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Date: 19971017

Dossier: 95-2452-UI

ENTRE :

JANICE VOISINE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Rivière-du-Loup (Québec) les 16 et 17 septembre 1997.

[2] Il s’agit d’un appel d’une décision du ministre du Revenu national (le “Ministre”), en date du 20 octobre 1995 déterminant que l’emploi de l’appelante chez R. Ouellet & D. Ouellet, propriétaires de Paarty’s Leather Enr., les payeurs, du 5 octobre 1991 au 1er août 1992 n’était pas assurable pour les raisons suivantes : “C’était un emploi où l’employée et l’employeur avaient entre eux un lien de dépendance et cet emploi n’était pas exercé en vertu d’un contrat de louage de services.”

[3] Les paragraphes 5 et 6 de la Réponse à l’avis d’appel se lisent ainsi :

“5. En rendant sa décision, l’intimé, le ministre du Revenu national, s’est basé, inter alia, sur les faits suivants :

a) le payeur exploitait une entreprise de vente de vêtements de cuir depuis 1990;

b) l’appelante est la conjointe de M. Richard Ouellet et la belle-soeur de M. Denis Ouellet;

c) l’appelante prétend qu’elle a travaillé pour le payeur pendant 27 semaines au cours de la période en litige;

d) l’appelante prétend qu’elle rendait des services au payeur pendant au moins 35 heures par semaine;

e) elle prétend qu’elle travaillait 7 jours par semaine, le jour ou le soir;

f) pendant la période en litige, l’appelante exploitait déjà une entreprise à plein temps;

g) l’appelante et le payeur ont conclu un arrangement dans le but de permettre à l’appelante de recevoir des prestations d’assurance-chômage.

6. À ce stade-ci des procédures, l’intimé invoque que :

a) l’appelante n’occupait pas un emploi auprès du payeur pendant la période en litige.”

[4] En début d’audience le procureur de l’appelante admet les sous-paragraphes a) à d) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel mais il nie cependant les trois autres.

L'enquête

La preuve de l'appelante

Selon Richard Ouellet

[5] Il était copropriétaire de la boutique Paarty’s Leather Enr., une entreprise qui a débuté ses activités en 1987 et qui faisait de la vente de vêtements de cuir dans 10 points de vente surtout dans les provinces maritimes.

[6] Cette entreprise avait aussi deux équipes de vendeurs ou vendeuses sur la route.

[7] La période de pointe allait du mois d’octobre au mois d’avril.

[8] C’est Noëlla Pelletier, sa belle-soeur, qui s’occupait de la comptabilité de la boutique et c’est elle qui a préparé le relevé d’emploi de l’appelante lorsqu’elle a été mise à pied le 1er août 1992.

[9] Le siège social des payeurs était à Rivière-du-Loup mais, lui, il habitait avec son épouse, l’appelante, à Notre-Dame-du-Lac dans un bâtiment où il y avait aussi l’entrepôt des payeurs.

[10] C’est à cet entrepôt que l’appelante a travaillé surtout à coder les prix de revient et les prix de vente et à étiqueter les produits offerts en vente par l’entreprise.

[11] Il fallait quelqu’un d’expérience pour ce faire et son épouse avait la compétence voulue à cette fin dans le domaine de la vente.

[12] Elle préparait les encarts publicitaires (pièce A-2) pour promouvoir les ventes de l’entreprise qui se chiffraient autour d’un million et demi de dollars par an dans les bonnes années.

[13] Elle était parfaitement bilingue et cela était très important pour faire de la vente, entre autres, dans les provinces maritimes.

[14] Elle faisait aussi très bien la traduction des documents commerciaux de la boutique et c’était très utile car, lui, il ne parle pas beaucoup l’anglais.

[15] Son frère Denis est dans le commerce du vêtement et c’est lui qui approvisionnait leur boutique de cuir.

[16] À l’entrepôt l’appelante oeuvrait 35 heures par semaine, du lundi au samedi et elle était payée 400 $.

[17] Dans ses quatre dernières semaines de travail elle est allée remplacer une gérante en vacances à la boutique d’Edmunston et à cet endroit elle gagnait seulement 350 $ pour une semaine de 40 heures, à savoir le salaire d’une gérante de boutique.

[18] À Cabano l’entreprise avait un local où elle faisait à l’occasion des ventes d’entrepôt.

[19] En plus d’oeuvrer pour les payeurs, l’appelante faisait aussi de la coiffure.

[20] À cette fin elle louait un espace dans un salon de coiffure.

[21] Elle coiffait toutefois seulement sur rendez-vous et quand elle avait du temps de disponible.

[22] Dans ce salon il avait lui-même placé à un moment donné un lit de bronzage.

[23] L’appelante et lui y payaient à leur deux 150 $ par mois de location mais ils n’avaient pas de bail écrit à cet endroit cependant.

[24] Ils avaient alors trois enfants à la maison mais une gardienne à plein temps s’en occupait.

[25] C’est lui-même qui contrôlait et surveillait le travail de son épouse à l’entrepôt où elle était la seule employée des payeurs.

[26] À Cabano il y avait cependant deux filles qui y oeuvraient pour la boutique de cuir.

[27] C’est lui et son frère Denis qui fournissaient les outils de travail à l’appelante qui était payée par chèque à toutes les semaines comme les autres employés d’ailleurs.

[28] À compter du mois de mars 1992 l’appelante a cessé d’oeuvrer à l’entrepôt car elle voulait se “partir“ un “Bed and Breakfast” mais ce projet n’a finalement pas abouti toutefois.

[29] C’est au mois de juillet suivant qu’elle est allée travailler à Edmunston pour le compte des payeurs.

[30] La boutique concernée n’existe plus maintenant, mais dans les bonnes périodes elle a eu jusqu’à 28 ou 30 employés.

[31] Son épouse n’est pas présente à la Cour car elle malade et un certificat médical (pièce A-3) se lisant ainsi : “Congé médical, 14 jours, syndrome ... dépressif-gastrite”, daté du 8 septembre 1997 en fait état.

[32] Le procureur de l’appelante ne demande cependant pas de remise et l’enquête se continue.

Toujours selon Richard Ouellet

[33] Si son épouse n’avait pas été la, ils auraient dû engager une autre personne bilingue et c’est rare à Notre-Dame-du-Lac.

[34] Entre Cabano et Notre-Dame-du-Lac, il peut y avoir sept à huit kilomètres.

[35] Son épouse n’a jamais travaillé à Cabano où ils ont d’ailleurs changé d’endroit à 5, 6 ou 7 reprises sur trois ans.

[36] Ils n’y signaient pas de bail et partaient quand ils voulaient.

[37] À Cabano, ils opéraient un centre de liquidation mais il ne s’agissait pas d’un “fer de lance” de leur entreprise cependant.

[38] Nancy St-Pierre et Sylvie Morin ont oeuvré à Cabano quelques fois ensemble.

[39] Lui, il faisait le marketing et s’occupait du personnel.

[40] Son frère et lui ont aussi fait des ventes en Ontario et à Terre-Neuve.

[41] Les années 1987, 1988 et 1989 ont été très bonnes mais par après les affaires ont commencé à décliner jusqu’à la fermeture sans faillite cependant.

[42] C’est lui qui a fixé le salaire de son épouse à l’entrepôt et ce, après avoir consulté le Centre local de la main-d’oeuvre.

[43] Avant l’embauche de l’appelante c’est lui qui faisait en partie son travail mais il n’arrivait pas faute de temps à faire un bon contrôle de l’inventaire de l’entrepôt et dans les boutiques.

[44] Il y eut des vols qui ont coûté très cher, aux environs de 40 000 $ et il a fallu nécessairement resserrer le contrôle.

[45] Il y eut même des vols par des employés.

[46] Il n’y en eut cependant jamais à l’entrepôt de Notre-Dame-du-Lac.

[47] L’appelante appelait régulièrement dans les boutiques pour contrôler le stock en inventaire.

[48] Avant l’arrivée de son épouse “on étiquetait à la bonne franquette” mais lorsqu’elle a pris charge des opérations la situation s’est bien améliorée.

[49] Au préalable l’appelante avait son propre salon de coiffure, mais elle l’a fermé à un moment donné pour aller coiffer plutôt seulement chez Marie-France Bossé.

[50] Pour son lit de bronzage, il ne faisait pas beaucoup de publicité comme telle sauf à l’occasion dans le journal local.

[51] Les payeurs avaient plusieurs comptes de banque, à savoir là où ils avaient des succursales.

[52] Invité à regarder les livres de paie (pièce I-1) où le nom de l’appelante apparaît dans ceux de Cabano en 1991 et en 1992 il déclare dans un premier temps ne pas avoir une grosse base en comptabilité mais ajoute toutefois que le livre intitulé “Cabano” était celui utilisé pour les opérations des payeurs au Québec.

[53] Invité à comparer les livres de paie (pièce I-1) avec le relevé d’emploi (pièce A-1) il doit constater que suivant les livres de paie, l’appelante a fait 13 semaines en 1991 et 9 semaines en 1992 dans les livres de Cabano et 4 semaines en 1992 dans le livre d’Edmunston pour un total de 26 semaines, alors que le relevé d’emploi en indique 27.

[54] C’est la première fois qu’il réalise cela et il ne peut vraiment expliquer cette différence.

[55] À un moment donné l’agent d’enquête et de contrôle Alain Pelletier a tenté de le rencontrer et il lui a posé beaucoup de questions avant de le faire.

[56] Il ne savait pas cependant pourquoi il l’enquêtait.

[57] Lorsque l’appelante est allée au bureau du “chômage” il a voulu répondre aux questions à son lieu et place, mais Alain Pelletier a refusé.

[58] Ce dernier lui a ensuite envoyé une lettre recommandée lui demandant de se présenter à un moment donné à son bureau, mais il a refusé de signer le récépissé de la poste de sorte qu’il n’a pas répondu, en somme, à cette missive.

[59] À un moment donné Alain Pelletier s’est présenté chez lui à l’heure du dîner alors qu’il était en train de manger avec ses trois enfants.

[60] Il a alors dit à cet agent qu’il était prêt à collaborer mais qu’il n’aimait pas sa manière de travailler.

[61] Il ne lui a pas fait de déclaration et n’a pas été requis à ce moment de lui fournir des documents sauf peut-être ceux requis par la lettre recommandée dont il avait refusé la réception.

[62] Il n’a pas alors suggéré à Alain Pelletier de revenir une heure plus tard après le repas se rappelant que son épouse était épuisée après son entrevue préalable avec cet enquêteur.

Selon Noëlla Pelletier

[63] C’est elle qui faisait les paies et c’est ainsi qu’elle a signé le relevé d’emploi (pièce A-1).

[64] Elle s’occupait aussi de payer les comptes de l’entreprise.

[65] Si Richard Ouellet a engagé l’appelante c’est parce qu’elle parlait bien l’anglais.

[66] Les vols dans les locaux de l’entreprise ont causé bien des problèmes et il fallait absolument quelqu’un pour contrôler l’inventaire.

[67] Lorsque l’appelante a cessé de travailler pour les payeurs à la fin de février 1992 elle n’a pas été requise de lui émettre un relevé d’emploi parce qu’elle devait probablement reprendre le travail peu après.

[68] Effectivement elle est ensuite allée remplacer à Edmunston mais par après il n’y avait plus de travail pour elle et c’est alors qu’elle lui a émis le 28 août 1992 son relevé (pièce A-1) et non pas le 28 août 1991 comme elle l’a écrit par erreur sur ce document.

[69] Le salaire de l’appelante était très raisonnable à 400 $ par semaine à l’entrepôt et à Edmunston elle avait le salaire de la gérante qu’elle remplaçait,

[70] À l’entrepôt, dans le même bâtiment que sa maison privée, elle étiquetait bien les vêtements de cuir des payeurs.

[71] Elle allait aussi faire l’inspection du point de vente de Cabano où les payeurs vendaient à rabais.

[72] Dans les deux livres de paie “Cabano” elle compte bien que l’appelante a travaillé 26 semaines et si elle a écrit 27 c’est sans doute une erreur de sa part.

[73] Elle n’a jamais rencontré l’enquêteur Alain Pelletier.

[74] Elle connaît l’appelante depuis 10 ans car elle est la belle-soeur de Richard Ouellet ayant marié son frère Denis.

[75] Elle sait bien que l’appelante coiffait encore contre rémunération au cours de la période en litige et qu’elle le faisait chez Marie-France Bossé car elle y allait elle-même pour se faire coiffer à l’occasion dans l’après-midi.

La preuve de l'intimé

Selon Alain Pelletier

[76] C’est à la suite d’une dénonciation que le dossier lui a été remis à des fins d’enquête.

[77] Il a vérifié dans un premier temps si l’appelante était bien prestataire et, comme elle l’était, il a débuté son enquête en décembre 1993.

[78] Il a rencontré l’appelante au Centre d’emploi du Canada où elle s’est rendue sur invitation de sa part le 20 décembre 1993.

[79] Elle est entrée seule dans son bureau mais elle aurait pu aussi s’y faire accompagner.

[80] Il l’a interrogée après lui avoir fait la mise en garde habituelle et elle a d’abord signé en dessous de celle-ci pour reconnaître qu’elle lui avait bien été lue.

[81] Il a fait un brouillon de sa déclaration, il l’a ensuite écrite au propre, il la lui a lue et elle l’a signée (pièce I-2). Il y est mentionné (pages 2, 3 et 4) :

“Je travaillais du lundi au vendredi ... Je faisais de trente-cinq à soixante heures par semaine et je recevais toujours le même salaire quelque soit le nombre d’heures travaillées. Entre le 05/10/91 et le 01/08/92 je n’ai pas travaillé à toutes les semaines ... Au début de mon emploi ... j’étais à l’entrepôt de l’entreprise à Cabano qui était situé au coin de la rue commerciale et de la rue Pelletier ... Il n’y avait aucun autre employé avec moi, j’étais seule à l’entrepôt. Mes tâches consistaient à : vérifier si les commandes de manteaux provenant des fournisseurs étaient complètes et intactes, étiqueter les codes et les prix sur les manteaux, s’occuper pour la livraison des manteaux aux boutiques d’Edmunston et Bathurst, s’assurer que les vendeurs sur la route aient tout leur stock pour les autres boutiques qui achetaient de nous au gros ou au détail. J’ai été mise à pied au mois de mars 1992 parce qu’il n’y avait pas assez de travail ... Je n’ai pas demandé de prestations d’assurance-chômage à ce moment parce que j’ai essayé de monter un projet d’entreprise “Bed and Breakfast” ... De septembre 1992 à septembre 1993 je n’ai pas travaillé et j’ai reçu des prestations d’assurance-chômage ... J’ai travaillé comme coiffeuse à Edmunston de juillet 1984 à avril 1986, c’est-à-dire à la naissance de ma fille Émilie. Par la suite j’ai coiffé que des gens de ma famille immédiate et Mme Bélanger qui résidait à la Résidence Notre Dame. J’ai également fait trois semaines et demie au salon de coiffure “Imagine Coiffure” de Notre-Dame-du-Lac qui appartient à Marie-France Bossé entre mars et juillet 1992, ... probablement début juin 1992. Je n’ai jamais été associée à Marie-France Bossé. Depuis le 1er août 1992 et jusqu’à aujourd’hui je n’ai jamais exploité de salon de coiffure.”

[82] Il a également rencontré Marie-France Bossé le 21 février 1994 et a reçu d’elle une “déclaration statutaire à la Commission.”

[83] À ce stade de l’enquête le procureur de l’appelante s’objecte et le procureur de l’intimé demande la suspension de l’enquête pour permettre le témoignage de Marie-France Bossé.

Selon son témoignage

[84] Elle est coiffeuse depuis sept ans et elle travaille dans la maison de son père.

[85] Elle avait bien loué un espace à l’appelante qui y avait d’ailleurs apporté sa chaise.

[86] Au préalable d’ailleurs, après ses cours elle avait fait un stage au salon de coiffure de l’appelante.

[87] Si elle a loué un espace à celle-ci, c’est qu’elle ne voulait pas être seule pour “partir” son propre salon.

[88] Cet espace a été ainsi loué pendant environ un an et demi.

[89] Alain Pelletier est bien allé la rencontrer à sa résidence en l’invitant fortement à collaborer à l’enquête.

[90] Il voulait savoir combien d’heures l’appelant coiffait par semaine à son salon.

[91] Elle lui a bien signé une déclaration statutaire (pièce I-3) où il peut y être lu (p. 1) :

“ ... Du 12 mars 1991 au 1er septembre 1992, Janice Voisine a loué un espace dans mon salon ... de plus, pour les six derniers mois, elle avait un lit solaire pour le bronzage ... Janice Voisine a travaillé à temps plein à mon salon du 12 mars 1991 au 1er septembre 1992 ... Elle travaillait le lundi de 13 h 00 à 17 h 30, le mercredi de 9 h 00 à 17 h 30, le jeudi de 9 h 00 à 21 h 00, le vendredi de 9 h à 13 h 30 et le samedi de 9 h 00 à 12 h 00. Lorsqu’elle a quitté mon salon le 1er septembre 1992 elle s’est ouvert un autre salon ... au 400 Route 185 à Notre-Dame-du-Lac ... Le ou vers le 20 décembre 1993 elle m’a téléphoné suite à sa rencontre avec l’agent ...du Centre d’emploi du Canada, elle m’a demandé de faire des fausses déclarations aux enquêteurs du chômage; elle voulait que je dise qu’elle a travaillé chez moi une semaine et demie et non un an et demi ...”

[92] Le lit de bronzage appartenait peut-être à Richard Ouellet plutôt qu’à l’appelante, elle ne le sait cependant pas.

Selon Nancy St-Pierre

[93] Elle a oeuvré de la fin d’août 1991 à janvier 1992 pour le compte des payeurs à Cabano où ils avaient dans un même bâtiment une boutique en avant et un entrepôt à l’arrière.

[94] Jusqu’en décembre 1991 elle était la seule employée de l’entreprise à Cabano mais alors Sylvie Morin s’est jointe à elle pour y oeuvrer.

Toujours selon Alain Pelletier lors de la reprise de son témoignage

[95] Lors de sa rencontre avec Marie-France Bossé, il lui a dit qu’elle devait dire la vérité mais il est manifeste qu’elle avait peur de l’appelante.

[96] Il a rencontré à nouveau l’appelante le 25 février 1994, il lui a à nouveau fait la mise en garde habituelle, mais elle a manifesté alors le désir de consulter un avocat.

[97] Cet avocat l’a rappelé, il l’a rappelé également, mais il n’ont jamais réussi finalement à se parler.

[98] Il a alors envoyé une demande de renseignements à Richard Ouellet et il est allé le rencontrer en mai 1994.

[99] Il lui a dit qu’il lui avait envoyé une demande de documents et alors celui-ci l’a invité à descendre au sous-sol de sa résidence où il l’a engueulé continuellement.

[100] Richard Ouellet lui disait alors “le dossier qu’on a monté sur toi est presque terminé et il suivra son cours.”

[101] Il a alors envoyé une nouvelle demande de documents à Denis Ouellet à laquelle il a donné suite.

[102] Il a ensuite envoyé le dossier à Revenu Canada pour décision (pièce A-4).

[103] Dans les documents (pièce I-4) qu’il a examinés il a vu beaucoup de choses “questionnables”, à savoir :

i) il n’y avait pas de talons de chèques de paie au nom de l’appelante en octobre 1991;

ii) il y en avait en novembre 1991 mais les chèques ne passaient pas à la banque;

iii) en décembre 1991, il n’y avait pas de talons de chèques au nom de l’appelante mais bien seulement des talons de paie;

iv) en janvier 1992, il n’y avait pas non plus des talons de chèques mais bien seulement encore des talons de paie;

v) il y avait des chèques de paie faits au nom de l’appelante qui étaient encaissées bien après la date de leur date d’émission.

[104] À ce stade de l’enquête Marie-France Bossé est rappelée à la barre des témoins pour être à nouveau contre-interrogée par le procureur de l’appelante.

[105] Selon son témoignage, elle n’a pas vraiment dit à Alain Pelletier qu’elle avait peur de l’appelante mais, selon elle, des enquêtes semblables c’est intimidant cependant.

Toujours selon Alain Pelletier

[106] Denis Ouellet lui a bien dit que l’appelante était l’épouse ou la conjointe de Richard Ouellet.

[107] Les chèques de paie des 2, 9, 16, 23 et 30 novembre 1991 ont été encaissés seulement le 5 février 1992.

[108] Avec les documents qu’il a eus en mains, il ne peut dire si des chèques de paie faits à l’ordre de l’appelante ont été encaissés à la Caisse Populaire locale.

[109] Dans sa déclaration statutaire (pièce A-6) Sylvie Morin dit bien (p. 2) que l’entrepôt des payeurs était situé à Cabano et elle n’y mentionne d’ailleurs aucunement un des entrepôts : elle y dit bien aussi qu’il n’y avait aucun autre employé que Nancy St-Pierre et elle qui travaillaient à l’entrepôt de Cabano.

[110] Dans son rapport du 8 décembre 1994 (pièce A-7), à la suite de sa conversation téléphonique avec Nancy St-Pierre, il écrit que selon elle Janice Voisine n’a jamais travaillé à l’entrepôt-boutique de Cabano parce qu’elle avait un salon de coiffure à Notre-Dame-du-Lac.

[111] Dans son rapport du 28 septembre 1994 (pièce A-8) à la suite de sa conversation téléphonique avec Marcellin Dubé il écrit que selon ce dernier il n’a jamais vu Janice Voisine travailler à cet entrepôt et que durant la période où Denis et Richard Ouellet avaient loué le local, Janice Voisine avait un salon de coiffure à Notre-Dame-du-Lac.

[112] Dans “votre guide annuaire” 1991 et 1992 pour certaines villes de la région (pièce A-9) il a bien vu l’inscription “Salon de coiffure Les Ciseaux d’Émilie,Commerciale Notre-Dame-du-Lac, 899-2889” et c’est là que l’appelante a coiffé ses clientes.

La contre-preuve de l'appelante

Selon Noëlla Pelletier

[113] C’est elle qui a inscrit le mot “Cabano” sur les livres de paie 1991 et 1992.

[114] Comme les payeurs faisaient des affaires au Québec et au Nouveau-Brunswick, il lui fallait des livres de paie différents car les déductions ne sont pas les mêmes d’une province à l’autre.

[115] Si elle a “mis” l’appelante dans le livre de Cabano c’était pour avoir un seul livre au Québec.

[116] Pour le mois d’octobre 1991 l’appelante a été payée de son salaire par chèque ou en argent comptant.

[117] Elle se rappelle que quatre chèques ont pu être tirés sur le compte à la Caisse Populaire locale.

[118] Elle se souvient aussi d’avoir demandé à l’appelante d’attendre pour encaisser ses chèques de paie de manière à éviter des faux frais à la banque lorsque les fonds disponibles n’étaient pas suffisants pour les couvrir.

[119] Lors de l’engagement de l’appelante elle lui avait mentionné d’ailleurs que cela pourrait se produire à l’occasion.

Selon Denis Ouellet

[120] Lors de l’engagement de l’appelante, il fallait de l’anglais dans l’entreprise et il était bien d’accord pour que celle-ci se joigne à la trentaine d’employés d’alors sur la liste de paie.

[121] Elle travaillait à l’entrepôt de Notre-Dame-du-Lac lequel était situé dans un logement du même bâtiment où elle habitait avec Richard Ouellet.

[122] Le logement y servant d’entrepôt avait cinq pièces en tout.

[123] L’entreprise n’avait pas d’autre entrepôt.

[124] À Cabano ils disaient faire des ventes d’entrepôt seulement parce que l’expression était à la mode.

[125] Il faisait les achats à Montréal et le stock était expédié ensuite à Notre-Dame-du-Lac où l’appelante, entre autres, le ré-étiquetait.

[126] L’appelante connaissait bien l’entreprise car elle vivait dans son “entourage”.

[127] Elle a bien été payée même si elle a dû attendre parfois pour encaisser ses chèques de paie.

Les plaidoiries

Selon le procureur de l'appelante

[128] Dans le cadre de l’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage le Ministre a une discrétion à exercer mais il doit le faire d’une façon judiciaire.

[129] En l’instance, il s’est tout simplement trompé sur l’endroit où était situé l’entrepôt des payeurs.

[130] Alain Pelletier n’a pas interrogé Richard Ouellet même si celui-ci aurait pu plus collaborer.

[131] Il aurait dû interroger Noëlla Pelletier qui aurait été mieux placée pour répondre à ses questions.

[132] Si le Ministre avait connu le véritable entrepôt il aurait certes décidé autrement.

[133] Il y eut des chèques de paie pendant 21 semaines et même s’il n’y a pas de preuve de l’émission et de l’encaissement de chèques pour les cinq autres semaines, Noëlla Pelletier dit bien que l’appelante a été payée pour toutes ses semaines travaillées.

[134] La Cour se doit d’intervenir car la preuve faite de novo montre bien que l’emploi était assurable.

[135] Les vols à l’entreprise des payeurs leur ont causé des problèmes financiers considérables et il fallait absolument resserrer les contrôles.

[136] Les payeurs voulaient une personne bilingue pour leurs opérations surtout à l’extérieur du Québec et l'appelante répondait bien à leurs besoins sous ce chef.

[137] Le procès n’aide d’ailleurs aucunement l’état de santé de sa cliente.

[138] Il arrive de plus en plus souvent que des employés doivent attendre pour encaisser leurs chèques de paie.

[139] Dans le cadre de l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage, l’appelante était bien supervisée par son mari qui habitait avec elle l’étage en dessous de l’entrepôt concerné.

[140] Elle était bien intégrée à l’entreprise car le contrôle de l’inventaire dans les boutiques et à l’entrepôt était indispensable à la bonne marche des opérations.

Selon le procureur de l'intimé

[141] Même si Denis Ouellet dit que l’entrepôt était situé à Notre-Dame-du-Lac l’appelante, elle-même, dans sa déclaration statutaire affirme bien qu’au début (avant d’aller remplacer à Edmunston) elle était superviseure à l’entrepôt de l’entreprise à Cabano.

[142] D’ailleurs, dans son entrevue du 20 décembre 1993 avec l'enquêteur Pelletier, il n’a jamais été question d’un entrepôt à Notre-Dame-du-Lac.

[143] L’appelante a le fardeau de la preuve et elle n’apporte aucun document sur l’existence de ce supposé entrepôt à Notre-Dame-du-Lac.

[144] En effet elle ne produit pas de bail non plus de billets de livraison pour de la marchandise livrée à cet endroit ou expédiée depuis ce logement de cinq pièces servant présumément d’entrepôt.

[145] Le relevé d’emploi ne correspond pas avec les livres de paie quant au nombre de semaines supposément travaillées.

[146] Les chèques de paie sont encaissées en retard, il en manque d’ailleurs et si Noëlla St-Pierre avait été interrogée par l’enquêteur, elle n’aurait pu lui en dire plus que ce qu’elle a déclaré à la Cour.

[147] Dans Le Procureur général du Canada et Jean-Claude Rousselle et al. (A-1244-88), l’honorable juge Hugessen écrit pour la Cour d’appel fédérale (p. 2) :

“Ce n’est pas d’exagérer je crois, à la lumière de ces faits, que de dire que si les intimés ont exercé un emploi, il s’agissait bien d’un emploi “de convenance” dont l’unique but était de leur permettre de se qualifier pour des prestations d’assurance-chômage. Certes, ces circonstances n’empêchent pas nécessairement que les emplois soient assurables mais elles imposaient à la Cour canadienne de l’impôt l’obligation de scruter avec un soin particulier les contrats en cause; il est clair que la motivation des intimés était plutôt le désire de profiter des dispositions d’une loi de portée sociale que de participer dans le jeu normal des forces économiques du marché.”

Selon le procureur de l'appelante en réplique

[148] Si la boutique de Cabano ferme en janvier 1992 pourquoi l’appelante a-t-elle été rémunérée au mois de février suivant alors qu’elle ne pouvait plus travailler à cet endroit?

[149] L’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage n’est pas plaidé spécifiquement par le procureur de l’intimé.

[150] S’il y avait eu un arrangement, l’appelante avait besoin seulement de 20 semaines pour se qualifier aux prestations d’assurance-chômage, mais si elle n’a pas fait de demande avant le 7 septembre 1992 cela établit bien qu’il ne s’agissait pas d’un simple emploi de convenance au sens de l’arrêt Rousselle.

[151] L’emploi était véritable et si l’appelante n’avait pas été là, il aurait fallu quelqu’un d’autre pour la remplacer.

Le délibéré

[152] L’appelante avait le fardeau de la preuve et elle ne s’en est pas déchargé.

[153] Il est admis qu’elle est la conjointe de Richard Ouellet et la belle-soeur de Denis Ouellet.

[154] Dans le cadre de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage, elle devait prouver que le Ministre avait fait un usage inapproprié de son pouvoir discrétionnaire en ne ré-incluant pas l’emploi, mais elle ne l’a pas fait.

[155] Il est certain que les payeurs ont opéré une entreprise, mais si l’appelante y a oeuvré, son travail n’était certes pas assurable sauf pour ses quatre dernières semaines à Edmunston, Nouveau-Brunswick.

[156] Il est en preuve non contredite que l’appelante était parfaitement bilingue, mais ce n’est pas ce que la Cour a à décider pour conclure ci-après.

[157] L’ensemble de la preuve est à l’effet que l’appelante agissait comme coiffeuse à son compte au cours de la première partie de la période en litige et la déclaration statutaire (pièce I-3) de Marie-France Bossé fait voir qu’elle y oeuvrait à son salon cinq jours par semaine pendant plusieurs heures et non pas seulement quand elle avait du temps de disponible.

[158] La question du lit de bronzage placé chez Marie-France Bossé par l’appelante et/ou son mari est sans importance pour la solution du présent litige.

[159] Avec ses heures à son salon de coiffure, l’appelante avait certes besoin d’une gardienne à plein temps pour ses enfants à la maison.

[160] Richard Ouellet peut dire que l’appelante était payée par chèque à toutes les semaines comme les autres employés de l’entreprise, mais il ne le prouve pas, cinq paies n’étant pas établies avec certitude et des retards considérables ayant affecté l’encaissement d’autres chèques de paie de l’appelante.

[161] Il peut aussi dire qu’il contrôlait le travail de son épouse, mais la Cour ne croit pas qu’il y eut un véritable travail de la part de celle-ci pour le compte des payeurs à l’entrepôt de Notre-Dame-du-Lac qui n’a certes jamais existé non plus d’ailleurs qu’à celui de Cabano où elle n’a jamais été vue.

[162] À Notre-Dame-du-Lac il n’y a en effet aucune preuve documentaire de l’existence d’un entrepôt à cet endroit.

[163] Quant au travail de l’appelante à Edmunston, il semble bien véritable, il n’est pas contredit et le dispositif ci-après en tiendra compte.

[164] Richard Ouellet et Noëlla St-Pierre peuvent tenter d’expliquer l’utilisation des livres de paie intitulés “Cabano” pour les présumées paies de l’appelante, mais vu l’ensemble de la preuve cela ne résiste pas à un examen sérieux des faits.

[165] Ni lui, ni elle en effet ne peuvent expliquer valablement pourquoi le relevé d’emploi indique 27 semaines alors que selon les livres mêmes des payeurs il n’y en eut prétendument que 22 au Québec et 4 au Nouveau-Brunswick.

[166] Il est certain que Richard Ouellet n’a collaboré aucunement à l’enquête d’Alain Pelletier et cela établit bien le peu de respect qu’il avait alors pour la Loi sur l’assurance-chômage.

[167] Il n’y a pas de conclusion à tirer pour conclure du fait que l’appelante n’a pas demandé de relevé d’emploi en mars 1992 à la suite de sa prétendue première mise à pied.

[168] Il est en preuve non contredite qu’à Edmunston l’appelante avait bien le salaire d’une gérante de succursale.

[169] Richard Ouellet dit que son épouse n’a jamais travaillé à Cabano alors que Noëlla St-Pierre dit qu’elle allait y faire de l’inspection.

[170] Il s’agit là d’une contradiction flagrante dans la preuve de l’appelante.

[171] L’agent Alain Pelletier a fait un excellent travail dans ce dossier et avec les faits qu’il a mis devant le Ministre celui ne pouvait décider autrement qu’il l’a fait pour les 22 premières semaines de l’emploi.

[172] Il est impossible que l’appelante ait pu travailler de 35 à 60 heures pour les payeurs au Québec tout en servant sa clientèle à son salon de coiffure.

[173] Dans sa déclaration (pièce I-2) elle dit bien qu’elle recevait toujours le même salaire qu’elle ait travaillé 35 ou 60 heures chez les payeurs et une personne non liée ne l’aurait certes pas fait en supposant que l’appelante ait vraiment travaillé pour l’entreprise concernée au Québec.

[174] Dans cette déclaration elle dit aussi très clairement qu’au début de son emploi (sauf pendant son séjour à Edmunston) elle était à l’entrepôt de l’entreprise à Cabano alors que les payeurs disent le contraire.

[175] Il s’agit là d’une autre contradiction dans la preuve de l’appelante.

[176] L’appel téléphonique de l’appelante à Marie-France Bossé suite à sa rencontre avec Alain Pelletier fait bien voir le peu de respect qu’elle peut avoir aussi pour la Loi sur l’assurance-chômage.

[177] Denis Ouellet a collaboré à l’enquête d’Alain Pelletier en lui fournissant les documents (pièce I-4) et c’est tout à son honneur.

[178] Il n’y a pas de véritable contradiction entre le témoignage de Marie-France Bossé et celui d’Alain Pelletier en ce qui concerne la peur que celle-ci pouvait avoir d’être mêlée à cette enquête.

[179] L’enquêteur Pelletier a eu raison de trouver des choses très bizarres dans la documentation (pièce I-4) qui lui a été remise par Denis Ouellet.

[180] Les pièces A-6, A-7 et A-8 n’aident aucunement la cause de l’appelante.

[181] Dans sa déclaration (pièce I-3) Marie-France Bossé dit bien que l’ancien salon de coiffure de l’appelante s’appelait “Les Ciseaux d’Émilie”.

[182] La contre-preuve n’aide aucunement la cause de l’appelante et elle laisse même la Cour perplexe quant à la possibilité pour une entreprise de cette taille d’avoir un entrepôt dans un logement résidentiel de cinq pièces.

[183] Le Ministre avait une discrétion et il l’a bien exercée pour ce qui est des semaines prétendument travaillées au Québec.

[184] Si Richard Ouellet n’a pas été interrogé par Alain Pelletier, c’est tout simplement parce qu’il n’a pas voulu collaborer à l’enquête.

[185] Il est certain que l’emploi n’était pas assurable pour le présumé travail fait au Québec.

[186] La Cour n’a évidemment pas de commentaires à formuler sur la suggestion du procureur de l’appelante à l’effet que le procès n’aide pas son état de santé, aucun médecin n’étant venu témoigner sur le sujet à l’audience.

[187] Il n’est pas normal que des employés doivent attendre aussi longtemps pour encaisser leurs chèques de paie.

[188] L’erreur de date dans le relevé d’emploi n’aide pas non plus la cause de l’appelante.

[189] Pour les semaines au Québec il s’agit, il n’y a pas de doute, d’un emploi de convenance au sens de l’arrêt Rousselle et il est clair que la motivation des parties était plutôt le désir de profiter des dispositions d’une loi de portée sociale que de participer dans le jeu normal des forces économiques du marché.

[190] La prétention de la partie appelante à l’effet qu’elle a oeuvré à l’entrepôt de Notre-Dame-du-Lac et non à celui de Cabano fait que l’argument de son procureur suggérant que la boutique de Cabano a fermé en février 1992 alors qu’elle a été rémunérée jusqu’à la fin de février 1992 n’est pas à retenir.

[191] L’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage est invoqué au départ dans la décision ministérielle entreprise.

[192] L’appel doit donc être rejeté et la décision entreprise confirmée quand aux 22 semaines travaillées par l’appelante au Québec, mais il doit être maintenu et la décision entreprise infirmée pour les quatre semaines travaillées par l’appelante à Edmunston, Nouveau-Brunswick, à savoir trois semaines en juillet et une en août.

[193] La décision entreprise doit donc être modifiée en conséquence.

“A. Prévost”

J.S.C.C.I.

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