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Date: 19991028

Dossiers: 97-3477-IT-G; 97-2003-UI; 97-211-CPP

ENTRE :

ALEXANDER BRUCE CAMERON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel d'une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu et d'évaluations établies en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage et du Régime de pensions du Canada qui, toutes, établissent la responsabilité d'un administrateur.

Questions en litige

[2] Il y a possibilité de deux questions en litige dans la présente affaire :

Premièrement : Les actions de l'appelant satisfont-elles à la norme de la diligence raisonnable prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » )?

Et, dans la négative :

Deuxièmement : Faudrait-il porter en réduction de la cotisation et des évaluations cinq montants différents qui totalisent 44 408,92 $?

Le droit relatif à la norme de prudence applicable

[3] Les dispositions pertinentes en l'espèce ont été interprétées dans deux arrêts de la Cour d'appel fédérale : Soper v. The Queen, 97 DTC 5407, et Corsano c. Canada, [1999] 3 C.F. 173.

[4] Dans l'arrêt Soper, précité, sous le titre « La norme de prudence » , le juge Robertson s'est limité à quatre énoncés sur le droit en common law relatif à la responsabilité d'un administrateur :

Premièrement, il est clair qu'il ne faut pas assimiler les administrateurs à des fiduciaires. Comme Gower le signale, les administrateurs sont des mandataires de la société plutôt que ses fiduciaires : [...]

[...]

La deuxième affirmation que je souhaite examiner est la suivante : l'administrateur n'a pas besoin de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, un degré de compétence et de soin supérieur à ce qu'on peut attendre d'une personne ayant ses connaissances et son expérience. Ainsi, la norme de prudence est partiellement objective (la norme de la personne raisonnable) et partiellement subjective étant donné que la personne raisonnable est définie en fonction des connaissances et de l'expérience de l'intéressé. Il s'agit d'une « norme objective subjective » mixte. [...]

Troisièmement, l'administrateur n'est pas obligé de consacrer son attention en permanence aux affaires de la société, et il n'est même pas tenu d'assister à toutes les réunions du conseil. Il devrait cependant assister à ces réunions lorsqu'il est raisonnablement en mesure de le faire. D'autres décisions anglaises sont cependant allées jusqu'à dégager un administrateur de toute responsabilité même s'il n'avait assisté à aucune réunion du conseil pendant plusieurs années : voir p. ex. Re Denham & Co. (1883), 25 Ch.D. 752 (C.A.); voir aussi Re Cardiff Savings Bank, Bute's (Marquis) Case, [1892] 2 Ch. 100 (Ch.). Malgré ces décisions, il serait absurde de prétendre que la common law resterait figée et permettrait aux administrateurs de se conformer à une norme de passivité et d'irresponsabilité totales. Au risque d'anticiper sur ce qui vient, je tiens à faire remarquer à ce moment-ci qu'on ne peut guère dire que le droit de nos jours pose en principe que moins un administrateur en fait, moins il en sait ou moins il se montre prudent, moins il risque d'être tenu responsable. Par ailleurs, la norme de prudence d'origine législative sera sûrement interprétée et appliquée d'une manière propre à encourager la responsabilité. [...]

Quatrièmement, l'administrateur peut à juste titre compter sur les dirigeants de la société pour s'acquitter avec intégrité des fonctions qui leur ont été régulièrement déléguées, sauf s'il a des motifs d'avoir des soupçons. Par ailleurs, ce sont les exigences de l'entreprise et les statuts constitutifs de la société qui, pris conjointement, détermineront s'il est approprié de déléguer une fonction. Ainsi, plus l'entreprise est grande, plus la délégation sera nécessaire.

Sous le titre « Analyse » , il a dit ceci :

Pour satisfaire à l'exigence de diligence raisonnable prévue au paragraphe 227.1(3), un administrateur peut, comme le ministère du Revenu national l'a souligné, prendre des « mesures » en établissant des contrôles pour vérifier les versements, en demandant aux agents financiers de la société de présenter régulièrement des rapports sur la mise en oeuvre de ces contrôles et en obtenant régulièrement la confirmation que les retenues et les versements ont été faits comme l'exige la Loi : voir le paragraphe 7 de la Circulaire d'information 89-2, précitée.

De même, certains commentateurs ont avisé les administrateurs que, s'ils veulent être en mesure d'invoquer la défense de diligence raisonnable, il serait sage d'envisager de prendre certaines « mesures » , y compris, dans certaines circonstances, l'ouverture et la surveillance d'un compte en fiducie qui servirait à payer la rémunération des employés et les sommes dues à Sa Majesté : voir p. ex., Moskowitz, précité, aux pages 566 à 568.

Bien que de telles précautions puissent être considérées comme une preuve convaincante de la diligence raisonnable manifestée par un administrateur, il ne s'agit pas, selon moi, de conditions préalables nécessaires pour donner ouverture à ce moyen de défense. C'est particulièrement vrai dans le cas de l'ouverture d'un compte en fiducie séparé pour les retenues à la source qui doivent être versées au receveur général. Il est difficile de statuer autrement puisque le législateur a supprimé cette exigence expresse dans le but d'atteindre d'autres objectifs législatifs. Par-dessus tout, il faut maintenir une ligne de démarcation claire entre la norme de prudence exigée d'un administrateur et celle à laquelle doit satisfaire un fiduciaire. On ne peut donc pas obliger un administrateur externe à aller jusqu'à prendre les mesures susmentionnées. À titre d'exemple, je ne m'attendrais pas à ce qu'un administrateur externe, au moment de sa nomination au sein du conseil d'administration de l'une des sociétés canadiennes qui dominent le marché, se rende directement au bureau du contrôleur pour se renseigner sur les retenues et les versements. De toute évidence, si je ne m'attendais pas à ce que les gens d'affaires les plus avertis prennent de telles mesures, alors je ne m'attendrais certainement pas à ce que les personnes qui ont une moins grande expérience des affaires en fassent autant. Je ne veux pas donner à entendre qu'un administrateur peut adopter une attitude entièrement passive, mais seulement que, à moins qu'il n'existe des motifs d'avoir des soupçons, il est permis de compter sur les personnes qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société pour payer des dettes comme les créances de Sa Majesté. Cela correspond à la quatrième affirmation faite dans l'arrêt City Equitable : voir l'analyse ci-dessus, aux pages 15 et 16. La question qui subsiste, toutefois, est de savoir à quel moment l'obligation expresse d'agir prend naissance.

À mon avis, l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d'autres termes, il incombe vraiment à l'administrateur externe de prendre des mesures s'il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. La situation typique dans laquelle un administrateur est, ou aurait dû être, au courant de cette éventualité est celle de la société qui a des difficultés financières. [...]

[5] Le juge Marceau, de la Cour d'appel fédérale, a affirmé qu'il ne se désolidarisait pas des motifs du juge Robertson. Il a fondé sa conclusion sur un raisonnement plus simple, à savoir :

Le paragraphe 227.1(1) tient l'administrateur d'une société responsable de l'omission de sa société de verser les retenues d'impôt et d'autres retenues à la source à l'égard de la rémunération des employés, et le paragraphe 227.1(3) permet à l'administrateur d'échapper à la responsabilité s'il peut démontrer qu'il a exercé un certain degré de soin, de diligence et de compétence pour prévenir ce manquement. Par ces dispositions, le législateur impose, selon moi, à l'administrateur d'une société une obligation entièrement nouvelle, distincte et expresse. Il s'agit d'une obligation envers la Couronne et non envers la société, qui consiste à faire ce qu'il est raisonnablement possible de faire pour prévenir pareil manquement. [...]

[6] Dans l'arrêt Corsano, précité, le juge Létourneau s'est penché sur la norme de prudence qui s'applique à l'administrateur. Le juge Noël a affirmé partager son avis et le juge Desjardins y a souscrit. Le juge Létourneau a dit ceci :

J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de mon collègue le juge d'appel Noël et je partage son avis quant à la responsabilité des intimés. Je suis toutefois arrivé à cette conclusion par un processus différent que je me dois d'exposer et qui implique une analyse des questions de droit liées à l'interprétation des paragraphes 227.1(1) et (3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi), ainsi qu'à l'utilisation de la défense fondée sur le degré de soin et de diligence.

Il a dit, sous le titre : « La norme de prudence et de diligence applicable en l'instance » :

Il est vrai que notre Cour a déclaré dans Soper que « [l]a norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple » 11. Il ressort toutefois clairement de la lecture de ce jugement que c'est l'application de la norme qui est souple, à cause des connaissances, des facteurs et des circonstances variés et différents qu'il faut apprécier pour déterminer si, dans une situation donnée, un administrateur s'est conformé à la norme de prudence prévue dans la Loi. Le paragraphe 227.1(3) n'établit qu'une seule norme applicable à tous les administrateurs, celle de savoir s'ils ont agi avec le degré de prudence, de diligence et d'habileté requis pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

Je suis d'accord avec les avocats de l'appelante que la raison d'être du paragraphe 227.1(1) est de rendre les administrateurs responsables de la déduction et de la remise des impôts des employés, et que cette responsabilité n'est pas différente selon que la corporation a ou non un but lucratif, et j'ajouterais selon que les administrateurs sont rémunérés ou non, ou selon qu'ils sont actifs ou inactifs. Tous les administrateurs de toutes les corporations sont responsables de tout manquement à l'unique norme de prudence prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi. La souplesse se situe au niveau de l'application de la norme, puisque les qualifications, compétences et attributs des administrateurs varient d'une situation à l'autre. Il en va de même des circonstances entourant l'omission de conserver et de remettre les sommes dues.

Et sous le titre « L'application aux intimés de la norme de prudence et de diligence » , il a dit ceci :

En l'instance, l'omission de retenir et de remettre les sommes dues à Sa Majesté a commencé en novembre 1992. Les intimés Lawrence, Parsons, MacDonald et Wheeliker l'ont appris à la réunion des administrateurs du 13 janvier 1993, alors que les intimés Corsano et Maindiratta n'ont été informés qu'à la réunion du 3 février 1993. Les intimés Corsano, Wheeliker et Maindiratta connaissaient les difficultés financières de la Corporation dès novembre 1992.

Malgré cela, il est surprenant de constater que l'omission de retenir et de remettre les sommes dues à Sa Majesté a perduré jusqu'à la faillite de la Corporation en octobre 1993. Cela veut dire que dès que les intimés ont pris connaissance des difficultés financières de la Corporation ou de l'omission de remettre les sommes dues, il était de leur devoir de prévenir l'omission de payer les sommes dues et à venir et non seulement de réparer le manquement après coup12. Au mieux, ce devoir d'intervention s'est imposé à certains administrateurs pendant neuf mois. Au pire, il s'est imposé à d'autres pendant 12 mois.

La preuve démontre qu'aucune mesure précise n'a été prise pour éviter que la Corporation ne manque à son obligation de remettre les déductions à la source dues et à venir lorsqu'elle a commencé à avoir des difficultés financières. Les administrateurs n'ont décidé d'aucune mesure à cet effet à leurs réunions des 13 janvier et 3 février 1993.

[...]

[...] De plus, il faut répéter qu'aucune action précise n'a été initiée, telle la mise en place de contrôles pour les versements à faire, la demande de rapports périodiques du directeur général sur la situation, et la vérification régulière du fait que les versements avaient été effectués. Le manquement a duré plusieurs mois. En fait, les administrateurs ont délégué leur autorité en la matière au directeur général, mais ils ont omis d'exercer tout contrôle malgré le fait qu'il était clair que ce dernier ne faisait pas son travail. Il s'agissait plus d'une abdication que d'une délégation.

[...]

[...] À mon avis, ceci ne règle pas la question. Un tel versement aurait réglé les arriérés, sans que rien ne soit prévu pour les retenues et remises courantes. Rien n'a été fait pour mettre fin à l'omission et pour empêcher les omissions prévisibles à venir.

[...] De plus, les administrateurs affirment que le directeur général n'a pas donné suite à leurs directives de payer les sommes dues à Revenu Canada. Pourtant, aucune mesure immédiate ou diligente n'a été prise pour remédier à la situation face à ce refus d'obtempérer du directeur général, ni pour corriger la situation passée et à venir. [...]

Quatrièmement, pour déterminer si les intimés avaient fait preuve de diligence raisonnable, le juge de la Cour de l'impôt a tenu compte du fait que les administrateurs étaient convaincus que la valeur des actifs de la Corporation était suffisante pour satisfaire aux demandes de tous les créanciers, y compris Revenu Canada. Avec égards, cet élément n'est pas pertinent. Les administrateurs ont l'obligation d'empêcher les omissions et non de les avaliser systématiquement, comme l'ont fait les intimés, dans l'espoir qu'en fin de compte il y aura assez d'argent pour payer tous les créanciers.

Cinquièmement, il était convaincu que les administrateurs ont demandé des renseignements au sujet des versements lors des réunions du conseil. Il a pu être convaincu que cette façon de faire satisfaisait à la norme moins rigoureuse qu'il appliquait à la situation. Toutefois, le fardeau imposé par le paragraphe 227.1(3) est beaucoup plus lourd.

Les faits relatifs à la norme de prudence

[7] Ce ne sont pas les faits qui sont en litige, mais plutôt l'application du droit exposé précédemment aux faits de la présente affaire.

[8] La cotisation et les évaluations établies à l'égard de l'appelant visent la période du 1er janvier 1994 au 30 avril 1995.

[9] L'appelant, Dean Foote ( « M. Foote » ) et Joseph Coulliard ( « M. Coulliard » ) sont devenus administrateurs de FuturePlast Technologies Ltd. (la « société » ), une entreprise familiale privée, le 10 août 1993. L'appelant a remis sa démission au début du mois de juin 1995, après la période visée par la cotisation et les évaluations.

[10] Au moment de devenir administrateur, l'appelant savait que la société avait omis d'effectuer des remises de retenues à la source.

[11] Le conseil d'administration a demandé à l'appelant, un procureur averti membre de plusieurs conseils d'administration de sociétés publiques, de seconder Charles Theodore Swanton ( « M. Swanton » ), qui faisait déjà partie du conseil d'administration et qui avait été engagé pour transformer la société en société ouverte. L'appelant ne s'est jamais présenté à l'usine ou au bureau de la société.

[12] Du mois d'août 1993 à la fin du mois de septembre 1994, l'appelant a, tous les mois, demandé au président, Harvey Jaehn ( « Harvey » ), si les retenues à la source avaient été calculées puis remises à Revenu Canada conformément à la Loi. Harvey répondait toujours par l'affirmative. L'appelant a aussi à maintes reprises demandé des renseignements financiers, sans succès.

[13] La demande visant à transformer la société en société ouverte étant au point mort, l'appelant a demandé à Christopher Samuel McArthur ( « M. McArthur » ), un comptable agréé, de se joindre au conseil et d'aider la société relativement à la demande. Il s'est joint au conseil le 30 septembre 1994, date à laquelle M. Coulliard a cessé d'être administrateur.

[14] Avant d'accepter de se joindre au conseil d'administration de la société, MM. McArthur et Swanton ont effectué une étude et fait parvenir à Harvey une note écrite intitulée « Diligence raisonnable, visite du 6 septembre 1994, émission publique » . On peut y lire que l'objectif était le suivant :

[TRADUCTION]

Notre visite avait pour but de bien comprendre votre entreprise, son stade de développement, ses défis actuels, ses perspectives d'avenir et le degré de participation requis de chacun de nous pour assurer le succès de l'entreprise même et une solide adhésion sur les marchés publics.

Sous le titre « Système de rapports financiers » , on pouvait lire ceci :

[TRADUCTION]

Le système de rapports financiers actuel de la compagnie est simplement lacunaire pour une entreprise de fabrication. Il est essentiel d'avoir des renseignements financiers exacts en temps opportun lorsque le fonds de roulement d'une entreprise est insuffisant. Si FuturePlast devient une société ouverte sans modification des systèmes de rapports financiers actuels, la responsabilité des administrateurs s'en trouvera sérieusement accrue.

Sous le titre « Situation financière actuelle » , on peut lire ceci dans la note de service :

[TRADUCTION]

Selon les états financiers du 31 mai 1994, le ratio du fonds de roulement de la compagnie était approximativement de 1 contre 1, avant prise en considération de la tranche de la dette à long terme échéant à moins d'un an. Compte tenu des revenus des mois de juin à août, nous estimons qu'il y a eu des pertes additionnelles de 100 000 $, ce qui empire la situation financière de la compagnie. Nous ignorons la situation actuelle de tous les fournisseurs, mais nous nous préoccupons particulièrement des retenues à la source dues à Revenu Canada qui, au 31 mai 1994, s'élevaient à 142 781 $, et des montants dus à la ville d'Edmonton au titre des taxes, des loyers ou d'autres services. Veuillez nous aviser de la situation exacte à l'égard des fournisseurs susmentionnés et de tout autre créancier dont la situation est sérieuse.

Sous la rubrique « Réclamations » , on peut lire ceci :

[TRADUCTION]

Il ressort clairement de notre discussion avec M. Feenan que les réclamations pour bris d'équipement et interruption d'activités sont loin d'être réglées; en effet, M. Feenan nous a informés que les formulaires de réclamation n'ont même pas encore été présentés et qu'il faudra de six mois à un an pour régler les questions.

M. Feenan nous a informés qu'un règlement de 75 000 $ était intervenu concernant l'immeuble. Nous y voyions là un signe encourageant, jusqu'à ce nous soyons informés qu'un montant de 20 000 $ avait été imputé aux arriérés de taxes dues à la ville d'Edmonton, et que le reste de la dette pourrait dépasser les 50 000 $.

[15] Cinq recommandations ont été faites. Elles sont les suivantes :

[TRADUCTION]

Nous croyons qu'il faudrait engager un gérant d'affaires et de production provenant de l'extérieur dont le mandat serait d'organiser la production chez FuturePlast de manière sûre et rentable. Le candidat devrait posséder des qualités exceptionnelles d'organisateur et de chef. Nous estimons que l'équipe de production actuelle est incapable d'assurer la production constante dont la présente entreprise a besoin. Veuillez nous faire savoir si des postes seront éliminés du fait de cette embauche ou si, au contraire, il y aura augmentation des frais généraux.

Nous recommandons l'embauche d'un directeur des finances. Il sera chargé de mettre sur pied et d'appliquer un nouveau système de rapports financiers, ainsi que le requiert le conseil. Nous estimons cette embauche essentielle étant donné les exigences relatives aux rapports financiers auxquelles doit satisfaire toute compagnie publique et le niveau de développement de FuturePlast.

Nous recommandons que le produit d'assurance net touché récemment soit attribué dans une proportion de 50 p. 100 au moins aux créanciers dont la situation est sérieuse, comme Revenu Canada. Ces créanciers doivent être payés immédiatement car ils représentent un risque direct pour les administrateurs et ont le pouvoir de mettre un terme aux activités de la compagnie.

Nous recommandons la préparation d'un dossier de travail complet aux fins de l'exercice de la compagnie qui prend fin le 31 mai 1994. Le dossier sera préparé par le futur directeur des finances de la compagnie aux termes d'un contrat. À cet égard, M. Skolney sera engagé pour terminer ses procédures de vérification. Les états financiers vérifiés du 31 mai 1994 indiqueront dans la mesure du possible les avantages provenant du crédit d'impôt pour la recherche et le développement et des demandes d'indemnité.

Nous estimons que la méthode actuellement préconisée par la compagnie, soit recourir aux services de M. Feenan uniquement à titre de conseiller, porte atteinte à l'objectif premier de la compagnie. Le fait est que FuturePlast a besoin de conclure un règlement et ce, dès maintenant. M. Feenan sera engagé pour s'occuper de l'affaire rapidement. Mentionnons également que M. Feenan sera appelé à négocier un paiement provisoire au titre des pertes en matériel et des pertes découlant de l'interruption d'activités. La direction actuelle sera tout au plus tenue au courant des progrès réalisés.

[16] L'appelant était au courant de la note de service au mois de septembre 1994 : dans une lettre datée du 19 septembre 1994, Revenu Canada l'a informé que le montant de 205 802,99 $ était dû au titre des retenues à la source de la société. Le ministère a informé l'appelant dans la même lettre qu'en vertu de la Loi il risquait d'être tenu responsable en tant qu'administrateur. Le passage suivant est tiré de la lettre en question :

[TRADUCTION]

Si vous désirez obtenir de plus amples renseignements sur vos obligations en tant qu'administrateur et sur l'obligation pour la société d'élaborer, d'appliquer et de contrôler une politique visant à faire en sorte que le versement des retenues à la source soit effectué, vous pouvez obtenir une copie de la Circulaire d'information no 89-2R intitulée « Responsabilité des administrateurs » à votre bureau des services fiscaux.

[17] À la fin de septembre 1994, l'appelant savait que Harvey lui avait menti au sujet des retenues à la source et que sa parole ne valait rien.

[18] L'appelant est celui qui a recruté M. McArthur comme administrateur, qui, grâce à ses efforts, a permis que les comptables agréés de la société, Skolney & Company d'Edmonton, vérifient et dressent, le 21 octobre 1994, un rapport du vérificateur sur l'exercice de la société clos le 31 mai 1994.

[19] Le prospectus de l'appel public à l'épargne contient, à la page 29, la lettre de rapport du vérificateur datée du 21 octobre 1994 et, dans la copie de celle-ci faite aux fins du prospectus, on indique que la note 15 est du 15 janvier 1995. Aux pages 30 à 32 du prospectus, figurent les états financiers de la société au 31 mai 1993 et au 31 mai 1994 ainsi que les états financiers non vérifiés au 30 novembre 1994. La page 29 a manifestement été modifiée le 12 janvier 1993 et les pages 30 à 42 ont été préparées entre le 30 novembre 1994 et le 12 janvier 1995. L'appelant a déclaré qu'il avait vu un grand nombre de versions préliminaires; je conclus par conséquent qu'au plus tard à la mi-octobre 1994 il avait vu des versions préliminaires des états financiers vérifiés de la société au 31 mai 1994, des comparaisons avec les chiffres de l'année précédente et les notes, quelles qu'elles soient, qui y étaient jointes, à l'exception de la note 15.

[20] L'appelant est aussi celui qui a confié à des procureurs reconnus d'Edmonton toute la question de la demande d'indemnité en exécution du contrat d'assurance des pertes d'exploitation, et a fait engager un contrôleur externe à temps partiel. Le candidat retenu s'appelle Ralph Salomon ( « M. Salomon » ) et il n'est devenu un employé à temps plein qu'au mois de janvier 1995.

[21] En ce qui concerne les retenues à la source, M. McArthur s'est contenté d'informer la direction qu'elles devraient être calculées et remises conformément à la Loi. Ni lui ni l'appelant n'ont pris de mesure concrète pour élaborer ou mettre en place des moyens de contrôle des remises et pour exercer des contrôles de façon continue.

[22] L'appelant a fait ses propres demandes de renseignements sur les retenues à la source et il a de toute évidence été induit en erreur par Harvey ou M. Salomon en novembre et en décembre 1994 et de nouveau en janvier et en février.

[23] En septembre 1994, l'appelant savait qu'une entente était en cours de négociation avec Revenu Canada relativement à la cession de la demande d'indemnité en exécution du contrat d'assurance des pertes d'exploitation, mais il n'a jamais vu l'entente ni demandé à la voir. La société a conclu l'entente le 28 septembre 1994 et y a apposé son sceau (pièce A-1, onglet 4).

[24] La société a omis de remettre les retenues à la source pour chaque période, du mois de janvier au mois de juillet 1994, et de nouveau pour les mois d'octobre et de décembre 1994, ainsi que pour les mois de janvier, février et mars 1995 (annexe « A » de la réponse à l'avis d'appel).

[25] Le prospectus de l'appel public à l'épargne, daté du 12 janvier 1995, et dont l'appelant aurait vu un grand nombre de versions préliminaires avant cette date, révèle, entre autres choses, que :

La société a subi des pertes par suite d'un incendie, contre lequel elle était assurée, et qu'elle s'attendait à recevoir :

75 000 $ pour son entrepôt;

331 828 $ pour interruption des activités commerciales.

Le produit brut de l'appel public à l'épargne devait être de 650 000 $.

La société devait toucher le produit de certains mandats spéciaux délivrés en septembre 1994, dont le montant s'élevait à 120 000 $.

La société s'attendait à recevoir de Revenu Canada les montants de 163 394 $ et de 19 865 $ à titre de crédits d'impôt à l'investissement remboursables relativement à des dépenses faites au titre de la recherche et du développement scientifiques ( « C.I.R.S. » ). Le montant de 19 865 $, indique-t-on, a été cédé en garantie, mais aucune preuve à cet effet n'a été produite.

La société avait un comité de vérification composé de Harvey et de MM. Swanton et McArthur (qui, de toute évidence, ne faisait pas son travail).

L'appelant et d'autres personnes avaient des options qui, si elles étaient levées au plus tard le 30 septembre 1999, devaient leur permettre d'acheter jusqu'à 50 000 actions ordinaires, à 25 cents l'action, c'est-à-dire le cours vendeur de l'action.

Le 10 août 1993, la société a converti une dette de l'actionnaire de 924 409 $ en 4 499 900 actions ordinaires de la société.

Au 31 mai 1993, le passif dépassait l'actif de 1 276 283 $ et, au 31 mai 1994, de 25 082 $. Il y a lieu de noter qu'il était indiqué que le prêt de l'actionnaire s'élevait à 593 288 $ au 31 mai 1993 et à 1 490 $ au 31 mai 1994. Cette diminution explique en grande partie l'amélioration susmentionnée.

Au 31 mai 1993, le montant de 75 700 $ était dû au titre des retenues des employés, au 31 mai 1994, le montant dû à ce titre était de 181 014 $ et, au 30 novembre 1994, il était de 218 367 $;

Au 30 novembre 1994, la société devait un montant de 61 400 $ en arriérés à son principal créancier hypothécaire de premier rang, la Société d'exploitation des possibilités offertes par l'Alberta ( « SEPA » ).

[26] L'appel public à l'épargne a pris fin le 23 mars 1995 et, sur réception d'un chèque de 553 000 $ environ correspondant au produit net, le conseil a tenu l'après-midi même une réunion à laquelle tous les membres du conseil ont assisté, sauf Dean Foote. Le procès-verbal de cette réunion est signé par Harvey et l'appelant en tant que président et secrétaire respectivement.

[27] Aucune réunion du conseil n'a été tenue à quelque moment que ce soit à Edmonton, et M. McArthur n'a jamais rencontré M. Foote. La première rencontre entre ce dernier et l'appelant a eu lieu le 12 avril 1995.

[28] Le procès-verbal signé révèle que le produit de l'appel public à l'épargne a été réparti de la façon suivante : (fait à noter, le terme utilisé est « réparti » et non pas « payé » )

[TRADUCTION]

Société d'exploitation des possibilités 85 000 $

offertes par l'Alberta

Revenu Canada pour retenues à la source courantes 25 000

pour mise à jour du compte

Ville d'Edmonton pour services publics 25 000

Vérificateurs sur compte/règlement du compte courant 30 000

Bourse de l'Alberta 7 000

Feuille de paie courante 30 000

Feuille de paie de la direction 30 000

Comptes créditeurs divers 28 000

Herb Jaehn pour rembourser des prêts à la société 15 000

Service de renseignements sur les valeurs mobilières 5 000

Représentants américains, objet : commissions dues 3 000

Représentants canadiens, objet : commissions 7 000

TOTAL 290 000 $

Sous le titre « Fonds de prévoyance » , on peut lire la motion suivante :

[TRADUCTION]

Sur motion présentée et adoptée à l'unanimité, il a été résolu de déposer immédiatement le montant additionnel de 213 000 $ dans un établissement financier dans la forme qui constitue, de l'avis de la direction, le meilleur investissement. La direction devra donner des instructions suivant lesquelles les fonds ne peuvent être encaissés que par la société sur les instructions signées de l'un des membres de la direction ainsi que de l'un des administrateurs externes de la société.

Sous le titre « Examen des questions non résolues » , le procès-verbal dit ceci :

[TRADUCTION]

Les comptes de Revenu Canada, de la SEPA et de la ville d'Edmonton ainsi que de la perte subie par suite d'un incendie ont été examinés.

[29] La réunion suivante du conseil a été fixée à 15 h le 12 avril 1995 à l'Hôtel Capri de Red Deer.

[30] On peut lire ceci dans les notes écrites de l'appelant sur la réunion du conseil du 23 mars :

arriérés de 179 000 $ à la SEPA.

220 000 $ dus à Revenu Canada, avec mention du produit d'assurance et arriérés de 25 000 $; (manifestement, l'appelant n'a pas jugé nécessaire de verser plus de 25 000 $ à Revenu Canada).

Les priorités relativement à la réclamation pour interruption d'activités commerciales étaient les suivantes :

Premièrement : SEPA

Deuxièmement : Revenu Canada

Troisièmement : Ville d'Edmonton

Une partie du montant reçu — jusqu'à concurrence de 50 000 $ — pourrait servir à améliorer l'usine.

[31] Le 12 avril 1995, une réunion du conseil à laquelle tous les administrateurs assistaient a été tenue. M. McArthur était absent puisqu'il avait remis sa démission en tant qu'administrateur. Lorsqu'il a appris que la direction n'avait pas suivi les résolutions expresses adoptées à la réunion du conseil du 23 mars relativement au montant de 213 000 $ et que la société avait dépensé contrairement à ces résolutions le montant de 113 000 $, l'appelant a fait une colère terrible. Il existe un procès-verbal non signé de cette réunion, rédigé par l'appelant. On peut y lire ceci :

[TRADUCTION]

Revenu Canada/Déclaration de TPS M. Salomon a déclaré que les montants qui sont actuellement dus à Revenu Canada au titre des retenues à la source ont été payés à temps et que le compte est maintenant à jour. Aucun paiement au titre de la TPS n'est présentement effectué en raison de la confusion qui règne sur les montants qui sont dus à ce titre. Cette question est examinée et un autre rapport sera fait à la prochaine réunion.

Comité de vérification Le comité de vérification a comblé le poste laissé vacant par la démission de Chris McArthur en y nommant M. Cameron.

[...]

Rapport du mois de mars Le rapport financier du mois de mars n'était pas disponible et il n'a pas été déposé à la réunion. Il a été résolu que, dorénavant, en commençant avec les états du mois de mars 1995, le directeur des finances fera parvenir aux administrateurs, par télécopieur, les rapports comptables préliminaires d'un mois donné dans les 5 jours ouvrables de la fin du mois. [...]

[32] Le jour de la dernière réunion des administrateurs, Revenu Canada a reçu de la société un chèque de 27 349,98 $, qui n'a pas été honoré par la Banque et sur lequel a été inscrite la mention « Sans provision » .

[33] L'appelant allègue que, pendant le trajet de retour de Red Deer à Calgary, il a décidé de démissionner du conseil. Or, le même après-midi, il a accepté de siéger au comité de vérification. Il n'a apparemment rien fait pour la société, sauf dactylographier le procès-verbal de la réunion du conseil. Il a démissionné par écrit en juin 1995. Il a de toute évidence abandonné toutes ses obligations envers Revenu Canada, la société, le comité de vérification et lui-même le 13 avril 1995.

Analyse

[34] Si j'applique à ces faits les principes énoncés dans les décisions rendues dans les arrêts Soper et Corsano, je crois que l'appelant est responsable du détournement de fonds survenu au cours de la période de cotisation.

[35] Il savait à l'époque où il est devenu administrateur que la société avait manqué à ses obligations. Avant d'accepter le poste d'administrateur, il aurait dû à tout le moins demander les renseignements nécessaires pour déterminer toute la mesure des manquements passés. Puis, lorsqu'il est devenu administrateur, il n'aurait pas dû se contenter de poser des questions. Dès le début, il aurait dû insister pour que soit mise en place une procédure pouvant être contrôlée de façon continue pour éviter tout manquement subséquent, et pour que les arriérés dus à Revenu Canada soient payés dès que possible. Il n'a pas reconnu son obligation légale ni celle de la société envers Revenu Canada. Bien qu'il ait fait des efforts pour protéger les sommes dues en arriéré à Revenu Canada, ces efforts ont été sans conséquence. Il avait l'obligation de prévenir le détournement de fonds dans les circonstances.

Deuxième question

[36] Ayant conclu que l'appelant est tenu de payer les arriérés, je dois déterminer si certains paiements devraient être déduits de la cotisation. Ils sont les suivants :

[TRADUCTION]

(i) 19 janvier 1994 786,19 $ chèque

(ii) 7 février 1994 5 673,42 $ chèque

(iii) 4 mai 1995 11 353,11 $ (ce --- d'un chèque de

38 703,09 $ a été

imputé aux arriérés

de 1993)

(iv) 18 mai 1995 9 042,69 $ (crédit de TPS détenu

par Revenu Canada et

imputé aux arriérés

de 1993)

(v) 10 juillet 1995 17 553,57 $ (C.I.R.S. détenu par

Revenu Canada et

imputé en 1993)

Total 44 408,57 $

[37] Les deux parties ont convenu que la déclaration faite dans l'ouvrage intitulé Canadian Encyclopedic Digest, Western 3e édition, sous le titre « Imputation d'un paiement » , paragraphe 92, résume bien le droit :

[TRADUCTION]

§ 92 Selon la règle générale qui vaut depuis l'affaire Clayton, lorsqu'un débiteur effectue un paiement, il peut l'imputer à la dette de son choix et le créancier doit se conformer à ce choix. Si le débiteur n'impute pas le montant du paiement, le créancier a le droit de l'imputer à la dette de son choix. Lorsque ni l'une ni l'autre partie n'impute le montant du paiement et qu'il existe un compte continu dans lequel se trouvent divers montants, les paiements seront imputés au compte dans l'ordre de naissance des dettes; autrement dit, est appliqué au premier montant qui figure dans la colonne du débit le premier montant qui figure dans la colonne du crédit de façon à éteindre ou à réduire la dette en question. Il ne s'agit pas d'un principe artificiel ou arbitraire, mais d'un principe fondé sur l'intention présumée des parties qui s'applique uniquement lorsqu'il n'existe aucune preuve suffisante démontrant une intention contraire.

[38] L'appelant soutient qu'il n'est pas un débiteur et que, par conséquent, ce droit ne s'applique pas à lui et que, en outre, il est injuste que de l'argent reçu ou saisi au cours de la période visée par la cotisation ne soit pas imputé à la réduction de l'obligation d'un administrateur.

[39] Je rejette la dernière partie de cette proposition.

[40] Lorsque la cotisation est contestée par un administrateur, la Cour doit déterminer si la cotisation établie à l'égard de la société est correcte. C'est de la cotisation établie à l'égard de la société que la responsabilité de l'administrateur découle en vertu de la Loi.

[41] Conformément au droit énoncé précédemment, je suis convaincu, compte tenu de la preuve, que le montant de la cotisation établie à l'égard de la société est correct et que, par conséquent, le montant de la cotisation établie à l'égard de l'appelant est correct.

[42] Pour les motifs qui précèdent, les appels sont rejetés avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d'octobre 1999.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de juin 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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