l'auteur du transfert (10 861 22 $) et l'avantage calculé suite au transfert du 20 décembre 1994 (25 000 $) :

...

[5] Le montant de la dette fiscale, le lien de dépendance et la valeur du bien transféré n'ont pas fait l'objet du litige lors de l'audience. L’unique question en litige fut de savoir s’il y a eu une contrepartie valable donnée lors du transfert de la propriété.

[6] Monsieur Stéphane Chiasson, madame Lorraine (Noël) Chiasson, monsieur Léonide Chiasson et l’appelant ont témoigné à la demande de l’avocat de l’appelant. Monsieur Mark Bergamin et madame Johanne Desfossés ont témoigné à la demande de l’avocate de l’intimée.

[7] Monsieur Stéphane Chiasson est président de Alstep depuis 1986. Il en est actionnaire à 90 pour cent. C’est une entreprise située à Boisbriand et qui est dans la construction ou la rénovation domiciliaire. Le contrat de vente du terrain situé sur la rue Bolivar, mentionné à l'alinéa 7a) de la Réponse, a été déposé comme pièce A-1. L’acquéreur qui est l’appelant est décrit comme dessinateur, agissant seul sous la dénomination sociale de Habitations Pacha. Le prix est de 25 000 $ que le vendeur reconnaît avoir reçu en totalité dont quittance totale.

[8] Monsieur Stéphane Chiasson a expliqué que Alstep avait des difficultés financières et que sa mère lui a prêté de l’argent. Selon lui, le terrain a été vendu à l'appelant, en contrepartie de sommes prêtées par sa mère à Alstep pour payer des comptes de cette dernière. La mère aurait demandé le transfert du terrain à l'appelant pour la valeur de ses créances à l'encontre de Alstep.

[9] Monsieur Stéphane Chiasson a produit comme pièce A-2, un chèque en date du 9 janvier 1995, au montant de 12 500 $, signé par Lorraine N. Chiasson et tiré sur le compte conjoint que cette dernière avait avec son mari Léonide Chiasson. C’est Stéphane Chiasson qui a rédigé le chèque. Selon le témoin, le chèque est d’une date postérieure à la vente du terrain parce qu’il fallait attendre qu’un dépôt à terme vienne à maturité. La pièce A-3, qui est un relevé informatisé du compte de Alstep, montre l’encaissement du chèque de 12 500 $.

[10] Le même témoin et président de Alstep a produit comme pièce A-5 trois feuillets de dépôt d’espèces liquides qui, selon lui, font la preuve d'autres prêts faits par sa mère à Alstep. La date du premier dépôt est le 27 septembre 1994 pour 50 billets de 100 $ et est signé par monsieur Léonide Chiasson, pour un total de 5 000 $. Le deuxième est en date du 30 décembre 1994 et est pour 10 billets de 20 $, 26 billets de 50 $, 35 billets de 100 $ et un de 1 000 $, pour un total de 6 000 $. La signature est celle de Stéphane Chiasson. Le troisième est en date du 16 décembre 1994. Le dépôt est de 18 billets de 50 $ et de 18 billets de 100 $ pour un total de 2 700 $. Il est signé par madame Christine Mailhot, l’épouse de monsieur Stéphane Chiasson.

[11] Monsieur Stéphane Chiasson soutient que ces sommes d’argent liquide, au montant de 13 700 $, tout comme le chèque au montant de 12 500 $, proviennent de sa mère. Pour l'argent liquide, sa mère aurait économisé sur de l’argent que lui remettait son mari et aurait ainsi réussi à mettre de côté ces sommes importantes. Les pièces A-3 et A-4 sont les entrées informatisées du compte de Alstep où on retrouve les dépôts d’espèces liquides.

[12] Monsieur Stéphane Chiasson, président de Alstep, a donné comme explication des difficultés financières de Alstep qui avaient requis l'aide financière de sa mère, qu'en avril 1994 il s’était blessé au dos sur un chantier de construction et qu’il lui était devenu impossible de travailler. Les affaires de l’entreprise s’en étaient ressenties et il avait des difficultés à payer les comptes. Ceci n’avait toutefois pas empêché Alstep d’employer l’appelant à titre de vendeur pour un salaire de 20 800 $ alors que ce dernier était étudiant à plein temps au Cegep du Vieux-Montréal, selon un T4 émis par Alstep (pièce I-5).

[13] Monsieur Stéphane Chiasson a fait une faillite personnelle en 1997. Alstep n’a pas produit de déclaration pour les années 1994 et suivantes.

[14] Pascal Chiasson a expliqué qu’il avait acquis le terrain afin de construire une résidence dans le but de la revendre. Le prix de l'immobilier ne s’étant pas amélioré, il n’a pas jugé utile d’aller de l'avant avec son projet et a revendu le terrain à Construction S. Chiasson Inc., dont son père est actionnaire à 90 pour cent. Cette corporation a été constituée le 16 août 1995. La vente a eu lieu le 25 août 1995, pour un prix de 25 000 $. La pièce I-1 est le document constatant cette revente à la corporation de son père.

[15] Une clause du contrat de vente du terrain situé rue Bolivar par Alstep à l'appelant (pièce A-1), se lisait ainsi en ce qui concernait les déclarations relatives à la taxe sur les produits et services et à la taxe de vente du Québec :

...

L'acquéreur déclare avoir présenté une demande d'inscription au ministre du Revenu national et au ministre du Revenu du Québec et que ses numéros d'inscription sont en voie d'obtention.

En conséquence, la responsabilité relative à la perception de la T.P.S. et de la T.V.Q. est supportée par l'acquéreur.

...

Monsieur Pascal Chiasson a admis qu’il n’a jamais fait de demande d’inscription auprès des gouvernements mentionnés dans cette clause.

[16] La pièce A-6 est intitulée « Entente contractuelle pour un prêt afin d’acheter un terrain » . Les parties sont madame Lorraine (Noël) Chiasson et Pascal Chiasson. Le prêteur s’engage à accorder un prêt de 25 000 $ et l’emprunteur s’engage à rembourser la somme prêtée et la date mentionnée est celle du 5 décembre 1994. Il s’agit d’une entente dont monsieur Stéphane Chiasson n'a entendu parler que le jour même de l’audience. La mère dont le témoignage était plutôt vague n’en avait pas entendu parler non plus.

[17] Madame Lorraine (Noël) Chiasson a expliqué qu’elle avait ramassé les sommes importantes prêtées à Alstep en faisant de petites économies sur les sommes d’argent que son mari lui remettait pour le train de vie familial. Elle a fait état de petites coupures. Elle a été réinterrogée par la suite par son avocat pour expliquer qu’éventuellement elle changeait ces petites coupures pour des coupures plus substantielles. Elle ne se souvenait pas combien elle avait prêté à Stéphane. Elle se souvenait d’un montant de 12 500 $. Elle se souvenait d’avoir prêté de l’argent à Pascal pour lui permettre de se partir un petit commerce. Elle se souvenait d’avoir signé des papiers avec lui.

[18] Monsieur Léonide Chiasson a repris quelque peu la même narration des faits que Stéphane en ce qui concerne le chèque et les dépôts bancaires en espèces liquides. Il s’est dit agréablement surpris que sa femme ait pu accumuler des sommes si considérables, à partir des montants d'argent qu’il lui remettait pour la nourriture et les vêtements de la famille. Lui-même a fait faillite le 20 juin 1990 et a été libéré le 21 février 1992. Donc, ces années ont été des années difficiles pour lui. Alstep lui payait ses cartes de crédit au lieu de lui payer un salaire. En 1992 ou 1993, il a acheté la maison de Stéphane qu’il aurait payée 130 000 $. Il aurait payé 30 000 $ comptant et aurait fait un emprunt hypothécaire de 100 000 $. Il aurait des paiements hypothécaires de 800 $ par mois. Les pièces I-2, I-3 et I-4 sont les déclarations de revenu de monsieur Léonide Chiasson. On y voit un revenu respectif de 27 146,24 $, 16 908,18 $ et 17 337,69 $. Ces déclarations ont été déposées dans le but de démontrer que le père de Stéphane Chiasson n'avait pas les moyens de prêter 25 000 $ à Alstep en plus des paiements hypothécaires qu'il devait rencontrer.

[19] Monsieur Mark Bergamin, à l’époque, était agent de recouvrement pour Revenu Canada. Il y avait une vérification dans le dossier d’Alstep parce qu’il y avait une plainte d’Alain Chiasson, le frère de Stéphane, à l’effet que ce dernier avait émis un faux T4 à son nom. De plus, Alstep était sous vérification parce qu’il y avait eu des paiements de cartes de crédit du père sans entrées correspondantes.

[20] Monsieur Bergamin relate que monsieur Stéphane Chiasson lui aurait dit que le terrain avait été payé par trois chèques en décembre 1995 aux montants respectifs de 12 000 $, 7 000 $ et 5 000 $. Il relate au sujet de monsieur Pascal Chiasson que ce dernier lui a dit qu’il y avait une obligation entre lui et ses parents mais qu’aucun document ne constatait l’emprunt. Il se disait mal pris pour une faveur qu’il a voulu faire à son père et à son frère.

[21] Madame Johanne Desfossés, agent des appels à Revenu Canada, a communiqué avec Pascal le 22 novembre 1996 qui lui a fait savoir qu’il n’avait pas déboursé la somme de 25 000 $. Il n’a jamais fait mention de madame Lorraine N. Chiasson. Il ne faisait référence qu’à son père. Les différents intervenants dans ce dossier ne lui ont jamais fait mention du chèque au montant de 12 500 $ ni des dépôts en espèces liquides au montant approximatif de 12 000 $, pièces A-2 à A-5.

Conclusion

[22] Le seul document qui a une certaine valeur probante est le chèque au montant de 12 500 $ fait par madame Chiasson à l’ordre de Alstep et qui été encaissé par cette dernière. Toutefois, le chèque est fait postérieurement à l’acte de vente à l’appelant. De plus, les états financiers de Alstep n’ont pas été présentés pour démontrer qu'il y avait en effet une dette d’Alstep à l’égard de madame Chiasson et que cette vente du terrain avait eu pour effet d'effacer cette dette. Cette entente de prêt comme son remboursement par le transfert du terrain auraient dû être réflétés aux états financiers. Ce serait la meilleure preuve, car autrement, comment déterminer avec certitude qu'une somme est prêtée. Elle pourrait tout aussi bien par exemple avoir été remise pour compenser les paiements des cartes de crédit ou quelque autre déboursé possible fait par Alstep en faveur de l'émettrice du chèque.

[23] Mais, nous savons que les états financiers pour 1994 sont inexistants. Vu la preuve documentaire présentée et une certaine concordance dans les témoignages, je suis d'avis qu'on puisse accepter qu’il y ait eu un prêt de 12 500 $ fait à Alstep par madame Chiasson.

[24] En ce qui concerne les dépôts en argent liquide faits au compte de banque d’Alstep, ils ne font preuve de rien. Madame et monsieur Chiasson ont dit que cet argent provenait des économies faites par madame Chiasson et conservé en liquide chez elle. Les témoignages n’ont pas concordé et il n’est pas possible d’accorder foi à cette histoire. Je suis d'avis que la preuve n'a pas révélé la source de l'argent liquide déposé au compte de banque de Alstep.

[25] Comme le terrain était évalué au moins au prix vendu, soit 25 000 $, et qu’il n’y ait eu preuve du paiement d'une contrepartie que pour une somme de 12 500 $, il demeure que 12 500 $ a été transféré à l’appelant sans considération valable. Comme le montant réclamé est de 10 861,22 $, l’appel doit donc être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mars 1999.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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