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Date: 20000814

Dossier: 1999-1186-IT-I

ENTRE :

OLDRICH SCHMUTTERMEIER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Représentant de l'appelant : Oldrich Schmuttermeier père

Avocat de l'intimée : Me Bobby Sood

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Toronto (Ontario) le 25 mai 2000)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Durant la période pertinente, l'appelant, Oldrich Schmuttermeier fils, était employé comme machiniste et monteur d'aéronefs à la société de Havilland à Toronto. À temps perdu, le soir et la fin de semaine, il exploitait, prétend-il, une entreprise consistant à s'occuper de moteurs de motocyclettes.

[2] La question que je dois trancher est de savoir s'il exploitait ou non une entreprise, car, dans ses déclarations de revenu pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995, il a déduit de son revenu provenant de la société de Havilland les sommes suivantes, qui, prétend-il, représentaient des pertes d'entreprise qu'il avait subies. Les sommes en question sont de 33 736 $ pour l'année d'imposition 1993, de 3 186,28 $ pour l'année d'imposition 1994 et de 11 934,90 $ pour l'année d'imposition 1995.

[3] La Couronne soutient qu'il n'y avait aucune entreprise et que, s'il y en avait une, il n'existait aucune attente raisonnable de profit; elle soutient en outre — bien que ce ne soit pas plaidé dans les actes de procédure — que les dépenses ayant donné lieu à ces pertes n'étaient pas raisonnables et devraient être refusées en vertu de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je dois dire que la preuve était très vague quant à la nature de l'entreprise. L'avis d'appel dit que l'entreprise consiste à réusiner et à remettre en état des moteurs de motocyclettes ainsi qu'à effectuer des réglages de précision, tout cela au sein de l'industrie du motocross. Il y est ajouté qu'en hiver le travail porte sur des motoneiges.

[4] Oldrich Schmuttermeier père a comparu comme représentant de l'appelant. J'ai d'abord entendu le témoignage de M. Paul Snider, qui se décrivait comme spécialiste en déclarations de revenus; c'est lui qui a établi les états de pertes annexés aux trois déclarations de revenus pour les trois années en question. M. Snider a dit bien franchement dans son témoignage qu'il avait établi ces documents en se fondant en partie sur des factures de ventes et des reçus qui lui avaient été fournis et en partie sur de l'information qui lui avait été communiquée par l'appelant ou le père de ce dernier.

[5] Je remarque que dans l'état de perte nette pour la première année en cause, 1993, il semble évident — et M. Snider l'a reconnu dans son témoignage — qu'un montant de 3 038 $ a été déduit deux fois, c'est-à-dire une fois au titre d'achats dans le calcul du coût de ventes et une fois comme charge d'exploitation. Je considère qu'il s'agit d'une erreur — involontaire — de la part de M. Snider, ce que ce dernier a admis de bon gré lorsque cela lui a été mentionné. Dans mon esprit, cette erreur particulière ne tire pas à conséquence, sauf qu'évidemment, si l'appelant avait par ailleurs entièrement gain de cause, la perte pour 1993 devrait être réduite en conséquence.

[6] En réponse à une question que je lui ai posée, M. Snider a dit qu'on lui avait fourni pour les années en question diverses factures de ventes et divers reçus à partir desquels il avait travaillé et que, toutefois, aucun livre comptable n'était tenu pour cette entreprise. Étant donné que toute cette information venait directement de l'appelant ou du père de celui-ci, le témoignage de M. Snider n'est pas particulièrement utile.

[7] J'ai ensuite entendu le témoignage d'Oldrich Schmuttermeier père. Ce dernier est à la retraite depuis plusieurs années; il vit d'une pension et habite dans une maison qui lui appartient et que jouxte une espèce d'atelier d'usinage non chauffé mais adéquat, à ce que je comprends, pour du travail de mécanique, y compris pour l'usinage de pièces et d'autres travaux semblables relatifs à des moteurs de voitures et de motocyclettes. M. Schmuttermeier père semble également connaître jusqu'à un certain point ce type de travail. Il a témoigné que son intention était d'aider son fils à monter une affaire et que, à ce que j'ai compris, le but final était que son fils puisse un jour quitter son emploi à la société de Havilland et vivre de cette entreprise. Il m'a dit en outre qu'il avait acheté beaucoup de machines et d'outillage, d'une valeur d'environ 130 000 $. D'après sa description, l'activité incluait du travail portant sur des voitures, mais on ne m'a pas présenté un témoignage bien précis au sujet de ce travail. Il m'a également dit qu'en 1991 lui et deux mécaniciens, à ce que j'ai compris, étaient partis pour les courses de motocyclettes de Daytona, en Floride, avec quatre motocyclettes — deux dans une camionnette et, à ce que je comprends, deux sur le toit — et une quantité considérable d'outils, d'équipement et de pièces. Ils ont eu un accident, et l'une des motocyclettes, d'une valeur de 40 000 $ US, à ce qu'il disait, a été sérieusement endommagée, et les outils, l'équipement et les pièces ou bon nombre de ces articles ont été perdus par suite de l'accident. Il estimait la perte résultant de l'accident à 130 000 $ au total.

[8] Il m'a également affirmé que les travaux dont il est dit en l'espèce qu'ils représentent une entreprise étaient accomplis à l'atelier adjacent à sa maison, que lui-même, n'exerçant pas d'emploi, s'en occupait quotidiennement presque toute la journée et qu'il faisait cela gratuitement pour aider son fils à monter son entreprise. Son fils s'en occupait de la fin de l'après-midi jusqu'en soirée la plupart des jours de la semaine, a-t-il dit, et toute la journée la fin de semaine. Je crois comprendre que ni l'un ni l'autre n'a déjà retiré de l'argent de l'entreprise sous forme de salaire ou autre, et il est en fait difficile de voir comment ils auraient pu le faire, vu la longue succession de pertes qui ont été déclarées au ministre du Revenu national. J'y reviendrai sous peu.

[9] L'appelant, qui a également témoigné et qui a confirmé la déposition de son père, a dit qu'il était passionné de moto depuis le début des années 1980 et que cette passion, si je comprends bien, avait débouché sur l'activité maintenant présentée comme étant une entreprise. Il a dit qu'il pilote des voitures et des motocyclettes depuis 1980 à peu près et qu'il s'est lancé dans cette prétendue entreprise vers 1986. Je note que l'adresse de l'entreprise indiquée au haut de l'état établi par M. Snider correspond à celle de l'appelant (chemin Battleford, Mississauga), alors que le travail était en fait accompli chez le père de l'appelant, au 42, avenue Algie, à Etobicoke.

[10] Au cours de son témoignage, l'appelant a dit qu'il avait effectivement subi une succession de pertes en raison de cette activité depuis le début. Il avait déclaré une perte de 8 873 $ pour la première année, 1987, puis une perte de 7 804 $ pour 1988, une perte de 13 175 $ pour 1989, une perte de 20 725 $ pour 1990, une perte de 18 441 $ pour 1991 et une perte de 20 857 $ pour 1992. Comme je l'ai dit précédemment, le montant déduit pour 1993 était de 33 736 $ et, vu cette succession de pertes, on peut se demander pourquoi la perte déduite pour 1994 n'était que de 3 186 $. La réponse qu'indique la preuve est que, de l'aveu de l'appelant et de son père, aucune activité d'entreprise n'a été exercée cette année-là.

[11] Le père de l'appelant a apparemment été à l'étranger pendant cinq mois en 1993 et pendant deux mois en 1994. Ainsi, il n'y a eu cette année-là aucune vente, aucun revenu brut, et en établissant un état de perte M. Snider a simplement additionné des frais d'entreposage — payés à une société d'entreposage, à ce que j'ai compris —, plus 50 p. 100 des frais téléphoniques de l'appelant et 620 $ de frais d'intérêts pour arriver à la perte de 3 186 $. Je note en passant qu'un montant de 765,60 $ avait été déduit comme frais d'intérêts pour 1993. On ne m'a rien dit sur le prêt ayant donné lieu à ces frais d'intérêts, si ce n'est que M. Schmuttermeier père a témoigné qu'il avait emprunté de l'argent pour fins d'équipement. Il me semble que la conclusion la plus logique est que ces frais d'intérêts ont été payés par M. Schmuttermeier père à l'égard d'un emprunt qu'il avait fait pour acheter de l'équipement devant aller dans son atelier.

[12] Au cours de son témoignage, l'appelant a convenu qu'il n'avait jamais élaboré un plan d'entreprise ou une stratégie quelconque pour améliorer le sort de l'entreprise face à la succession de pertes de 1987 à 1992 totalisant environ 90 000 $. Il a en outre bel et bien reconnu que, lorsqu'il ne s'occupait pas de motocyclettes d'autres personnes, il s'occupait de la sienne, et il était incapable de dire ne serait-ce qu'approximativement quelle proportion de son temps il consacrait à ses propres machines et quelle proportion il consacrait aux machines d'autres personnes. Interrogé quant à savoir pourquoi il avait continué à agir de la même manière et à perdre de l'argent, il a répondu que ce qu'il faisait le passionnait, c'est-à-dire, à ce que j'ai compris, que le travail qu'il accomplissait les soirs de semaine et la fin de semaine à l'égard de sa motocyclette et de celles d'autres personnes était essentiellement une passion pour lui; bien qu'il semble assurément que l'appelant faisait payer certaines sommes d'argent à certaines personnes pour certains des travaux qu'il accomplissait, ce n'était nullement à mon avis le seul facteur de motivation, ni même peut-être le principal facteur de motivation.

[13] Pour quatre raisons, j'estime que les appels doivent échouer. Ma première raison est qu'à mon avis il n'existait rien en l'espèce qui puisse être considéré comme une entreprise ou comme une source de revenu au sens de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu. M. Schmuttermeier fils exerçait une activité qui était selon moi un passe-temps surtout. Il était passionné de moto depuis des années lorsqu'il s'est lancé dans cette activité; il aimait nettement ce sport à la fois comme pilote de course et comme mécanicien; il s'était occupé de ses propres véhicules et, ce faisant, avait manifestement acquis des compétences. Il semble en outre que l'appelant a commencé tôt à accomplir des travaux pour d'autres personnes et à se faire payer à cet égard, mais il convient de considérer que c'était surtout un passe-temps, une activité que l'appelant exerçait pour son propre plaisir.

[14] Ma deuxième raison pour conclure que les appels doivent échouer est que, si je fais erreur quant à la première raison et qu'il existait une entreprise, il s'agissait de l'entreprise de M. Schmuttermeier père et non de M. Schmuttermeier fils. Comme je l'ai déjà dit, M. Schmuttermeier père a témoigné qu'il essayait de monter cette affaire pour son fils. Il a témoigné que l'emprunt destiné à l'achat d'équipement avait été fait par lui et que l'entreprise était exploitée dans ses locaux. Tout au long de la période en cause, il s'est consacré à cela plus ou moins à temps complet sans être rémunéré. Le plus révélateur, peut-être, c'est que, lorsqu'il était à l'étranger en 1994, aucune activité n'a été exercée, de son propre aveu et de celui de l'appelant; bien que l'appelant ait essayé de minimiser le tort que pouvait faire cet aveu à sa cause en témoignant qu'il avait travaillé de nombreuses heures supplémentaires en 1994, mon appréciation de son témoignage et de celui de son père est que la véritable raison pour laquelle les ventes déclarées étaient nulles pour 1994 et de seulement 7 300 $ pour 1995 tient non pas aux heures supplémentaires travaillées par l'appelant, mais plutôt au fait que son père n'était pas là pour exercer toutes les activités qu'il avait jusque-là exercées.

[15] La troisième raison pour laquelle les appels doivent échouer est que, me fondant sur le témoignage de l'appelant et sur celui de son père, j'estime que les états qui avaient été présentés avec les déclarations de revenus de l'appelant et qui ont été consignés en preuve sous les cotes R-1, R-2 et R-3 sont carrément frauduleux. M. Schmuttermeier père m'a dit au cours de son témoignage — et ceci m'a quelque peu étonné — que leur intention concernant la perte qu'il estimait à 130 000 $ et qui avait été subie lors du voyage à Daytona en 1991 par suite de l'accident relatif à la camionnette contenant des motos, des outils et d'autre matériel était d'amortir cette perte sur des années ultérieures, et les années qu'ils ont choisies semblent être 1993, 1994 et 1995. On n'a jamais indiqué tout à fait clairement où au juste ces montants figurent dans ces états, et je note un certain nombre d'éléments pouvant être considérés comme douteux, par exemple la déduction pour amortissement de 6 467 $ pour 1995. On ne m'a jamais dit à quel bien d'équipement cela pouvait se rapporter, mais le témoignage de l'appelant et celui de son père indiquent bien clairement qu'ils avaient décidé de répartir sur un certain nombre d'années la perte de 1991, qui ne saurait à mon avis être considérée comme une perte d'entreprise. Il s'agit d'une perte personnelle qu'ils ont subie alors qu'ils allaient participer à une course de motos avant les années en cause dans les appels. Il semble que des livres et registres adéquats n'ont jamais été tenus pour cette entreprise. On m'a dit que certains registres avaient été fournis aux fonctionnaires de Revenu Canada et qu'ils n'avaient pas tous été rendus. J'ignore si tel est le cas, mais M. Snider a bel et bien témoigné qu'il n'y avait jamais eu de grand livre ou autre registre semblable, et le témoignage de l'appelant et celui de son père indiquent bien clairement à mon avis que bon nombre des frais auxquels correspondent ces pertes très importantes étaient en fait davantage des frais personnels que des frais liés à une entreprise de réparation de motocyclettes, si une telle entreprise existait. Je ne suis nullement convaincu que, s'il existait une entreprise, ces pièces en reflètent correctement les résultats. En disant cela, je ne veux pas dénigrer M. Snider, qui a établi ces documents. Il a dit bien clairement qu'il les avait établis à partir de l'information qui lui avait été communiquée et il ne prétend pas être comptable ni avoir examiné le caractère approprié des frais. Je crois que son rôle a essentiellement été un rôle de scribe et d'arithméticien.

[16] Enfin, la quatrième raison pour laquelle les appels doivent échouer est que, s'il existait une entreprise, si c'était l'entreprise de l'appelant et si, contrairement à ce que j'ai conclu, les déclarations de revenus produites pour les années en cause et pour les six années précédentes reflètent bien les résultats de cette entreprise, il n'y avait aucune attente raisonnable de profit. L'avocat de l'intimée, Me Sood, m'a fait remarquer, tout à fait à juste titre, qu'il s'agit d'un cas qui, s'il ne se résume pas à des éléments entièrement personnels comme je l'ai conclu, comporte à tout le moins un élément personnel. Une affaire comportant un élément personnel doit être examinée de près selon le critère de l'attente raisonnable de profit. La Cour d'appel fédérale en a ainsi statué dans l'affaire Watt Estate c. La Reine, C.A.F., no A-332-95, 24 septembre 1997 (97 DTC 5459).

[17] Nous avons en l'espèce une succession notable de pertes totalisant environ 140 000 $ pour une période de neuf ans. Nous avons ce que l'appelant a admis être une activité qui le passionne, soit une activité à tout le moins liée de près à un passe-temps auquel l'appelant s'adonne depuis 1980 à peu près. Nous n'avons aucun plan d'entreprise, aucune expérience des affaires et aucune tentative pour faire face aux pertes récurrentes en restructurant la façon dont l'entreprise était exploitée. L'appelant a simplement dit à ce sujet que la seule manière dont il aurait pu faire quoi que ce soit à l'égard des pertes aurait été d'augmenter ses prix et que, s'il l'avait fait, les clients seraient allés ailleurs. Cette assertion ne tient évidemment pas compte du fait évident que, si une partie suffisante des activités était allée ailleurs il y a assez longtemps, l'appelant n'aurait pas perdu la somme d'argent considérable qu'il a perdue.

[18] Pour toutes les raisons précitées, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'août 2000.

“ E.A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de janvier 2001.

Mario Lagacé, réviseur

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