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Date: 20000609

Dossier: 98-1870-IT-G

ENTRE :

IRVING OIL LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] L'appel dont il s'agit est interjeté contre une nouvelle cotisation d'impôt pour l'année d'imposition 1992 de l'appelante, Irving Oil Limited (“ IOL ”). La question fondamentale dont je suis saisi est de savoir si des intérêts sur un paiement d'impôt en trop peuvent être un revenu d'entreprise exploitée activement. Si des intérêts sur un paiement d'impôt en trop ( les “ intérêts sur un paiement en trop ”) sont un revenu d'entreprise exploitée activement, ils doivent être inclus dans le “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ” d'IOL au sens des articles 5202 et 5203 du Règlement de l'impôt sur le revenu (le “ Règlement ”) aux fins du calcul de la déduction relative aux bénéfices de fabrication et de transformation pour 1992 selon l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[2] Pour ce qui est de l'audition de l'appel, un exposé des faits admis[1] a été déposé, et M. John C. Manning, qui était trésorier et directeur financier de l'appelante, IOL, a témoigné. M. Manning était et est encore responsable de toutes les fonctions financières à IOL, y compris l'examen des déclarations d'impôt. Un extrait de l'interrogatoire préalable d'un représentant de l'intimée a en outre été produit.

[3] IOL, soit une corporation constituée en vertu des lois du Nouveau-Brunswick, exploite activement au Canada une entreprise consistant à raffiner du pétrole brut et à commercialiser des produits pétroliers raffinés. À peu près tous les revenus d'IOL proviennent de ces activités, mis à part les intérêts sur un paiement en trop, dont la caractérisation est en litige.

[4] Dans le calcul de son revenu pour son année d'imposition 1992, l'appelante a inclus des intérêts que le fisc lui avait versés en 1992 à l'égard de sommes qu'elle avait payées comme impôt sur le revenu (et intérêts courus y afférents), en vertu de certaines cotisations ultérieurement annulées en appel, des revenus en dividendes et des revenus de placements[2].

[5] IOL a fait l'objet de nouvelles cotisations d'impôt en 1978, pour ses années d'imposition 1971 à 1975, ainsi qu'en 1980 et en 1984, respectivement pour les années d'imposition 1976 à 1978 inclusivement et les années d'imposition 1979 et 1980. D'après l'exposé des faits admis, ces nouvelles cotisations (les “ cotisations relatives à Irvcal ”) se rapportaient de façon générale au coût de pétrole brut qu'IOL avait acheté à Irving California Oil Company Limited (“ Irvcal ”) en vue de le raffiner dans son usine, puis de commercialiser les produits raffinés. Si les cotisations relatives à Irvcal avaient été confirmées en appel, le revenu supplémentaire correspondant d'IOL aurait fait partie du revenu d'IOL provenant d'une entreprise exploitée activement au Canada.

[6] IOL a déposé des avis d'opposition aux cotisations relatives à Irvcal et a, conformément à l'article 158 de la Loi, effectué des paiements au titre de ces cotisations le 1er juillet 1980, le 31 décembre 1981 et le 24 avril 1982.

[7] Les sommes payables en vertu d'une cotisation doivent être immédiatement versées par le contribuable ayant reçu l'avis de cotisation. Les parties conviennent du fait qu'IOL était obligée de payer les sommes dues dans un délai de 30 jours et que, sinon, le ministre aurait pu prendre des mesures pour les recouvrer. À l'époque, IOL pouvait, en vertu du paragraphe 220(4) de la Loi, demander au ministre d'accepter des garanties pour le paiement. Initialement, IOL a pris des dispositions en vue de donner des garanties à l'égard des nouvelles cotisations, mais les administrateurs d'IOL ont reconsidéré la question quand ils se sont rendu compte du montant des intérêts courus. Ultérieurement, IOL a payé les cotisations à l'égard desquelles elle avait donné des garanties, ainsi que des cotisations subséquentes. IOL a payé les cotisations parce que, à son avis, cette solution était moins défavorable que toute autre ligne de conduite possible. Si elle n'avait pas versé les montants des cotisations, que des garanties aient ou non été données, elle aurait pu se retrouver avec des arriérés d'intérêts courus non déductibles dans l'éventualité où elle n'aurait pas eu gain de cause dans ses appels. (L'appelante a produit des calculs quant aux coûts d'intérêts estimatifs qu'elle aurait eu à prendre en charge si elle avait omis de payer les nouvelles cotisations relatives à Irvcal jusqu'en 1992. Le montant des intérêts aurait été bien supérieur au montant de l'impôt fixé.)

[8] Le 30 décembre 1986, IOL a payé les intérêts courus à cette date-là pour la période pour laquelle elle avait fourni des garanties au titre des cotisations relatives à Irvcal, car au 1er janvier 1987 les intérêts étaient composés quotidiennement[3].

[9] IOL a payé les montants fixés dans les cotisations relatives à Irvcal avec de l'argent provenant de son entreprise de raffinage et de commercialisation. M. Manning a dit qu'IOL avait pour politique de réinvestir ses bénéfices dans son entreprise de raffinage; IOL n'avait aucun portefeuille de placements passifs. M. Leaman, soit le représentant de l'intimée à l'interrogatoire préalable mené par l'avocat de l'appelante, a reconnu que l'intimée n'avait aucune preuve pour réfuter l'affirmation de l'appelante selon laquelle l'appelante, si elle n'avait pas payé l'impôt, aurait utilisé l'argent dans son entreprise.

[10] D'après M. Manning, IOL n'a payé de dividendes qu'à trois occasions, en 1983, en 1986 et en 1988, lorsque les actions d'IOL étaient détenues par les intérêts Irving (“ Irving ”) et par Standard Oil of California (“ Socal ”). Socal voulait un rendement de son investissement, tandis qu'Irving voulait réinvestir tous les bénéfices. En 1988, des dividendes ont été payés dans le cadre de l'acquisition, par Irving, de toutes les actions d'IOL.

[11] Les nouvelles cotisations relatives à Irvcal ont été ratifiées par le ministre, et IOL en a appelé. Les états financiers d'Irvcal pour 1978 à 1992 informent le lecteur qu'IOL a payé les cotisations relatives à Irvcal et qu'elle conteste ces cotisations. Le bilan d'IOL au 31 décembre 1980 incluait parmi les actifs d'IOL “ de l'impôt sur le revenu recouvrable ”, soit les paiements des cotisations relatives à Irvcal.

[12] Les appels ont été entendus par le juge Muldoon, de la section de première instance de la Cour fédérale, qui a accueilli les appels d'IOL[4]. La Couronne en a appelé devant la Cour d'appel fédérale, qui a rejeté les appels[5]. L'autorisation de porter la décision de la Cour d'appel fédérale en appel devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 5 septembre 1991.

[13] Le ministre a ensuite établi de nouvelles cotisations à l'égard d'IOL conformément à la décision de la Cour fédérale. Le 29 mai 1982, conformément aux exigences des paragraphes 164(4.1) et 164(3) de la Loi, le ministre a remboursé l'impôt payé par IOL à l'égard des cotisations relatives à Irvcal, avec intérêts.

[14] IOL a utilisé l'argent remboursé par Revenu Canada, y compris les intérêts sur le paiement en trop, pour réduire le prêt bancaire qu'elle avait obtenu et pour tirer profit d'occasions d'affaires, a dit M. Manning.

[15] Dans sa déclaration d'impôt sur le revenu des corporations T2 pour 1992, IOL a calculé sa déduction relative aux bénéfices de fabrication et de transformation conformément à l'article 125.1 de la Loi et conformément au Règlement. IOL a inclus les intérêts sur le paiement en trop dans son revenu imposable et dans son “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ” au sens des articles 5202 et 5203 du Règlement. Le ministre a établi de nouvelles cotisations de manière à exclure les intérêts sur le paiement en trop du revenu rajusté tiré d'une entreprise d'IOL, réduisant ainsi la déduction relative aux bénéfices de fabrication et de transformation d'IOL pour 1992.

[16] Les parties reconnaissent qu'en concluant dans la nouvelle cotisation en cause dans le présent appel que les intérêts sur le paiement en trop n'étaient pas un “ revenu [...] tiré [...] d'une entreprise exploitée activement ”, le ministre ne s'est pas fondé sur des faits concernant tout particulièrement IOL, la nature de son entreprise, la manière dont elle dirige ses affaires, les cotisations relatives à Irvcal ou l'appel de ces cotisations qui a été couronné de succès. Tout comme l'intimée dans le présent appel, le ministre s'est fondé sur les faits énoncés dans l'exposé des faits admis, et notamment sur le fait que le montant en cause était un remboursement d'intérêts sur des paiements d'impôt en trop.

[17] Pour ce qui est de la déduction relative aux bénéfices de fabrication et de transformation disponible en 1992 en vertu de l'article 125.1 de la Loi pour une corporation privée dont le contrôle est canadien, le calcul de cette déduction exigeait, entre autres choses, que l'on détermine les “ bénéfices de fabrication et de transformation au Canada réalisés par la corporation pour l'année ”. Les “ bénéfices de fabrication et de transformation au Canada ” d'une corporation pour une année d'imposition désignent :

[...] le pourcentage de tous les montants dont chacun est le revenu que la corporation a tiré pour l'année d'une entreprise exploitée activement au Canada, déterminé en vertu des règles prescrites à cette fin par voie de règlement établi sur la recommandation du ministre des Finances, qui doit s'appliquer à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location;[6]

[18] La partie LII du Règlement traite des bénéfices de fabrication et de transformation. L'article 5200 du Règlement dit que les bénéfices de fabrication et de transformation au Canada qu'une corporation réalise pour une année d'imposition sont une fraction du revenu rajusté tiré d'une entreprise par la corporation pour l'année. L'article 5202 du Règlement dit que le “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ” par une corporation désigne :

[...] la fraction, si fraction il y a,

a) du total de toutes les sommes dont chacune constitue le revenu tiré par la corporation, pour l'année, d'une entreprise exploitée activement au Canada qui est en sus [...]

[19] Toutefois, lorsqu'une corporation avait des activités relatives à des ressources naturelles en 1992, le revenu rajusté tiré d'une entreprise par la corporation était la fraction

[...] si fraction il y a,

a) du montant par ailleurs déterminé en vertu de l'article 5202 comme étant le revenu rajusté tiré d'une entreprise par la corporation pour l'année qui est en sus

b) du revenu net de la corporation relatif à des ressources pour l'année.[7]

[20] La déduction relative aux bénéfices de fabrication et de transformation ne peut être demandée qu'à l'égard d'un revenu d'entreprise exploitée activement au Canada. Plus ce revenu est important, plus la déduction est élevée. C'est pour cette raison que l'appelante veut que les intérêts sur le paiement en trop soient considérés comme un revenu d'entreprise d'abord, puis comme un revenu d'entreprise exploitée activement. La thèse de l'intimée est que, vu la nature de l'impôt sur le revenu et vu l'économie et l'application de la Loi, des intérêts sur un paiement en trop ne peuvent jamais être un revenu d'entreprise[8]. L'intimée concède toutefois que, si les intérêts sur le paiement en trop étaient un revenu d'entreprise, ils étaient un revenu d'entreprise exploitée activement. Je suis d'accord sur cette concession de l'intimée.

[21] Le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour l'année 1992 “ est le bénéfice qu'il en tire pour cette année ”, disait l'article 9 de la Loi, et l'impôt est perçu sur ce bénéfice. L'avocat de l'intimée a expliqué que, lorsqu'un contribuable paie de l'impôt en trop, en raison d'une réduction du montant de l'impôt initialement fixé ou pour une autre raison, et que le montant du paiement en trop est remboursé, comme ce fut le cas en l'espèce, des intérêts sont gagnés à l'égard du montant du paiement en trop et non à l'égard des activités productives de bénéfices du contribuable. L'avocat de l'intimée insistait pour dire que l'assujettissement à l'impôt sur le revenu se pose en raison de la réalisation de bénéfices et après la réalisation de bénéfices. Le paiement de l'impôt ne fait pas partie des opérations de fabrication et de transformation de l'appelante même si la source des paiements était des bénéfices antérieurement générés par l'entreprise de l'appelante. IOL a effectué les paiements pour s'acquitter d'obligations fiscales résultant des cotisations relatives à Irvcal et pour éviter que des intérêts non déductibles s'accumulent, a déclaré l'avocat de l'intimée. Le paiement de l'impôt est une obligation imposée par la loi et non un choix accordé au propriétaire de l'entreprise.

[22] Une cotisation d'impôt fixe l'obligation fiscale du contribuable[9]. Le montant payé par le contribuable reste de l'impôt jusqu'à ce qu'il soit remboursé en totalité ou en partie, mais le caractère du paiement initial ne change pas, soutenait l'avocat de l'intimée. Le remboursement ne représente rien d'autre qu'un paiement d'impôt en trop. L'avocat a fait référence à la définition de “ paiement en trop ” figurant à l'alinéa 164(7)b) de la Loi :

Au présent article, un paiement en trop fait par un contribuable pour une année d'imposition s'entend du montant suivant: [...]

b) si le contribuable est une corporation, le total des sommes versées sur les montants dont la corporation est redevable en vertu de la présente partie ou des parties [...] pour l'année, moins ces mêmes montants.

En vertu de l'économie de la Loi, d'après l'intimée, IOL ne courait aucun risque en payant l'impôt fixé, car, si les cotisations relatives à Irvcal se révélaient erronées, IOL serait remboursée de l'impôt qu'elle avait payé, avec intérêts. De plus, comme l'impôt lui-même n'est pas lié à l'entreprise, les intérêts sur le paiement en trop d'IOL n'y sont pas liés non plus.

[23] Si un contribuable paie l'impôt fixé dans une cotisation et qu'un appel est interjeté, l'avocat de l'intimée a expliqué que, pendant la période où l'appel est en instance, aucun intérêt ne court sur un paiement en trop, car le montant du paiement en trop n'a pas encore été déterminé. Le contribuable a toutefois évité le paiement d'intérêts sur l'impôt fixé. C'est seulement lorsque les tribunaux rendent un jugement définitif accueillant l'appel du contribuable et qu'une nouvelle cotisation est établie de manière à donner effet au jugement modifiant ou annulant la cotisation initiale que le montant du paiement d'impôt en trop peut être fixé et que les intérêts sur le paiement en trop peuvent être calculés.

[24] Dans le jugement Terra Nova Properties[10], le président Jackett, titre qu'il portait alors, a expliqué la source des intérêts sur un paiement en trop. Il écrivait qu'il fallait :

[TRADUCTION]

[...] distinguer entre le montant effectif de l'obligation fiscale du contribuable pour une année selon les dispositions de fond de la Loi d'une part et, d'autre part, la détermination de cette obligation selon la cotisation du ministre, pendant qu'elle reste en vigueur, selon le jugement de la Commission d'appel de l'impôt, pendant qu'il reste en vigueur, ou selon le jugement de notre cour, pendant qu'il reste en vigueur, ou finalement selon la Cour suprême du Canada. Le montant effectif de l'obligation fiscale ne change pas pourvu que les faits et les dispositions de fond de la Loi demeurent inchangés. Le montant fixé dans une cotisation et modifié par une décision judiciaire, soit le montant que le ministre et tous les autres intéressés doivent considérer comme étant le montant effectif de l'obligation fiscale, peut parfois changer en raison de nouvelles cotisations ou de nouvelles décisions judiciaires.*

À mon avis, une fois établie cette distinction entre le montant effectif de l'obligation fiscale du contribuable** et la détermination de cette obligation selon la cotisation courante, le problème disparaît.

Si, par erreur, le ministre fixe à un contribuable un montant excessif au titre de l'impôt sur le revenu pour une année et que le contribuable paie ce montant, le contribuable aura fait, comme cela sera déterminé par la suite, un paiement d'impôt en trop sur lequel des intérêts seront ultérieurement payables.

C'est lorsque le paiement excessif est fait qu'il y a paiement en trop. La décision finale ne crée pas le paiement en trop; elle établit simplement qu'il y a eu paiement en trop. Sinon, le paragraphe (3) de l'article 57 [analogue à l'alinéa 164(3)d) de la Loi actuelle] ne serait guère utile, car en vertu de ce paragraphe la période pour laquelle des intérêts sont payables ne commence pas avant “ le jour où le paiement en trop s'est produit ”. De plus, tel est le point de vue à la base de l'alinéa (3)a) de l'article 57 [analogue au par. 164(4.1)]‡, comme l'indique le fait que cet alinéa traite d'une situation où “ il apparaît, d'après la décision [ministérielle ou judiciaire], qu'il y a eu un versement en trop ”. (Les passages entre crochets sont de moi.)

_________________________________

* Il en est ainsi parce que la Loi de l'impôt sur le revenu (alinéa 139(1)ba)) [analogue au par. 248(2) de la Loi actuelle] dispose que “ l'impôt exigible d'un contribuable aux termes de la Partie I [...] signifie l'impôt par lui payable, tel que le fixe une cotisation ou nouvelle cotisation, sous réserve de changement sur opposition ou appel ”, d'après des dispositions comme le paragraphe 51(1) [analogue à l'article 158 de la Loi actuelle; l'ancien par. 51(1) exigeait que le contribuable paie l'impôt fixé dans une cotisation dans les 30 jours suivant la date de l'avis de cotisation], lequel paragraphe exige que, après la date du dépôt à la poste de l'avis de cotisation, le contribuable paye toute fraction de l'impôt “ réparti ” demeurant alors impayée [“ montant payable ” à l'art. 158 actuel]. Voir : Davidson v. The King, (1945) R.C. de l'É. 160 [2 DTC 718], et Subsidiaries Holding Company, Limited v. The Queen, (1956) R.C. de l'É. 443 [56 DTC 1141]. (Les passages entre crochets sont de moi.)

** Il s'agit en fait du montant déterminé au bout du compte.

‡ Toutefois, le par. 164(4.1) ne traite pas d'une décision judiciaire par laquelle il est “ définitivement décidé que [...] ”, et le texte législatif de 1992 n'emploie pas les termes “ il apparaît, d'après la décision, qu'il y a eu un versement en trop ”. (Note de bas de page du rédacteur)

[25] Traditionnellement, les tribunaux ont présumé que le revenu gagné par une corporation dans l'exercice de ses objets dûment autorisés est un revenu d'entreprise[11]. Cette présomption est réfutable, évidemment. Dans l'affaire Canadian Marconi, la Cour suprême du Canada devait déterminer si le revenu de l'appelante provenant de valeurs mobilières à court terme était un revenu d'entreprise exploitée activement aux fins du calcul des bénéfices de fabrication et de transformation au Canada réalisés par l'appelante. Tout comme dans la présente espèce, la Couronne avait concédé que, si c'était un revenu d'entreprise, c'était un revenu d'entreprise exploitée activement.

[26] De l'avis du juge Wilson : “ [...] Lorsqu'une société tire un revenu d'une activité commerciale il paraît éminemment logique de conclure que ce revenu provient de l'exploitation d'une entreprise. [...] ”[12]. Toutefois, l'avocat de l'intimée insistait pour dire qu'une telle conclusion ne peut être tirée lorsque le revenu consiste en intérêts sur des paiements d'impôt en trop, car un paiement d'impôt en trop représente un bien, et les intérêts y afférents sont un revenu provenant d'un bien et non d'une entreprise.

[27] L'appelante invoquait la modification apportée en 1996 à la définition de “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ” figurant au paragraphe 5203(1) du Règlement. L'avocat soutenait que, en apportant cette modification, le gouverneur en conseil entendait changer ce qui était considéré comme un “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ”. Le “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ” par une société ayant des activités relatives à des ressources naturelles a été redéfini comme suit :

[...] la fraction, si fraction il y a,

a) du montant par ailleurs déterminé en vertu de l'article 5202 comme étant le revenu rajusté tiré d'une entreprise par la société pour l'année

qui dépasse le total des montants suivants :

b) le revenu net relatif à des ressources quant à la société pour l'année;

c) les montants représentant chacun un montant au titre des intérêts sur un paiement en trop qui sont inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, dans la mesure où ce montant est inclus dans le montant qui représente le revenu rajusté tiré d'une entreprise, au sens de l'article 5202, de la société pour l'année;

[28] L'avocat de l'appelante arguait que, si on lit la modification apportée en 1996 au paragraphe 5203(1) du Règlement avec l'article 5202, on peut raisonnablement conclure que des intérêts sur un paiement en trop “ pouvaient être ” inclus dans le revenu d'entreprise exploitée activement en 1992. La modification indique clairement que des intérêts sur un paiement en trop peuvent, juridiquement, être inclus dans le revenu rajusté tiré d'une entreprise “ au sens de [...] ”; de tels intérêts pouvaient donc être un “ revenu [...] tiré [...] d'une entreprise exploitée activement [...] ” en 1992. Le calcul du revenu rajusté tiré d'une entreprise par une société, y compris une société ayant des activités relatives à des ressources naturelles, commence avec l'article 5202. Lorsqu'il s'agit du revenu rajusté tiré d'une entreprise par une société ayant des activités relatives à des ressources naturelles, le paragraphe 5203(1) s'applique également. L'alinéa c) qui a été ajouté au paragraphe 5203(1) indique que des intérêts sur un paiement en trop doivent être déduits dans le calcul du revenu rajusté tiré d'une entreprise par une société ayant des activités relatives à des ressources naturelles. Si des intérêts sur un paiement en trop ne pouvaient être un “ revenu [...] tiré [...] d'une entreprise exploitée activement ”, a déclaré l'avocat de l'appelante, aucun intérêt sur un paiement en trop ne pourrait être déduit selon la définition modifiée de “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ”.

[29] La thèse selon laquelle le gouverneur en conseil entendait changer le sens de “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ”, a affirmé l'avocat, est étayée par le fait que la modification a, au sujet des intérêts sur un paiement en trop, introduit une distinction entre les sociétés qui n'ont pas d'activités relatives à des ressources naturelles et celles qui en ont. L'avocat insistait pour dire que faire fi de cela signifierait que la définition de “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ” applicable aux sociétés ayant des activités relatives à des ressources naturelles était superflue et ne visait pas à établir une distinction entre les sociétés qui ont de telles activités et celles qui n'en ont pas, ce qui serait absurde[13]. Ainsi, en 1992, le revenu rajusté tiré d'une entreprise pouvait inclure des intérêts sur un paiement en trop.

[30] D'après l'intimée, la modification de 1996 visait à clarifier le droit et non à le changer. La clarification du sens d'une expression peut valablement faire l'objet d'une modification, et le tribunal ne doit pas présumer à partir de la modification qu'il y a un changement dans la signification de “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ”. Les paragraphes 45(2) et (3) de la Loi d'interprétation disent expressément que la modification d'un texte ne signifie pas que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée et n'impliquent pas une déclaration sur l'état antérieur du droit[14].

[31] L'intimée faisait en outre référence à la note technique publiée par le ministère des Finances en mars 1996 et selon laquelle les modifications touchant les sociétés du secteur des industries extractives ne changent rien au traitement dont font l'objet les intérêts sur les paiements en trop[15].

[32] L'appelante me demande de considérer la modification de 1996 mais pas la note technique, tandis que l'intimée me demande le contraire. Je ne crois pas que ma décision dépend de la modification ou de la note technique.

[33] L'économie de la Loi n'étaye pas la thèse de l'intimée voulant qu'en aucune circonstance des intérêts sur un paiement en trop puissent être un revenu d'entreprise exploitée activement. Le paragraphe 152(8) dit qu'une cotisation, sous réserve de modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation, est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur. Une cotisation à laquelle il est fait opposition ou qui est portée en appel a donc la même force exécutoire qu'une cotisation non contestée par le contribuable. La principale différence entre les deux tient au fait que, dans le cas d'une cotisation non contestée, le contribuable reconnaît que le montant effectif de son obligation fiscale est le montant déterminé par le ministre, tandis que, dans le cas d'une cotisation contestée, le contribuable allègue que le ministre s'est trompé et que la détermination de l'impôt par le ministre ne représente pas le montant effectif de l'obligation fiscale du contribuable.

[34] Une cotisation est valable tant que les tribunaux n'en décident pas autrement. Une fois qu'un tribunal rend une décision définitive quant au fait qu'une cotisation n'est pas valable, la cotisation n'est plus valide et exécutoire, et le ministre doit établir une nouvelle cotisation modifiant ou annulant la cotisation initiale et il doit rembourser le montant du paiement en trop, plus les intérêts courus depuis “ le jour où il y a eu paiement en trop ”. Durant le processus d'appel, le paiement en trop n'est pas utilisé par le contribuable dans son entreprise, avec ou sans risque. En fait, jusqu'à ce qu'un tribunal rende une décision définitive sur l'appel, il n'existe pas de paiement en trop. C'est la décision définitive d'un tribunal qui donne au contribuable le droit au remboursement du paiement en trop, puis il s'agit de déterminer si l'argent correspondant au paiement en trop servait à répondre à une exigence à laquelle il devait être satisfait pour exploiter une entreprise[16]. L'effet de la nouvelle cotisation est, pour autant que ce soit possible, de placer les parties, soit le ministre et le contribuable, dans la situation dans laquelle ils auraient été si le ministre avait au départ établi une cotisation exacte.

[35] Une fois que le tribunal renvoie une cotisation au ministre pour nouvelle cotisation ou ordonne que la cotisation soit annulée, un paiement en trop est reconnu avoir été effectué lorsque la cotisation d'impôt a été payée. Alors, le paiement d'impôt en trop peut être fixé, et les intérêts sur le paiement en trop peuvent être calculés à partir du jour où le paiement en trop a été fait. La Loi reconnaît que le contribuable avait un droit au paiement en trop à partir du moment où il a payé de l'impôt en trop. Tel est l'esprit des dispositions de la Loi concernant les cotisations, les appels et les paiements.

[36] La présomption du fisc est que les intérêts sur un paiement en trop sont en règle générale “ considérés comme un revenu de placements ”[17]. Cette présomption est réfutable et dépend des circonstances donnant lieu au versement des intérêts. L'alinéa 12(1)c) de la Loi indique que des intérêts peuvent devoir être inclus comme revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. Il est facile de la part du ministre de dire que l'impôt n'est pas lié à l'entreprise d'un contribuable; tel n'est pas le cas : pas d'entreprise, pas d'impôt. Il y a toujours un lien entre une entreprise et l'impôt que le contribuable est juridiquement tenu de payer au fisc[18]. Lorsqu'un contribuable fait opposition à une cotisation ou en appelle, la décision quant à savoir s'il convient de donner des garanties pour le paiement de l'impôt fixé dans la cotisation ou de payer immédiatement l'impôt ainsi fixé est influencée dans une mesure non négligeable par ce qui est le mieux pour l'entreprise.

[37] Une erreur du ministre dans l'établissement de cotisations ne doit pas être préjudiciable à la ligne de conduite habituelle et prévue d'un contribuable concernant les sommes utilisées pour payer les cotisations issues de cette erreur. Un paiement en trop représente une erreur du ministre. Pour déterminer si des intérêts sur un paiement d'impôt en trop sont un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien, il faut d'abord considérer l'origine des fonds utilisés par le contribuable pour effectuer le paiement en trop. L'argent utilisé pour faire le paiement en trop était-il un revenu d'entreprise? Il faut également se demander à quoi le contribuable entendait probablement affecter cet argent. L'argent devait-il être utilisé dans l'entreprise du contribuable ou à une autre fin? Si l'argent utilisé pour effectuer le paiement en trop était un revenu d'entreprise devant être employé dans l'entreprise, alors, une fois que les tribunaux ont déterminé qu'il y avait eu un paiement d'impôt en trop, le paiement en trop n'est plus de l'impôt et redevient un bien appartenant au contribuable et destiné à être utilisé dans l'entreprise du contribuable, et les intérêts y afférents sont des revenus d'entreprise. (Donc, la modification apportée en 1996 au paragraphe 5203(1) du Règlement a bel et bien changé ce qu'est le “ revenu rajusté tiré d'une entreprise ” par des sociétés ayant des activités relatives à des ressources naturelles.)

[38] Je suis convaincu qu'IOL a, pour effectuer le paiement en trop, utilisé des bénéfices gagnés dans son entreprise et que les montants des paiements en trop des cotisations relatives à Irvcal auraient été utilisés par IOL dans l'exploitation de son entreprise à l'époque du paiement en trop. Une erreur du ministre dans l'établissement de cotisations ne doit pas être préjudiciable à la ligne de conduite habituelle et prévue d'un contribuable concernant les sommes utilisées pour payer les cotisations issues de cette erreur. Le fait qu'un contribuable choisisse de payer une cotisation plutôt que de donner des garanties pour le paiement d'une cotisation n'influe pas sur la façon dont il utilisait l'argent. Quand IOL a reçu un remboursement à l'égard des cotisations relatives à Irvcal, ce remboursement représentait la restitution d'une somme qui devait servir dans l'entreprise d'IOL à l'époque du paiement en trop, ce qui avait été impossible à cause de mesures prises par l'administration gouvernementale.

[39] Les intérêts sur le paiement en trop étaient un revenu d'entreprise exploitée activement dans l'année d'imposition 1992 de l'appelante et doivent être inclus dans le revenu rajusté tiré d'une entreprise de l'appelante au sens de l'article 5203 du Règlement de l'impôt sur le revenu aux fins du calcul de la déduction relative aux bénéfices de fabrication et de transformation de l'appelante pour 1992 selon l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[40] L'appel est admis, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de juin 2000.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de janvier 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1] L'exposé des faits admis inclut la déclaration d'impôt sur le revenu des corporations T2 de l'appelante pour 1992, les états financiers d'IOL pour 1978 à 1992 inclusivement et les jugements publiés Irving Oil Limited c. La Reine, C.A.F., no A-592-88, 18 février 1991 (91 DTC 5106) et C.F. 1re inst., no T-3100-79, 4 mars 1988 (88 DTC 6138), qui donnent lieu au présent appel. Je n'ai pas inclus ces documents dans mes motifs. Mes motifs incorporent l'exposé des faits admis, mais j'ai omis certains faits, notamment les calculs des bénéfices de fabrication et de transformation, qui n'aideraient pas le lecteur à comprendre l'appel.

[2] Les dividendes provenaient de corporations liées; IOL avait en outre des placements sous forme de dépôts à court terme et avait consenti des avances à des corporations affiliées, ainsi que des prêts, notamment des prêts hypothécaires.

[3] L.C. 1986, ch. 55, par. 78(4), réputé entré en vigueur le 1er janvier 1987 : par. 248(11) de la Loi.

[4] Jugement précité, note 1.

[5] Jugement précité, note 1.

[6] Paragraphe 125.1(3).

[7] Article 5203 du Règlement.

[8] Cela vaut sous réserve des dispositions de l'article 138 de la Loi, qui s'appliquent à des entreprises d'assurance-vie et en vertu desquelles tous les intérêts, y compris des intérêts sur un paiement en trop, sont inclus dans le calcul du revenu d'entreprise. Voir : La Great-West, Compagnie d'Assurance-Vie c. La Reine, C.C.I., no 96-3525(IT)G, 10 août 1998 (98 DTC 2101).

[9] Terra Nova Properties Ltd. v. M.N.R., 67 DTC 5064, à la p. 5066, président Jackett.

[10] Précité, à la page 5067.

[11] Voir, par exemple, l'affaire Anderson Logging Co. v. The King, [1925] R.C.S. 45, à la p. 56, juge Duff, ainsi que l'affaire Western Leaseholds Limited v. M.N.R., [1960] R.C.S. 10, et d'autres affaires citées par le juge Wilson dans l'arrêt Canadian Marconi Company c. La Reine, [1986] 2 R.C.S. 522, aux pages 528 à 531 (86 DTC 6526, aux pages 6528 et 6529). Aucune preuve n'indique si les actes constitutifs d'IOL font état des objets de la corporation. Quoi qu'il en soit, il est bien évident qu'IOL a été constituée pour exploiter l'entreprise qu'elle exploite effectivement.

[12] Arrêt Canadian Marconi, précité, à la p. 530 (DTC : à la p. 6029).

[13] L'avocat a renvoyé à Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd., 1994), Butterworths, Toronto et Vancouver, aux pp. 79 et 85-86.

[14] Voir aussi les jugements Mountain Park Coals Ltd. v. M.N.R., 52 DTC 1221, aux pages 1223-1224 (C. de l'É.), et Superior Modular Homes Inc. c. La Reine, C.C.I., no 97-1417(GST)I, 16 décembre 1997, à la page 6 (98 G.T.C. 2035, à la page 2037).

[15] Le passage pertinent des notes explicatives concernant le “ Projet de modification de la déduction relative à des ressources et de questions connexes ” rendu public par le ministère des Finances avec d'autres documents budgétaires le 6 mars 1996 est identique à la note technique. Les paragraphes pertinents se lisent comme suit :

Les modifications apportées à l'article 5203 font en sorte que les sociétés du secteur des industries minière, pétrolière et gazière ne puissent pas se servir des intérêts reçus sur un paiement en trop pour accroître leur droit au crédit d'impôt pour fabrication et transformation. Le fait que ces modifications sont apportées n'est toutefois pas une indication que ces intérêts pouvaient auparavant servir à cette fin. Elles n'ont pas pour objet de changer les pratiques administratives de Revenu Canada.

Il est important de noter que les modifications touchant les sociétés du secteur des industries extractives ne changent rien au traitement dont font l'objet les intérêts sur les paiements en trop. En règle générale, ces intérêts sont considérés comme un revenu de placements; les modifications ne font que confirmer le calcul du crédit d'impôt pour fabrication et transformation à l'intention des entreprises des industries minière, pétrolière et gazière qui reçoivent actuellement d'importantes sommes sous forme d'intérêts sur les paiements en trop.

[16] Ensite Ltd. c. La Reine, [1986] 2 R.C.S. 509, aux pages 520 et 521 (86 DTC 6521, aux pages 6525 et 6526), juge Wilson, et La Reine c. Marsh & McLennan, Ltd., [1984] 1 C.F. 609, à la page 621 (83 DTC 5180, à la page 5190), juge LeDain.

[17] Note technique précitée.

[18] La Munich, Cie de Réassurance c. Canada, [2000] A.C.I. no 195, par. 48.

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