Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 19981215

Dossier : 96-1145-IT-G

ENTRE :

MARIA GORANITOU,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel interjeté à l’encontre de la cotisation de 70 456,97 $ datée du 3 novembre 1994 établie par le ministre du Revenu national aux termes de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”). Le paragraphe 160(1) de la Loi prévoit en effet que, dans les cas où un mari transfère des biens à son épouse, les deux conjoints sont responsables du paiement des impôts impayés au moment du transfert. Le conjoint auquel la propriété est transférée doit payer un montant égal à la valeur nette du bien transféré, si aucune contrepartie n'a été donnée.

[2] Le sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi est ainsi libellé :

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien, [...]

[3] En 1984, Peter Papatheodorakos a transféré à l'appelante un bien (situé sur la rue Bressani) d'une valeur nette de 70 000 $ — alors qu'il devait 205 391 $ à Revenu Canada pour les années d'imposition 1977 à 1982.

[4] L'appelante a quitté la Grèce en 1965, où elle travaillait comme couturière et comme pelletière, un travail qu'elle effectue encore aujourd'hui, pour s'installer au Canada. En 1969, elle est déménagée à Montréal et a épousé Peter Papatheodorakos. Dans son témoignage, elle a insisté sur le fait que son père lui avait prêté 10 000 $ en argent comptant au cours de l'hiver 1973 pour acheter une maison. Ce témoignage a été confirmé par le mari et le beau-frère qui ont tous deux affirmé qu'ils étaient présents le soir où, après le souper, l'appelante a dit à son père qu'elle cherchait une maison; celui-ci a alors quitté la table pour venir lui remettre quelques instants plus tard un montant de 10 000 $ — en argent comptant qu'elle devait rembourser sans intérêt lorsqu'elle serait en mesure de le faire. Le père est décédé en juin 1974. En février 1975 — un bien immobilier de trois logements sur la rue Bressani à Ville St-Laurent a été acheté pour 40 500 $ et enregistré au nom du mari. L'appelante soutient que le bien a été acheté avec les 10 000 $ en argent que lui avait avancés son père deux années plus tôt ainsi que ses économies personnelles de 3 500 $ et un prêt hypothécaire de 27 000 $ consenti par la Hellenic Trust — tous les documents étaient au nom du mari. Elle prétend qu'il lui servait de prête-nom. Elle a expliqué qu'il avait besoin du bien affecté en garantie pour ouvrir un restaurant. Il a ouvert le restaurant deux ans environ après l'achat du bien situé sur la rue Bressani.

[5] En 1982, l'appelante et son mari ont acheté leur résidence à Dorion et en ont fait enregistrer le titre à leurs deux noms. C'était, semble-t-il, une coutume grecque.

[6] Aux environs de novembre 1983, Revenu Québec a effectué une perquisition et saisie au restaurant du mari pour impôt impayé. L'appelante a déclaré que le restaurant de son mari ne faisait pas de bonnes affaires en février 1984 et qu'afin de protéger le bien situé sur la rue Bressani contre des créanciers éventuels elle lui avait demandé de lui transférer le bien pour une contrepartie de 40 500 $. Elle a pris en charge le solde principal de 9 542,03 $ sur l'hypothèque.

[7] En octobre 1984, elle a consenti une hypothèque de 35 000 $ sur le bien à Angeliki Stratopoulou. Elle a déclaré que le produit net de l'hypothèque avait été utilisé pour effectuer des réparations, quoique, selon les dossiers d'impôt, 800 $ seulement ont été dépensés pour la réparation du toit. Ces mêmes dossiers révèlent en outre que tous les revenus et toutes les dépenses se rapportant au bien ont été déclarés par le mari seulement.

[8] En septembre 1985, l'appelante a vendu le bien 80 000 $; elle a déclaré qu'il ne lui était à toutes fins utiles rien resté après le paiement de la dette, probablement celle de son mari.

[9] L'appelante a déposé en preuve une note rédigée par son beau-frère, Nick Kargakos, en grec, dont voici la traduction :

[TRADUCTION]

(traduction d'une note manuscrite rédigée en grec)

Maria Papatheodorakou convient avec son mari Petros Papatheodorakos qu'elle a de l'argent en propre et de l'argent qui lui vient de son père. Maria et Petros ont convenu d'acheter avec l'argent de Maria une maison qui appartiendra à Maria étant entendu qu'elle sera au nom de Petros mais que Maria pourra, si elle le désire, faire rayer le nom de Petros du titre immobilier de sorte qu'il ne sera jamais propriétaire du bien qui appartiendra à Maria. Petros accepte que tout cela soit fait légalement devant un avocat ou un notaire.

À Montréal, le 8 janvier 1975

Signa/((ture)) Signat((ture)) du témoin

((signature illisible)) ((signature illisible))

Signa((ture)) NICK KARGAKOS

M. Papatheodorakou

[10] L'existence de cette note n'a été révélée que lorsque le ministre a établi la cotisation en 1994. L'appelante a déclaré qu'elle gardait la note dans un coffre bancaire. Tous les autres documents pertinents ont été perdus ou jetés.

[11] Peter Papatheodorakos a fait faillite en 1988. Le principal créancier était le ministère du Revenu du Québec dont la créance s'élevait à 504 389 $. La cotisation établie par Revenu Canada est datée du 6 novembre 1989.

[12] Il s'agit en fait de déterminer si l'appelante était la véritable propriétaire en equity du bien situé sur la rue Bressani, de la date de son achat en 1975 à la date à laquelle il lui a été transféré par son mari Peter en 1984.

[13] L'appelante doit établir selon la prépondérance des probabilités que, le 7 février 1984, son mari Peter n'avait pas de droits sur le bien de la rue Bressani. Elle ne l'a pas fait. Il y a trop de contradictions, de situations improbables et de coïncidences pour que la thèse de l'appelante soit retenue, notamment :

1) Il est possible, mais peu probable, que, deux ans avant l'achat du bien, l'appelante ait demandé à son père de l'argent au cours d'un repas en présence d'un invité, et qu'il lui ait remis 10 000 $ en argent comptant sous forme de prêt.

2) S'il a de fait avancé les fonds, sous forme de prêt, il est peu probable qu'il n'ait pas demandé un quelconque reçu.

3) Il est difficile de comprendre pourquoi elle a attendu deux ans pour acheter le bien.

4) La note du 8 janvier 1975 soulève certains doutes. Pourquoi n'a-t-elle pas été rédigée par l'appelante ou par Peter? Pourquoi l'a-t-elle gardée jusqu'en 1994 ou 1995 alors que les autres documents n'ont pas été conservés? Pourquoi la date semble-t-elle avoir été écrite avec une plume différente de celle utilisée pour rédiger le reste du document?

5) Peter a déclaré les pertes ou le revenu de location relativement à l'immeuble de la rue Bressani au cours des années.

6) L'appelante ne semblait pas, d'après ses déclarations de revenus pour les années pertinentes, avoir gagné suffisamment de revenus pour prendre le bien à sa charge. Son revenu annuel entre 1975 et 1980 ne semble pas avoir dépassé 3 500 $.

7) Le bien a été transféré à l'appelante trois mois avant que Revenu Québec prenne des mesures contre Peter pour recouvrer l'impôt impayé.

8) Peter a plaidé coupable à des accusations criminelles d'évasion fiscale en 1986, et une amende de plus de 100 000 $ lui a été imposée. Les impôts et l'amende n'ont jamais été payés et Peter a été condamné à des travaux communautaires.

9) L'acte formaliste de Peter à l'appelante indique une contrepartie de 40 500 $, qui était le prix d’achat original.

[14] Après avoir tenu compte de tous les éléments de preuve, je conclus que l'appelante ne s'est pas déchargée du fardeau de la preuve.

[15] L'avocat de l'appelante a cité l'affaire Elisabeth Linke v. H.M.Q., 94 DTC 1549. Les faits de cette affaire ressemblent beaucoup à ceux de l'espèce, à une énorme différence près. Dans l'affaire Linke, l'appelante était la seule propriétaire enregistrée d'un autre bien quatre ans avant de faire l'acquisition du bien en question, et la Cour était convaincue que l'appelante y avait investi d'autres fonds. Je ne suis pas convaincu que Maria Goranitou a acheté le bien situé sur la rue Bressani avec son propre argent et je fais remarquer que le juge Christie dans l'affaire Linke a déclaré que l'appel se situait “ à la limite du rejet ”.

[16] Il n'y a pas eu de preuve contradictoire quant à la valeur de 80 000 $ estimée par l'intimée. À peu près aucune preuve n'a été produite de dépenses ou de charges qui permettraient de ramener à moins de 70 456,97 $ la valeur établie par le ministre.

[17] Pour ces motifs, l'appel est rejeté, avec frais à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de décembre 1998.

“ C.H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de juillet 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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