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Date: 19990902

Dossier: 97-3498-IT-I

ENTRE :

TERRY E. ELLIOTT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur une cotisation établie pour l'année d'imposition 1992 relativement à la valeur du fonds commercial du cabinet d'expertise comptable de l'appelante, valeur que celle-ci estimait être de 125 000 $ au moment du transfert des actifs à une société, soit le 12 janvier 1992. La société a inscrit le fonds commercial dans le bilan comme valant 125 000 $ et a inclus ce montant comme dépense en capital admissible. L'appelante a obtenu un rapport consultatif, de Robert J. Landry and Associates, indiquant que le fonds commercial avait une valeur de l'ordre de 74 000 $ à 87 000 $. Le ministre a effectué des calculs selon lesquels la juste valeur marchande du fonds commercial transféré par l'appelante à la société était d'au plus 32 000 $ et il a établi à l'égard de l'appelante une cotisation indiquant que cette dernière avait réalisé un gain en capital imposable de 24 000 $.

Point en litige

[2] La seule question à trancher est la question de la juste valeur marchande du fonds commercial du cabinet d'expertise comptable que l'appelante a transféré à la société le 12 janvier 1992.

Faits

[3] Robert John Landry a témoigné qu'il était comptable général licencié et expert en évaluation d'entreprise. Il oeuvrait dans ce domaine depuis 1969 et avait été accrédité en 1987. Son rapport, déposé sous la cote A-1, a été admis de consentement, sous réserve qu'il soit considéré comme n'étant qu'un rapport consultatif et étant entendu qu'il ne tenait pas compte de certains facteurs pouvant être pertinents lorsqu'il s'agit de donner une opinion. Dans son rapport, M. Landry a examiné des théories pour ce qui est de savoir comment le fonds commercial doit être évalué dans le cas d'un cabinet d'expertise comptable. Il a analysé les bénéfices de l'entreprise et a considéré que la détermination de la valeur du fonds commercial selon la méthode empirique était acceptable pour un cabinet d'expertise comptable. Il a principalement utilisé la définition de la juste valeur marchande qui est énoncée au paragraphe 4 de son rapport.

[4] Ce qu'il prenait en considération, c'était la survaleur des ressources humaines du cabinet d'expertise comptable qui était commercialement transférable. Sa thèse est que cette survaleur survit bel et bien, même si elle a été créée ou générée par le particulier.

[5] Il a admis que son rapport consultatif n'était pas aussi exhaustif que l'aurait été un rapport final, notamment en raison de contrainte de temps et d'argent. Il n'a pas présenté d'écarts dans le rapport pour indiquer certaines différences pouvant exister en cours de route. Dans son rapport, il a cherché à montrer que le fonds commercial était transférable et que des valeurs élevées de fonds commercial sont utilisées sur le marché. En ce qui le concernait, un élément clé de son évaluation tenait à la méthode empirique. Sa thèse était que cette méthode avait été approuvée par le juge Archambault, de la C.C.I., dans l'affaire 1860 - 3043 Québec Inc. v. The Queen, 94 DTC 1685. Cette méthode était un élément clé de son rapport.

[6] Dans l'examen de l'historique de ce cabinet, il a pris en considération le fait qu'il n'existait aucun autre cabinet d'expertise comptable dans cette région. Ce cabinet d'expertise comptable privilégiait le genre d'affaires qu'apportent l'agriculture et l'élevage, ainsi que les petites entreprises. Le chiffre d'affaires avait augmenté en moyenne de 33 p. 100 par an pour les deux exercices se terminant le 30 juin 1991, passant de 103 260 $ à 123 925 $. M. Landry avait demandé à l'appelante ce qu'elle croyait que le cabinet pourrait réaliser comme chiffre d'affaires annuel, et celle-ci lui avait dit que le cabinet pourrait réaliser un chiffre d'affaires annuel de 250 000 $. Ce cabinet d'expertise comptable avait un taux de conservation de clients élevé et stable, ce qui laissait supposer une très bonne capacité de revente. M. Landry a utilisé un taux global de conservation de 105,6 p. 100.

[7] La méthode des bénéfices exceptionnels fournissait la meilleure preuve pour ce qui est de savoir où l'entreprise se situait à la date du transfert de l'actif. M. Landry avait également pris en considération le coût de direction de l'entreprise vu le besoin de rémunération d'un propriétaire, soit une rémunération de 37 000 $ par an. S'appuyant sur cette méthode, il avait conclu que la valeur du fonds commercial se situait entre 61 411 $ et 49 129 $.

[8] Il aurait fait certains ajustements si une société professionnelle avait été en place, car le taux d'imposition aurait été inférieur et, si l'acheteur avait eu un cabinet établi, les coûts indirects auraient été moins élevés.

[9] Il a déposé, sous la cote A-2, l'annexe F(A), où il tenait compte de la rémunération raisonnable d'un propriétaire, qu'il a fixée à 37 000 $ par année en se fondant sur les salaires versés en Alberta aux comptables accomplissant ce genre de travail. Dans la pièce A-2, il a calculé l'impôt sur les bénéfices exceptionnels à un taux de 19 p. 100 plutôt qu'au taux de 39 p. 100 figurant à l'annexe F de la pièce A-1. Ainsi, il a estimé que la valeur du fonds commercial se situait entre 52 397 $ et 65 918 $ plutôt qu'entre 49 129 $ et 61 411 $, qui étaient les chiffres figurant à l'annexe F de la pièce A-1.

[10] La thèse de M. Landry était qu'une personne ayant déjà un cabinet pourrait réaliser des économies en achetant ce cabinet-ci et que, s'il y avait plusieurs acheteurs, ils pourraient payer beaucoup plus que ce qui est indiqué à l'annexe F(A) de la pièce A-2.

[11] L'annexe G présente un calcul de la valeur du fonds commercial selon la méthode empirique. Dans ce calcul, M. Landry prenait en considération le chiffre d'affaires réalisé au 31 décembre 1991 et arrivait à une valeur de fonds commercial se situant entre 73 257 $ et 107 354 $ selon la méthode Guthrie-Bonnatyne.

[12] M. Landry avait tenu compte d'évaluations fondées sur les études du ICABC en matière de fonds commercial et il a admis que différentes interprétations pouvaient être données de l'annexe G selon les facteurs qu'il avait pris en considération. Dans son calcul, se fondant sur les études du ICABC en matière de fonds commercial, il avait pris en considération un facteur de conservation de 70 p. 100 pour l'ensemble des clients, ce qui, croyait-il, réglait la question des clients qui seraient perdus. Il était arrivé à une évaluation de 86 762 $ selon le facteur de conservation de 70 p. 100, et à une évaluation de 74 367 $ selon un facteur de conservation de 60 p. 100. Il avait également pris en considération les taux de conservation réels de ce cabinet. Il avait ensuite déduit 10 p. 100 pour les clients ayant été conservés par l'appelante tout particulièrement. Utilisant cette méthode, il avait conclu que la valeur se situait entre 86 415 $ et 98 810 $.

[13] Il avait également tenu compte de la méthode des bénéfices futurs, exposée à l'annexe H de la pièce A-1. À l'annexe H, il avait effectué des calculs sur la situation du cabinet à la date d'évaluation et il avait cherché à déterminer ce qui pourrait arriver ultérieurement. À l'annexe 1, ses calculs relatifs à la valeur du fonds commercial se fondaient sur une actualisation de flux de trésorerie futurs. Il a bel et bien admis avoir utilisé la déclaration de l'appelante selon laquelle le chiffre d'affaires pourrait ultérieurement atteindre 250 000 $ par année. Il a dit que, avec la méthode de l'actualisation des flux de trésorerie futurs, les chiffres pullulaient. De plus, les calculs relatifs aux bénéfices exceptionnels n'étayaient pas les autres calculs, mais M. Landry croyait que la méthode empirique pouvait être utilisée compte tenu des études du ICABC.

[14] M. Landry n'a pas pris en considération des acheteurs spéciaux. À la page 16 de son rapport, il concluait que la valeur du fonds commercial à la date en cause était, selon les différentes méthodes, la suivante :

1) méthode des bénéfices exceptionnels — valeur de 49 100 $ à 61 400 $;

2) méthode empirique — annexe F (A) de la pièce A-2 — valeur de 65 900 $ à 82 400 $;

3) méthode Guthrie-Bonnatyne — valeur de 73 300 $ à 107 300 $;

4) études du ICABC — valeur de 74 400 $ à 86 800 $;

5) méthode des taux réels de conservation des clients — valeur de 86 400 $ à 98 800 $;

6) méthode du chiffre d'affaires futur — valeur de 83 600 $ à 92 100 $;

7) méthode de l'actualisation des flux de trésorerie futurs — valeur de 117 600 $ à 147 500 $.

[15] M. Landry faisait valoir que la méthode la plus appropriée pour le calcul de la valeur était considérée comme étant la méthode empirique basée sur les études du ICABC.

[16] On a renvoyé M. Landry au rapport de l'intimée, et le témoin a dit qu'il avait examiné ce rapport. En ce qui le concernait, il n'y avait pas de grandes différences entre son propre rapport et celui de l'intimée pour ce qui est de la théorie, mais il y avait une différence plus marquée en ce qui a trait aux proportions. M. Landry et l'intimée étaient d'accord sur le fait que la méthode empirique était appropriée. Les deux avaient du mal à expliquer le résultat selon la méthode des bénéfices exceptionnels. En outre, M. Landry avait utilisé des chiffres au sujet des clients allant jusqu'à décembre 1991, tandis que l'intimée se fondait dans son rapport sur des chiffres allant jusqu'à juin 1991. M. Landry a dit qu'il y avait une grande différence concernant les clients. Il estimait qu'il y avait une ressemblance du point de vue de la théorie entre son rapport et celui de l'intimée. La différence tenait au poids attribué aux différents éléments.

[17] Pour arriver à sa conclusion, M. Landry avait examiné trois autres offres, visant l'achat d'autres cabinets, ainsi qu'une vente.

[18] En contre-interrogatoire, il a reconnu que les autres achats avaient été faits non pas au même endroit, mais dans d'autres parties de l'Alberta. La première et la troisième offres qu'il avait examinées avaient été faites dans de petites localités. Il y avait d'autres variables qui différenciaient ces régions de celle qui est en cause, mais il y avait aussi des différences pour ce qui est des taux de conservation des clients.

[19] M. Landry a reconnu que la pièce A-1 n'était qu'un rapport consultatif plutôt qu'une étude approfondie tenant compte de facteurs plus détaillés. Il s'était toutefois inspiré de théories, et ce n'était pas un travail bâclé. Il n'avait pas utilisé juin 1991 comme date, parce qu'il avait déterminé que la période la plus fiable était la période de six mois qui se rapprochait le plus de la date d'évaluation. Il avait utilisé décembre 1991.

[20] Il a admis que la méthode des bénéfices exceptionnels était encore la méthode privilégiée, mais Revenu Canada acceptait aussi la méthode empirique. La profession comptable acceptait la méthode empirique basée sur des faits concrets.

[21] Si M. Landry s'était fondé sur la méthode des bénéfices exceptionnels, son évaluation aurait été inférieure. La valeur se serait située entre 49 000 $ et 61 400 $ comme l'indique l'annexe F.

[22] En réponse à une question de la Cour, M. Landry a dit que le chiffre de 250 000 $ n'avait pas influé sur son calcul effectué selon la méthode empirique, car il avait extrait les facteurs d'autres régions. Dans la mesure où il s'en était servi, cela aurait été indiqué à l'annexe I. Il a admis que la question du temps et de l'argent avait été un facteur et que, s'il s'était agi pour lui de donner une opinion, il aurait examiné les facteurs d'une manière plus approfondie.

[23] L'appelante a témoigné qu'elle oeuvrait dans une région unique en son genre. Ses clients venaient de l'industrie pétrolière et gazière, de l'agriculture, de l'élevage et du tourisme. Il y avait eu une période de croissance dans le secteur des services. La région avait besoin d'une foule de services comptables.

[24] L'appelante avait porté son effectif de 1,5 à 3 et avait doublé sa quantité de matériel informatique. Son bureau était “ plein à craquer ”, et elle devait refuser des clients. Il était impossible de trouver de meilleurs bureaux. Elle était préoccupée au sujet de la qualité du produit qu'elle livrait, mais elle s'attendait à avoir réalisé une recette brute de 140 000 $ à la fin de décembre 1992. Elle avait choisi la période de 12 mois se terminant le 31 décembre 1992, soit la première année de la société, et elle avait utilisé le chiffre de 134 872 $.

[25] Au 31 décembre 1993, elle avait utilisé le chiffre de 142 350 $. Elle considérait qu'elle n'aurait pas à augmenter ses effectifs pour accroître ses honoraires. Ses honoraires augmentaient, et ils pouvaient encore augmenter. Elle estimait qu'il s'agissait d'une région spéciale à cette époque. Il n'y avait pas assez de services comptables offerts, ce qui ajoutait à la valeur de son entreprise. Elle avait fait des recherches en vue d'acheter d'autres entreprises, et ces dernières représentaient de 80 à 110 p. 100 du revenu brut selon la méthode empirique.

[26] En contre-interrogatoire, on lui a demandé quel était le fondement du chiffre d'affaires éventuel de 250 000 $. Elle a dit qu'elle avait à peine effleuré le secteur des services dans cette région. Toutes sortes de possibilités s'offraient à elles, et elle était réaliste. Ce montant était “ approximatif ”, mais avait été déterminé conformément à ce qu'elle avait connu par le passé et était fondé sur une commercialisation dynamique de ses services, soit une tâche qu'elle était disposée à accomplir. Il n'y avait à cet endroit aucun cabinet d'expertise comptable fixe. On n'y trouvait que deux cabinets satellites. En 1992, la situation était la même. Certains comptables agréés se présentaient sur une base journalière.

[27] Ronald M. Kavanaugh était comptable agréé; il avait une solide formation dans son domaine et avait suivi de nombreux cours complémentaires. Il était évaluateur principal en matière d'entreprise et en matière de sécurité pour Revenu Canada, Impôt, depuis 1992. Il avait énormément d'expérience en évaluation d'entreprise et en évaluation de sécurité. Tout cela est indiqué dans son curriculum vitæ, qui n'a pas été contesté.

[28] M. Kavanaugh a fait une évaluation du cabinet d'expertise comptable en cause en l'espèce. Son évaluation a été établie aux fins de la présente instance judiciaire. Une évaluation initiale avait été faite en 1996 par une autre personne, qui a quitté Revenu Canada et qui a dû être remplacée. M. Kavanaugh a produit la pièce R-2, soit son évaluation. Ses compétences ont été acceptées, et l'on a admis qu'il pouvait présenter un témoignage d'opinion dans son domaine de compétence.

[29] Son approche générale a consisté à déterminer la valeur du fonds commercial selon la méthode de la juste valeur marchande et non selon la méthode de la valeur sur le marché libre. Il faut donc grandement se fonder sur la définition donnée en common law de l'expression “ juste valeur marchande ”, définie dans le rapport de M. Kavanaugh.

[30] M. Kavanaugh a effectué des recherches de cas en matière de survaleur personnelle, mais, ce qui est en cause ici, c'est la valeur marchande du fonds commercial. Il a tenu compte de la méthode des bénéfices exceptionnels ainsi que des études de la Colombie-Britannique. Il a attribué un poids à chacune des différentes méthodes et a déterminé que la juste valeur marchande du fonds commercial de cette entreprise se situait au moment du transfert entre 21 000 $ et 32 000 $. Ses calculs sont fondés sur la clientèle au 31 décembre 1991 et sur le chiffre d'affaires à cette date.

[31] Une proportion de 67 p. 100 de tous les travaux de vérification de l'appelante correspondait à quatre clients. Ces travaux, a conclu M. Kavanaugh, étaient obtenus à contrat, année après année, de sorte qu'un acheteur potentiel attribuerait un risque supplémentaire à ce flux de trésorerie et réduirait la valeur de l'entreprise, compte tenu de ce risque. La thèse de M. Kavanaugh était qu'une entreprise fortement tributaire d'un nombre relativement restreint de clients vaudra moins en raison d'un risque plus grand de perdre d'un coup une source de revenus importante.

[32] Une proportion de 54 p. 100 des revenus de missions d'examen était assurée par six clients. M. Kavanaugh considérait que cela représentait un flux de revenus à risque élevé vu la dépendance à l'égard d'un nombre de clients aussi restreint. En outre, une proportion de 46 p. 100 du travail se fondait sur 28 clients, soit la norme dans ce secteur d'activité.

[33] Les deux clients en matière de missions de compilation représentaient 37 p. 100 de ce type de revenu. M. Kavanaugh estimait que c'était un ratio élevé et qu'un successeur réduirait nécessairement la valeur de ce flux de trésorerie compte tenu du risque qu'il prendrait.

[34] M. Kavanaugh a déterminé que les services d'établissement de déclarations d'impôt sur le revenu des particuliers étaient bien diversifiés, se répartissant entre 90 clients différents. Toutefois, sa thèse était que ces clients sont généralement très inconstants pour ce qui est de faire établir leur déclaration d'impôt et peuvent changer de praticien à peu près sans préavis, d'où un risque élevé de perdre également cette partie de la clientèle.

[35] M. Kavanaugh a fait valoir que les revenus de missions spéciales sont des honoraires qu'on obtient une seule fois ou peut-être deux fois. Un successeur ne paierait pas pour cette partie de la clientèle, bien que l'on puisse s'attendre à obtenir de telles recettes accessoires sur une base annuelle. Même en la présence d'arrangements en matière de continuité (ce qui n'était pas le cas en l'espèce), une perte doit nécessairement se produire au moment du transfert.

[36] Concernant les facteurs de croissance, M. Kavanaugh faisait valoir qu'un successeur ne serait pas disposé à payer pour des attentes de croissance exigeant qu'il fasse lui-même des efforts pour générer une telle croissance. Donc, la juste valeur marchande doit seulement tenir compte de la croissance résultant directement de l'actif en cause, soit la clientèle existant à la date de la vente.

[37] Même si le potentiel de croissance était aussi élevé que 250 000 $, comme l'a indiqué l'appelante, ce n'est pas un facteur à prendre en considération dans l'évaluation, car le résultat serait attribuable au travail de l'acheteur et non à celui du cédant.

[38] En outre, s'il y a une bonne possibilité de croissance des affaires dans la région, il est peu probable que quelqu'un d'autre paierait pour cela, car de telles personnes pourraient ouvrir leur propre entreprise. Par contre, s'il y a plus de concurrence, des personnes pourraient être disposées à payer pour une clientèle pouvant leur être transférée par le vendeur.

[39] Dans la présente espèce, ce qui est évalué, c'est la valeur marchande du fonds commercial transféré et non la valeur nette de l'actif ou la survaleur personnelle. En l'espèce, le fonds commercial transféré tient essentiellement à la liste de clients et peut-être aussi à la valeur organisationnelle de l'entreprise existante.

[40] L'évaluation doit se fonder sur un marché fictif et non sur le marché libre. M. Kavanaugh a reconnu que la juste valeur marchande était le point de référence approprié. L'évaluation doit être effectuée par rapport à des acheteurs éclairés. Il faut savoir comment la vente s'est réglée, comment elle peut être ramenée à une valeur en espèces. Parfois, on paie le fonds commercial en se fondant sur ce que seront les bénéfices après la vente. Pour que la valeur du fonds commercial corresponde à la valeur actuelle, il faut procéder à un ajustement de manière à tenir compte du montant du revenu pouvant ne pas être obtenu après la vente.

[41] De plus, on doit tenir compte de ce qui se passe sur le marché. Cela peut donner lieu à différentes interprétations, comme on peut le voir dans les études relatives à la Colombie-Britannique. On cherche à déterminer une valeur théorique (comme en l'espèce) qui soit le plus près possible de la valeur marchande. M. Kavanaugh avait intégré les résultats des études de marché. Il a fait valoir que la seule source pertinente du fonds commercial était la partie transférable et non la partie personnelle, c'est-à-dire les attributs personnels, l'expérience, la perspicacité du vendeur. Donc, les profits attribués à ces derniers éléments n'ont aucune valeur.

[42] En l'espèce, l'appelante travaillait à partir de Sundry. Elle se considérait comme étant la personne clé de l'entreprise. Elle travaillait de 50 à 65 heures par semaine. M. Kavanaugh a admis qu'il existe bel et bien une survaleur personnelle pour les cabinets d'expertise comptable et que le problème est de savoir comment quantifier cet élément. En outre, il faut considérer le taux de perte à la succession. Les clauses de non-concurrence sont très fréquentes en ce qui concerne les cabinets d'expertise comptable, mais M. Kavanaugh n'a dans la présente espèce accordé aucun poids à des clauses de continuité en matière de gestion ou à des clauses de non-concurrence. Si certaines clauses étaient applicables, l'acheteur aurait à verser une somme supplémentaire à leur égard. Le taux de perte est intégré aux trois modèles que ce témoin a utilisés dans l'établissement de son rapport. La méthode des bénéfices exceptionnels doit nécessairement avoir un poids important, et M. Kavanaugh y a attribué 50 p. 100.

[43] Dans le modèle, il faut prendre en considération la situation d'un vendeur non présent dans l'entreprise et prendre en considération ce que l'appelante générait pour l'entreprise pendant qu'elle était là. Il n'est pas réaliste de s'en tenir simplement à une donnée statistique et d'utiliser ce facteur sans aucun ajustement. On doit prendre en considération certains des facteurs qui se rapportent tout particulièrement à l'appelante. Ici, M. Kavanaugh a utilisé 50 000 $ comme montant que l'appelante aurait à payer à quelqu'un d'autre pour la gestion de l'entreprise.

[44] M. Kavanaugh a également considéré le fait que le nombre d'heures consacré par l'appelante à l'entreprise s'inscrivait dans une période de construction, ce qui était important et ce dont il a tenu compte dans ses calculs.

[45] En ce qui a trait à l'impôt sur le revenu, sa thèse était que cela devait être pris en considération dans l'examen du modèle des bénéfices exceptionnels. Le comptable de l'appelante a effectué un ajustement en ramenant le taux d'imposition de 39 à 29 p. 100, alors que ce témoin croyait que le taux qu'il convenait d'utiliser était de 39 p. 100.

[46] Sa thèse était qu'un évaluateur estimerait les bénéfices non seulement selon le taux d'imposition des sociétés, mais également par rapport à tout ce qui résulte d'une distribution de fonds de la société. Si un particulier ou un petit cabinet d'expertise comptable était l'acquéreur, il y aurait des avantages fiscaux, de sorte que le taux pourrait se situer entre 19 et 35 p. 100, selon le marché de l'acheteur potentiel. S'il y avait à la fois un petit cabinet et une société sur le marché, un taux de 19 à 39 p. 100 serait approprié. Il était inexact d'indiquer qu'un taux de seulement 19 p. 100 était applicable. Tout acheteur aurait à payer de l'impôt une fois l'argent décaissé. En l'espèce, il était plus probable que l'acheteur soit un particulier plutôt qu'un cabinet comptant plus de deux ou trois personnes. Dans le modèle des bénéfices exceptionnels, un taux de 30 à 39 p. 100 serait approprié, car quiconque prendrait en considération les conséquences fiscales.

[47] La différence entre les calculs de M. Landry et ceux de M. Kavanaugh pour ce qui est des bénéfices exceptionnels tenait aux taux de capitalisation. M. Landry a utilisé des multiplicateurs de quatre à cinq, tandis que M. Kavanaugh a utilisé des multiplicateurs de trois à quatre. Le taux de capitalisation que M. Kavanaugh a utilisé était un taux de 25 à 33 p. 100 pour la période de cinq à dix ans, selon les taux des obligations de la Banque du Canada, qui ne comportaient aucun risque. Le nombre d'années de bénéfices nets qu'un praticien paierait pour obtenir cet actif était de deux à trois, tandis que M. Landry avait utilisé un nombre d'années se situant entre trois et cinq. M. Kavanaugh a considéré des facteurs de risque qui ne sont pas considérés dans l'étude de M. Landry. Pour un petit cabinet de cette taille, une prime de risque supplémentaire de 15 à 20 p. 100 se rattacherait à cette entreprise, compte tenu de la composition de sa clientèle. De plus, pour utiliser des études de manière appropriée dans la détermination du modèle, il faut prendre en considération diverses clauses restrictives lorsque les paiements relatifs au fonds commercial sont basés sur l'historique du chiffre d'affaires.

[48] Au sujet de l'annexe 2, feuille 1, ce témoin a dit qu'il avait choisi les divers facteurs qui devaient être pris en considération dans le calcul de la valeur et non du prix. Le taux de réduction doit refléter la composition de la clientèle ainsi que d'autres risques connexes. À l'annexe 3, feuille 1, il a calculé la valeur du fonds commercial selon des facturations futures brutes rajustées, conformément à l'étude du ICABC pour 1992. Sa thèse était que l'on s'attendrait probablement à un paiement sur une période de quatre ans et que le facteur pourrait représenter 71 p. 100 d'honoraires facturables réalisables, compte tenu d'autres facteurs également.

[49] Sur les trois modèles relevés, il estimait que le modèle de capitalisation des bénéfices exceptionnels était le plus approprié. Donc, il avait attribué un poids de 50 p. 100 au modèle des bénéfices exceptionnels et un poids de 50 p. 100 aux deux autres modèles réunis. Se fondant sur les poids ainsi attribués, il a conclu que la juste valeur marchande du fonds commercial était de 21 000 $ à 32 000 $. Il a choisi la valeur médiane de ces deux calculs et est arrivé à un montant de 26 500 $ comme juste valeur marchande du fonds commercial au moment de la vente.

[50] Ce témoin a commenté les effets de l'utilisation de la date du 30 juin 1991 concernant les facturations au lieu de la date du 31 décembre 1991 choisie par M. Landry. Il a admis que les chiffres qu'il avait employés n'étaient pas aussi à jour que ceux de M. Landry, mais il a dit que l'effet pour une période de six mois serait très minime et qu'il faudrait des preuves de changements très importants concernant les bénéfices pour que cet effet ait quelque importance.

[51] Dans ses calculs, il a bel et bien mentionné la composition de la clientèle au 31 décembre 1991, mais les chiffres qu'il a utilisés étaient ceux du 30 juin 1991. Un accroissement de 23 000 $ sur cette période ferait augmenter ses calculs, mais il n'utiliserait pas les travaux en cours en fin d'exercice. Donc, il y avait une différence d'environ 13 000 $ entre les chiffres qu'il a utilisés et ceux de M. Landry. Utilisant ces chiffres, il arriverait à une valeur de 28 000 $ à 36 000 $ plutôt que de 21 441 $ à 31 758 $.

[52] Il n'a pas tenu compte du facteur de l'acheteur spécial, car aucune preuve n'indiquait l'existence d'un acheteur spécial qui était intéressé à une date particulière ou qui l'aurait été. Donc, des facteurs spéciaux ne pouvaient être comptabilisés. Dans le domaine de l'évaluation, personne ne reconnaîtrait l'achat du cabinet à un prix représentant trois fois le chiffre d'affaires. Le taux d'imposition de 39 p. 100 était approprié, et ce témoin estimait que l'entreprise serait fort probablement achetée par une seule personne. Il y avait beaucoup de place pour de nouveaux intéressés dans la région, et passablement de travail comptable en vue. Ce témoin a utilisé un taux d'actualisation de 12 p. 100 relativement à toutes sommes pouvant revenir au vendeur. M. Landry a utilisé un taux d'actualisation de 7 p. 100 seulement. Toutefois, un taux de rendement hors risque est considéré comme étant de 8,5 p. 100. Donc, M. Landry a utilisé un taux inférieur de 1,5 p. 100 au taux hors risque, ce qui était inapproprié.

[53] Dans son interprétation des études du ICABC, M. Kavanaugh a pris en considération le risque associé à l'entreprise, tandis que M. Landry n'a effectué aucun ajustement par rapport à la composition de la clientèle ou au type de travail accompli par l'entreprise. Le taux de perte à la succession utilisé par M. Landry était inférieur à celui que M. Kavanaugh a utilisé. Ce dernier a utilisé un taux de 10 à 15 p. 100, tandis que M. Landry a utilisé un taux de 5 à 10 p. 100. M. Kavanaugh a dit qu'il était nécessaire de considérer la jurisprudence à ce jour concernant les différents modèles, et qu'il l'avait fait en détail.

[54] En contre-interrogatoire, ce témoin a dit qu'il n'était pas allé à Sunbury et que, toutefois, il avait reçu la liste de clients et les informations utilisées par l'évaluateur initial et s'était également servi de l'annexe de M. Landry concernant les clients et les différents types d'honoraires qu'ils généraient. L'existence d'un seul et unique client important représente un risque beaucoup plus grand que l'existence d'un certain nombre de clients.

[55] Ce témoin a été interrogé au sujet de la méthode utilisée pour quantifier la survaleur personnelle. Il a dit qu'il avait tenu compte de la perte à la succession qu'un acheteur subirait. D'après son expérience, un taux de 10 à 15 p. 100 était un taux raisonnable à attribuer à la survaleur personnelle si le propriétaire quittait le cabinet. Cependant, il n'a pas analysé quels clients l'entreprise perdrait, malgré le fait qu'il y aurait une perte à la succession. Il n'avait jamais connu personne qui ait considéré les choses autrement.

[56] Les travaux en cours ne doivent pas être inclus. M. Landry aurait dû déduire cet élément de ses calculs. Le chiffre auquel il est arrivé était trop élevé. Des travaux en cours, ce n'est pas la même chose que des travaux terminés. Donc, l'importance attribuée à cet élément, pour ce qui est de la valeur, était différente. Le degré de risque associé à cet élément pourrait aussi être plus élevé. M. Kavanaugh considérait que c'étaient des éléments recouvrables mais pas des créances. C'était une source de valeur, mais il faut veiller à cela que ce ne soit pas compté en double. Encore là, il n'estimait pas que le fait d'utiliser comme base la période de six mois se terminant le 30 juin 1991 ou la période de 12 mois se terminant le 31 décembre 1991 ferait une grande différence pour ce qui est du facteur de croissance.

[57] On lui a demandé pourquoi il n'avait pas inclus dans sa période de calcul le chiffre figurant à l'annexe B, l'état des résultats. Il a répondu que “ c'était peut-être un oubli ”. On l'a renvoyé à la page 14 de son rapport, où il considérait le fait que la personne clé de l'entreprise travaillait de 60 à 72 heures par semaine à la date d'évaluation. Il a dit que ces chiffres étaient mentionnés dans le rapport initial et qu'il avait également utilisé le document de travail du 29 mai 1995, qui disait que Mme Elliott avait indiqué qu'elle travaillait de 60 à 72 heures par semaine. Il a répété que le modificateur de 3 était raisonnable dans le multiple du modèle du chiffre d'affaires brut.

[58] Il a été interrogé au sujet de l'annexe 1, feuille 1, où il avait utilisé -50 000 $ à -45 000 $ comme ajustement de rémunération pour praticien absent. Il a dit que cela se fondait sur des statistiques et tenait compte du statut de gestionnaire clé de l'appelante et d'autres facteurs en matière de gestion.

Arguments de l'intimée

[59] Dans sa plaidoirie, l'avocate de l'intimée soutenait que le principal point litigieux en l'espèce était l'évaluation de l'actif transféré, soit le fonds commercial. Il y a une divergence d'opinions à cet égard. Il y a deux différents types de rapports. L'un, présenté pour le compte de l'appelante, n'est qu'un rapport consultatif, tandis que l'autre, présenté pour le compte de l'intimée, est un rapport d'évaluation, établi par un évaluateur compétent. M. Landry lui-même attestait le caractère consultatif de son rapport au paragraphe 1.5 de celui-ci. Il a admis que ce type de rapport n'était pas aussi détaillé, sans être bâclé pour autant. Il y avait également une différence dans l'utilisation du modèle faite par les deux évaluateurs. M. Landry a utilisé la méthode empirique, qu'il estimait être la plus appropriée, mais il a admis que la méthode des bénéfices exceptionnels était la méthode la plus usitée dans ce secteur d'activité. Il a également convenu que la méthode des bénéfices exceptionnels (si l'on utilisait les chiffres de la pièce A-2) rapprochait davantage les parties du pourcentage approprié à utiliser aux fins du calcul de l'impôt sur les bénéfices exceptionnels. M. Landry a utilisé un taux de 19 p. 100, soit le taux le plus bas de la fourchette.

[60] Dans l'évaluation qu'il a présentée pour le compte de l'intimée, M. Kavanaugh utilisait une combinaison des diverses méthodes, attribuant un poids à chaque modèle. Donc, bien qu'il ait obtenu un chiffre plus bas en utilisant la méthode des bénéfices exceptionnels, cela n'a pas été augmenté, car il a utilisé une combinaison des trois méthodes.

[61] L'avocate faisait remarquer que, dans la réponse à l'avis d'appel, au paragraphe 10-I, la juste valeur marchande du fonds commercial transféré par l'appelante à la société était indiquée comme étant d'au plus 32 000 $. Cela se situe dans la tranche supérieure de la fourchette de 28 000 $ à 36 000 $, obtenue en utilisant les données du 31 décembre 1991. Cependant, la tranche révisée signifie-t-elle que l'appelante a démontré que c'était plus que 32 000 $, soit la moyenne utilisée par le ministre dans l'hypothèse?

[62] L'avocate a mentionné le manque de concurrence sur le marché. Sa thèse était qu'il s'agissait là d'un facteur à la fois positif et négatif relativement à la période d'évaluation. M. Kavanaugh a procédé à une déduction à l'égard de la survaleur personnelle, car l'appelante travaillait elle-même très fort à l'entreprise et, une fois l'appelante partie, cette survaleur s'en irait avec elle. L'analyse de M. Kavanaugh est raisonnable. Si l'appelante quittait l'entreprise, son départ représenterait une perte considérable. Cela n'a pas été pris en considération dans le rapport de M. Landry.

[63] Le taux d'actualisation de 12 p. 100 utilisé par M. Kavanaugh tenait compte du taux hors risque de 8,5 p. 100. Il serait déraisonnable de considérer un taux d'actualisation relatif à un cabinet professionnel comme étant inférieur au taux hors risque. M. Landry a utilisé un taux de 7 p. 100. C'était déraisonnable.

[64] M. Landry a dit qu'il n'avait pas utilisé le montant de 250 000 $, soit les bénéfices éventuels prévus pour cette entreprise, mais cette projection doit avoir influencé M. Landry dans l'estimation de la valeur du cabinet, de sorte que les valeurs que M. Landry a déterminées étaient présentées sous le jour le plus favorable possible du point de vue de l'entreprise, et ce, dans une mesure déraisonnable.

[65] Pour ce qui est des deux opinions, celle de M. Kavanaugh était plus raisonnable et devrait être acceptée par la Cour.

Arguments de l'appelante

[66] L'appelante soutenait que M. Kavanaugh avait dit que M. Landry avait intégré des synergies à son opinion, mais tel n'est pas le cas. On n'a pas permis que ces facteurs soient présentés en preuve devant la Cour.

[67] Le rapport de M. Kavanaugh est erroné. M. Kavanaugh a utilisé les mauvais chiffres bruts et nets. Il a utilisé les mauvaises proportions, notamment pour ce qui est des honoraires de gestion de 50 000 $.

[68] L'appelante soutenait que M. Landry avait utilisé trois méthodes, y compris la méthode empirique. Les calculs arrivent à des chiffres bruts se situant entre 60 et 70 p. 100. La thèse de l'appelante était que le marché utilise un mode de calcul basé sur les bénéfices bruts. Le rapport de M. Landry doit prévaloir. L'appel devrait être accueilli, avec frais.

Analyse et décision

[69] Dans la présente espèce, la Cour est aux prises avec deux opinions qui, bien que n'étant pas nécessairement complètement contradictoires, présentaient des écarts importants relativement à la juste valeur marchande du “ fonds commercial ”, soit la question litigieuse en l'espèce. De l'avis de M. Landry, qui a établi l'évaluation pour l'appelante, la juste valeur marchande du fonds commercial était de 74 000 $ à 87 000 $, et M. Landry privilégiait le montant le plus élevé de cette fourchette, soit 87 000 $, car il avait conclu que tous les calculs effectués pour tester la validité de la méthode principale donnaient quant à la valeur des fourchettes encore plus élevées que celle-là. De son côté, M. Kavanaugh, qui a établi l'évaluation pour le compte de l'intimée, avait estimé que la juste valeur marchande du fonds commercial du cabinet détenu par l'appelante comme comptable indépendante était, au 12 janvier 1992, de 21 000 $ à 32 000 $, et il avait choisi la valeur médiane, soit 26 500 $, comme étant la valeur appropriée. Ce montant est en fait inférieur à celui de l'hypothèse formulée dans la réponse à l'avis d'appel, où le ministre utilisait le chiffre de 32 000 $.

[70] Ces deux évaluateurs semblent avoir une bonne formation et être compétents et capables. Les deux semblent avoir utilisé des modes de calcul conformes aux méthodes utilisées sur le marché et aux études effectuées à cet égard, et ils ont tous deux tenu compte de la méthode empirique. Dans ces circonstances, on peut se demander comment deux évaluateurs compétents peuvent en arriver à une aussi grande divergence d'opinions pour ce qui est de la juste valeur marchande du “ fonds commercial ” à l'époque pertinente.

[71] Toutefois, quand la Cour considère l'ensemble de la preuve présentée, ainsi que les arguments de l'avocate, il devient évident qu'il y a des raisons à cette grande divergence d'opinions. Certains des facteurs conduisant à cette divergence d'opinions sont plus importants que d'autres.

[72] Sur la foi de la preuve, il est indubitable que l'opinion de Ronald M. Kavanaugh est plus détaillée et tient compte de certains facteurs pertinents qui n'ont manifestement pas été pris en considération dans le rapport de M. Landry, ce que ce dernier a admis au cours de son témoignage.

[73] Dans le rapport de M. Landry, à la page 3, les limites du rapport sont énoncées par l'auteur lui-même quand il dit : “ [traduction] selon l'information dont je disposais aux fins restreintes de mon examen, les calculs ci-joints indiquent que la juste valeur marchande estimative du fonds commercial se situe entre 74 000 $ et 87 000 $. ” En outre, dans son témoignage devant la Cour, il a confirmé qu'il ne s'agissait que d'un rapport consultatif. Il a admis qu'il n'avait pas pris en considération certains facteurs qui pourraient l'être s'il s'agissait de donner une opinion. Il ne donnait donc pas une opinion : il ne déposait qu'un rapport consultatif. De plus, il s'est essentiellement fondé sur la méthode empirique comme étant la meilleure méthode; il s'est en fait trop fié à cette méthode.

[74] La Cour est convaincue que ce n'était pas la meilleure méthode pour déterminer la juste valeur marchande du fonds commercial en l'espèce. La Cour est convaincue que la méthode empirique a sa place et que, toutefois, les autres méthodes auraient dû se voir attribuer plus de poids dans les calculs de M. Landry. Dans cette mesure, la méthodologie utilisée par M. Kavanaugh dans l'attribution de poids appropriés aux différentes méthodes convenait davantage et était plus exacte.

[75] En outre, la Cour est convaincue que M. Landry a attribué un poids considérable à l'information de l'appelante selon laquelle le cabinet pourrait générer jusqu'à 250 000 $ de revenus si cette dernière décidait de consacrer son énergie à l'entreprise. Pourtant, l'appelante consacrait de 60 à 72 heures par semaine à l'entreprise d'après le témoignage présenté; on voit difficilement comment elle aurait pu consacrer beaucoup plus d'heures à cette entreprise pour générer plus de revenus et, en fait, aucune preuve n'étaye ce chiffre. Au mieux, ce chiffre ne représente qu'une projection relativement optimiste, et on n'aurait pas dû trop en tenir compte. Cela ne veut pas dire que l'on aurait dû n'en tenir aucunement compte, mais, si l'on devait augmenter le montant du revenu, il faudrait consacrer à l'entreprise plus d'énergie qu'avant. La Cour est toutefois convaincue que l'état du marché au moment de la vente était assurément un facteur pertinent.

[76] De plus, M. Landry a dit qu'il n'avait pas présenté d'écarts dans le rapport pour indiquer les différences pouvant exister en cours de route.

[77] La Cour est convaincue que M. Landry a accordé trop de poids à la transférabilité du fonds commercial pouvant avoir existé au moment du transfert. Elle est convaincue qu'une partie de ce fonds commercial pouvait être transférée, mais pas l'ensemble et pas une aussi grande partie que le croyait cet évaluateur.

[78] La Cour est en outre convaincue que M. Landry a été trop généreux en comptabilisant comme base de l'évaluation le fait que, sur le marché, quelqu'un paierait trois fois le chiffre d'affaires annuel, et elle est d'accord sur le témoignage de M. Kavanaugh selon lequel aucun évaluateur ne serait aussi généreux.

[79] De plus, la Cour est convaincue que M. Landry n'a pas convenablement tenu compte du type de cabinet qui existait, notamment le risque élevé de non-conservation de clients vu le type particulier de clients conservés jusque-là. D'après les calculs de M. Kavanaugh, les recettes de missions de vérification provenaient de quatre clients, dont l'un représentait 67 p. 100 de cette source de revenu. En outre, cette source de travail était obtenue à contrat année après année, de sorte que le risque que cela puisse ne pas continuer après une vente était grand. La Cour est convaincue que M. Landry n'a pas bien tenu compte du fait qu'un acheteur potentiel pourrait attribuer un risque supplémentaire à ce flux de recettes et réduire en conséquence la valeur de l'entreprise. De plus, 54 p. 100 des recettes de missions d'examen étaient assurées par six clients. Ces clients aussi doivent être assimilés à un flux de recettes à risque élevé, ce qui n'a pas été bien pris en considération par M. Landry. De même, en ce qui a trait aux clients pour qui étaient faites des missions de compilation, deux d'entre eux représentaient 37 p. 100 de ce type de recettes. Encore là, cela représentait un facteur de risque élevé qui n'a pas été bien pris en considération dans les calculs de M. Landry.

[80] La Cour est convaincue que M. Landry a omis de bien prendre en considération le salaire raisonnable qui devrait être versé à quelqu'un d'autre pour la gestion de l'entreprise en l'absence de l'appelante, qui remplissait cette fonction avant la vente de l'entreprise. Le montant de 45 000 $ à 50 000 $ utilisé dans le rapport de M. Kavanaugh ne semblerait pas être déraisonnable, et aucun élément de preuve n'indique qu'il l'était. De plus, la Cour est convaincue que les déductions de M. Landry relativement à l'impôt sur le revenu dans le modèle des bénéfices exceptionnels étaient trop faibles. M. Landry a utilisé comme taux 29 p. 100 plutôt que 39 p. 100, et la Cour est convaincue que le taux de 39 p. 100 serait davantage applicable dans la situation de fait particulière qui existait en l'espèce. La Cour tient compte du fait qu'il était plus que probable qu'un particulier, plutôt qu'un certain nombre de particuliers ou qu'une société existante, achète cet actif. La Cour ne voit rien de fautif dans les calculs de M. Kavanaugh, selon qui, dans le modèle des bénéfices exceptionnels, un taux de 30 à 39 p. 100 serait approprié relativement aux conséquences fiscales.

[81] La Cour est également convaincue que M. Landry a utilisé un taux d'actualisation inapproprié, 7 p. 100, soit un taux inférieur de 1,5 p. 100 au taux hors risque, qui était de 8,5 p. 100 d'après les études. La Cour est convaincue que le taux d'actualisation de 12 p. 100 utilisé par M. Kavanaugh est plus approprié.

[82] Ce sont là quelques-unes des lacunes du rapport préliminaire de M. Landry. Cependant, cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas également des lacunes dans le rapport de M. Kavanaugh, mais ces lacunes n'étaient pas aussi graves ni aussi nombreuses que celles du rapport de M. Landry.

[83] Par suite du contre-interrogatoire et de l'argumentation de l'appelante, la Cour est convaincue que les lacunes ont une certaine importance et qu'elles influent bel et bien sur l'estimation finale du fonds commercial en l'espèce, soit une estimation dont la Cour doit décider.

[84] La Cour est convaincue que M. Kavanaugh était en droit de considérer, en arrivant à son évaluation finale, le type de cabinet que l'appelante exploitait et le type de clientèle qu'elle servait, ainsi que les facturations totales correspondant à chaque client et le pourcentage des facturations totales se rapportant à chaque type de missions. Cependant, la Cour est convaincue que M. Kavanaugh a attribué un trop grand risque au taux de conservation des clients pour qui étaient effectuées des missions de vérification, d'examen et de compilation. M. Kavanaugh soutenait qu'une entreprise “ [traduction] fortement tributaire d'un nombre relativement restreint de clients vaudra moins en raison d'un risque plus grand de perdre d'un coup une source de revenus importante ”. La Cour est convaincue que M. Kavanaugh a accordé trop d'importance au risque associé à cette partie de la clientèle de l'appelante et qu'il a donc trop diminué la valeur.

[85] De plus, la Cour est convaincue que M. Kavanaugh a attribué un taux trop élevé à la survaleur personnelle de l'appelante, soit un élément qui disparaîtrait quand l'appelante quitterait l'entreprise. Cela a influé dans une certaine mesure sur cette évaluation. M. Kavanaugh a lui-même témoigné qu'il n'avait pas analysé la question de savoir quels clients l'entreprise perdrait, ce qui est une lacune de son rapport.

[86] M. Kavanaugh n'a pas inclus les travaux en cours dans ses calculs. Il estimait que ces travaux n'étaient pas assimilables à des travaux terminés et que le poids à y attribuer relativement à la valeur pourrait être différent du poids à attribuer à des travaux achevés. Toutefois, la Cour peut assurément voir pourquoi des acheteurs potentiels tiendraient compte de la valeur des travaux en cours, comme points de repère pour ce qui est de savoir ce que faisait le cabinet, et pourraient très bien y accorder une certaine importance. Donc, le traitement de cet aspect de l'entreprise, par M. Kavanaugh, laissait à désirer.

[87] La Cour est convaincue que l'approche de M. Landry concernant l'utilisation de la période de douze mois se terminant le 31 décembre 1992 était meilleure que l'approche utilisée dans l'évaluation faite pour le compte de l'intimée. L'intimée a utilisé la période de six mois se terminant le 30 juin 1991, et la Cour est convaincue que, de ce fait, la valeur du fonds commercial calculée par M. Kavanaugh était un peu inférieure à la juste valeur marchande à l'époque pertinente. M. Kavanaugh a admis dans son témoignage qu'il n'avait probablement pas considéré l'annexe B de la pièce A-1, soit les états des résultats pour la fin d'exercice du 31 décembre 1991, et que c'était probablement là un oubli. Cela indiquerait qu'il y avait une certaine importance à accorder à ces chiffres, et la Cour est convaincue qu'un examen approprié de ces chiffres aurait conduit à une évaluation différente dans le cas de l'évaluateur de l'intimée. En fait, au cours du contre-interrogatoire de ce témoin, celui-ci a reconnu que la tranche supérieure de la fourchette serait de 36 000 $. La fourchette irait de 28 000 $ à 36 000 $ et non de 21 441 $ à 31 758 $ comme l'indiquait le rapport.

[88] La Cour est également convaincue que, dans son rapport, M. Kavanaugh a minimisé l'importance du cabinet établi et de la clientèle constituée. Il est vrai que la preuve indiquait que le marché était très ouvert et qu'une personne désireuse d'établir une entreprise pourrait très bien créer un nouveau cabinet au lieu d'acheter un cabinet existant, mais il est également raisonnable de conclure qu'il y avait d'autres acheteurs potentiels pouvant être désireux d'acquérir l'entreprise existante de l'appelante au lieu de partir de zéro en créant un tout nouveau cabinet.

[89] Dans ces circonstances, vu l'ensemble de la preuve et vu les lacunes des deux rapports, la Cour est convaincue que l'appelante a établi selon la prépondérance des probabilités que la valeur du fonds commercial à la date pertinente était supérieure au montant de 32 000 $ sur lequel le ministre s'est fondé dans la cotisation, mais elle n'était pas aussi élevée que le prétendait l'appelante. La Cour est convaincue que le montant de 42 000 $ représente une valeur raisonnable du fonds commercial du cabinet à l'époque pertinente.

[90] L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu de la conclusion de la Cour selon laquelle la juste valeur marchande du fonds commercial du cabinet d'expertise comptable était de 42 000 $ au moment du transfert.

[91] Dans les circonstances, il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de septembre 1999.

“ T. E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 21e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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