Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991220

Dossiers: 98-2581-IT-I; 98-2555-IT-I

ENTRE :

MARILYN D. SLAWINSKY et

M. SLAWINSKY PROFESSIONAL CORPORATION,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

[1] Les appels ont été entendus sur preuve commune.

POINTS EN LITIGE

[2] Concernant M. Slawinsky Professional Corporation (la “ société ”), il s'agit de savoir si la société peut, aux fins de l'impôt sur le revenu, déduire une somme égale au salaire qu'elle a payé à l'égard de services de bonnes d'enfants pour l'enfant de Marilyn D. Slawinsky (“ Mme Slawinsky ”), une employée de la société, de manière que Mme Slawinsky, n'ayant pas à garder elle-même son enfant, puisse gagner un revenu pour la société pour les années d'imposition 1995 et 1996 de cette dernière.

[3] Concernant Mme Slawinsky, il s'agit de savoir :

a) si Mme Slawinsky a, en application de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”)[1], reçu un avantage de la société relativement aux dépenses engagées pour les services de bonnes d'enfants pour ses années d'imposition 1994 et 1995;

b) dans l'affirmative, si l'avantage conféré par la société a été accordé à Mme Slawinsky en sa qualité d'actionnaire en vertu de l'article 15 ou en sa qualité d'employée en vertu de l'article 6;

c) dans l'affirmative, si le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a correctement déterminé la valeur de l'avantage.

[4] Une question accessoire se pose pour l'année d'imposition 1994 de la société. Comme la société s'est vu refuser une déduction de 7 203 $ à l'égard de telles dépenses pour son année d'imposition 1994, la partie de la perte par ailleurs subie dans cette année-là que la société pouvait reporter prospectivement sur son année d'imposition 1995 se trouvait réduite. Les parties conviennent que, si la société a gain de cause dans son appel, un montant équivalent à la déduction refusée sera ajouté à la perte de 1994. Il y a eu une discussion à ce sujet au cours de l'audience, car la cotisation visant l'année d'imposition 1994 de la société était une cotisation NÉANT ne pouvant faire l'objet d'un appel. La société avait demandé un avis de détermination d'une perte pour cette année-là. De la correspondance de Revenu Canada indiquait qu'un tel calcul ne pouvait être effectué parce que les documents appropriés avaient été envoyés au ministère de la Justice pour la conduite de la présente affaire. Le règlement de cette question suivra l'issue de la présente cause.

FAITS

[5] La fin de l'exercice et de l'année d'imposition de la société était le 31 janvier de chaque année. Mme Slawinsky était le seul actionnaire de la société, laquelle a été constituée pour fournir des services juridiques et fournissait effectivement de tels services. À toutes fins utiles, Mme Slawinsky, avocate, était l'unique actionnaire de la société et aucun autre employé de la société n'était avocat. La société versait un salaire à des bonnes d'enfants, qui s'occupaient de l'enfant de Mme Slawinsky[2].

[6] Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi à l'égard de la société de nouvelles cotisations aux termes desquelles il refusait la déduction de sommes de 15 340 $ et de 15 740 $ qui avaient été versées aux bonnes d'enfants dans les années d'imposition 1995 et 1996 de la société. En outre, le ministre a établi à l'égard de Mme Slawinsky de nouvelles cotisations aux termes desquelles il ajoutait ces sommes au revenu de Mme Slawinsky des années d'imposition 1994 et 1995 de cette dernière. Après que Mme Slawinsky eut fait opposition, le ministre a établi de nouvelles cotisations par lesquelles il admettait des frais de garde d'enfants de 5 000 $ pour chacune des années d'imposition 1994 et 1995.

[7] Mme Slawinsky a témoigné que la société oeuvrait surtout dans des litiges, principalement en matière de divorce et de préjudice corporel, puis, après les années considérées en l'espèce, en matière de divorce et de droit de la famille. Elle a déclaré que la principale source de bénéfices de la société était les honoraires relatifs aux services juridiques rendus, soit des honoraires basés sur un tarif horaire pour les services fournis par Mme Slawinsky. Cette dernière a déclaré que son enfant est né le 6 mars 1993, époque à laquelle elle n'était pas mariée et ne vivait avec personne. Elle a affirmé que son fils vivait avec elle à plein temps durant la période en cause et que c'était elle qui avait essentiellement l'entière responsabilité de l'enfant.

[8] Elle a témoigné qu'elle fournissait des services juridiques pour la société à des heures irrégulières, car elle faisait beaucoup de travail judiciaire. Elle a déclaré que le travail en matière de préjudice corporel et le travail en matière de divorce, y compris les questions relatives à la garde des enfants, nécessitaient des services

[TRADUCTION]

[...] au milieu de la nuit, la fin de semaine, et ainsi de suite. Les délais relatifs aux injonctions sont très brefs, et ainsi de suite.

[9] Mme Slawinsky a également déclaré qu'elle s'occupait d'actions en justice dans presque tous les districts judiciaires de l'Alberta, notamment à Edmonton, Calgary, Drumheller, Wetaskiwin, Lethbridge, etc. Elle a témoigné en outre que, régulièrement, elle allait à des colloques d'éducation juridique qui avaient lieu hors de Red Deer et devait travailler tard le soir, souvent sans savoir à l'avance que tel serait le cas. Elle a dit que, parfois, elle était prise au tribunal et que d'autres urgences se présentaient, par exemple quand on lui signifiait l'avis d'une requête devant être entendue le lendemain. Elle a affirmé qu'elle travaillait le soir et la fin de semaine au besoin. Elle a aussi dit ceci :

[TRADUCTION]

Il est crucial pour l'entreprise exploitée par la société que je sois à la disposition des clients pour ce type de service.

[10] Elle a également témoigné que, lorsque l'enfant est né, les garderies n'acceptaient pas d'enfants de moins de deux ans. Elle a dit que, si un enfant était malade, d'autres dispositions devaient être prises. Elle a dit aussi que les garderies avaient des heures d'ouverture limitées et qu'il fallait y laisser les enfants avant une certaine heure et aller les chercher avant une certaine heure. Elle a déclaré en outre que, bien souvent, les garderies étaient fermées la fin de semaine ou le soir. Elle a dit ensuite que, pour ces raisons, la société avait décidé d'embaucher une bonne d'enfants.

[11] Mme Slawinsky a déclaré que les bonnes d'enfants s'occupaient de son enfant; telle était leur priorité absolue. Elle a dit qu'elles faisaient un peu de ménage si elles en avaient le temps et que, toutefois, ce n'était ni prévu ni requis. Elle a également dit qu'elles préparaient des repas à la maison uniquement pour l'enfant. Elle a déclaré qu'elles ne faisaient aucune commission ou quoi que ce soit de cette nature et que, en fait, une des bonnes d'enfants n'avait ni permis de conduire ni véhicule. Elle a également déclaré que les services de bonnes d'enfants n'étaient pas offerts aux autres employés de la société.

ANALYSE ET CONCLUSION

[12] Le fameux jugement Symes v. Her Majesty the Queen, 94 DTC 6001, est l'arrêt-clé pour ce qui est de la question de savoir si des frais de garde d'enfants peuvent être déduits par le particulier qui les a payés. Cette affaire concernait une avocate qui cherchait à déduire le coût total des services d'une bonne d'enfants qu'elle avait engagée pour faire garder ses enfants d'âge préscolaire de manière à pouvoir exercer le droit. Elle exerçait le droit à titre individuel : elle n'était pas une employée d'une société fournissant des services juridiques. La Cour suprême du Canada a déterminé que la déduction serait limitée aux sommes visées à l'article 63 de la Loi. À la page 6020, le juge Iacobucci écrivait ceci :

[...] une analyse simple des principes d'interprétation des lois m'amène à conclure que la Loi de l'impôt sur le revenu vise à traiter des frais de garde d'enfants, et qu'elle le fait entièrement à l'intérieur de l'art. 63. Il n'est pas nécessaire de décider si, en l'absence de l'art. 63, l'art. 9 et les al. 18(1)a) et h) pourraient englober une déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Toutefois, compte tenu de l'art. 63, il est clair que les frais de garde d'enfants ne peuvent être considérés comme déductibles en vertu des principes de droit fiscal applicables aux déductions de dépenses d'entreprise.

Cet article accorde un certain allégement fiscal au contribuable qui, afin d'exercer une activité lucrative hors de chez lui ou de suivre des cours, doit payer quelqu'un pour faire garder ses enfants pendant qu'il est au travail ou à l'école.

[13] L'avocate de l'intimée a beaucoup fait référence à l'analyse approfondie du juge Iacobucci dans l'arrêt Symes. Les observations du juge Iacobucci s'inscrivaient dans le contexte factuel de l'affaire Symes, à savoir que Mme Symes avait personnellement payé des frais de garde d'enfants afin d'être libre pour exercer le droit. Telle n'est pas la situation en l'espèce. La société est une entité distincte, et elle a pris la décision de payer les services d'une bonne d'enfants. Le fait que la société ait un lien de dépendance avec Mme Slawinsky ne saurait embrouiller la question de la déductibilité. Les relations avec lien de dépendance sont considérablement reliées, aux fins de l'impôt, à des considérations d'évaluation.

[14] L'article 63 ne s'applique pas à la société, car il est clair qu'il ne vise que la déduction de frais de garde d'enfants payés par un contribuable pour la garde d'un enfant de ce contribuable. Comme le disait le savant juge dans l'affaire Symes, à la page 6014 :

L'analyse nous ramène à la source, et je peux simplement me poser la question suivante : l'appelante a-t-elle engagé des frais de garde d'enfants en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise?

[15] Donc, la première question à trancher est celle de savoir si la société peut se prévaloir de l'article 9 et de l'alinéa 18(1)a) de la Loi pour déduire de tels frais. La société est une entité juridique distincte de Mme Slawinsky et ne doit être ni confondue avec Mme Slawinsky ni assimilée à celle-ci dans l'analyse des points en litige.

[16] L'article 9 de la Loi prévoit l'inclusion dans les revenus du “ bénéfice ” tiré d'une entreprise.

[17] Pour ce qui est de la détermination du bénéfice, l'alinéa 18(1)a) correspond à une restriction générale en matière de déductions. Il interdit la déduction de dépenses qui n'ont pas été engagées ou effectuées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Dans l'affaire Royal Trust Company v. M.N.R., 1957 C.T.C. 32, le président de la Cour de l'Échiquier déclarait ceci à la page 44 :

[TRADUCTION]

Ainsi, dans une affaire relevant de la Loi de l'impôt sur le revenu, si une dépense est engagée ou effectuée par un contribuable conformément aux principes commerciaux ou aux usages commerciaux reconnus et qu'elle soit engagée ou effectuée en vue de tirer un revenu de l'entreprise du contribuable, elle est déductible aux fins de l'impôt sur le revenu.

[18] La Cour suprême du Canada s'est penchée sur l'alinéa 18(1)a) dans l'affaire B.C. Electric Co. Ltd. v. M.N.R., [1958] C.T.C. 21 (C.S.C.). À la page 31, la Cour a fait remarquer que pratiquement toutes les dépenses d'une entreprise commerciale sont effectuées en vue de gagner un revenu. Cependant, une autre disposition de la Loi peut en interdire la déduction.

[TRADUCTION]

Comme le principal objet de toute entreprise commerciale est vraisemblablement de réaliser un bénéfice, toute dépense effectuée en vue de gagner un revenu entre dans le cadre de [l'alinéa 18(1)a)], qu'elle soit considérée comme étant des frais d'exploitation ou une dépense en capital.

Une fois qu'on a déterminé qu'une dépense particulière a été effectuée en vue de gagner un revenu, il faut, aux fins du calcul de l'obligation fiscale, déterminer si une telle dépense représente des frais d'exploitation ou une dépense en capital.

[19] En l'espèce, il ne s'agit clairement pas d'une dépense en capital, car aucun actif ou avantage pour le bénéfice durable d'une entreprise n'a vu le jour[3].

[20] L'avocate de l'intimée a fait référence à l'affirmation du savant juge, dans l'arrêt Symes, selon laquelle il peut être pertinent dans un cas particulier d'examiner la question de savoir si une déduction est habituellement admise comme dépense d'entreprise par les comptables. Le juge disait à cet égard :

De même, il pourrait être pertinent d'examiner si la dépense en cause est habituellement engagée par d'autres dans une entreprise de même nature que celle du contribuable. Dans l'affirmative, il peut être plus probable que la dépense constitue une dépense d'entreprise.

[21] Comme c'est la première fois qu'une situation de fait comme celle qui nous occupe est soumise à un tribunal canadien et qu'aucune preuve comptable n'a été présentée quant à savoir si de tels frais représentent une dépense “ habituellement engagée par d'autres dans une entreprise de même nature que celle du contribuable ”, les observations du savant juge n'aident pas l'intimée dans la présente affaire.

[22] J'accepte le témoignage de Mme Slawinsky selon lequel elle fournissait des services juridiques à la société à des heures et intervalles tantôt réguliers, tantôt passablement irréguliers. La société n'avait aucune source de revenu autre que les services de Mme Slawinsky.

[23] Cependant, la rémunération d'un employé est normalement déterminée sans tenir compte des frais que l'employé engage de façon à pouvoir se présenter au travail. Les frais relatifs à la garde des enfants d'un employé, tout comme les autres dépenses qu'un employé engage en vue de se présenter au travail, sont essentiellement des frais personnels. Le juge Iacobucci traite de cette question d'une manière assez détaillée dans l'arrêt Symes. À la page 6010, il renvoie à l'affaire Bowers v. Harding, (1991) 3 Tax Cas. 22 (B.R.), dans laquelle M. Harding avait engagé un domestique pour “ permettre à son épouse d'avoir le temps d'exécuter ses fonctions d'institutrice ”; les frais engagés relativement au domestique ont été assimilés à d'autres frais manifestement personnels, et leur déduction a été refusée. Bien que le juge Iacobucci ait dit qu'il n'estimait pas devoir “ suivre servilement les arrêts qui ont qualifié les frais de garde d'enfants de frais personnels ”, il ne rejetait pas cette proposition de base. À la page 6011, il faisait en outre référence au traité de B. J. Arnold intitulé The Deduction for Child Care Expenses in the United States and Canada : A Comparative Analysis (1973), dans lequel l'auteur écrivait ceci :

[TRADUCTION]

Selon le critère énoncé par cet arrêt pour établir une distinction entre des frais personnels et des frais de subsistance, il faut rechercher l'origine des dépenses. Si elles ont été engagées dans le cadre de circonstances personnelles plutôt que dans le cadre de circonstances liées à la pratique des affaires, les dépenses sont personnelles et non déductibles.

Le juge Iacobucci affirme qu'une telle conclusion peut être attaquée, mais il ne rejette pas ce principe.

[24] On pourrait soutenir que la société avait engagé les frais relatifs à une bonne d'enfants uniquement en vue de gagner un revenu. Toutefois, comme je l'ai dit précédemment, Mme Slawinsky devait pouvoir se présenter chez l'employeur pour fournir ses services à titre d'employée. À cette fin, elle devait engager des dépenses pour de nombreux articles et services essentiellement personnels. Parmi ces dépenses, il y avait les frais de garde d'enfants.

[25] Donc, je conclus que les dépenses relatives à une bonne d'enfants ne représentaient pas en soi des sommes payées par la société en vue de gagner un revenu. Cependant, elles peuvent être déduites par la société, car je conclus que les sommes font partie du revenu de Mme Slawinsky en application de l'alinéa 6(1)a) de la Loi comme

[...] avantages [...] qu'il a reçus ou dont il a joui [...] au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi [...].

Le résultat est le même que si ces sommes avaient été versées par la société à Mme Slawinsky et que si cette dernière avait versé aux bonnes d'enfants des sommes correspondantes. Pour l'essentiel, la société a effectué des paiements au nom de Mme Slawinsky, la valeur de l'avantage pour Mme Slawinsky étant égale aux sommes payées par la société.

[26] Les appels de Mme Slawinsky pour les années d'imposition 1994 et 1995 seront rejetés, sans frais, sauf que la somme de 5 000 $ sera admise pour chacune de ces années en application de l'article 63 de la Loi.

[27] Les appels de la société seront admis, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de décembre 1999.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de septembre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               Les dispositions législatives citées dans les présents motifs sont des dispositions de la Loi.

[2]               Le mot “ enfant ” sera utilisé à l'égard du premier enfant et à l'égard des deux enfants, un deuxième enfant étant né au cours de la période considérée en l'espèce.

[3]               British Insulated & Helsby Cables v. Atherton (1926), [1926] AC 205, à la page 213.

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