Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 19971104

Dossiers : 96-2607-IT-I; 96-2608-IT-I

ENTRE :

JAMES E. VIRTUE, EDWARD J. KRYSKI,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] Les parties ont convenu que les deux appels seraient entendus sur preuve commune. Les appelants exploitent en tant qu'associés la K2V2 Amusements (la “K2V2”) et, pour chacune des années d'imposition 1993 et 1994, chaque appelant avait déduit certains montants comme pertes d'entreprise, soit des déductions que le ministre du Revenu national (le “ministre”) avait, par voie de nouvelles cotisations, refusées pour le motif que ni l'un ni l'autre appelant n'avait, dans les années considérées en l'espèce, d'attente raisonnable de profit à l'égard de l'activité en cause.

[2] Avec l’accord des parties, les pièces suivantes ont été déposées :

Pièce A-1 — Sommaire des résultats de la K2V2 — 1990-1994

Pièce A-2 — États des résultats de la K2V2 — 1995

Pièce A-3 — État des activités commerciales de la K2V2 — 1996

[3] L'appelant James Virtue a témoigné qu'il est enseignant, qu'il vit à Regina (Saskatchewan) et que lui et son beau-père, Edward Kryski, avaient créé en tant qu'associés à parts égales une société de personnes pour l'exploitation de la K2V2, soit une entreprise de location de jeux destinés à des salles de jeux électroniques, à des restaurants et à d'autres établissements. En 1984, ils avaient acheté une partie d'une entreprise existante qui était exploitée à Regina et qui s'occupait de louer des jeux vidéo. L'appelant James Virtue a dit qu'il avait emprunté 30 000 $ à la Teachers' Credit Union, qu'il avait versé 25 000 $ à l'ancien propriétaire et qu'il avait utilisé le reste pour acheter de nouveaux jeux vidéo. Il a expliqué qu'il fallait avoir le meilleur matériel durant les années 80 et que certains des jeux se trouvaient à l'université de Regina et au collège Luther. D'autres avaient été installés dans des bars et des dépanneurs. En 1989, la K2V2 avait des jeux dans 12 établissements, qui, pour la plupart, se trouvaient à Regina ou à moins d'une heure de route de là. En 1988, la société de personnes avait entrepris une expansion importante et s’était établie dans une salle de jeux de l'avenue Dewdney, à Regina. La K2V2 avait installé des jeux dans une buanderie d'un centre commercial, mais les propriétaires de l'immeuble avaient proposé un arrangement qui prévoyait que des rénovations seraient effectuées et que la K2V2 installerait 40 jeux dans la salle agrandie. L'exploitant voulait que la K2V2 prenne à sa charge tout le complexe et, comme M. Kryski quittait son emploi cette année-là pour prendre sa retraite, ils avaient constitué une compagnie, la Velkor Holdings Ltd. (la “Velkor”), qu'ils avaient utilisée pour louer la buanderie, le poste d'essence et le dépanneur, soit une superficie totale de 4 000 pieds carrés. Lorsque la K2V2 avait installé les machines dans la salle de jeux électroniques, le propriétaire-exploitant de l'entreprise partageait à parts égales avec la société de personnes le revenu tiré des machines. Toutefois, peu après la prise en charge du local agrandi, ainsi que des autres activités commerciales, le revenu provenant de l'exploitation de la salle de jeux électroniques avait chuté, passant à un niveau représentant 25 p. 100 du niveau antérieur. La salle de jeux électroniques — appelée Fast Eddie's — qui avait été l'“endroit le plus populaire en ville”, était devenue l'objet d'une guerre de territoire entre adolescents; les appels à la police se sont alors multipliés et d'autres clients payants se sont mis à éviter l'endroit. La Velkor conservait 100 p. 100 des recettes provenant des jeux et, à la fin de l'année, elle n'avait pas renouvelé le bail relatif au complexe; l'ancien propriétaire avait repris à sa charge l'exploitation, et la K2V2 était retournée à l’arrangement prévoyant le partage de 50 p. 100 des recettes provenant des jeux. Au cours de cette phase de l'entreprise qu'il exploitait avec M. Kryski, M. Virtue avait encore emprunté de l'argent à la Teachers' Credit Union, et M. Kryski avait fait un emprunt hypothécaire de second rang de 28 000 $. La société de personnes payait alors des intérêts sur plus de 100 000 $. La Velkor avait également emprunté de l'argent, et ils avaient garanti l'emprunt. En 1990, la K2V2 avait payé 13 062,37 $ d'intérêts. En raison du capital remboursé et grâce à la baisse des taux d'intérêt, les intérêts payés en 1994 avaient été de 6 647,07 $. M. Virtue a expliqué que, après 1990, la K2V2 avait cessé de compter exclusivement sur les jeux vidéo, parce que le nombre de bons endroits avait diminué. Ainsi, la société de personnes avait commencé à acheter des tables de billard ainsi que des machines à boules et des machines “Foosball”, qui ont une durée de vie plus longue et pourraient être plus tard revendues à des personnes intéressées à avoir de telles tables ou machines chez elles pour leur usage personnel. Les jeux vidéo représentaient moins de 50 p. 100 des recettes totales de la société de personnes et, comme M. Virtue et M. Kryski avaient épuisé leur pouvoir d'emprunt, ils utilisaient leurs propres économies pour acheter du matériel supplémentaire. Le degré d'entretien nécessaire pour les machines était devenu moindre, et MM. Virtue et Kryski avaient commencé à exécuter des travaux sur commande pour d'autres exploitants de jeux, réparant du matériel et effectuant de l'entretien contre une rémunération “à l'acte”. M. Kryski avait pris sa retraite et pouvait consacrer une grande partie de son temps à cet aspect de l'entreprise. En 1996, les travaux d'entretien avaient rapporté 14 779 $, et la K2V2 avait réalisé un profit de 960 $ sur des rentrées totales de 45 353 $. Toutefois, il estimait probable que, en 1997, on atteindrait simplement le seuil de rentabilité, sans plus, parce que deux des entreprises dans lesquelles des machines avaient été installées avaient fait faillite et qu'il avait fallu réinstaller les machines. M. Virtue a dit qu'il avait consacré à l'entreprise 15 à 25 heures par semaine au cours des années d'imposition 1993 et 1994 et il a expliqué que l'activité est extrêmement intense en automne, car des machines, installées à certains endroits en été, doivent être réinstallées ailleurs en hiver. À d'autres périodes de l'année, estimait-il, il passe au moins 10 heures par semaine à effectuer des visites de réparation. Il a dit que les tables de billard qui appartiennent à la K2V2 sont des tables à perception automatique ayant une durée de vie de 10 ans ou plus. Ainsi, les frais d'entretien sont moins élevés que dans le cas des jeux vidéo ou des machines à boules, et ces tables peuvent ultérieurement être revendues, même à des concurrents. M. Virtue a dit que le camion avait été acheté uniquement pour le déplacement des jeux et du matériel appartenant à la K2V2. M. Kryski avait utilisé sa propre voiture — une vieille Buick — pour aller faire des réparations, mais les frais de fonctionnement de cette voiture étaient élevés, de sorte que la société de personnes avait emprunté 9 000 $ pour acheter une Chrysler Lebaron 1991. Le prix d'achat total était de 14 000 $, mais on avait repris la Buick de M. Kryski, et ce dernier avait utilisé une partie de son propre argent. M. Virtue a dit qu'il avait utilisé sa propre voiture pour des voyages d'affaires en 1993 et qu'il demandait la somme de 10 ¢ par kilomètre. Il était notamment allé en voyage d'affaires au West Edmonton Mall, où l'on trouve le matériel le plus important et le plus récent. En outre, il était allé à Vancouver, à la Pacific Vending, soit un des grands fournisseurs de jeux électroniques. M. Virtue a dit que ni lui ni M. Kryski n’est jamais allé à des foires commerciales à Las Vegas, à la Nouvelle-Orléans ou ailleurs aux États-Unis. La K2V2 avait acheté des machines à trois fournisseurs et avait obtenu certaines pièces à Montréal. Pendant son voyage dans les basses terres de la Colombie-Britannique, il avait visité des salles de jeux électroniques pour voir les dernières nouveautés dans le domaine des jeux électroniques offerts au public. Il était également allé à Penticton, en Colombie-Britannique, pour inspecter une salle de jeux vidéo qui était en vente et qui avait du bon matériel, mais, après avoir examiné la situation, il avait décidé que la K2V2 n'achèterait pas. Comme sa famille l'accompagnait dans les voyages à Edmonton ainsi que dans la région de Vancouver, il demandait seulement 10 ¢ par kilomètre pour ces voyages d'affaires plutôt que les 30 ¢ qui auraient correspondu davantage aux frais de fonctionnement de la voiture. Dans l'exploitation de la société de personnes, a dit M. Virtue, aucun salaire n'était payé à des tiers, et on demandait l'aide d'amis lorsque des tables de billard et d'autre matériel devaient être transportés ailleurs.

[4] En contre-interrogatoire, il a reconnu que la société de personnes avait eu, pour les années 1987 à 1994 inclusivement, les revenus et les dépenses indiqués à l'alinéa 9e) de la réponse à l'avis d'appel et qu'une perte avait été subie au cours de chacune de ces années-là. Il a nié la validité de l'hypothèse du ministre figurant à l'alinéa 9g) de la réponse et a dit qu'il avait rempli une formule indiquant que les revenus de la société de personnes étaient inférieurs à 30 000 $, afin de ne pas avoir à percevoir et à verser de la TPS. Il a reconnu l'insuffisance de revenus annuels de 30 000 $ pour assurer le service de la dette et payer tous les autres frais en cause dans l'exploitation de l'entreprise, même sans tenir compte de la déduction pour amortissement. Il a expliqué que les frais de bureau à domicile accumulés se rapportaient à l'utilisation d'un gros garage de la résidence de M. Kryski pour l'entreposage, l'entretien et la réparation des machines et du matériel. Il a dit que lui et M. Kryski savaient que la société de personnes ne générerait aucun profit en 1993 et en 1994 et il a dit qu'ils accumulaient toutefois des actifs dont la valeur de revente était de 50 000 ou 60 000 $ selon le mode de vente utilisé, mais il a fait remarquer que la valeur de ces actifs pourrait n'être que de 5 000 $ dans le cadre d'une vente de liquidation aux enchères.

[5] En contre-interrogatoire, M. Virtue a dit qu'il est nécessaire de rester à jour, car les jeunes veulent les jeux les plus récents. Certaines versions peuvent être intéressantes pour des clients pendant trois ou quatre ans, tandis que d'autres peuvent ne durer qu'un an. Il estimait que les tables de billard à perception automatique d'occasion pouvaient se revendre 2 500 à 3 000 $.

[6] Edward Kryski a témoigné qu'il avait quitté la fonction publique de la Saskatchewan après 30 ans pour prendre sa retraite, qu'il est âgé de 66 ans et qu'il tire des revenus de ses pensions. Il a dit qu'il est associé dans la K2V2 et qu'il travaille 40 à 60 heures par semaine dans l'entreprise. Il fait de la perception hebdomadairement, ce qui veut dire un voyage aller retour de trois heures dans un cas, et il s'occupe d'entretien, surtout le soir. Pour réparer des machines, il se sert d'un atelier qu'il a dans son garage, qui est tellement encombré qu'il ne peut l'utiliser pour y garer sa propre voiture. L'atelier est chauffé à l'électricité, et un autre bâtiment adjacent sert aussi à l'entreposage. L'excédent est entreposé gratuitement dans le garage de la résidence de M. Virtue. Le camion Dodge 1986 est utilisé pour les fins de l'entreprise et, 99 p. 100 du temps, la voiture Lebaron est également utilisée pour les fins de l'entreprise. Mme Kryski ne conduit pas; ils vivent à moins d'un pâté de maisons d'un centre commercial, et leur fille — soit l'épouse de James Virtue — conduit Mme Kryski un peu partout, selon les besoins.

[7] L'avocat des appelants soutenait que ces derniers devraient être en droit de déduire leurs pertes, car il n'y avait aucun élément personnel dans leurs activités, et l'expérience négative de 1988 et 1989 avait donné lieu à des frais d'intérêt importants qui ont par la suite nui beaucoup à l'entreprise. Les dettes importantes contractées à l'époque ont nui à la capacité d'expansion de l'entreprise et ont fait que la société de personnes a dû payer des intérêts importants chaque année. L'avocat soutenait que les associés pourraient réaliser des bénéfices à la disposition d'actifs grâce à la récupération de la déduction pour amortissement et que le ministre serait en droit de percevoir de l'impôt là-dessus.

[8] L'avocat de l'intimée soutenait qu'il n'existait pas d'attente raisonnable de profit compte tenu de la jurisprudence pertinente.

[9] Dans l'arrêt Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001, la Cour d'appel fédérale avait examiné la notion d'attente raisonnable de profit telle qu'elle a évolué au fil des ans depuis l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480. Dans l'arrêt Tonn, précité, le juge Linden avait entrepris une analyse de la jurisprudence et disait, au nom de la Cour, à la page 6009 :

Il appert d'un examen plus approfondi de la jurisprudence que cette interprétation est maintenant celle qui est retenue dans la plupart des cas. Les litiges dans lesquels le critère de “l'attente raisonnable de profit” est appliqué appartiennent à deux catégories. La première se compose des cas où l'activité reprochée se caractérise en grande partie par un élément personnel. Il s'agit de situations dans lesquelles le contribuable a investi de l'argent pour poursuivre une activité qui lui procure une satisfaction ou des avantages personnels, notamment sur le plan psychologique. L'exploitation de fermes d'élevage pour chevaux[...], la location d'unités en copropriété à Hawaï et en Floride[...] ou de chalets de ski[...], l'affrètement de yachts[...], l'exploitation de chenils[...] et ainsi de suite ont été considérés comme des activités de cette nature. Même si ces activités peuvent parfois être poursuivies comme s'il s'agissait d'une entreprise, les tribunaux ont généralement décidé qu'elles visaient avant tout des fins personnelles. Le désir de réaliser un bénéfice dans ce genre de situation n'est rien de plus qu'un voeu pieux ou un rêve impraticable[...] et ne constitue qu'une intention secondaire liée à l'activité. En réalité, le contribuable cherche à subventionner le coût de ces activités en déduisant de son revenu ce qui constitue effectivement une dépense personnelle.

[10] En l'espèce, aucun élément personnel semblable ne s'applique à l'un ou l'autre appelant. Il s'agit donc de déterminer si l'activité exercée, soit une activité de caractère purement commercial, répond au critère d'entreprise. Dans l'exploitation de la société de personnes K2V2, les appelants avaient fait passer les revenus de 57 170 $ qu'ils étaient en 1987 à 309 311 $ en 1988, en rachetant tout le complexe dans une partie duquel ils avaient déjà installé des machines. En 1989, ils n'avaient pas renouvelé le bail relatif à ces locaux plus grands et étaient revenus à leur ancienne façon de gagner un revenu en installant des machines dans d'autres établissements et en partageant les revenus à parts égales. C'est cette expansion relative à la prise en charge de l'ensemble de la salle de jeux électroniques et à la prise en charge d'autres activités commerciales qui avait donné lieu à une dette accrue. Les associés avaient financé par emprunt l'achat de matériel supplémentaire; jusqu'à ce que l'endroit connaisse des problèmes du fait qu'il était au coeur d'une guerre de territoire entre jeunes, tout allait bien, et les possibilités de revenus importants étaient là. Après les problèmes survenus à la salle de jeux électroniques, les revenus avaient chuté de 75 p. 100, alors qu'on avait augmenté les dépenses pour faire face à l'élargissement de la base de revenus. Les intérêts sur l'argent emprunté avaient été un lourd poids pour leur entreprise, qui, en 1989, était revenue à l'ancienne façon de gagner des revenus, ce qui avait donné lieu à un revenu brut de 42 197 $. La difficulté tenait à la lente réduction de la dette et des intérêts y afférents, la baisse des taux ayant facilité le processus.

[11] Dans l'arrêt récent, inédit, de la Cour d'appel fédérale Le procureur général du Canada etJune Mastri, A-650-96, en date du 27 juin 1997, le juge Robertson disait au nom de la Cour, à la page 6 de ses motifs, concernant la question de savoir si la Cour canadienne de l'impôt avait mal compris l'importance réelle de l'arrêt Tonn, précité :

Premièrement, il a été décidé dans l'arrêt Moldowan que pour avoir une source de revenu, un contribuable doit avoir une attente raisonnable de profit. Deuxièmement, “ on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit ” (supra à la p. 486). Si, comme conclusion de fait un contribuable est jugé ne pas avoir d'attente raisonnable de profit alors il n'y a aucune source de revenu et, par conséquent, aucun fondement à l'égard duquel le contribuable est en mesure de calculer une perte locative. Il est évident que après l'arrêt Moldowan, la Cour a suivi et appliqué cette décision : voir Landry c. Canada, 94 DTC 6624; Poetker c. Canada, 95 DTC 5614; et Hugill c. Canada, 95 DTC 5311. La seule question qui reste à trancher est de savoir si l'arrêt Tonn s'écarte de cette jurisprudence lorsqu'il prévoit que le critère de l'attente raisonnable de profit n'est pas pertinent en ce qui a trait à la question du caractère déductible des pertes jusqu'à ce qu'il puisse être établi que l'affaire comporte une déduction d'impôt inappropriée, la présence d'un élément personnel important ou de circonstances suspectes. Deux passages de l'arrêt Tonn sont cités à l'appui de cet argument et il convient d'en faire état (supra aux pp. 6009 et 6013) :

Par conséquent, le critère de l'arrêt Moldowan est un critère utile qu'il est possible d'appliquer pour conclure qu'une activité du contribuable est inappropriée en l'absence d'éléments de preuve plus directs. Ainsi, lorsque les circonstances ne soulèvent nullement la question de savoir si une perte d'entreprise a été engagée dans un but personnel ou dans un but non lié à l'entreprise, le critère devrait être appliqué avec modération et avec une latitude favorisant le contribuable, dont le sens des affaires a peut-être fait défaut.

... [J]e, par ailleurs, reconnais que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l'“appréciation commerciale” du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

Avec égards, aucun des extraits cités précédemment n'appuie l'argument juridique invoqué par le Ministre et les contribuables. Il n'est tout simplement pas raisonnable d'affirmer que la Cour avait l'intention d'établir une règle de droit selon laquelle, même s'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, les pertes sont déductibles d'autres sources de revenu à moins, par exemple, que l'activité productrice de revenu comporte un élément personnel. Le renvoi au critère de l'arrêt Moldowan étant appliqué “ avec modération ” n'est pas destiné à devenir une règle de droit, mais à être une ligne directrice fondée sur le bon sens pour les juges de la Cour de l'impôt. En d'autres termes, l'expression “ avec modération ” visait à expliquer que dans certains cas, par exemple, où il n'y a aucun élément personnel, le juge devrait appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit de façon moins assidue qu'il ne l'aurait fait en présence d'un tel facteur. C'est dans ce sens que la Cour dans l'arrêt Tonn a fait une mise en garde en ce qui concerne l'appréciation rétrospective des décisions commerciales des contribuables. De crainte qu'un doute soit soulevé à ce sujet, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin que l'analyse effectuée par la Cour dans l'arrêt Tonn.

Dans l'arrêt Tonn, la Cour a clairement jugé que le contribuable qui cherchait à déduire des pertes locatives de ses autres sources de revenus n'avait obtenu aucun avantage personnel. Néanmoins, la Cour a continué à examiner la question relative au caractère déductible des pertes en appliquant les facteurs énoncés dans l'arrêt Moldowan lorsqu'elle a examiné s'il y avait une attente raisonnable de profit. Le résumé fait par la Cour à la p. 6015 écarte tout doute en ce qui concerne ce qui a été décidé dans l'arrêt Tonn :

Ma décision en l'espèce est donc la suivante. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a commis une erreur de principe ainsi qu'une erreur dans la façon dont il a appliqué le critère de l'attente raisonnable de profit selon le sens actuel de ce critère. Il n'a pas tenu compte de tous les facteurs qu'il aurait dû examiner et il n'a pas évalué non plus tous les aspects de la situation. Il appert clairement de la preuve que les contribuables se sont lancés dans une entreprise commerciale et que leurs attentes de profit n'étaient pas déraisonnables dans les circonstances. Une petite entreprise de location a été créée sans l'aide d'une étude de marché sophistiquée à une époque où le marché de la location semblait prometteur. Peu après, par suite de circonstances imprévues, il est devenu précaire. Les contribuables n'ont tiré aucun avantage personnel des ententes de location. La propriété n'était pas un lieu de vacances. Elle n'a pas été utilisée non plus pour offrir un logement à prix modique ou sans frais à des parents ou à des amis. Les contribuables se sont honnêtement trompés et ont perdu de l'argent plutôt que d'en gagner. Il n'appartient pas au ministère ou à la Cour de les pénaliser pour cette erreur en appliquant le critère de l'attente raisonnable de profit sans donner à l'entreprise suffisamment de temps pour prouver qu'elle est rentable.

Bref, la décision de la Cour dans l'arrêt Tonn n'a pas pour but de modifier le droit établi dans l'arrêt Moldowan. L'arrêt Tonn confirme simplement l'interprétation fondée sur le bon sens selon laquelle ce n'est pas aux tribunaux de faire une appréciation rétrospective de la perspicacité commerciale d'un contribuable dont l'entreprise se révèle moins rentable que prévue.

[12] En l'espèce, en examinant des activités des appelants, on se demande pourquoi des personnes gareraient leur propre voiture dans l'allée, à l'extérieur d'un garage chauffé — rempli de divers jeux électroniques et de matériel apparenté — durant un hiver comme on en connaît à Regina et pourquoi ces personnes travailleraient 40 à 60 heures par semaine dans une entreprise qui, jusqu'à maintenant, n'a donné lieu qu'à des pertes. Toutefois, il ne faut pas confondre la question de savoir si le profit prévu est raisonnable ou non — selon le point de vue — avec la question de savoir s'il existait une attente raisonnable de profit. Il y a eu un léger profit en 1996, et l'année 1997 pourrait donner lieu à un léger profit ou à une perte. Par l'intermédiaire de la K2V2, les appelants ont eu des revenus bruts de 27 063,50 $ en 1993 et de 29 353,95 $ en 1994 et des dépenses de 40 634,92 $ et de 43 130,91 $ respectivement. Ainsi, les pertes ont, pour chaque appelant, été de 6 786 $ en 1993 et de 6 888 $ en 1994. Les deux appelants exploitent leur entreprise depuis 1987 et n'ont réalisé un profit qu'en 1996. Au cours de l'exploitation de l'entreprise, ils avaient décidé de se lancer dans une grande expansion qui n'a pas donné lieu aux résultats escomptés. Ils se sont ensuite efforcés de rester à jour au sein de l'industrie et ont maintenu les dépenses au minimum. Ils ont en outre changé d'orientation et ont accordé moins d'importance aux jeux vidéo, qui sont sujets à des baisses, le marché étant instable, et ont investi dans des tables de billard à perception automatique et machines semblables qui ont également une valeur de revente. La quantité de travail d'entretien a augmenté, et certains autres coûts, y compris les frais d'intérêt, sont à la baisse. La situation des appelants en 1993 et en 1994 était telle qu'aucun profit n'a été réalisé au cours de ce laps de temps, mais pour des raisons directement attribuables à des éléments passés de la vie de l'entreprise. Les chiffres produits sont tels qu'il ne semble pas valoir la peine de se pencher sur la question de l'argent investi par les deux appelants et sur la question du temps et de l'énergie consacrés par eux. Toutefois, si l'activité exercée peut à l'avenir générer un profit modéré et constant qui complète les revenus de retraite et autres, la voie choisie par les appelants, bien que difficile, donnera lieu au résultat souhaité.

[13] En conclusion, compte tenu de l'ensemble de la preuve et appliquant la jurisprudence aux faits des deux appels en instance, je conclus que les appelants avaient bel et bien une attente raisonnable de profit au cours des années d'imposition en cause. Je conclus également que les dépenses indiquées sont raisonnables, y compris les frais relatifs à l'utilisation de voitures et concernant les voyages d'affaires. L'appel de chaque appelant est admis, avec adjudication d'un seul groupe de frais, et les cotisations établies à l'égard de chaque appelant sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu du fait que chaque appelant sera autorisé à déduire les pertes d'entreprise indiquées pour les années d'imposition 1993 et 1994.

“D. W. Rowe”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de mai 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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