Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000914

Dossier: 2000-1366-GST-I

ENTRE :

VILLA RIDGE CONSTRUCTION LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1] Le présent appel est interjeté à l’encontre d’une cotisation établie en vertu des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise portant sur la taxe sur les produits et services.

[2] Par cette cotisation, le ministre du Revenu national a fixé de la TPS en se basant sur les faits suivants : l'appelante, dont l'entreprise consistait à construire et à vendre des immeubles d'habitation, avait construit un immeuble d'habitation à logement unique, au 25, Derrick Court, Saint John (Nouveau-Brunswick), et l'a loué à un particulier le 1er octobre 1998 ou vers le 1er octobre 1998, époque à laquelle cet immeuble avait une juste valeur marchande de 82 300 $.

[3] Se basant sur ces faits, le ministre a fixé de la TPS en vertu du paragraphe 191(1) de la Loi sur la taxe d'accise, soutenant qu'une fourniture taxable, par vente, était réputée avoir été effectuée au dernier en date du jour où la construction était achevée et du jour où la possession de l'immeuble a été transférée, et ce, à la juste valeur marchande de 82 300 $.

[4] La position de l'appelante peut être résumée comme suit.

1) La juste valeur marchande n'était pas de 82 300 $, et l'utilisation de valeurs établies pour fins d'évaluations de taxe foncière est inacceptable, car ces valeurs sont d'une inexactitude notoire. Je suis enclin à reconnaître que l'on ne peut se fier aux valeurs établies pour fins d'évaluations de taxe municipale. Je n'ai toutefois aucune preuve réfutant l'hypothèse de l'intimée selon laquelle le bien avait une juste valeur marchande de 82 300 $. En outre, le bien a été vendu en août 1999 pour un montant de 81 500 $, et le coût de construction était de 85 000 $. Je ne vois aucune raison de ne pas être d'accord sur la valeur de 82 300 $ attribuée au bien par l'intimée.

2) La province n'a pas la compétence constitutionnelle voulue pour déléguer au gouvernement du Canada l'administration de la partie de taxe provinciale de la taxe de vente harmonisée (“ TVH ”), qui est essentiellement une combinaison de la taxe de vente provinciale et de la TPS. L'appelante invoque l'arrêt Atty.-Gen. of Nova Scotia v. Atty.-Gen. of Canada, 50 DTC 838, dans lequel la Cour suprême du Canada a pour l'essentiel statué que les assemblées législatives des provinces et le Parlement du Canada ne peuvent se déléguer des pouvoirs législatifs. Cela est bien établi en droit, mais ce n'est pas de cela que nous traitons ici. Nous traitons simplement du fait qu'une assemblée législative provinciale, souveraine dans sa propre sphère de compétence législative, délègue au ministre du Revenu national certaines fonctions relatives à la perception et à l'administration d'une taxe imposée par la province. Cette question a été examinée d'une manière assez détaillée par le juge Hamlyn dans l'affaire Guillemette c. La Reine, C.C.I., no 95-3245(IT)G, 25 juin 1997 (97 DTC 1347), et par moi-même dans une affaire dont l'intitulé est le même, C.C.I., no 96-3678(IT)G, 20 février 1998 (98 DTC 1555), et dans laquelle j'ai suivi la décision du juge Hamlyn. Le jugement du juge Hamlyn a été confirmé par C.A.F., no A-613-97, 4 mai 1999 (99 DTC 5204).

3) Obliger des contribuables à percevoir, à administrer et à traiter la TVH sans rémunération est un traitement cruel et inusité. Cette assertion est, je présume, basée sur l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui stipule que chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Aucun avis prévu à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale n'a été donné, mais je peux traiter brièvement de l'argument, car je n'entends pas l'accepter. Ce qui est interdit à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale — en admettant que le Parlement puisse constitutionnellement dresser un obstacle procédural à la formulation d'arguments basés sur la loi fondamentale de notre pays — ce n'est pas d'entendre des arguments sur la constitutionnalité d'une mesure législative sans qu'un avis ait été signifié aux divers procureurs généraux, mais plutôt de donner effet à de tels arguments en invalidant une mesure législative sans que l'avis approprié ait été signifié.

Je ne pense pas que le fait d'obliger des contribuables à percevoir et à verser la TPS ou à accomplir à cette fin l'une quelconque des autres tâches administratives dont notre régime d'autocotisation exige l'exécution en application de la Loi sur la taxe d'accise ou de la Loi de l'impôt sur le revenu constitue un traitement cruel et inusité, de la manière dont je comprends ces termes. Nul doute que bon nombre de ces responsabilités administratives non rémunérées demandent du temps et sont lourdes et exaspérantes. Ce n'est toutefois pas un prix trop élevé à payer pour vivre sous un régime fiscal d'autocotisation. Il se peut bien que certaines personnes considèrent que le fait de les obliger à payer des impôts est cruel. Quelle que puisse être la valeur de ce point de vue, ce traitement n'est assurément pas inusité.

4) L'appelante soutient, par l'entremise de son représentant et principal actionnaire, Gerald Webster, que le bien a en fait été vendu pour 40 000 $ et que la TPS ou la TVH devrait être basée sur ce montant.

Ce n'est pas exactement ce qui s'est passé. Un état de rajustements “ au 1er octobre 1998 ” a été consigné en preuve. Il indique que l'appelante est le vendeur et que John F. O'Brien est l'acheteur. Le prix de vente indiqué est de 40 000 $, plus 6 000 $ de TVH, moins 1 008 $ de remboursement de TPS, ce qui donne 44 892 $. L'acte relatif à cette présumée opération a de fait été enregistré au bureau d'enregistrement le 27 mai 1999.

Le document suivant est un autre état de rajustements “ au 1er octobre 1998 ”, qui indique que John F. O'Brien a vendu le bien à Gerald D. Webster pour 46 000 $. Aucune TPS ou TVH n'est indiquée comme étant payable sur cette deuxième présumée vente. L'acte relatif à cette présumée opération a également été enregistré le 27 mai 1999. Le cabinet d'avocats qui s'est occupé de ces présumées opérations est Zed & Company et non le cabinet avec lequel l'appelante faisait habituellement affaire, soit Patterson Palmer Hunt Murphy.

On a produit un autre état de rajustements, en date du 3 août 1999, qui indique un prix de vente de 81 500 $. Ce document indique que l'appelante est le vendeur et que deux particuliers sont les acheteurs. Il est toutefois indiqué dans l'acte que le cédant est Gerald Webster.

M. Webster a affirmé que le “ profit ” tiré de l'opération n'a pas été déclaré par lui et que c’est l’appelante, et non lui, qui a tenu compte du produit, et cette dernière a en fait accusé une perte.

Je ne pense pas que les présumés transferts entre l'appelante et M. O'Brien ou entre MM. O'Brien et Webster soient des transferts véritables ou qu'ils aient été destinés à créer des relations juridiques véritables. Ils ont été envisagés après que M. Webster fut devenu au courant des conséquences fiscales de la location du bien aux termes de l'article 191, pour éviter ces conséquences. M. Webster a admis au cours du contre-interrogatoire qu'il était “ probable ” que les transferts étaient antidatés. Ce n'est pas “ probable ”, c'est “ indiscutable ”. Même les 6 000 $ de TVH indiqués dans le premier état de rajustements n'ont jamais été versés à Revenu Canada.

Une planification fiscale légitime a assurément sa place. Il y a toutefois une différence entre une telle planification et des manigances fiscales. Ces opérations entrent dans cette dernière catégorie. Je reconnais que M. Webster a été très ouvert quant à l'objet des présumées opérations et qu'il n'a pas essayé de décrire ces opérations comme étant autre chose que ce qu'elles étaient. Il s'agissait purement et simplement d'opérations trompe-l'oeil classiques (Snook v. London & W. Riding Invest. Ltd., [1967] 1 All E.R. 518, à la page 528). En fait, ces opérations étaient si évidentes et ont été exécutées avec un tel manque de finesse qu'elles n'auraient pu berner qui que ce soit.

[5] Dans la réponse à l'avis d'appel, il est précisé que d'autres rajustements ont été effectués concernant la TPS/TVH à percevoir et les crédits de taxe sur les intrants qui avaient été accordés. Mis à part la contestation de la taxe imposée sur la location du 25, Derrick Court, aucune objection n'est soulevée quant aux montants fixés. Toutefois, dans la réponse à l'avis d'appel, il est admis que la cotisation contient une erreur quant au montant fixé au titre de la taxe nette, soit 57 092,90 $. Ce montant devrait être de 39 732,90 $.

[6] L'appel est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de mettre en application ce qui est admis au paragraphe 4 de la réponse à l'avis d'appel.

[7] Il n'y aura aucune adjudication des dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de septembre 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de février 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.