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Date : 19971128

Dossier : 94-2675-IT-G

ENTRE :

EVERETT KAKFWI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] L'appelant est un Indien au sens de la Loi sur les Indiens[1] et appartient à la bande indienne dénée de Fort Good Hope (la bande). La bande se trouve à Fort Good Hope dans les Territoires du Nord-Ouest; elle occupe un territoire dont les limites sont fixées au traité no 11, auquel elle est partie adhérente. En 1992, l'appelant était chef de la bande et il a touché à ce titre un salaire de 56 420 $. Ce salaire a été versé par la bande à même des fonds versés par la Couronne du chef du Canada dans le cadre d'un programme connu sous le nom de Programme de financement du soutien des bandes[2]. Il s'agit en l'espèce de déterminer si le salaire en question était assujetti à l'impôt sur le revenu. L'appelant invoque les paragraphes 87(1) et (2) et l'alinéa 90(1)b) de la Loi sur les Indiens ainsi que l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu[3], à l'appui de la thèse suivant laquelle son salaire était exempté d'impôt.

Indian Act

87(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

Loi sur les Indiens

87(1) Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83, the following property is exempt from taxation, namely,

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

(a) the interest of an Indian or a band in reserve lands or surrendered lands; and

(b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.(

2) No Indian or band is subject to taxation in respect of the ownership, occupation, possession or use of any property mentioned in paragraph 1(a) or (b) or is otherwise subject to taxation in respect of any such property.

90(1) Pour l'application des articles 87 et 89, les biens meubles qui ont été :

90(1) For the purposes of sections 87 and 89, personal property that was

[...]

[...]

b) soit donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

(b) given to Indians or to a band under a treaty or agreement between a band and Her Majesty,

sont toujours réputés situés sur une réserve.

shall be deemed always to be situated on a reserve.

Loi de l’impôt sur le revenu

81(1) Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition:

Income Tax Act

81(1) There shall not be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year,

a) une somme exonérée de l’impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu’un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d’une disposition d’une convention ou d’un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada;

(a) an amount that is declared to be exempt from income tax by any other enactment of the Parliament of Canada, other than an amount received or receivable by an individual that is exempt by virtue of a provision contained in a tax convention or agreement with another country that has the force of law in Canada;

[2] La Couronne soutient que l'article 87 ne s'applique pas dans la présente affaire car aucune réserve n'a été mise de côté pour la bande de Fort Good Hope. On ne peut donc dire du salaire de l'appelant qu'il est “situé sur une réserve”, au sens où cette expression est utilisée à l'article 87, et qu'il est en conséquence exempt d’impôt. La Couronne soutient également que l'alinéa 90(1)b) ne s'applique pas. À cet égard, elle fait valoir que le salaire de l'appelant n'a pas été versé à même de l'argent donné à la bande “[...] en vertu d'un traité ou accord entre [la] bande et Sa Majesté [...]”, comme l'alinéa en question le requiert, et que, même si l'argent avait été donné de la sorte, il n'était plus assujetti à la disposition déterminative une fois transmis, sous la forme d'un salaire, par la bande à l'appelant.

[3] À l'ouverture du procès, les avocats m'ont indiqué que, pour que puisse être tranchée la question de savoir si la bande de Fort Good Hope est située sur une réserve, il faudrait peut-être jusqu'à deux semaines pour présenter la preuve, notamment les témoignages des témoins experts. Cela serait coûteux et se révélerait inutile si la question en litige était à la fin tranchée en faveur de l'appelant sur le fondement de l'article 90. Pour cette raison, j'ai accepté, à la demande conjointe des avocats, de ne me pencher que sur la question fondée sur l'article 90, quitte à poursuivre le procès pour examiner si la Bande est située sur une réserve seulement si l'appelant n'obtenait pas gain de cause sur la première question. Ainsi qu'il ressortira plus loin, j'ai conclu que l'appelant doit obtenir gain de cause par suite de la disposition déterminative de l'article 90, de sorte qu'il ne sera pas nécessaire de poursuivre le procès.

[4] La preuve à l'appui de la thèse de l'appelant se compose principalement d'un certain nombre de documents, dont des présentations faites au Conseil du Trésor du Canada, des décisions de celui-ci sous forme de lettres adressées à des fonctionnaires du ministère fédéral responsable des affaires autochtones[4], une lettre du ministère adressée à l'appelant en sa qualité de chef de la bande, et la demande faite par la bande au ministère en vue d'obtenir un FSB pour l'année en question. En outre, l'avocat a déposé en preuve certaines réponses qu'a données lors de son interrogatoire préalable un fonctionnaire de la Couronne, M. Mansel Barstow, analyste principal en matière de politiques du ministère, qui s'occupe du programme de FSB depuis au moins une vingtaine d’années. M. Barstow a également été appelé à témoigner par l'avocat de la Couronne.

[5] Il ressort du témoignage de M. Barstow et des documents produits que, par le truchement du programme de FSB, le gouvernement du Canada a, sur une période d'environ trois décennies, fait passer du ministère aux conseils de bandes la responsabilité à l’égard de certains programmes fondamentaux pour les peuples autochtones, non seulement dans les Territoires du Nord-Ouest, mais partout au pays. Pour ce faire, il a fallu, évidemment, accorder aux bandes le financement nécessaire, non seulement pour leur permettre de réaliser les programmes en question, mais également pour établir un niveau d'administration indienne capable d'administrer les programmes et le financement s'y rattachant. C'est pour cette raison que le gouvernement a mis sur pied le programme de FSB. En septembre 1992, le chef de secteur chargé, au sein du ministère, du financement et du développement communautaire a expliqué le programme dans les termes suivants dans une lettre adressée au chef Kakfwi:

[TRADUCTION]

Le Financement du soutien des bandes vise à offrir aux bandes un financement de base suffisant pour leur permettre d'administrer leurs affaires et de représenter adéquatement les intérêts de leurs membres. Tous les conseils de bande dûment constitués sont admissibles à un FSB qui leur sera versé chaque année selon la formule du FSB. Les conseils de bande peuvent utiliser les fonds qui leur sont ainsi remis pour acquitter des frais comme les suivants :

·          Honoraires et frais de déplacement des chefs et des conseillers;

·          Salaires et avantages du personnel administratif;

·          Loyer de bureaux, services publics, services de concierge, fournitures et équipement;

·          Frais de téléphone et de transmission par télécopieur;

·          Frais postaux et bancaires;

·          Honoraires pour la vérification annuelle et autres honoraires.

NOTA : La liste qui précède n'est donnée qu'à titre indicatif, à des fins budgétaires. La seule de ces dépenses que le conseil doit obligatoirement inscrire à son budget en vertu de la politique du FSB est celui des honoraires pour la vérification annuelle.

[6] Je dois répondre à trois questions distinctes pour déterminer si l'appelant peut obtenir gain de cause dans ce volet de l'affaire.

1. Les fonds du FSB sont-ils versés à la bande en vertu d'un accord?

2. Si la réponse est affirmative, s'agit-il d'un accord du genre visé à l'alinéa 90(1)b) de la Loi sur les Indiens?

3. Si les réponses à ces questions sont affirmatives, le salaire de l'appelant est-il réputé, en vertu de l'alinéa 90(1)b), avoir été versé à ce dernier sur une réserve, ou cette disposition perd-elle son effet déterminatif lors du déboursement des fonds par la bande?

Question 1 - y a-t-il un accord?

[7] Les termes “agreement” dans le texte anglais et “accord” dans le texte français ont tous deux une connotation plus large que le simple “contract” ou “contrat”. Ce ne sont pas tous les accords qu’on peut faire exécuter en justice. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Bow River Pipelines Ltd. v. The Queen, a récemment examiné la portée du terme “accord” et a conclu qu'il englobe plus qu’un simple contrat liant juridiquement les parties[5]. La juge Desjardins, dans des motifs auxquels ont souscrit le juge Décary et le juge suppléant Chevalier, a explicitement approuvé la conclusion à laquelle était arrivé le juge en chef adjoint Christie de notre cour, conclusion selon laquelle l'expression anglaise “ agreement in writing ” (“ convention écrite ”) utilisée dans des dispositions transitoires de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives aux avoirs miniers ne requérait pas que l'accord crée des droits et des obligations contractuels.

[8] À mon avis, en l'espèce il est satisfait à la condition selon laquelle les fonds doivent avoir été payés en vertu d'un accord. La lettre du mois de septembre 1992 que j'ai citée précédemment ainsi que la demande de fonds que la bande a présentée constituent un accord stipulant que les fonds seront payés par le ministère, qu’ils seront utilisés par la bande aux fins auxquelles ils sont destinés, et que la bande se soumettra à la vérification requise concernant leur utilisation. On peut certainement soutenir que cela ne constitue pas un contrat ayant force obligatoire, mais je suis convaincu que c'est un accord.

[9] Avant de laisser la première question, je devrais signaler que j'ai été invité par Me Carroll à conclure que les fonds du FSB étaient versés à la bande en vertu du traité no 11. Or, pour des raisons que j'exposerai plus loin, je ne peux retenir cet argument.

Question 2 - s'agit-il d'un accord auquel l'alinéa 90(1)b) s'applique?

[10] La disposition déterminative de l'article 90 de la Loi sur les Indiens a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Mitchell[6]. Les motifs principaux ont été rendus par le juge La Forest et, dans la mesure où ils portent sur l'interprétation de l'article 90, ils représentent l'opinion de six des sept juges de la Cour suprême qui ont entendu le pourvoi. Le juge La Forest y a fait un examen exhaustif, d'une part, du libellé et du contexte historique des articles 87, 88 et 90 et, d'autre part, de la jurisprudence qui s'y rapporte, et il a conclu que l'objet et l'effet de l'article 90 est d'étendre la protection qu'offrent les articles 87 et 88 de la Loi sur les Indiens de manière qu’elle soit accordée aux biens acquis par des Indiens de la Couronne du chef du Canada en vertu de traités ou d'accords accessoires aux traités, peu importe où ils sont physiquement situés. Ainsi que le juge La Forest l'a dit[7] :

[...] les termes “traité” et “accord” à l'al. 90(1)b) déteignent l'un sur l'autre. Il faut se rappeler que les promesses contenues dans les traités sont souvent formulées en des termes très généraux et que des accords supplémentaires sont nécessaires pour préciser les engagements pris par la Couronne;

[11] Quant à l'objet de ces dispositions, il a dit[8] :

[...] le situs fictif prévu à l'al. 90(1)b) est censé ne s'étendre qu'aux biens personnels qui échoient aux Indiens par suite de l'exécution par “Sa majesté” des obligations que lui impose un traité ou un accord accessoire.

[12] La question en litige dans l'affaire Mitchell, dans la mesure où elle portait sur l'alinéa 90(1)b) de la Loi sur les Indiens, était simplement de savoir si l'expression “Sa Majesté” figurant dans cet alinéa signifiait uniquement la Couronne du chef du Canada ou si elle incluait la Couronne du chef des provinces également. C'est dans ce contexte que la Cour suprême a conclu que les accords dont il était fait mention se rapportaient aux obligations de la Couronne qui sont accessoires aux obligations que lui impose des traités. La Cour suprême n'avait pas à déterminer quels genres d'accords constitueraient des “obligations accessoires”, et elle ne l’a pas fait. Elle devait simplement se pencher sur la question de savoir si la protection d'un situs réputé être sur une réserve fictive devait être étendue pour être accordée aux biens reçus par les Indiens appelants de la Couronne du chef du Manitoba par suite de ce qui, dans les faits, était une opération commerciale. Tout au long de son analyse, le juge La Forest a fait la différence entre deux types de biens — ceux acquis et détenus par des Indiens en leur qualité d'Indiens, que l'alinéa 90(1)b) vise à protéger grâce au concept du situs fictif, et ceux qui sont détenus par des Indiens dans le cadre et par suite de leurs activités sur ce qu'il appelle le “marché commercial”. Il a expliqué cette distinction dans les termes suivants[9] :

Lorsque les bandes indiennes s'engagent dans le marché commercial, il faut s'attendre à ce qu'elles puissent parfois conclure des accords purement commerciaux avec les Couronnes provinciales de la même façon qu'avec des parties privées. Après tout, les Couronnes provinciales sont des acteurs importants sur le marché. Donc, si une bande indienne conclut une opération commerciale ordinaire, que ce soit avec une Couronne provinciale ou une société privée, et acquiert des biens personnels, que ce soit sous forme de chatels ou de titres de créances, comment doit-on qualifier les biens en question? À mon avis, il est illogique de les comparer aux biens qui échoient aux Indiens conformément aux traités et à leurs accords accessoires. Les Indiens ont un droit absolu à ces biens; ils leur sont dus en tant qu'Indiens. La situation des biens personnels acquis par des Indiens au cours d'opérations commerciales ordinaires est nettement différente; il s'agit simplement de biens que toute autre personne aurait pu acquérir et je ne vois aucune raison pour laquelle dans ces circonstances les Indiens ne devraient pas être traités de la même façon que toute autre personne.

[13] Me Carroll a fait valoir pour le compte de l'appelant que l'accord en cause en l'espèce, qui, à mon avis, consiste dans l'offre faite par la Couronne de verser des fonds du FSB et dans la demande de fonds du FSB faite par la bande ainsi que dans le consentement de celle-ci à n'utiliser les fonds que pour les fins auxquelles ils sont destinés et à se soumettre à une vérification à cet égard, découle des termes du traité no 11. La bande, soutient-il, se trouve dans les limites prévues au traité et reçoit des avantages découlant du traité. L'accord, donc, est simplement un moyen de conférer une partie de ces avantages. Étant donné le témoignage non contredit de M. Barstow, je ne peux tirer cette conclusion. Celui-ci a témoigné que le programme de FSB n'était lié à aucun droit découlant d'un traité et qu'il était offert à toutes les bandes du pays de la même façon et suivant les mêmes modalités. À mon avis, il n'est cependant pas nécessaire que l'appelant démontre que le FSB que la bande a obtenu a un lien direct avec le traité no 11 ou avec tout autre traité pour qu'il soit visé par les termes “[...] en vertu d'un [...] accord” de l'alinéa 90(1)b).

[14] Ainsi que je l'ai souligné précédemment, la Cour suprême a, dans l'affaire Mitchell, établi une distinction entre ce que le juge La Forest appelle “[...] les biens [qui] échoient aux Indiens en raison de leur statut [...]” d'une part, et ceux qu'ils acquièrent “[...] lorsqu'ils se livrent au jeu d'attaques et de ripostes des opérations commerciales sur le marché [...]” d'autre part[10]. Il ne fait aucun doute que les fonds du FSB tombent dans la première catégorie et non dans la seconde. La seule raison pour laquelle le législateur fédéral a affecté ces fonds est de permettre aux bandes partout au pays d'administrer leurs propres affaires, à tout le moins dans une plus grande mesure qu'elles ne le pouvaient auparavant. Mis à part les avantages payés directement en vertu des termes explicites d'un traité ou la contrepartie versée pour des terres indiennes vendues, il est difficile de voir ce qui pourrait constituer un meilleur exemple de biens détenus par des Indiens en tant qu'Indiens. Ce serait aller à l'encontre de l'objet du programme et aussi des articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens que de refuser aux fonds en question, dans le cas de bandes qui ne sont pas situées sur une réserve, la protection qu'offre l'alinéa 90(1)b. À mon avis, c'est pour éviter exactement ce genre d'anomalie que l'article 90 a été adopté. Je conclus que l'accord en cause en l'espèce est visé par l'alinéa 90(1)b) malgré le fait que l'on ne puisse dire qu'il est accessoire à un traité.

Question 3 - le salaire de l'appelant est-il réputé, en vertu de l'alinéa 90(1)b), avoir été payé sur une réserve?

[15] Me Wheeler a fait valoir pour la Couronne que, même s'il est déterminé que la protection de l'alinéa 90(1)b) s'étend aux fonds du FSB qui sont entre les mains de la bande dans la présente affaire, l'appel doit quand même être rejeté (à tout le moins pour ce qui est de cette question) parce que la protection n’est accordée qu'à l'Indien ou à la bande qui reçoit le bien directement de Sa Majesté en vertu d'un traité ou accord, et non à l’acquéreur subséquent. Dans la présente affaire, c’est la bande de Fort Good Hope, et non l'appelant, qui a reçu le bien directement. Lorsqu'une partie des fonds en question est par la suite versée par la bande à l'appelant à titre de salaire, soutient­ Me Wheeler, cette partie ne bénéficie plus de la protection de la disposition déterminative.

[16] À mon avis, c'est là une interprétation beaucoup trop mécanique et restrictive de l'alinéa 90(1)b), et je dois la rejeter en faveur d'une interprétation fonctionnelle qui permettra de réaliser l'objet de cet alinéa[11], eu égard au régime législatif dans son ensemble. Il serait vraiment étrange de conclure que le législateur fédéral souhaitait que ces fonds bénéficient de la protection de l'article 87 lorsqu’ils se trouvaient en la possession de la bande du fait qu’ils étaient situés sur une réserve fictive, mais que cette protection disparaît lorsque la bande verse une partie de ces fonds à l'appelant, sans doute aux bureaux de la bande, pour s’être acquitté de la charge traditionnelle et du rôle administratif importants de chef de la bande. Un résultat si “intuitivement anormal” doit être évité si le libellé de la disposition législative admet une autre interprétation[12], comme c'est le cas en l'espèce. La partie du paragraphe 90(1) qui a un effet déterminatif est la suivante :

sont toujours réputés situés sur une réserve

shall be deemed always to be situated on a reserve

(Je souligne.)

[17] La présomption selon laquelle il n'y a pas de tautologie exige que les termes “always” en anglais et “toujours” dans le texte français veuillent dire quelque chose. Ces termes doivent signifier plus que simplement “chaque fois qu'un tel paiement est effectué” puisque l'on arriverait à ce résultat sans qu'ils soient inclus dans le libellé du paragraphe.

[18] Selon l'interprétation qui est préférable et d’après le sens que le législateur a véritablement voulu attribuer aux termes en question, les fonds sont réputés être situés sur une réserve tant qu’on peut savoir où ils se trouvent et qu'ils sont entre les mains soit d'un Indien, soit d'une bande. À mon avis, ce n'est que suivant cette interprétation que l'on peut donner pleinement effet auxdits termes de manière à faire en sorte que les fonds reçus par des autochtones et par des bandes en vertu d'accords conclus avec le gouvernement du Canada bénéficient de la protection contre l'imposition et contre la saisie-exécution que le législateur a manifestement voulu leur accorder. La protection des fonds entre les mains seulement de l'Indien ou de la bande qui les a initialement reçus serait au mieux une protection timide. Il faut s'attendre à ce que les fonds versés aux bandes en vertu du programme de FSB soient, en partie du moins, utilisés pour effectuer des paiements à des membres de la bande, lesquels paiements seront de la nature d'un revenu pour ces membres. Plusieurs utilisations possibles des fonds sont mentionnées dans la lettre du mois de septembre 1992 que j'ai citée. Certains bénéficiaires de paiements faits, par exemple, au titre de frais de téléphone et de frais postaux et bancaires, ne seront pas des Indiens. D'autres, comme l'appelant, seront des Indiens. Les fonds utilisés pour effectuer des paiements à des non-Indiens ne seront évidemment plus réputés se trouver sur une réserve. Mais tant qu'ils sont entre les mains d'une personne ou d'une bande à laquelle les articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens peuvent s'appliquer, la loi ne peut atteindre son objet que si l'effet déterminatif de l'alinéa 90(1)b) subsiste.

[19] En conclusion, j’estime que le salaire payé au chef Kakfwi en 1992 a été payé à même des fonds qui, en raison de l'alinéa 90(1)b), sont réputés se trouver sur une réserve, d’abord entre les mains de la bande puis entre les mains de l'appelant. L'appel est admis, avec frais, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le salaire versé à l'appelant par la bande ne doit pas être inclus dans le calcul du revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1992.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 1997.

“E. A. Bowie”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de janvier 1998.

Erich Klein, réviseur



[1]               L.R.C. (1985), ch. I-5.

[2]               Je l'appellerai le “programme de FSB”, et j'appellerai “fonds du FSB” les fonds versés aux bandes dans le cadre du programme.

[3]               L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)

[4]               Le nom de ce ministère a changé à plusieurs reprises au fil des ans. Il s'agit maintenant du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Je l'appellerai simplement le ministère.

[5]               Bow River Pipelines Ltd. v. The Queen, décision inédite rendue le 16 juillet 1997, que l'on trouve à [1997] F.C.J. No. 989 (QL).

[6]               Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85.

[7]               Ibid., à la p. 124.

[8]               Ibid., à la p. 142.

[9]               Ibid., à la p. 138.

[10]              Ibid, aux pp. 144 et 145.

[11]              Swantje v. Canada, 94 DTC 6633; conf. par [1996] 1 R.C.S. 73.

[12]              Folster v. The Queen, 97 DTC 5315.

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