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Date: 19990603

Dossier: 97-1557-UI

ENTRE :

9010-7020 QUÉBEC INC.

(CRH MARKETING INC.),

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

BENOÎT GOSSELIN,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) selon laquelle monsieur Benoît Gosselin aurait exercé un emploi assurable auprès de l'appelante au cours de la période du 18 novembre 1996 au 26 novembre 1996. Dans sa décision, le Ministre a déterminé que cet emploi était assurable parce qu'il existait une relation employeur-employé entre monsieur Gosselin et l'appelante. Le Ministre s'est appuyé sur l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) pour rendre sa décision.

Faits

[2] En rendant sa décision, le Ministre s'est basé sur les faits énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel qui se lisent comme suit :

a) l'appelante a été constituée en 1994 ;

b) l'appelante exploitait une entreprise de télé-marketing ;

c) l'appelante avait comme clients des courtiers d'assurance, des assureurs, le Club Automobile du Québec (CAA) et des commerçants ;

d) le 22 novembre 1996, l'appelante a embauché le travailleur ;

e) le travailleur devait obligatoirement signer un prétendu contrat de sous-traitance afin de travailler pour l'appelante ;

f) le travailleur devait solliciter des clients par téléphone, à renouveler leurs assurances autos et maisons ou à adhérer au CAA ;

g) l'appelante contrôlait la quantité et la qualité du travail du travailleur ;

h) l'appelante fournissait au travailleur les noms et les numéros de téléphones des personnes à contacter ;

i) le travailleur se rendait aux locaux de l'appelante pour effectuer ses tâches ;

j) l'appelante avait fourni une formation au travailleur ;

k) l'appelante fournissait au travailleur tous les outils nécessaires à son travail ;

l) le travailleur avait un horaire de travail fixe à respecter, soit de 17h00 à 21h00 ;

m) le travailleur était rémunéré à un taux fixe de 7,00 $ de l'heure ;

n) le travailleur pouvait obtenir des primes de rendement si certains ratios étaient dépassés.

[3] Monsieur Pierre Renzetti a témoigné pour le compte de l'appelante en tant que directeur général. Selon son témoignage, l'appelante obtient des contrats en télémarketing de différents clients tels, des courtiers d'assurances, le Club automobile du Québec ( « CAA » ) et autres commerçants. Pour l'exécution de ces contrats, l'appelante possède un centre d'appels avec 56 postes de travail. Elle loue ces postes de travail (comprenant un bureau, un casque d'écoute et un ordinateur) à des agents de télémarketing.

[4] Le travail de ces agents consiste à téléphoner des personnes énumérées dans une liste de noms fournie par les clients de l'appelante afin de recruter des nouveaux membres, renouveler des adhésions ou proposer de nouvelles formules aux membres déjà existants. Selon Monsieur Renzetti, bien qu'il puisse arriver qu'un agent recrute une personne qu'il connaît bien, en règle générale, les agents se limitent à la liste de noms qui leur est fournie. L'appelante est responsable de la confidentialité de cette liste, laquelle appartient à ses clients.

[5] C'est le client qui définit les caractéristiques des produits ou services qu'il met en marché et l'agent doit transmettre l'information requise par le client aux différentes personnes contactées par télémarketing. Ainsi si les adhésions étaient vendues à d'autres prix que les prix établis par le client ou si les adhésions étaient mal completées, le client ne donnerait plus de contrat à l'appelante.

[6] L'appelante fournit une enregistreuse à chaque agent. Selon monsieur Renzetti, l'enregistrement sert de « coaching » pour voir ce qui pourrait être amélioré. Il a dit toutefois que l'agent était libre de s'en servir pour enregistrer ses conversations téléphoniques avec les gens qu'il contactait. Ainsi monsieur Jean-Pierre Arcand a travaillé comme agent de télémarketing pour l'appelante. Ce dernier a dit qu'il s'enregistrait s'il désirait envoyer directement le contenu de sa conversation enregistrée sur cassette au client au lieu de retranscrire les données qu'il avait obtenues. Par ailleurs, monsieur Renzetti a indiqué que l'appelante vérifiait si les agents avaient correctement complété les coordonnées des différents adhérents. Il a également mentionné que soit lui, soit monsieur Richard Houle, un actionnaire de l'appelante, était présent dans les locaux de l'appelante. Ils faisaient le point avec les agents si ceux-ci ne les tenaient pas informés. Sans parler de contrôle, monsieur Renzetti a dit qu'il recevait un rapport de chaque agent à la semaine et qu'il donnait priorité dans la location de postes de travail à ceux qui étaient les plus efficaces. De fait, l'appelante tire profit d'un nombre maximum d'adhésions.

[7] L'agent doit réserver un poste de travail au moins une semaine à l'avance. En réservant, il choisit la plage horaire qui lui convient. Ces plages horaires se divisent en périodes de travail. Ainsi, l'agent peut réserver un poste de travail du lundi au vendredi, soit de 8h45 à 16h15, soit de 16h30 à 21h30. Il a également la possibilité de réserver le samedi de 10h00 à 17h00. Selon la feuille de disponibilités complétée par monsieur Gosselin et déposée sous la pièce A-4, on demande à l'agent d'établir l'horaire avec précision afin de pouvoir le respecter pour être en mesure de répondre aux attentes des clients de l'appelante. Sur cette feuille de disponibilités, on y indique également « qu'une absence entraîne automatiquement la perte d'un bureau qui aurait pu être occupé par un collègue » .

[8] Selon monsieur Renzetti, l'agent qui loue un poste de travail peut s'en servir également pour ses propres fins. Ainsi, il a donné l'exemple de madame Giroflée Ash. Celle-ci a témoigné pour dire qu'elle louait un poste de travail de l'appelante pour faire la prospection de ses propres services. Elle a dit qu'elle acceptait aussi quelques mandats de l'appelante. Pour ce faire, elle a dû signer un contrat avec l'appelante le 7 octobre 1996, du même type que celui qui a été signé le 22 novembre 1996 par monsieur Gosselin (voir pièces A-3 et A-12). Ce contrat s'intitule « contrat de sous-traitance » et se lit comme suit :

1- Le sous-contractant [l'agent] et CRH [l'appelante] s'entendent sur les points suivants :

i) Mandat :

Le sous-contractant effectue une représentation téléphonique auprès de commerçants ou de consommateurs, concernant les produits ou services des clients de CRH (prise de rendez-vous, vente directe, réalisation de sondages, qualification de clients potentiels, etc...). Le sous-contractant doit faire en sorte de rencontrer tant les objectifs qualitatifs que quantitatifs pour chacun des mandats accordés.

ii) Conditions :

Le sous-contractant est un travailleur autonome, il pourra contracter d'autres mandats avec d'autres sociétés en autant que ceux-ci n'entrent pas en conflit avec ceux de CRH. Il a la possibilité de se faire remplacer par la personne de son choix. Il peut exécuter son mandat aux heures et aux endroits qui lui conviennent. Il est responsable de présenter sa facture une fois la semaine à CRH. Le sous-contractant est responsable de ses dépenses. Le sous-contractant n'est pas un employé de CRH; il n'aura pas droit à des vacances, journées de maladie ou quelques autres avantages sociaux. CRH ne fera aucune déduction ou retenue d'impôt. Le sous-contractant devra se prévaloir de l'exemption d'enregistrement si ses revenus annuels sont inférieurs à 30 000 $ ou être inscrit à la TPS et la TVQ s'ils sont supérieurs à 30 000 $.

iii) Tarification :

Le sous-contractant est rémunéré à l'heure selon le tableau ci-joint, ou à la pièce dans le cas de contrats particuliers. Le sous-contractant peut recevoir un supplément de 1,25 $ par heure pour exécuter son travail et produire ses rapports sur ordinateur en mode D.B.F., pour tout contrat qui comportent [sic] un [sic] rémunération à l'heure. Le sous-contractant peut, si l'équipement est disponible, louer à CRH un ordinateur à raison de 1,00 $ par heure. Le sous-contractant devra présenter sa facture avec les rapports et pièces justificatives à CRH au plus tard le lundi de la semaine suivante. CRH paiera au sous-contractant la facture le jeudi de la semaine suivante, déduction faite de la location s'il y a lieu.

iv) Résiliation :

Le sous-contractant et CRH peuvent résilier le présent contrat suivant un avis écrit de 48 heures, sauf dans le cas d'un manquement au code d'éthique, où la résiliation serait sans préavis.

v) Garantie :

Le sous-contractant garantit que les informations transmises sont exactes.

[9] Selon la grille de rémunération jointe en annexe du contrat, l'agent est payé 7 $ l'heure et reçoit une prime sur les ventes établie selon un certain ratio (lequel est calculé à partir du total hebdomadaire de nouveaux membres divisé par le total hebdomadaire des heures de sollicitation). Monsieur Renzetti a dit que si ce ratio n'était pas atteint par le travailleur, son contrat n'était pas renouvelé. Ce qui, selon lui, n'empêchait pas ce travailleur de louer le poste de travail pour ses propres fins.

[10] Un deuxième contrat a été signé ultérieurement, soit le 12 janvier 1997, par madame Ash. Il reprend sensiblement les mêmes termes que le premier sauf qu'il spécifie que le contractant (l'agent) n'a pas l'obligation d'assister à des réunions ou à des formations, ni de suivre à la lettre un script d'appels. On y précise également que le contractant n'a pas de supérieur immédiat ou de contrôleur. Les droits du client et les devoirs du contractant et de l'appelante y sont aussi décrits et se lisent comme suit :

2.00DROITS DU CLIENT :

2.01 Les clients fournissent leurs listes de clientèle ou les listes de prospection. Ils en sont les seuls propriétaires. La confidentialité doit être assurée.

2.02 Les clients décident des territoires à couvrir ainsi que la séquence de couverture.

2.03 Les clients fournissent ou acceptent les scénarios d'appels et s'attendent à ce que l'information transmise soit claire et précise.

2.04 Les paiements sont toujours faits à l'ordre du client.

2.05 Les clients sont propriétaires de tout le matériel publicitaire.

2.06 Les clients décident du format ou structure du fichier informatique avec lequel ils échangent les données.

2.07 Les clients sont directement représentés en ce sens qu'on appelle de la part du client.

3.00 DEVOIRS DU CONTRACTEUR [sic] :

3.01 Le contracteur [sic] a le devoir d'effectuer une représentation téléphonique auprès de commerçants ou de consommateurs, concernant les produits et services des clients pour réaliser soit une vente directe, une prise de rendez-vous, une réalisation de sondage, ou des qualifications de projet etc.

3.02 Le contracteur [sic] a le devoir d'exécuter son contrat dans les délais convenus.

3.03 Le contracteur [sic] a le devoir de noter dans le format requis les dossiers du client.

3.04 Le contracteur [sic] a le devoir de représenter le client avec l'éthique d'un professionnel du télémarketing, conforme aux règles du CRTC du code d'éthique du Marketing Direct.

3.05 Le contracteur [sic] a le devoir de se conformer aux règles de civisme faites par les contracteurs [sic] et CRH (défense de fumer, aires de repos etc...)

3.06 Le contracteur [sic] a le devoir de remettre son rapport et sa facture hebdomadaire.

4.00 DEVOIRS DE CRH :

4.01 CRH a le devoir de négocier des mandats avec des clients et de voir à son exécution.

4.02 CRH a le devoir de préparer tout le matériel informatique pour l'exécution des campagnes de TM.

4.03 CRH a le devoir que l'équipement loué par les contracteurs [sic] soit prêt, disponible et en ordre.

4.04 CRH a le devoir d'échanger quotidiennement les informations avec les clients.

4.05 CRH a le devoir de transmettre les informations aux contracteurs [sic] sur le déroulement des campagnes de TM.

4.06 CRH est le seul responsable des frais de téléphone, des frais du loyer, des taxes d'affaires, des frais d'administration et autres.

4.07 CRH est le seul responsable des avances et des ajustements envers le contracteur [sic].

5.00 DURÉE DU CONTRAT :

5.01 La durée du contrat est de une (1) semaine commençant le lundi pour se terminer le samedi suivant.

5.02 Le contrat est renouvelé automatiquement à chaque semaine aux mêmes termes et conditions énoncées aux présentes.

6.00 RÉSILIATIONS :

6.01 Il est convenu que l'une ou l'autre des parties peut mettre fin en tout temps à ce contrat, sur simple avis écrit avec comme raison qu'il n'est pas très satisfait.

6.02 Dans le cas que le contracteur [sic] n'est pas très satisfait, il peut demander par écrit de résilier le contrat immédiatement. La location des équipements ne sera pas facturée pour le restant de la période, et un montant de 10% de prime de départ sera ajouté au solde de la semaine. Les ajustements et le paiement seront faits le jeudi suivant.

7.00 MODALITÉS DU CONTRAT :

7.01 Le contracteur [sic] réserve une plage de location de cellule selon ses disponibilités et les mandats à sous contracter.

7.02 Les parties s'entendent pour laisser connaître leurs disponibilités le lundi précédent et qu'au plus tard le mardi précédent à 17.00 heures les réservations d'équipement ainsi que les mandats à sous contracter soient déterminés.

8.00 LOCATION D'ÉQUIPEMENT :

8.01 Téléphone analogique, casque d'écoute (liste papier)

(Pas disponible à domicile)

Plan A $ 0.50

8.02 Téléphone analogique, casque d'écoute, ordinateur avec fax-modem, composition automatique et logiciel de TM

Plan B $1.00

8.03 Téléphone analogique, casque d'écoute, ordinateur avec fax-modem composition automatique par générateur séquentiel d'appels et logiciel de TM.

Plan C $ 2.00

9.00 CODE CIVISME :

9.01 Il est permis de fumer uniquement dans le local réservé à cet effet.

9.02 Toute nourriture ou boissons doivent être consommées dans la cafétéria.

9.03 Faire attention de ne pas déranger la concentration des autres contracteurs [sic] dans les salles de sollicitation.

9.04 Faire attention au matériel.

10.00 INTERPRÉTATION

10.01 Selon que le contexte le requerra, le singulier s'interprète comme le pluriel et le genre masculin comme le féminin ou neutre, selon le cas.

10.02 Les annexes des présentes font partie intégrales du présent contrat.

[11] Selon le témoignage de monsieur Renzetti, les devoirs du contractant s'appliquent à tous les agents. Ces devoirs étaient les mêmes selon l'ancien contrat. Quant à monsieur Gosselin, il a reçu une formation sur une base de quatre heures par jour pendant trois jours. Cette formation a été donnée par un associé de l'appelante sous la supervision d'un représentant du CAA. Il semble que chaque agent doive assumer les frais de location du poste de travail même pendant la formation. Le rapport hebdomadaire fourni pour monsieur Gosselin (pièce A-5) pour la semaine 18 au 23 novembre 1996 indique les heures de formation et les heures de présence de ce dernier. La facture jointe à ces feuilles de présence n'est toutefois pas complétée.

[12] Mesdames Aida Hamaoui, Geneviève Côté et Louise Sauvage ont également témoigné. Elles ont toutes dit qu'elles avaient été engagées par l'appelante pour faire du télémarketing. Elles ont dit qu'elles n'avaient pas d'horaire fixe à respecter et qu'elles étaient engagées à la semaine.

[13] Madame Côté a dit qu'elle avait un contrat avec l'appelante pour vendre des abonnements au journal Le Devoir. Elle travaillait le samedi et devait réserver son poste de travail une semaine à l'avance. Si elle réservait un poste de travail, elle perdait son dépôt si elle ne s'y présentait pas. Toutefois, dans son cas, cela ne lui est pas arrivé puisque lorsqu'elle n'était pas disponible, elle s'est toujours fait remplacer par une personne déjà engagée par l'appelante. Elle a indiqué toutefois qu'elle aurait pu se faire remplacer par une autre personne qui ne devait pas nécessairement être engagée par l'appelante. Elle complétait une facture de ventes et se faisait ainsi payer. Elle avait déjà effectué le même travail alors qu'elle était engagée directement par le journal Le Devoir. Elle y avait un horaire plus fixe et y était salariée.

[14] Madame Hamaoui ne louait pas de poste de travail et travaillait pour l'appelante de chez elle avec les listes que lui fournissait l'appelante. Elle facturait selon le nombre de ventes effectuées et était payée à commissions. Madame Hamaoui a fait une demande pour recevoir de l'assurance-chômage lorsqu'elle a cessé de travailler et son emploi a été considéré non-assurable.

[15] Monsieur Pierre Fecteau, ingénieur, a également témoigné. Il donne des contrats en télémarketing à l'appelante sous forme de mandats très précis avec des banques de données qui appartiennent à ses propres clients. C'est lui qui forme, à ses frais, les agents engagés par l'appelante. Malgré ceci, il a dit que chaque agent recueillait les données à sa façon (donc peu d'uniformité dans la cueillette des données) et les renseignements obtenus n'étaient pas toujours fiables. Il ne pouvait donner de directives précises sur l'horaire de travail des agents mais exigeaient que les agents annoncent correctement le produit. Monsieur Fecteau a indiqué que ce n'était pas lui mais l'appelante qui avait le contrôle sur les agents de télémarketing.

[16] Monsieur Alain Lemay, comptable pour l'appelante, a témoigné pour dire que l'entreprise de l'appelante avait un chiffre d'affaires d'un million de dollars. Il a dit que l'entreprise était viable simplement avec la location de postes de travail. La location de ces postes, qui pouvait se chiffrer jusqu'à 2 $ de l'heure, pouvait rapporter jusqu'à 30 000 $ par mois alors qu'il en coûte entre 12 000 $ et 13 000 $ en frais fixes par mois pour ces postes. Monsieur Lemay n'avait pas les états financiers de l'appelante avec lui et n'a pu confirmer le pourcentage de profits provenant de la location et du télémarketing.

[17] Madame Fabia Grigolo qui a également travaillé pour l'appelante au cours de la période du 30 octobre 1996 au 6 juin 1997 a aussi témoigné à la demande de l'intimé. Elle a dit qu'elle avait été engagée par l'appelante après une période d'essai de deux heures et qu'elle avait suivi une formation. L'appelante exigeait qu'elle travaille au moins 100 heures pour être payée au cours de la formation et c'est ce qu'elle fit. L'appelante lui a imposé de signer le contrat de travail comme si elle était un travailleur autonome. Elle donnait les heures où elle était disponible et elle devait s'en tenir aux heures qu'elle avait choisies. Elle a dit qu'elle travaillait de 25 à 30 heures par semaine environ, de façon régulière à l'exception d'une période de deux semaines, au mois de mai 1997, où elle est partie en vacances de son propre chef et à ses frais.

[18] Madame Grigolo a indiqué qu'elle contactait les gens qui apparaissaient sur la liste fournie par l'appelante et que si elle contactait d'autres personnes, elle avait un superviseur qui vérifiait et approuvait par la suite. Elle a toujours travaillé dans les locaux de l'appelante. Elle recevait une rémunération de base de 7 $ de l'heure en plus d'une commission qui était fonction du nombre de clients recrutés. Elle pouvait également avoir droit à un bonus. Pour se faire payer, elle devait compléter des feuilles de temps en indiquant le nombre d'heures de travail ainsi qu'un tableau des ventes. Ainsi, elle devait inscrire le nombre d'abonnés qu'elle avait recrutés. Elle a mentionné qu'elle essayait de vendre le plus possible et que si elle ne produisait pas assez, elle pouvait être remerciée de ses services. Elle a également mentionné qu'elle ne s'était jamais fait remplacer pour effectuer son travail et que c'était la même chose pour les autres travailleurs. Selon elle, si on ne rentrait pas, on se faisait remercier de ses services sans être payé. De même, contrairement à ce qui a été dit par messieurs Renzetti et Arcand, madame Grigolo a dit que tous les travailleurs étaient sous écoute téléphonique, ce qui permettait à l'appelante de vérifier que les agents suivaient bien les normes de vente.

[19] Par ailleurs, bien que son contrat indiquait qu'elle devait assumer la location d'un poste de travail à 1 $ de l'heure, madame Grigolo a dit que cette somme n'avait pas été déduite finalement de sa paie et qu'elle n'avait pas à payer la location si elle n'allait pas travailler. Elle a dit qu'elle recevait 7 $ de l'heure et non 6 $ de l'heure. Selon les factures qu'elle a soumises à l'appelante (pièce A-1), un montant a été déduit pour la location. Ce montant correspond à 1 $ de l'heure. Toutefois, le taux horaire indiqué est de 8 $ l'heure et non 7 $ l'heure tel qu'indiqué au contrat (voir pièce A-2).

[20] Finalement, madame Diane Charette, agent des appels à Revenu Canada, a témoigné. Après avoir discuté avec messieurs Gosselin et Renzetti, elle en est venue à la conclusion que le premier était un employé de l'appelante. Les faits qui l'ont incitée à rendre sa décision sont les suivants :

- le contrat de travail prévoyait la possibilité pour l'appelante de mettre à pied le travailleur.

- l'appelante fixait la grille de rémunération.

- le travailleur était rémunéré selon ses heures de travail. Ces heures de travail devaient se regrouper dans la plage horaire choisie par le travailleur, l'appelante offrant la possibilité de deux plages horaires du lundi au vendredi et d'une seule plage horaire le samedi.

- l'appelante donnait une formation à chaque travailleur sur le produit à vendre et sur la façon d'entrer les données dans l'ordinateur. L'appelante contrôlait donc d'une certaine façon la méthode de travail utilisée par le travailleur.

- selon madame Grigolo, les conversations téléphoniques de tous les travailleurs étaient enregistrées. Il était donc possible pour l'appelante de retracer l'agent qui avait fait l'appel en cas de plainte et d'en discuter avec l'agent s'il y avait lieu.

- le travailleur devait faire rapport du nombre d'heures de travail et du nombre de ventes effectuées afin de se faire payer.

- le travailleur recevait la liste de personnes à contacter de l'appelante directement et non pas du client de l'appelante.

[21] Tout ceci indique, selon madame Charette, que l'appelante exerçait un gros contrôle sur le travail effectué par les travailleurs. Quant à monsieur Gosselin, il a toujours travaillé à la place d'affaires de l'appelante. Il était payé un salaire de 7 $ de l'heure, ce qui indique qu'il n'avait pratiquement pas de chances de profit. Selon elle, le fait de payer une location de 1 $ de l'heure n'est pas suffisant pour dire que le travailleur engageait un risque de perte. Le travailleur n'investissait pas dans l'entreprise de l'appelante.

[22] Monsieur Gosselin n'a pas témoigné. Toutefois, deux lettres ont été déposées en preuve sous les pièces A-6 et A-7, dans lesquelles Revenu Canada avait d'abord pris la position que monsieur Gosselin et madame Grigolo n'exerçaient pas un emploi assurable auprès de l'appelante. La même décision avait été prise pour madame Pierrette Desmarteaux qui avait également travaillé comme agent de télémarketing pour l'appelante (pièce A-8). Monsieur Gosselin a fait appel de cette décision au chef des Appels à Revenu Canada, lequel a infirmé la première décision et considéré assurable l'emploi de monsieur Gosselin auprès de l'appelante. C'est cette décision que l'appelante a porté en appel devant cette cour et qui fait l'objet du présent litige.

Analyse

[23] Pour être assurable au cours de la période en litige, monsieur Gosselin devait être engagé en vertu d'un contrat de louage de services, tel que l'exige l'alinéa 5(1)a) de la Loi. Pour ce faire, les critères repris dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, soit le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de profit et les risques de perte de même que le test de l'intégration ou de l'organisation, à savoir si la personne travaille pour sa propre entreprise ou pour celle de celui qui l'engage, doivent être analysés à la lumière de l'ensemble des éléments composant la relation entre les parties.

[24] Dans le cas présent, il s'agit d'un cas limite où l'on retrouve des éléments d'un contrat de louage de services et d'autres éléments se rapportant à un contrat d'entreprise.

[25] Pour ce qui est du contrôle, qui est un élément qui revêt une certaine importance en droit civil, je suis d'avis, comme madame Charette, que l'appelante exerçait certainement un contrôle sur le travail de ses agents. Ce contrôle était, selon moi, exercé d'une façon assez régulière. En effet, monsieur Renzetti a indiqué que lui ou monsieur Richard Houle, actionnaire de l'appelante, était sur place et s'informait sur une base régulière du travail effectué par les agents. De même, bien qu'il y ait eu une certaine contradiction entre quelques témoins en ce qui concerne l'enregistrement des conversations téléphoniques des agents, monsieur Renzetti a tout de même dit que l'enregistrement permettait à l'appelante d'exercer d'une certaine façon un « coaching » afin de voir ce qui pouvait être amélioré.

[26] Il est vrai que certains agents comme madame Hamaoui travaillaient de chez eux et subissaient dans une certaine mesure un contrôle moins grand que les agents travaillant sur place. Mais encore là, ces agents étaient à toutes fins pratiques limités aux listes fournies par l'appelante. C'est l'appelante qui était responsable de la confidentialité de ces listes. Elle était également responsable de ces agents puisque s'ils ne respectaient pas les consignes données par les clients ou s'ils ne respectaient pas certains délais, elle risquait de perdre des contrats.

[27] Les agents avaient également reçu une formation pour laquelle ils étaient rémunérés s'ils accomplissaient un nombre minimum d'heures. Les agents devaient d'ailleurs faire rapport du nombre d'heures de travail et du nombre de ventes effectuées s'ils voulaient se faire payer. Dans ce sens, l'appelante avait certainement un contrôle sur le travail effectué par ses agents et un droit de regard sur la façon dont ils représentaient ses clients auprès des personnes contactées. En effet, si les agents étaient des travailleurs à leur compte, l'appelante n'aurait pas eu à leur donner une formation pour laquelle ils étaient même payés.

[28] Il est vrai que certains témoins ont dit qu'ils pouvaient se faire remplacer pour exécuter leur travail. C'est ce qui est d'ailleurs inscrit au contrat. Ceci en soi est un élément important à considérer en faveur de la thèse du contrat d'entreprise[1]. Madame Grigolo a indiqué, quant à elle, que les agents ne pouvaient se faire remplacer. Elle a également mentionné, contrairement à d'autres témoins que si les agents ne rentraient pas aux heures réservées, ils se faisaient remercier de leurs services. Monsieur Renzetti avait indiqué qu'il donnait priorité aux agents qui effectuaient le plus de ventes. Madame Côté a dit que dans les faits, si elle s'était fait remplacer, c'était toujours par un autre agent qui travaillait pour l'appelante.

[29] La preuve n'a pas réellement révélé qu'aucun des agents venus témoigner s'était fait remplacer par quelqu'un qui n'avait pas d'abord été formé par l'appelante. Je conclus donc que le fait de pouvoir se faire remplacer ne peut jouer un rôle important ici. En effet, la prépondérance de la preuve va plutôt dans le sens que l'appelante exerçait un contrôle sur le travail de ces agents ou de ceux qui pouvaient éventuellement les remplacer.

[30] Quant à la rémunération, elle était dictée par l'appelante. Les agents recevaient un salaire horaire calculé à partir du nombre d'heures de travail et avaient des quotas de vente à respecter s'ils voulaient que leur contrat soit renouvelé et se mériter un bonus. De plus à la demande de l'appelante, les agents devaient facturer le nombre d'heures à la semaine et le paiement se faisait le même jour chaque semaine. Par ailleurs, ils n'avaient droit à aucun bénéfice marginal ni à aucune vacance payée. Leurs chances de profit résidaient dans les primes qu'ils pouvaient recevoir sur les ventes. Leurs risques de perte se limitaient à l'absence de rémunération s'ils ne travaillaient pas et à la possibilité que leur contrat ne soit pas renouvelé.

[31] A mon avis, ces éléments ne sont pas suffisants pour considérer ces agents comme des travailleurs autonomes. En effet, l'agent était assuré d'un revenu garanti (7 $ l'heure) pour ses heures de travail. Les primes sur les ventes venaient s'y ajouter s'ils rencontraient un certain quota de ventes. Si les agents exécutaient mal leur travail, c'est l'appelante qui en assumait le risque (perte de contrats avec ses clients et baisse des profits) et non pas l'agent qui, même si son contrat risquait de ne pas être renouvelé, se faisait quand même payer pour ses heures de travail.

[32] Par ailleurs, je note que dans le deuxième contrat signé par madame Ash, l'appelante octroyait un montant de 10 pour cent de prime de départ en cas de résiliation. Bien que ceci n'apparaisse pas dans le contrat signé par monsieur Gosselin, ceci est une autre indication que l'appelante traitait ses agents comme des employés et non comme des personnes travaillant pour leur propre compte.

[33] En ce qui concerne les instruments de travail, l'appelante insiste sur le fait que l'agent devait louer l'équipement. Ceci en effet pourrait être considéré comme un élément d'un contrat d'entreprise. Toutefois, le document déposé sous la pièce A-1 démontre, dans le cas de madame Grigolo, qu'elle était payée un revenu horaire net de 7 $ l'heure. Selon son contrat (pièce A-2), si elle avait payé la location de l'équipement, elle aurait dû recevoir un revenu horaire net de 6 $ l'heure. Si tel était le cas pour madame Grigolo, il est permis de se demander si tous les agents n'avaient pas dès lors le même traitement.

[34] Également, il ne ressort pas clairement de la preuve que les agents devaient payer la location de l'équipement s'ils n'utilisaient pas le poste de travail qu'ils avaient réservé. La preuve contradictoire et incomplète à ce chapitre ne me permet pas d'accorder trop d'importance à ce facteur au point de renforcer la thèse du contrat d'entreprise. De plus, dans le nouveau contrat signé par madame Ash, on indique bien que si l'agent résilie son contrat, il ne sera pas tenu de payer la location de l'équipement.

[35] Par ailleurs, monsieur Lemay a tenté d'expliquer que l'appelante pouvait survivre uniquement de la location d'équipement, voulant insinuer j'imagine, que le travail des agents ne constituait pas une partie intégrante de l'entreprise de l'appelante. Malheureusement, je ne peux attacher d'importance à ce facteur. D'une part, les chiffres approximatifs que monsieur Lemay a donnés (il a parlé de location à 2 $ l'heure alors que la majorité des contrats soumis indiquait 1 $ l'heure) n'ont été corroborés d'aucune façon par les états financiers de l'appelante qui n'ont tout simplement pas été déposés en preuve. Je ne peux donc pas attribuer une valeur probante à ce témoignage.

[36] D'autre part, la question d'organisation ou d'intégration doit être envisagée du point de vue de l'employé et non de celui de l'employeur. En effet, même si les revenus provenant du télémarketing sont inférieurs à ceux provenant de la location de postes de travail, le travail des agents est tout de même nécessaire à l'exploitation de l'entreprise de l'appelante. Tel que le disait le juge MacGuigan dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd, supra, à la p. 563 :

...Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright [dans l'affaire Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al., [1947] 1 D.L.R. 161] a posé la question « À qui appartient l'entreprise » .

[37] Quant à l'intégration des activités des agents à l'entreprise de l'appelante, je suis d'avis que les agents comme monsieur Gosselin agissaient comme des employés de l'appelante et non pas comme des personnes agissant pour leur propre compte. Il est vrai qu'en dehors des plages horaires où ils travaillaient pour l'appelante, ces agents pouvaient aller travailler pour d'autres. Toutefois, le contrat signé par les agents indique bien que ceux-ci peuvent « contracter d'autres mandats avec d'autres sociétés en autant que ceux-ci n'entrent pas en conflit avec ceux de [l'appelante] » . L'agent avait le choix de travailler à temps plein ou à temps partiel pour l'appelante, mais peu importe son choix, il devait respecter son engagement envers l'appelante dans les plages horaires qu'il avait choisies. D'ailleurs, c'est bien ce qui semble ressortir du document complété par monsieur Gosselin et déposé sous la pièce A-4. L'on indique bien que l'agent doit établir son horaire avec précision afin de pouvoir le respecter et qu'une absence entraîne automatiquement la perte du bureau qui aurait pu être occupé par un autre collègue. Ceci me semble une preuve assez claire que les jours et heures de travail étaient intégrées et coordonnées avec les opérations de l'appelante.

[38] Finalement, le fait pour l'appelante de rédiger les contrats avec ses agents en les désignant comme des travailleurs autonomes ne change pas la situation factuelle et réelle qui existe entre les parties. Dans l'affaire Irving Edward Orton c. M.R.N., N.R. 9, le juge Cattanach disait ceci à la p. 3 :

[TRADUCTION]

Le fait que les parties à un contrat y mentionnent qu'un lien donné les unit, comme ce fut le cas, en l'espèce, à l'article 5 de l'entente conclue entre l'appelant et le ministère des Travaux publics, ne permet pas de conclure à l'existence du lien en question. La seule déclaration des parties ne suffit pas à changer la véritable nature de quelque chose.

À ce sujet, le juge MacKenna a déclaré dans l'affaire Ready Mixed Concrete v. Minister of Pensions,1 à la page 439 :

... que la détermination de la nature des rapports entre les parties à un contrat, rapports commettant-préposé ou autres, constituait une conclusion de droit qui dépendait des droits accordés et aux obligations imposées par le contrat, et que si les faits indiquaient l'existence de rapports commettant-préposé, il n'était pas pertinent que les parties aient déclaré qu'il s'agissait d'autre chose.

________________

1 (1968) All E.R. 433.

[39] En terminant, je tiens à souligner que j'ai pris connaissance de la récente décision de la Cour d'appel fédérale rendue dans l'affaire Vulcain Alarme Inc. c. M.R.N., le 11 mai 1999 à Montréal (dossier d'appel A-376-98), portant sur la démarche à suivre pour différencier un contrat de louage de services d'un contrat d'entreprise. Je considère que les faits dans l'affaire Vulcain se distinguent très bien des faits dans le présent appel et que la conclusion à laquelle en arrive la Cour d'appel fédérale dans cette affaire ne s'applique pas au cas en l'espèce.

[40] Compte tenu de tous ces éléments, lesquels ont été analysés dans le contexte global de la relation entre les parties, je suis d'avis que la prépondérance de la preuve démontre plutôt que les agents de l'appelante, dont monsieur Gosselin, étaient engagés en vertu d'un contrat de louage de services auprès de l'appelante. Pour ces raisons, l'appel est rejeté et la décision du Ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 1999.

"Lucie Lamarre"

J.C.C.I.



[1]           Voir Alexander c. M.R.N., [1970] R.C.É. 138.

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