Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990512

Dossier: 1999-2401-GST-G

ENTRE :

HUGH W. ASHTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Pendant toute la période pertinente, l’appelant était administrateur de la société Ashton-Potter Limited (la “ société ”). Dans un avis de cotisation du 28 novembre 1996, le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de l’appelant (en sa qualité d’administrateur) en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise, parce que la société aurait omis de verser la taxe sur les produits et services (la “ TPS ”). L’appelant a interjeté appel de la cotisation à cette cour, prétendant qu’il avait fait preuve de diligence.

[2] Les parties se sont entendues sur la tenue d’interrogatoires préalables le 6 décembre 1999. L’avocat de l’intimée avait informé l’avocat de l’appelant que l’intimée présenterait Lisa Kelly pour être interrogée au nom de l’intimée. L’appelant a présenté une requête aux termes du paragraphe 93(3) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) visant à obtenir une ordonnance nommant Lou Coretti comme la personne devant faire l’objet d’un interrogatoire préalable au nom de l’intimée. Les circonstances entourant cette requête sont énoncées plus loin. Cependant, j’aimerais d’abord citer les dispositions pertinentes de l’article 93 :

93.(1) Une partie à l'instance peut interroger une fois au préalable une partie opposée; elle ne peut l'interroger plus d'une fois qu'avec l'autorisation de la Cour.

(2) Lorsque la partie interrogée n'est pas une personne physique ou la Couronne, elle doit choisir un dirigeant, un administrateur, un membre ou un employé bien informé qui sera interrogé en son nom; toutefois, si la partie interrogatrice n'est pas satisfaite de cette personne, elle peut demander à la Cour de nommer une autre personne.

(3) Lorsque la Couronne est la partie interrogée, le sous-procureur général du Canada doit choisir un officier, un fonctionnaire ou un employé bien informé qui sera interrogé en son nom; toutefois, si la partie interrogatrice n'est pas satisfaite de cette personne, elle peut demander à la Cour de nommer une autre personne.

(4) Si un dirigeant, un administrateur ou un employé d'une personne morale ou de la Couronne a été interrogé, aucun autre ne peut l'être sans l'autorisation de la Cour.

[3] Les parties se sont présentées aux interrogatoires préalables le 6 décembre 1999 et l’appelant lui-même a été la première personne interrogée. Dans sa déclaration sous serment à l’appui de la présente requête, l’appelant a déclaré ce qui suit aux paragraphes 7 et 8 :

[TRADUCTION]

7. Lorsqu’il m’a interrogé au préalable, l’avocat de l’intimée nous a présenté pour la première fois, à moi et à mon avocat, des copies de lettres échangées entre Thomas Andrew Silverman, Wayne H. Stubbington et un certain L. Coretti de Revenu Canada, devenu par la suite l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ “ Agence ”). Durant toute la période pertinente, M. Silverman était chef des finances, comptable agréé et vérificateur de Ashton-Potter Limited. M. Stubbington était le contrôleur de la société et relevait de M. Silverman. Mon argument principal à l’encontre de la cotisation établie à mon égard en ma qualité d’administrateur est, d’une part, que nous nous fiions, les autres administrateurs de Ashton-Potter Limited et moi-même, aux affirmations de M. Silverman, homme d’expérience et qualifié, selon lesquelles il n’y avait aucun arriéré de TPS, et d’autre part, que M. Silverman a trompé les administrateurs sur la situation véritable. Les copies conformes de la correspondance entre MM. Silverman, Stubbington et Coretti sont ci-jointes, sous la cote C.

8. Lorsque les documents susmentionnés ont été produits à mon interrogatoire, mon avocat a demandé à l’avocat de l’intimée pourquoi la correspondance entre MM. Silverman, Stubbington et Coretti n’avait pas été produite avant, alors qu’elle était manifestement pertinente dans le cadre de l’appel. L’avocat de l’intimée a répondu que la Couronne n’avait été mise au courant de ces documents que récemment. Ces documents ont été cotés comme pièces à mon interrogatoire à la condition qu’ils soient identifiés car je ne les avais jamais vus auparavant et je ne connaissais pas M. L. Coretti.

[4] La pièce déposée sous la cote C, accompagnant la déclaration sous serment de l’appelant, contenait quatre lettres brèves échangées entre la société et M. Coretti de Revenu Canada. Les lettres étaient datées du 9 avril 1992, du 23 septembre 1992, du 28 octobre 1992 et du 18 décembre 1992. Tout de suite après l’interrogatoire de l’appelant, l’avocat de celui-ci a demandé à l’avocat de l’intimée de présenter M. Coretti pour qu’il soit interrogé au nom de l’intimée. L’avocat de l’intimée a répondu qu’il examinerait cette demande. La séance a pris fin sans que l’avocat de l’appelant n’ait tenté d’interroger au préalable Lisa Kelly.

[5] Les pièces déposées sous les cotes D, E, F, G et H, accompagnant la déclaration sous serment de l’appelant, étaient des lettres échangées entre l’avocat de l’appelant et l’avocat de l’intimée (datées du 22 décembre 1999 au 2 février 2000). Cette correspondance portait sur la possibilité que M. Coretti soit interrogé au nom de l’intimée. En un mot, l’avocat de l’intimée a tenté d’imposer certaines conditions quant à l’interrogatoire de M. Coretti (au cas où il devrait être interrogé à la place de Lisa Kelly), que l’avocat de l’appelant a refusées. Si l’on tient compte des dispositions du paragraphe 93(4) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), on peut se demander s’il était nécessaire ou souhaitable voire raisonnable d’imposer des conditions. La question n’est toutefois plus pertinente puisque l’appelant demande une ordonnance nommant Lou Coretti comme la personne devant être interrogée au nom de l’intimée.

[6] Compte tenu des dispositions du paragraphe 93(3), je suis porté à penser que la Couronne (en tant qu’intimée) a le droit de choisir la personne qui sera interrogée au nom de l’intimée et que l’appelant doit d’abord tenter d’interroger cette personne (afin de déterminer si elle est bien informée) avant de demander à la Cour de nommer une autre personne. Sinon, l’appelant s’attribue le droit de l’intimée de choisir la personne qui sera interrogée. L’avocat de l’intimée a déclaré dans la lettre du 22 décembre 1999 (pièce déposée sous la cote D) que l’avocat de l’appelant avait refusé d’interroger Lisa Kelly. Dans la lettre du 6 janvier 2000 (pièce déposée sous la cote E), l’avocat de l’appelant a reconnu qu’il avait refusé d’interroger Lisa Kelly.

[7] La jurisprudence étaye l’opinion que je viens d’exprimer de prime abord au paragraphe précédent. Dans l'affaire Backman c. La Reine, C.C.I., no 95-530(IT)G, 4 avril 1996 (97 DTC 550), le contribuable a présenté, en vertu du paragraphe 93(3), une requête visant à obtenir une ordonnance nommant N pour qu’il soit interrogé au préalable au nom de la Couronne. Cette dernière a proposé de présenter T comme la personne qu’elle avait choisie. En rejetant la requête du contribuable, le juge Bell a déclaré ce qui suit :

Il semble avoir avancé cet argument à l'appui de ce qu'il faisait valoir précédemment, à savoir que le paragraphe 93(3) lui permet de présenter une demande à la Cour au motif qu'il n'est pas satisfait de la personne nommée, avant le commencement d'un interrogatoire préalable. Je n'accepte pas cet argument de la partie requérante. De toute évidence, le paragraphe 93(4) vise à limiter le nombre de personnes pouvant être interrogées. Il n'aide pas réellement à interpréter le paragraphe 93(3) des règles, qui traite du cas où la partie “interrogatrice” n'est pas satisfaite de la personne choisie. L'emploi du mot “examinatrice” indique qu'un interrogatoire préalable doit avoir débuté. L'intimée a pour habitude d'énoncer dans les réponses aux avis d'appel les faits et les hypothèses de fait sur lesquels se fonde une cotisation. Il s'ensuit que l'avocat de la partie appelante peut vouloir interroger à cet égard l'officier ou gestionnaire de la partie intimée. Toutefois, ce seul fait n'habilite pas la partie appelante à interroger uniquement le fonctionnaire du ministère qui a effectué une vérification avant l'établissement de la cotisation. La partie intimée doit choisir une personne à interroger qui soit bien informée. Si tel n'est pas le cas, ce qui ne peut être déterminé avant qu'un interrogatoire ait été mené, il convient que la partie appelante demande un redressement en vertu du paragraphe 93(3) des règles. Il est difficile de s'opposer au raisonnement de la Cour d'appel fédérale. Je suis d'avis que l'interrogatoire préalable doit s'être tenu ou du moins avoir commencé et avoir objectivement été déclaré insatisfaisant avant que l'on puisse faire droit à une demande présentée en vertu du paragraphe 93(3) des règles. Logiquement, une telle insatisfaction se fonderait sur le fait que la personne interrogée n'était pas bien informée.

[8] Dans l'affaire Bande indienne Ermineskin c. Canada, [1995] 3 C.F. 544, les demandeurs ont présenté une requête analogue en vertu de l’article 456 des Règles de la Cour fédérale, qui ressemble à l’article 93 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale). En rejetant la requête des demandeurs, le juge MacKay a déclaré à la page 553 :

[...] Par application du paragraphe 456(3) des Règles, la Couronne désigne maintenant son représentant et la Cour peut, en vertu du paragraphe 456(4) des Règles, “ [l]orsqu'elle est saisie d'une demande de la part d'une partie en droit d'interroger une personne désignée, conformément à l'alinéa ... (3), ... ordonner qu'une autre personne soit interrogée ”. Il me paraît clair que ces dispositions établissent un processus en deux étapes : le procureur général ou le sous-procureur général détermine d'abord qui doit représenter la Couronne et ce n'est qu'après que la Cour peut intervenir. Il est peu probable que la Cour exerce son pouvoir d'intervenir, à moins qu'il ne soit établi que la personne désignée par la Couronne n'est ni renseignée ni en mesure d'obtenir des renseignements quant aux faits essentiels aux questions visées par l'interrogatoire préalable.

[9] Il importe de se rappeler que la partie interrogée ne témoigne pas nécessairement en communiquant ses connaissances personnelles. Dans l’affaire Champion Truck Bodies Ltd. c. La Reine, Division de première instance de la Cour fédérale, 3 juillet 1986, le juge Strayer a dit ce qui suit dans son dernier paragraphe :

[...] La personne interrogée ne “ témoigne ” pas nécessairement en communiquant ses connaissances personnelles et ses observations comme le fait un témoin au procès, mais son rôle est plutôt de faire part de la position de la partie qu’elle représente. Il est possible que cela ne constitue qu’une simple preuve par ouï-dire. L’interrogatoire vise à faire connaître non pas le témoignage que produira la personne interrogée mais plutôt les faits qui sont pertinents aux procédures et que l’autre partie connaît [...]

[10] Il n’est pas nécessaire que Lisa Kelly ait une connaissance directe des lettres échangées entre Lou Coretti et les employés de la société. Mme Kelly peut les trouver, prendre connaissance de leur contenu et obtenir d’autres renseignements auprès de M. Coretti, s’il est encore employé de Revenu Canada. L’appelant ne peut faire une demande à la Cour en vertu du paragraphe 93(3) des Règles de procédure générale tant qu’il n’a pas tenté au moins d’interroger la personne choisie par le sous-procureur général du Canada pour être interrogée au nom de l’intimée. Si l’interrogatoire par l’appelant de la personne ainsi choisie révèle qu’elle n’est pas bien informée, l’appelant serait alors en mesure de faire une demande à la Cour en vertu du paragraphe 93(3).

[11] La présente requête est prématurée. La requête de l’appelant est rejetée, avec dépens en faveur de l’intimée peu importe l’issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de mai 2000.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de novembre 2000.

Benoît Charron, réviseur

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