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Date: 20000316

Dossier: 98-3463-IT-I

ENTRE :

NEIL B. McFADYEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] L'appelant a demandé un crédit pour taxe sur les produits et services (TPS) aux termes de l'article 122.5 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour l'année d'imposition 1996. Le 11 juillet 1997, le ministre du Revenu national l'a informé qu'il n'était pas admissible à ce crédit et que sa demande à cet égard était rejetée. L'appelant interjette appel de cette décision.

[2] Les faits suivants ne sont pas contestés. Le revenu net de l'appelant pour l'année d'imposition 1996 était de 3 873 $. S'il avait été considéré comme célibataire aux fins de l'établissement de la cotisation, il aurait été admissible au crédit. Au cours de l'année 1996, il était marié à une personne dont le revenu net pour cette année-là était de 41 670 $. On a refusé de lui accorder le crédit parce que son revenu rajusté, selon la définition de cette expression au paragraphe 122.5(1) de la Loi, était de 45 453 $ (3 873 $ + 41 670 $) pour l'année d'imposition 1996.

[3] Les passages de l'article 122.5 de la Loi applicables au présent appel sont libellés comme suit :

122.5(1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

“ particulier admissible ” Particulier — à l'exclusion d'une fiducie — qui, à la fin de décembre d'une année d'imposition, réside au Canada et est marié, est père ou mère d'un enfant ou a au moins 19 ans.

“ personne à charge admissible ” S'agissant de la personne à charge admissible d'un particulier pour une année d'imposition :

a) personne pour laquelle le particulier ou son proche admissible pour l'année a seul demandé une déduction en application de l'article 118 pour l'année;

b) enfant du particulier vivant avec celui-ci à la fin de l'année.

La présente définition exclut :

c) un particulier admissible pour l'année;

d) le proche admissible d'un particulier pour l'année;

e) la personne à l'égard de laquelle un autre particulier est réputé avoir payé un montant pour l'année en application du présent article.

“ proche admissible ” S'agissant du proche admissible d'un particulier pour une année d'imposition, la personne qui est le conjoint visé, au sens de l'article 122.6, du particulier à la fin de l'année.

“ revenu rajusté S'agissant du revenu rajusté d'un particulier pour une année d'imposition, le total des montants dont chacun représente le revenu pour l'année, selon le cas :

a) du particulier;

b) du proche admissible du particulier pour l'année;

[...]

122.5(3) Lorsqu'une déclaration de revenu (sauf celle produite en application du paragraphe 70(2), de l'alinéa 104(23)d) ou 128(2)e) ou du paragraphe 150(4)) est produite en vertu de la présente partie pour une année d'imposition relativement à un particulier admissible et que celui-ci en fait la demande par écrit, est réputé être un montant payé par le particulier au titre de son impôt payable en vertu de la présente partie pour l'année, au cours de chacun des mois déterminés de cette année selon le paragraphe (4), le quart de l'excédent éventuel du total des montants suivants :

a) 190 $;

b) 190 $ pour le proche admissible du particulier pour l'année;

c) 190 $, si le particulier n'a pas de proche admissible pour l'année et s'il a le droit de déduire un montant pour l'année prévue au paragraphe 118(1), par application de l'alinéa 118(1)b), pour une personne à charge admissible pour l'année;

d) le produit de la multiplication de 100 $ par le nombre de personnes à charge admissibles du particulier pour l'année, à l'exclusion d'une telle personne pour laquelle un montant est inclus par application de l'alinéa c) dans le calcul d'un montant réputé payé pour l'année en application du présent paragraphe;

e) si le particulier n'a pas de proche admissible pour l'année, le moins élevé des montants suivants :

(i) 100 $,

(ii) 2 % de l'excédent éventuel du revenu du particulier pour l'année sur le montant calculé pour l'année pour l'application de l'alinéa 118(1)c),

sur :

f) 5 % de l'excédent éventuel du revenu rajusté du particulier pour l'année sur 25 921 $.

L'expression “ conjoint visé ” est définie à l'article 122.6 :

conjoint visé ” Personne qui, à un moment donné, est le conjoint d'un particulier dont il ne vit pas séparé à ce moment. Pour l'application de la présente définition, une personne n'est considérée comme vivant séparée d'un particulier à un moment donné que si elle vit séparée du particulier à ce moment, pour cause d'échec de leur mariage, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend ce moment.

[4] La position de l'appelant est énoncée dans son avis d'appel. Elle se lit comme suit :

[traduction]

A. Motifs d'appel

Mon motif d'appel est qu'on a refusé de m'accorder le crédit pour taxe sur les produits et services en raison du revenu de ma conjointe. J'ai fait l'objet d'une discrimination fondée sur mon état matrimonial, ce qui constitue une violation de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de la Déclaration universelle des droits de l'homme, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de la Charte des Nations Unies et de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Il est également illégal d'ajouter le revenu de ma femme au mien, cet ajout constituant une violation de l'article 2 de la Married Woman's Property Act.

[5] Si l'article 122.5 contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour peut alors, dans la mesure nécessaire, l'invalider pour cette raison[1]. Les différentes conventions internationales qui sont mentionnées dans l'avis d'appel peuvent nous éclairer sur l'interprétation à donner à la loi, mais elles ne peuvent pas la rendre invalide[2]. Dans son argumentation, l'appelant n'a pas prétendu que le ministre avait interprété la Loi de façon erronée. Il n'a pas non plus présenté d'argument relatif à l'effet que la Loi canadienne sur les droits de la personne[3] pourrait avoir sur la question qu'il a soulevée.

[6] L'appelant a fait lui-même valoir son point de vue, principalement en lisant un mémoire écrit de 57 pages. Selon ce que j'ai compris, l'objet de ce mémoire était que les femmes mariées ont traditionnellement subi de la discrimination en général et de la discrimination provenant du régime fiscal en particulier. Elles sont, pour reprendre les mots de l'appelant, victimes du stéréotype du [traduction] “ modèle familial où l'homme est le soutien de famille ”. Il a tenté d'appuyer cette thèse en se référant à un certain nombre de monographies et à la dissidence de la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Symes c. Canada[4]. Il a en outre cité un extrait d'une publication de Statistique Canada pour établir le fait que, en moyenne, le revenu des femmes dans la population active est moins élevé que celui des hommes.

[7] L'argument de l'appelant repose sur l'article 15 de la Charte :

15(1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[8] Plus précisément, l'appelant soutient que l'article 122.5, du fait qu'il est structuré de façon que l'admissibilité au crédit dépend du revenu de l'unité familiale et non simplement du revenu du particulier, crée une discrimination fondée sur l'état matrimonial et doit par conséquent être invalidé.

[9] L'état matrimonial est un motif de discrimination analogue à ceux qui sont énumérés à l'article 15[5]. Si l'appelant n'avait pas été une personne mariée en 1996, il aurait été admissible à un crédit pour TPS de 199 $. Il ne s'ensuit toutefois pas que la distinction établie par l'article 122.5 de la Loi soit fondée sur l'état matrimonial ou qu'elle soit discriminatoire.

[10] Dans l'arrêt Lister c. La Reine[6], la Cour d'appel fédérale a fait ressortir que, étant une taxe à la consommation, la TPS a un caractère régressif et que le crédit pour TPS a été introduit dans la Loi de l'impôt sur le revenu pour soulager un peu de cette taxe les personnes dont les revenus sont les plus faibles. Le crédit est offert en fonction du revenu familial et en reconnaissance du fait qu'une grande partie des dépenses engagées pour les besoins fondamentaux le sont sur la base de l'unité familiale et non sur une base individuelle. Pour cette raison, le crédit pour TPS est accordé en considération du revenu de l'unité familiale. À l'article 122.5, le législateur n'a pas établi de distinction entre les personnes mariées et les personnes célibataires, mais entre les personnes qui appartiennent à une famille dont le revenu total excède le seuil fixé par la Loi et les personnes dont le revenu familial total est inférieur à ce seuil. Autrement dit, la distinction ne repose pas sur l'état matrimonial, mais sur le niveau de revenu familial total. On ne m'a présenté aucun élément de preuve suggérant que cela pourrait être considéré comme un motif analogue pour l'application de l'article 15. L'appelant n'a présenté aucune preuve ni aucun argument à l'appui d'un motif autre que l'état matrimonial. Pour cette seule raison, l'appel échoue.

[11] Si je fais erreur en concluant que le présent appel échoue au motif que la distinction établie à l'article 122.5 porte sur le revenu familial plutôt que l'état matrimonial, je conclus néanmoins que l'appel ne peut pas être accueilli parce que la distinction n'est pas discriminatoire. Dans l'arrêt Lister, la Cour d'appel fédérale a examiné les demandes de deux enfants âgés de moins de 19 ans qui soutenaient que le fait que les personnes âgées de moins de 19 ans ne soient pas admissibles au crédit pour TPS est discriminatoire et contrevient à l'article 15 de la Charte, et que la définition de l'expression “ particulier admissible ” est par conséquent invalide. En rejetant leurs appels, le juge Létourneau de la Cour d'appel, aux conclusions duquel a souscrit le juge Robertson de la Cour d'appel, a déclaré[7] :

L'article 122.5 de la Loi visait à redresser l'injustice d'une imposition régressive et le législateur a dû envisager les diverses solutions et les divers moyens permettant d'y parvenir. En fin de compte, on a opté pour un régime qui permettrait le mieux de parvenir à l'équité voulue, compte tenu des exigences pratiques liées à la mise en oeuvre du programme ou de la mesure en question et ce de la manière la plus économique possible. Il est clair que ce long processus de sélection porta à préférer une méthode, donc à écarter les autres, avec comme résultat inévitable que certains contribuables estiment qu'une autre solution aurait été pour eux plus avantageuse, l'inverse étant, bien sûr, également vrai.

Recherchant une solution équitable au caractère régressif de la TPS, c'est à bon droit que le législateur a décidé d'accorder certains avantages aux personnes les plus touchées par cette nouvelle taxe, c'est-à-dire les Canadiens à faible revenu et leurs familles.

Vu que les éléments de preuve établissent le caractère réparateur de la disposition contestée, étant donné aussi le contexte dans lequel cette disposition est appelée à fonctionner et les contraintes qui marquent normalement la mise en oeuvre d'un programme de prestations de cette nature, je ne saurais dire que le choix retenu en fin de compte par le législateur crée, par ses effets, une différence de traitement discriminatoire et préjudiciable dont les requérants peuvent à juste titre se plaindre. La mesure en question tranche effectivement le noeud gordien en créant des distinctions entre les enfants à charge et les enfants qui ne sont pas à charge, les premiers étant compris dans l'unité familiale et recevant, par ce biais, le crédit d'impôt remboursable, les deuxièmes étant considérés, au même titre que d'autres personnes vivant indépendamment, comme une unité fiscale distincte et recevant eux-mêmes, à ce titre, le crédit en question.

[12] Le juge Heald de la Cour d'appel est parvenu à la même conclusion, quoique pour des motifs différents. Même si l'analyse fondée sur l'article 15 a passablement évolué depuis cette époque[8], je ne crois pas que la décision dans l'arrêt Lister serait différente aujourd'hui. Bien sûr, je suis lié par cette décision. À mon avis, les considérations invoquées par le juge Létourneau s'appliquent également en l'espèce. Dans la présente affaire, en tant que membre d'une famille, l'appelant n'est pas traité plus sévèrement que des enfants de moins de 19 ans. En fait, il est traité moins sévèrement, car, contrairement à eux, il pourrait dans certaines circonstances être admissible au crédit.

[13] Je n'ai pas oublié la déclaration faite par l'appelant au cours de l'audience, selon laquelle il s'était senti humilié et rabaissé par l'effet de la loi qui le prive du crédit pour TPS. Cependant, j'ai deux raisons de n'y accorder aucune valeur. Premièrement, je n'ai pas du tout été convaincu de l'authenticité de cette déclaration. J'ai eu l'impression que l'appelant aurait dit n'importe quoi qu'il jugeait susceptible d'améliorer ses chances de succès dans l'appel. Deuxièmement, l'effet de la loi contestée doit être examiné avec objectivité. L'appelant n'a produit aucune preuve objective pour appuyer son point de vue selon lequel la loi humilie le membre de famille dont le revenu est sous le seuil fixé pour le crédit de TPS, bien que le revenu familial total excède ce seuil. Ce n'est pas une proposition que j'accepterais comme évidente en soi. Je ne considère pas que le fait que la Loi traite la famille comme une unité économique à cette fin constitue une humiliation pour un membre de famille.

[14] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 16e jour de mars 2000.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour d'octobre 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               La Loi constitutionnelle de 1982, paragraphe 24(1).

[2]               A.G. Canada v. A.G. Ont. (Labour Conventions) [1937] A.C. 326.

[3]               L.R. ch. H-6.

[4]               [1993] 4 R.C.S. 695.

[5]               Schachtschneider c. La Reine, [1994] 1 C.F. 40 (93 DTC 5298); Corbiere c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 203, au par. 9.

[6]               [1995] 1 C.F. 130 (94 DTC 6531).

[7]               aux pages 156 et 157 (DTC : aux pages 6539 et 6540).

[8]               Voir les arrêts Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497 et Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), précité.

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