Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19970724

Dossier: 97-93-IT-I

ENTRE :

ANTONIO LOMBARDI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(rendus oralement à l'audience à Montréal (Québec) le 24 juillet 1997)

Le juge Archambault, C.C.I.

M. Lombardi interjette appel à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu établies par le ministre du Revenu national (le “ministre”) pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 (la “période pertinente”). Le ministre avait refusé la déduction de pertes locatives de 6 771 $ pour 1992, de 5 084 $ pour 1993 et de 4 441 $ pour 1994. Les parties ont convenu que la seule question devant être tranchée par notre cour est de savoir si M. Lombardi avait une attente raisonnable de profit en louant une partie d'un triplex dont il était propriétaire.

FAITS

En avril 1991, M. Lombardi avait acheté un triplex à Saint-Léonard (Québec) pour la somme de 230 000 $; il avait déboursé 55 000 $ et avait financé le reste par un emprunt hypothécaire de 175 000 $, soit 76 p. 100 du coût du triplex.

Le prêt hypothécaire qui avait été consenti pour un terme de cinq ans au taux d’intérêt de 11 p. 100 prévoyait des paiements mensuels de 1 600 $. En vertu des modalités convenues, M. Lombardi pouvait réduire le prêt de 10 p. 100 chaque année. Il l'a en fait ainsi réduit de 10 000 $ au cours du premier terme. Il avait accepté de s'engager pour un terme de cinq ans parce qu'il voulait que les frais d'intérêt sur le prêt soient gelés pour cette période. Il craignait un retour au taux d'intérêt de 18 p. 100 qui avait eu cours les années précédentes.

M. Lombardi entendait utiliser un des appartements de cinq pièces et demie pour son propre usage; les deux autres appartements devaient être loués. Après la vente, le vendeur avait été autorisé à occuper pendant deux mois l'appartement que M. Lombardi entendait utiliser pour son propre usage et il avait ainsi payé 1 000 $ par mois à M. Lombardi en mai et en juin 1991.

L'un des deux autres appartements, soit un logement de trois pièces et demie situé au sous-sol, avait été loué à la belle-mère de M. Lombardi 310 $ par mois. Ce loyer représentait une augmentation de 10 $ par mois par rapport au loyer demandé par l'ancien propriétaire du triplex. Le bail du locataire précédent avait expiré le 30 juin 1992. La belle-mère de M. Lombardi avait dépensé environ 3 000 $ pour améliorer cet appartement.

L'autre appartement de cinq pièces et demie, situé à l'étage, avait été loué environ 575 $ par mois à une personne non liée à M. Lombardi. Lorsque M. Lombardi avait acheté le triplex, cet appartement était loué 570 $ par mois.

M. Lombardi a dit à la Cour — et je le crois — que son intention était de gagner des loyers suffisants pour payer non seulement les dépenses liées aux deux logements locatifs, mais également les dépenses liées à son propre appartement. En d'autres mots, il entendait réaliser un profit.

M. Lombardi a subi des pertes de 1991 à 1995. Les pièces R-1 à R-3 font état de ces pertes en détail. En répartissant les dépenses totales entre la partie locative et la partie personnelle du triplex, M. Lombardi avait attribué à la partie personnelle seulement 40 p. 100 des dépenses pour 1992 et 1994 et 46 p. 100 pour 1993.

En 1996, M. Lombardi a réalisé un profit de 2 848 $. Il estime qu'il réalisera un profit de 4 304 $ en 1997. Dans le calcul de ces profits, une proportion de 60 p. 100 des dépenses est attribuée à la partie personnelle. Un autre facteur important qui explique qu'un profit apparaisse pour 1996 et 1997, c'est le fait que M. Lombardi a, en 1996, renouvelé son emprunt hypothécaire non seulement à un taux d'intérêt moindre, soit 7 ¼ p. 100, mais également sur un montant moindre, soit environ 140 000 $.

ANALYSE

L'intimée soutient que M. Lombardi n'avait pas d'attente raisonnable de profit parce que le loyer ne couvrait pas les frais fixes des impôts fonciers, des intérêts et des assurances. Dans l'arrêt The Attorney General of Canada v. June Mastri and Michael Mastri, numéro de dossier A-650-96, 1997 CanRepNat 852 (TaxPartner CD-ROM), la Cour d'appel fédérale a récemment réaffirmé le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt bien connu Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, à savoir qu'un contribuable ne peut déduire des pertes provenant d'une entreprise ou d'un bien s'il n'y a aucune source de revenu. De plus, aucune source de revenu n'existe sans qu'il y ait une attente raisonnable de profit, et ce, que l'appel comporte ou non un élément personnel ou une déduction d'impôt inappropriée. L'arrêt Mastri confirme également l'approche utilisée dans l'affaire Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001, à savoir que la Cour ne doit pas apprécier d’une façon rétrospective le sens des affaires d'un contribuable dont l'entreprise commerciale se révèle moins rentable que ce qu’il avait prévu.

En l'espèce, je suis convaincu qu'une attente raisonnable de profit existait relativement à la partie locative du triplex. M. Lombardi avait acheté le triplex à la fois pour son propre usage et à des fins locatives. Dans le cas qui nous occupe, je conclus que deux des trois appartements étaient utilisés à des fins locatives. Le loyer demandé par M. Lombardi à sa belle-mère était plus élevé que le loyer demandé par l'ancien propriétaire à un locataire non lié à lui. La belle-mère de M. Lombardi avait également dépensé environ 3 000 $ pour améliorer son logement.

C'était la première fois que M. Lombardi s'engageait dans ce genre d'entreprise. Il s'attendait à perdre de l'argent les premières années, puis à pouvoir augmenter le loyer de manière à ce que l'entreprise soit ensuite rentable. Il s'attendait également à réduire ses paiements hypothécaires mensuels en réduisant le montant du prêt hypothécaire, qu'il a effectivement réduit de 10 000 $ au cours du premier terme. Il avait opté pour un terme de cinq ans, ce qui, rétrospectivement, s'est révélé une mauvaise décision, mais personne ne peut regarder dans une boule cristal et prédire l'avenir. En fait, M. Lombardi a pu renouveler son emprunt hypothécaire à un taux d'intérêt moindre, ce qui l'a aidé à réaliser un profit en 1996. Pour 1997, il s'attend à un profit encore plus élevé.

Comme le juge Bowman le disait dans l'affaire Bélec v. The Queen, 95 DTC 121, à la page 123 :

Ce serait aussi inacceptable de permettre au ministre de refuser la déduction des pertes au début d'une entreprise sur la présomption qu'il n'y avait pas d'espoir raisonnable de profit, et, après la réussite de l'entreprise, d'exiger une partie de ses profits au titre d'impôt en disant, en effet, au contribuable : "Le fait que tu as perdu de l'argent quand tu as débuté l'entreprise prouve que tu n'avais pas d'espoir raisonnable de profit, mais dès que tu gagnes de l'argent, ça prouve que maintenant, tu en as".

Il est à noter que, à partir de 1996, M. Lombardi a affecté 60 p. 100 de ses dépenses totales à la partie personnelle. Comme nous allons le voir bientôt, cela influe également sur la réponse à la question de savoir si la location des deux appartements peut donner lieu à un profit. Cette affectation de 60 p. 100 semble raisonnable, car le pourcentage représentant les dépenses personnelles de M. Lombardi peut bien être supérieur au pourcentage de la superficie servant en fait à l'usage personnel de M. Lombardi. Je ne pense pas que la superficie effective doive être le seul facteur dans la détermination de ce qui constitue une affectation raisonnable des dépenses entre la partie personnelle et la partie locative d'un bien. Parmi les autres facteurs à prendre en considération, il y a la question de savoir si un appartement est situé au rez-de-chaussée ou au sous-sol, la question de savoir quels droits ont les locataires quant à l'utilisation de l'allée et de l'arrière-cour et la question de savoir à quel appartement se rapportent les frais effectivement engagés.

Comme je l'ai mentionné précédemment, M. Lombardi a, dans le calcul de ses pertes locatives pour la période pertinente, attribué à la partie personnelle seulement 40 et 46 p. 100 des dépenses. Si je devais refaire le calcul de son revenu de location ou de ses pertes locatives pour la période pertinente en utilisant, pour le calcul de son revenu brut, le montant intégral de loyer qui est indiqué dans ses baux et, pour le calcul de ses dépenses, seulement 40 p. 100 des frais effectivement engagés plutôt qu'une perte cumulative, la location aurait donné lieu à un revenu net global de 617 $. Il y aurait eu un revenu de 180 $ pour 1992, une perte de 169 $ pour 1993 et un revenu de 606 $ pour 1994. Compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, il semble donc que M. Lombardi avait une attente raisonnable de profit lorsqu'il s'est lancé dans l'entreprise en question.

Avant de conclure, je voudrais attirer l'attention sur les propos suivants tenus par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Tonn, précité, à la page 6009 :

À mon avis, lorsque le ministère désire contester le caractère raisonnable des transactions d'un contribuable, il peut tout simplement, dans la plupart des cas, invoquer l'article 67, qui énonce qu'une dépense peut être déduite uniquement dans la mesure où elle est raisonnable dans les circonstances. Il n'est pas tenu d'appliquer le critère plus rigide de l'arrêt Moldowan. En fait, dans bien des cas, le recours à l'article 67 conviendra peut-être mieux. C'est ce qu'a fait remarquer le juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, à plusieurs reprises. Ainsi, dans Cipollone c. R.[...], la contribuable a cherché à déduire différentes dépenses élevées dans le cadre de son entreprise de “thérapie de l'humour”. Malgré la nature inhabituelle de l'entreprise, le juge Bowman a décidé que celle-ci était honnête et n'était donc pas visée par le critère de l'arrêt Moldowan. Il a ajouté ce qui suit :

Ses pertes étaient considérables, mais pas parce que son entreprise n'avait pas une expectative raisonnable de profit, ou qu'elle ne dépensait pas d'argent pour tirer ou produire un revenu d'une entreprise. Je considère comme un fait établi qu'elle dépensait de l'argent pour faire un profit et que son expectative de profit était raisonnable, si elle avait choisi de déduire des dépenses raisonnables. Le problème réside non pas dans l'absence d'expectative raisonnable de profit, car des entreprises de ce genre peuvent être assez lucratives, mais plutôt dans la tentative de déduire des dépenses déraisonnables[...].

Avant de décider de ne pas admettre toutes les pertes indiquées par un contribuable, le ministre doit d'abord déterminer si les dépenses sont raisonnables, puis si certaines d'entre elles ont le caractère de dépenses personnelles ou le caractère de dépenses en capital. Si le ministre adoptait cette approche, non seulement ce serait plus juste pour les contribuables canadiens, mais cela pourrait également entraîner une diminution du nombre d'actions intentées devant notre cour, car les contribuables seraient moins enclins à contester leur cotisation si une partie seulement de leurs dépenses n'était pas admise.

En l'espèce, si le ministre avait déterminé que l'utilisation personnelle que M. Lombardi faisait du triplex représentait un pourcentage de 60 p. 100, la plupart des pertes auraient disparu, et un revenu aurait même pu être généré. Étant donné que la seule question soumise à notre cour était de savoir si M. Lombardi avait une attente raisonnable de profit, et comme j'ai conclu qu'une telle attente existait, il ne conviendrait pas de refuser la déduction d'une partie des dépenses.

Pour ces motifs, les appels sont admis, et les cotisations pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que M. Lombardi était en droit de déduire ses pertes locatives. M. Lombardi a également droit à ses frais.

“ P. Archambault ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de mai 1998.

Benoît Charron, réviseur

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