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Date : 19980103

Dossier : 95-1748-IT-G

ENTRE :

ORJAN CARLSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Toronto (Ontario) le 10 septembre 1997)

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Il s'agit de l'affaire Orjan Carlson et Sa Majesté la Reine. Je cite le passage suivant de l'exposé conjoint des faits :

[TRADUCTION]

1. L'appelant est un résident canadien qui habite au 5254, Charnwood Crescent, Mississauga (Ontario) L5M 2J9.

2. L'appelant a des antécédents scolaires et professionnels dans le domaine du génie municipal. Il travaille exclusivement dans ce domaine depuis plus de vingt-cinq ans.

3. En 1968, l'appelant a commencé à travailler pour G. M. Sernas & Associates Ltd. (la « corporation » ), à titre de technicien de la construction en second.

4. Du mois de mars 1980 au mois d'août 1988, l'appelant a acheté 2 360 actions (les « actions » ) de la corporation pour un montant total de 73 500 $.

5. En juillet 1990, l'appelant s'est désisté des fonctions qu'il exerçait auprès de la corporation. Par conséquent, selon la convention d'actionnaires existante, il était tenu de vendre les actions aux autres employés.

6. Le 11 juillet 1990 ou vers cette date, l'appelant a disposé de 2 360 actions de la corporation.

7. La disposition a été faite en faveur de six employés de la corporation, dont cinq ont versé à l'appelant la somme de 66 000 $, l'autre ayant versé la somme de 156 750 $, ce qui a entraîné un produit total de disposition de 486 750 $ pour l'appelant.

8. Le prix de base rajusté de l'appelant relativement à la disposition était de 73 500 $.

9. Par suite de la disposition, le gain en capital réalisé par l'appelant était de 413 250 $ et le gain en capital imposable de 309 937,50 $.

10. L'appelant a utilisé presque toute le produit de la disposition des actions en vue d'acquérir des actions d'Urban Ecosystems International Inc., prédécesseur d'Urban Ecosystems Limited.

11. À l'heure actuelle, l'appelant est un actionnaire d'Urban Ecosystems Limited, qui est une corporation se spécialisant dans l'ingénierie.

12. Par un avis de nouvelle cotisation daté du 11 avril 1994 (la « nouvelle cotisation » ), le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a ajouté le montant de 309 937 $ au revenu imposable de l'appelant pour son année d'imposition 1990, montant qu'il a calculé comme suit :

Produit de la disposition des actions 486 750 $

Moins : prix de base rajusté 73 500 $

Gain en capital    413 250 $

Gain en capital imposable 309 937 $

13. Le ministre a également imposé une pénalité de 74 739,22 $ à l'appelant conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

14. Pendant toute la période pertinente, la corporation était une « corporation exploitant une petite entreprise » au sens de l'article 248 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

15. Les actions étaient des « actions admissibles de petite entreprise » au sens du paragraphe 110.6(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

16. Au moment de la disposition des actions, l'appelant a été mis au courant de la déduction accrue pour gains en capital réalisée au moment de la disposition des actions admissibles de petite entreprise.

17. L'appelant n'a pas déclaré la disposition des actions, ou le gain en capital en résultant, dans sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1990. [...] [La déclaration de revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1990 est jointe à l'exposé conjoint des faits. Je ne m'y arrêterai pas ici.]

18. L'appelant a déposé un avis d'opposition le 30 juin 1994 contre le nouvel avis de cotisation.

19. La nouvelle cotisation a été ratifiée par un avis de ratification le 27 janvier 1995.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2] Les questions dont cette cour est saisie ont été définies comme suit : l'appelant a-t-il, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait une omission dans sa déclaration de revenu de 1990 aux termes du paragraphe 110.6(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), de sorte qu'il n'a pas droit à la déduction accrue pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi? L'appelant a-t-il, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait une omission dans sa déclaration de revenu de 1990, justifiant ainsi l'imposition d'une pénalité conformément au paragraphe 163(2) de la Loi?

LA POSITION DE L'APPELANT

[3] La position fondamentale que l'appelant prend devant cette cour est fondée sur la décision Venne v. The Queen, 84 DTC 6247 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Strayer a dit ceci, à la page 6256 :

[...] La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

[4] L'avocat de l'appelant invoque en outre l'argument suivant [dans le résumé des arguments sur des points de droit de l'appelant] :

[TRADUCTION]

L'appelant a mal compris les obligations qui lui incombaient en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais il a conclu avec raison que le gain serait complètement exonéré d'impôt. Il n'a pas suivi la procédure appropriée, mais en fin de compte, le gain était de fait exonéré d'impôt et il n'existait aucun motif d'ordre financier ou fiscal de dissimuler le gain. Avant 1990, l'appelant n'avait pas utilisé son exonération des gains en capital et il n'avait pas réalisé de gain en capital par le passé. En outre, il n'a pas réalisé de gain en capital depuis 1990. Il n'existe absolument aucun motif pour l'appelant de dissimuler ce gain. L'appelant a commis une erreur innocente et il n'a pas agi dans des circonstances équivalant à faute lourde.

LA POSITION DE L'INTIMÉE

[5] La position que prend l'intimée [dans son mémoire] est simplement la suivante :

[TRADUCTION]

22. [...] les questions soulevées dans cet appel sont des questions de fait dont le règlement dépend des circonstances dans leur ensemble.

[...]

23. La détermination de la question de savoir si un contribuable individuel a sciemment ou en commettant une faute lourde fait une omission en déclarant son revenu comporte un élément de subjectivité.

[...]

24. La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

[...]

[6] Cela étant, le ministre conclut que, compte tenu des circonstances, l'omission de l'appelant de déclarer le gain en capital de 413 250 $ équivalait à une faute lourde.

LE DROIT APPLICABLE

[7] Comme je l'ai mentionné, c'est notamment le paragraphe 110.6(2.1) qui s'applique. Cette disposition prévoit une déduction accrue pour gains en capital de 500 000 $ et un gain en capital imposable de 375 000 $ à l'égard des actions admissibles de petite entreprise.

[8] En vertu du paragraphe 110.6(6), les contribuables déclarent les gains en capital réalisés dans l'année afin d'avoir droit à la déduction prévue au paragraphe 110.6(2.1).

[9] En ce qui concerne la déduction, le paragraphe 110.6(2.1) prévoit un plafond cumulatif de 500 000 $.

[10] Les passages pertinents du paragraphe 110.6(6) sont ainsi libellés :

Gain en capital non déclaré. Par dérogation aux paragraphes (2), (2.1) et (3), aucun montant n'est déductible en vertu du présent article au titre d'un gain en capital réalisé par un particulier pour une année d'imposition sur la disposition d'un bien en immobilisation, dans le calcul du revenu imposable de ce particulier pour cette année ou pour une année d'imposition ultérieure, si, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, ce particulier:

[...]

b) soit ne déclare pas ce gain en capital dans la déclaration de revenu pour l'année qu'il est tenu de produire conformément à l'article 150.

Le ministre a la charge d'établir les faits qui justifient le rejet d'une déduction faite malgré le présent paragraphe..

[11] Comme il en a été fait mention, le paragraphe 163(2) s'applique également. Cette disposition impose une pénalité aux contribuables qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, font de faux énoncés ou des omissions dans leur déclaration.

[12] Comme je l'ai mentionné, la présente affaire est axée sur la question de la faute lourde; j'examinerai ici les principes qui s'appliquent en l'espèce en ce qui concerne la faute lourde.

[13] La faute lourde est plus qu'une simple inadvertance. Elle doit équivaloir à une négligence très grave.

[14] Par contre, s’il s’agissait de la négligence ordinaire, elle s'expliquerait facilement dans les mêmes circonstances. Il s’agirait d’une question de simple oubli.

[15] La faute lourde est un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il y a un degré important de négligence qui équivaut à une action délibérée, ou comme on l'a dit dans le jugement Venne, une indifférence au respect de la loi. Le critère applicable à la faute lourde est un critère subjectif.

[16] Dans la décision Venne, le juge Strayer a fait remarquer que, dans la plupart des cas, la question de savoir si le contribuable a commis une faute lourde en faisant de faux énoncés dans sa déclaration comporte un élément de subjectivité.

[17] En nous fondant sur ce qui précède, nous devons examiner tous les facteurs en cause dans les circonstances de l'espèce. Bien sûr, l'importance de la divergence est un facteur primordial. Quelle est l'importance de la divergence? Le deuxième facteur important se rapporte au point jusqu'où le contribuable s'est fié à des conseillers.

[18] Il existe également certains jugements selon lesquels le fait que le contribuable collabore avec les enquêteurs pendant la vérification et qu'il fait des communications volontaires constitue un facteur atténuant lorsqu'il s'agit de conclure à la négligence ordinaire plutôt qu'à une faute lourde.

[19] En outre, il a été jugé que la personne capable d'agir d'une façon responsable qui fait délibérément l'autruche ou qui se montre insouciante commet une faute lourde. Dans la décision Holley v. M.N.R., 89 DTC 366, le juge Kempo, de cette cour, a statué que l'omission délibérée de se renseigner auprès du fisc constituait une faute lourde.

[20] En ce qui concerne la façon dont la Cour doit traiter des dispositions pénales, je crois devoir faire un examen. Les avocats n'y ont pas fait allusion, mais je crois devoir examiner la question. Il s'agit d'une question fort importante.

[21] Les dispositions pénales doivent être interprétées d'une façon stricte; or, il est reconnu que le paragraphe 163(2) est une disposition pénale. S'il existe un doute au sujet du genre de conduite à laquelle le faux énoncé est attribuable, il faut laisser au contribuable le bénéfice du doute.

[22] Dans la décision Farm Business Consultants Inc. v. The Queen, 95 DTC 200, le juge Bowman, de cette cour, a cité la décision Udell v. M.N.R., 70 DTC 6019, à la page 6025; je reproduis ici le passage cité :

[TRADUCTION]

Il ne fait aucun doute que le paragraphe 56(2) [maintenant 163(2)] est une disposition de nature pénale. Lorsque l'on interprète une telle disposition, il convient de tenir compte des propos inattaquables de lord Esther dans l'affaire Tuck & Sons v. Priester, (1887) 19 Q.B.D. 629 : lorsque le libellé d'une disposition de nature pénale est susceptible à la fois d'une interprétation qui mènerait à l'imposition de la pénalité prévue, et d'une autre qui n'y mènerait pas, c'est cette dernière qui prévaut. Voici ce qu'il dit à la page 638 :

Il faut interpréter cette disposition avec grand soin car elle mène à l'imposition d'une pénalité. S'il existe une interprétation raisonnable qui permettra d'éviter la pénalité dans une cause particulière, c'est celle-là qu'il faut retenir.

et, ajoute-t-il, à la page 6026 du recueil :

Il est clair selon moi que lorsqu'il est question d'imposer un impôt ou un droit, et plus encore une pénalité, s'il existe un doute raisonnable il faut interpréter la loi de manière à accorder le bénéfice du doute à la partie à qui l'on cherche à imputer le montant en question.

ANALYSE

[23] C'est en me fondant sur ce qui précède que je procéderai à l'analyse de cette affaire.

[24] Le contribuable était le principal témoin de l'intimée. Il a dit que, pour l'année en question, il avait lui-même préparé la déclaration et il a dit qu'il préparait ses propres déclarations depuis de nombreuses années. Il a déclaré qu'il était au courant de la disposition, mais qu'il croyait que le gain en capital était exonéré d'impôt, c'est-à-dire, comme il l'a dit, qu'il n'y aurait pas de conséquences fiscales.

[25] L'appelant a affirmé avoir reçu, à l'égard des actions qu'il vendait, des conseils fiscaux du président de la compagnie ainsi que du vérificateur de la compagnie, un certain M. Sernas, et d'un certain M. Berger. Il a déclaré que M. Sernas lui avait dit qu'un montant de 500 000 $ était exonéré d'impôt. Il a également dit que M. Berger lui avait fait savoir qu'il n'y avait pas de conséquences fiscales.

[26] Le contribuable n’avait jamais disposé ses actions avant d'effectuer la disposition en cause; en ce qui concerne l'opération elle-même, il a dit qu'au moment de la déclaration, étant donné la conclusion à laquelle il en était venue, il ne croyait pas être tenu de déclarer le gain parce que le montant était inférieur au montant exonéré d'impôt. Il dit que par suite de cette expérience et des autres expériences qu'il a eues à l'égard de la présente affaire, il a maintenant recours aux services d'un comptable pour préparer sa déclaration de revenu.

[27] L'appelant a fait des études secondaires et une année d'université en Suède. Comme il en est fait mention dans l'exposé conjoint des faits, il travaille dans le secteur du génie municipal. Il ressort clairement de son témoignage qu'il n'a pas de formation régulière en droit fiscal. Comme il en est fait mention dans l'exposé conjoint des faits, le produit des ventes se rapportait à l'achat d'une participation dans la nouvelle compagnie. Dans son témoignage, l'appelant a également fait savoir qu'il avait en partie utilisé le produit pour rembourser l'hypothèque qui grevait sa maison.

[28] L'appelant admet volontiers qu'il a commis une erreur en ne déclarant pas la disposition des actions, et il déclare qu'il a pleinement collaboré avec les représentants de Revenu Canada lorsqu'ils ont enquêté sur l'affaire, notamment lorsqu'il s'est agi de rechercher tous les documents.

[29] En conclusion, l'appelant a témoigné qu'il croyait avoir fait tout ce qu'il fallait faire. Il a affirmé qu'il avait commis une erreur involontaire et qu'il n'avait pas l'intention de tromper qui que ce soit.

[30] Le deuxième témoin de l'intimée était un agent des appels à Revenu Canada. Il a déclaré que l'appelant, lors de l'entrevue qu'il avait eue avec lui, ne lui avait pas dit d'où provenaient les renseignements obtenus aux fins du traitement de l'impôt.

[31] Pendant l'interrogatoire principal, l'appelant a déclaré avoir dit à l'agent des appels d'où provenaient les renseignements en question.

[32] Il s'agit d'une question de conflit de preuves. Toutefois, en l'espèce, en ce qui concerne la question de la crédibilité et la question de savoir de quelle façon je devrais apprécier les témoignages, j'ai conclu que ce conflit de preuves avait très peu d’importance. Il n'importait pas aux fins de mon évaluation de la preuve.

[33] J'ai conclu que l'appelant était un témoin honnête et digne de foi qui croyait par erreur qu'il n'avait pas à déclarer la disposition des actions parce qu'il avait conclu, sur la foi des conseils qu'il avait reçus de ses anciens associés, que le gain en capital serait exonéré d'impôt et qu'il n'était pas nécessaire de le déclarer.

[34] De toute évidence, l'appelant ne comprenait pas pourquoi il faut faire une déclaration, ce qui est fondamental dans le système fiscal de déclaration personnelle qui s'applique aux contribuables de ce pays. Il a préparé sa propre déclaration, mais à part le conseil qu'il a reçu, il n'a pas cherché à consulter le guide d'impôt de Revenu Canada en ce qui concerne la façon dont le gain aurait dû être traité. Cependant, j'ai conclu qu'il avait reçu certains conseils, quoique mauvais ou incomplets.

[35] Je conclus malgré tout, en me fondant sur la preuve, que l'appelant n'essayait pas de tromper Revenu Canada. Sa conviction était erronée, mais sincère et, considéré sous cet angle, le fait de ne pas déclarer de gain n'avait pour lui aucune conséquence financière. Cependant, cela était également une conception erronée parce que, du point de vue de Revenu Canada, l'appelant pouvait encore se prévaloir de la déduction accrue pour gains en capital. Ce gain financier n'existerait que si l'appelant tentait d'utiliser cette déduction accrue pour gains en capital non utilisée dans l'avenir. Cependant, il ressort du témoignage de l'appelant et de mon appréciation de son témoignage, que telle n'était pas son intention et, même à l'heure actuelle, telle n'est pas son intention, étant donné la conclusion à laquelle son témoignage m'a amené.

[36] Il est vrai que l’omission concerne un montant élevé. L'omission de déclarer ce montant est un indice de négligence, j'en conviens, mais je ne puis conclure que l'appelant était indifférent au respect de la loi. Il croyait observer la loi.

CONCLUSION

[37] Compte tenu de toutes les circonstances dont la Cour a connaissance, je conclus que l'appelant n'a pas commis de faute lourde en omettant de déclarer le gain en capital de 413 250 $.

DÉCISION

[38] Par conséquent, l'appel est admis et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant n'a pas commis de faute lourde en omettant de déclarer le gain en capital. L'appelant a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de janvier 1998.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de mai 1998.

Benoît Charron, réviseur

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