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Date: 19971205

Dossier: 96-1393-IT-G

ENTRE :

ROGER ROBICHAUD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Fredericton (Nouveau-Brunswick) le 5 novembre 1997.)

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Voici le jugement que je rends oralement dans l'affaire Roger Robichaud c. La Reine, 96-1393(IT)G. Il s'agit d'appels de nouvelles cotisations établies à l'égard des années d'imposition 1991, 1992 et 1993 de l'appelant. M. Robichaud conteste le rejet des montants suivants, qu'il avait déduits du revenu qu'il tirait de la fabrication et de la vente de couronnes :

1991 - 35 060 $

1992 - 34 247 $

1993 - 45 037 $

[2] Selon la réponse, ces montants représentent environ 35 p. 100 des montants que M. Robichaud a déduits au titre des traitements et salaires, sous réserve de certains rajustements.

[3] Depuis maintenant une dizaine d'années, M. Robichaud exploite une entreprise dans le cadre de laquelle il fabrique et vend des couronnes. Une grande quantité de couronnes, jusqu'à dix fois 10 000 douzaines par année, semblent être vendues. Je tenterai de donner un aperçu des activités de l'entreprise. En juillet ou en août, des acheteurs américains et canadiens communiquent avec M. Robichaud pour commander des couronnes; ils lui versent fréquemment des avances pouvant atteindre 20 000 $. À compter du mois d'octobre, après le premier gel, M. Robichaud embauche des travailleurs pour aller rassembler des branches de conifères dans le bois et les apporter à quatre endroits, au Nouveau-Brunswick, où sont situés des bâtiments dans lesquels les couronnes sont assemblées sur des anneaux ou sur des cadres de fil de fer. Ces bâtiments sont situés à Lamèque, à Portage River, à Leech et à Néguac; la maison de M. Robichaud est située à ce dernier endroit. Le diamètre des couronnes varie de dix à 72 pouces, mais la majorité des couronnes qui sont vendues ont de dix à 12 pouces de diamètre.

[4]M. Robichaud embauche un grand nombre de travailleurs pour rassembler les branches de conifères et les monter sur les cadres de fil de fer, et pour emballer les couronnes une fois qu'elles sont achevées, les charger dans les camions et les transporter. La plupart des personnes qui assemblent les couronnes sont des femmes, mais il y a également des hommes qui le font. Du mois d'octobre au mois de décembre, période pendant laquelle le travail est effectué, M. Robichaud payait les travailleurs sur une base hebdomadaire, mais récemment il a commencé à les payer sur une base horaire. Il estimait qu'il y avait de dix à 15 travailleurs à Leech, de 20 à 30 travailleurs à Néguac, de 18 à 20 travailleurs à Portage River, et un autre groupe à Lamèque. Ainsi, environ 75 travailleurs sont inscrits dans le livre de paye de 1993.

[5] Les opérations étaient surtout conclues en espèces, tant en ce qui concerne les recettes que le paiement des salaires. On remettait aux travailleurs des enveloppes contenant de l'argent. On a produit en preuve sous les cotes A-1, A-2 et A-3 les livres de paie pour les années 1991, 1992 et 1993, indiquant les montants versés à chacun des travailleurs; on a également produit les bordereaux de paie de chaque travailleur, que M. Robichaud avait signés et soumis à Emploi et Immigration Canada aux fins de l'assurance-chômage, et les feuillets T-4 concernant chaque travailleur, lesquels avaient été soumis au ministère du Revenu national.

[6] Les livres de paie n'avaient pas été préparés par M. Robichaud. En effet, M. Robichaud n'a pas terminé sa troisième année et il ne sait pas lire ou écrire. Les livres n'ont pas non plus été préparés par Mme Robichaud, compte tenu du témoignage que cette dernière a présenté, lequel je retiens. Je conclus donc qu'ils ont été préparés par le préposé à la tenue de livres, M. Lucien Savoie, qui est depuis lors décédé. De toute évidence, M. Savoie n'a pas pu témoigner, mais c'est la meilleure conclusion que je peux tirer compte tenu de la preuve.

[7] Dans les années d'imposition 1991, 1992 et 1993, l'appelant a demandé, dans le calcul du revenu tiré de son entreprise, la déduction de traitements et salaires s'élevant à 179 895 $, à 184 939 $ et à 278 873 $ respectivement, dont les cotisations d'assurance-chômage et les cotisations au Régime de pensions du Canada. Dans les cotisations, les sommes admises étaient respectivement de 144 834 $, 149 691,63 $ et 233 836 $.

[8] La prémisse sur laquelle les cotisations sont fondées était que les montants additionnels que l'appelant a déduits et que le ministre a rejetés n'ont pas été déboursés en vue de permettre à l'appelant de tirer un revenu de son entreprise de fabrication de couronnes au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) ou subsidiairement que les montants déduits en sus de ce qui avait été admis étaient déraisonnables au sens de l'article 67 de la Loi. À l'audience, l'avocat de l'intimée a abandonné l'argument fondé sur l'article 67. Par conséquent, je n'ai pas à examiner l'effet de la décision que la Cour d'appel fédérale vient de rendre dans l'affaire Mohammad v. The Queen, 97 DTC 5503. J'aimerais faire remarquer qu'une fois que l'argument fondé sur l'article 67 est abandonné — et la répartitrice semble avoir été fortement influencée par cet argument puisqu'elle s'est fondée sur les normes de l'industrie — la cotisation devient fort précaire car elle n'est plus fondée sur quoi que ce soit.

[9] Il reste donc la prétention selon laquelle les montants n'étaient pas des débours ou des dépenses faits ou engagés en vue de réaliser un revenu au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi.

[10] L'intimée a plaidé l'affaire compte tenu du fait que cette allégation est fondée sur l'une de deux hypothèses distinctes : a) les montants n'ont pas du tout été déboursés; ou b), s'ils ont été déboursés, ils l'ont été à une fin autre que celle de réaliser un revenu. J'aimerais noter que ces positions subsidiaires ne découlaient pas de la réponse à l'avis d'appel d'une façon aussi claire qu'elles auraient pu en découler. Je n’aurais pas cru qu'une allégation selon laquelle un montant n'a pas été déboursé en vue de réaliser un revenu comporte une affirmation implicite voulant qu'il n'ait pas du tout été déboursé.

[11] Néanmoins, je dois examiner la preuve dont je dispose et l'avocat de l'appelant a reconnu que la réponse de l'intimée renfermait implicitement ces deux hypothèses.

[12] La répartitrice, Mme MacKenzie, a témoigné. Elle travaille maintenant pour la Direction des enquêtes spéciales, mais en février 1995, elle travaillait pour la division des vérifications du ministère du Revenu national. Elle a examiné les documents, en particulier les livres de paie qui ont été versés sous les cotes A-1, A-2 et A-3, et a rencontré M. Robichaud le 20 février 1995. Elle a confirmé que les montants figurant dans les documents relatifs à la paie correspondent aux montants déduits au titre des traitements et salaires. Toutefois, elle croyait que les documents n'étaient pas dignes de foi. Mme MacKenzie et d'autres agents du ministère ont parlé à un certain nombre de travailleurs inscrits dans les livres de paie. Aucun des travailleurs avec qui on a communiqué n'a dit qu'il ne travaillait pas pour M. Robichaud. D'autre part, la preuve ne montre pas clairement si l'hypothèse selon laquelle les documents n'étaient pas dignes de foi a amené Mme MacKenzie à faire les calculs additionnels que je décrirai ci-dessous, ou si ces calculs ont amené Mme MacKenzie à conclure que les documents n'étaient pas dignes de foi. Quoi qu'il en soit, Mme MacKenzie a déclaré que M. Robichaud lui avait dit qu'un bon travailleur pouvait gagner 16 $ l'heure et fabriquer de huit à dix douzaines de couronnes par jour. Elle a conclu qu'en moyenne, il en coûtait à M. Robichaud 2,10 $ par couronne et, en supposant que 90 p. 100 des couronnes produites et vendues aient de dix à 12 pouces de diamètre, elle a conclu que les coûts de M. Robichaud avaient été surestimés. Elle a également conclu que, selon la norme applicable dans l'industrie, les traitements et salaires correspondaient à environ 62 p. 100 du chiffre d'affaires brut. Pour les années 1991 et 1992, elle a appliqué un coefficient de 65 p. 100 aux ventes en vue de déterminer ce qu'elle supposait être le coût des salaires. Ce n'est pas ce qui a été plaidé. La réponse dit que le pourcentage appliqué à la dépense relative aux traitements et salaires qui avait été déduite était de 65 p. 100.

[13] Je ne veux pas remettre en question l'honnêteté ou la bonne foi du témoin — car Mme MacKenzie m'a semblé honnête et consciencieuse — mais les prémisses sur lesquelles elle s'est fondée n'étaient à mon avis pas dignes de foi et ses conclusions étaient donc insoutenables. Mme MacKenzie a fondé un grand nombre de ses calculs sur ce qu'elle croyait que M. Robichaud lui avait dit, par exemple en ce qui concerne le pourcentage des ventes se rapportant à des couronnes de dix à 12 pouces de diamètre, le taux horaire accordé à de bons travailleurs et ainsi de suite. Il faut se rappeler que M. Robichaud n'a terminé que sa troisième année et qu'il ne sait pas lire ou écrire. Je l'ai observé à la barre des témoins et je puis fort bien comprendre comment il est possible qu'il y ait eu un grave malentendu entre Mme MacKenzie et lui. Le témoignage que M. Robichaud a présenté à l'audience était à maints égard peu précis et le témoin a nié avoir fait à Mme MacKenzie un certain nombre de déclarations qui lui étaient attribuées. M. Robichaud a des problèmes d'audition; il avait de la difficulté à comprendre certaines des questions posées par son propre avocat ou les questions de l'avocat de l'intimée. Il ne s'agit pas d'un cas où l'on a délibérément menti. Il s'agit simplement d'un problème de communication. Le témoignage de M. Robichaud renferme des contradictions, mais je crois qu'il essayait de dire la vérité selon ce qu'il se rappelait et selon ce qu'il comprenait des questions qui lui étaient posées.

[14] Il y a, par contre, un certain nombre de facteurs à apprécier. En premier lieu, les opérations sont effectuées presque entièrement en espèces. Il serait possible de faire une inférence fort défavorable à partir de ce fait, mais je ne crois pas que cela soit justifié en l'espèce. Compte tenu de la génération dont il fait partie, de sa formation scolaire et de son état d'esprit, M. Robichaud est apparemment porté à se méfier des banques et des chèques.

[15] Le seul élément concret de preuve dont je dispose se rapporte aux documents relatifs à la paie, aux bordereaux de paie et aux feuillets T-4. Ces documents ont été préparés par le préposé à la tenue de livres qui est maintenant décédé. S'ils sont faux, il faudrait qu'ils aient délibérément été falsifiés pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur l'assurance-chômage. Je ne vois pas comment ils auraient pu être falsifiés par inadvertance. En l'absence d'éléments de preuve convaincants concernant l'existence d'une fraude, je ne suis pas prêt à conclure qu'il y a eu falsification délibérée. Les documents commerciaux préparés par le préposé à la tenue de livres constituent une preuve prima facie montrant que les déclarations qui y figurent sont exactes et il n'existe aucun élément de preuve me permettant de conclure qu'elles sont inexactes, fausses ou non dignes de foi. Elles n'ont aucunement été contestées. Je conclus donc que l'appelant a satisfait à l'obligation qui lui incombait de démontrer selon la prépondérance des probabilités que les cotisations étaient erronées. En particulier, je conclus que les montants déduits au titre des traitements et salaires ont été déboursés et qu'ils l'ont été en vue de permettre à l'appelant de tirer un revenu de son entreprise et non à quelque autre fin.

[16] Les appels sont donc admis avec dépens et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément à ces motifs.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de décembre 1997.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de janvier 1998.

Benoît Charron, réviseur

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