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Date: 19991022

Dossier: 81-180-IT-O

ENTRE :

NATHAN REIBER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

QUESTION EN LITIGE

[1] Il s'agit de déterminer si une cotisation a été correctement établie à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1974, concernant :

des attributions, par Reiber Estates Limited,

au sens de l'article 15 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”)[1], totalisant 242 294,10 $. Est incluse dans l'avis de cotisation la valeur d'un avantage découlant de l'utilisation d'un condominium en Floride. Cependant, d'après certaines déclarations faites à l'audience, cet élément n'est pas visé par le présent appel. La réponse énumère également un certain nombre d'autres montants qui ne figuraient pas dans l'avis de cotisation. Je considère donc que le seul montant en litige est la somme de 242 294,10 $. Bien que d'autres montants aient été mentionnés à l'audience, aucune cotisation autre que celle qui est visée par le présent appel n'a été établie.

[2] Jusqu'à ce qu'il démissionne du Barreau du Haut-Canada en 1979 ou en 1980, l'appelant pratiquait le droit à Toronto. Il était président de Reiber Estates Limited (“ Reiber Estates ”), compagnie dont il était probablement le principal, voire l'unique actionnaire.

[3] L'appelant a témoigné qu'il avait été propriétaire de plusieurs bateaux, un Chris-Craft de 25 pieds de long, un bateau de 31 pieds de long et un autre de 47 pieds de long, avant d'acheter un bateau appelé dans la présente affaire le Rye-Bar IV (“ Rye-Bar ”), un Roamer de 60 pieds de long. Il a indiqué qu'au départ son intention avait été d'être propriétaire du Rye-Bar personnellement. Il a déclaré qu'un certain Harold Blatchley (“ M. Blatchley ”) lui avait proposé de transférer tous les bateaux à une compagnie et de se lancer dans l'achat et la vente de bateaux. L'appelant a témoigné qu'il avait fait en sorte que Keystone Yacht Sales Inc. (“ Keystone ”) soit constituée en société en Floride, aux États-Unis. Il a déclaré que Reiber Estates, qui détenait 65 p. 100 des actions, et M. Blatchley, qui en détenait 35 p. 100, avaient décidé d'enregistrer le Rye-Bar au nom de Keystone et de le revendre. Puis il a dit :

[TRADUCTION]

[...] nous avons acheté d'autres bateaux par la suite, au nom de Keystone Yacht Sales; donc, il y avait achat et vente de bateaux. C'était comme une entreprise.

[4] L'appelant a témoigné qu'il avait pris livraison du Rye-Bar personnellement parce qu'il devait obtenir un permis d'opérateur de radio et que, aux États-Unis, là où le bateau se trouvait, pour obtenir un permis d'opérateur de radio, le propriétaire du bateau devait être citoyen américain. En outre, si le propriétaire était une société, celle-ci devait être contrôlée par un citoyen américain.

[5] L'avocat de l'appelant a produit une photocopie d'un document intitulé “ [traduction] RECONNAISSANCE DE FIDUCIE ”. La photocopie est datée du 21 juin 1974 et contient une copie de la signature de l'appelant. La photocopie d'un document intitulé “ [traduction] Relevé du constructeur et acte de vente conjoints ” ainsi que d'un acte de vente datés du 16 mai 1974 y sont joints. Le premier de ces deux documents contient la stipulation suivante :

[TRADUCTION]

MOYENNANT le montant d'un dollar (1 $) et d'autres contreparties de valeur, payés ce 16e jour de mai 1974, Chris-Craft Corporation de Pompano Beach, Floride, propriétaire unique du bâtiment décrit dans le “ relevé du constructeur ” ci-dessus, vend et transfère par les présentes le bâtiment entier à Bay Haven Marina de Holland, Michigan.

[6] Le deuxième document, une photocopie de l'acte de vente, prévoyait que moyennant le montant d'un dollar et une autre contrepartie de valeur, Bay Haven Marina Inc. transférait à l'appelant, à une adresse de Toronto, tous ses droits, titres et intérêts sur le bâtiment.

[7] Le document de RECONNAISSANCE DE FIDUCIE stipule ceci :

[TRADUCTION]

SACHEZ PAR LES PRÉSENTES QUE, ATTENDU QUE, le 16 mai 1974, NATHAN REIBER a acquis le titre d'un bateau Chris-Craft de 60 pieds de long, décrit de façon plus détaillée dans l'acte de vente, dont une copie est jointe aux présentes et en fait expressément partie;

ATTENDU QUE le titre du bateau en question a été acquis par NATHAN REIBER en qualité de fiduciaire pour l'usage, au profit et dans l'intérêt exclusifs de KEYSTONE YACHT SALES INC., une société de la Floride.

À CES CAUSES, NATHAN REIBER reconnaît et déclare par les présentes qu'il a acquis le titre en qualité seulement de fiduciaire pour le compte de la société bénéficiaire susmentionnée, qu'il ne prétend détenir aucun droit, titre ou intérêt sur le bateau et qu'il détient celui-ci uniquement pour l'usage et au profit de la société.

EN OUTRE, NATHAN REIBER reconnaît et convient que tout revenu ou produit tiré du bateau ou relativement à celui-ci sera remis et reviendra à KEYSTONE YACHT SALES INC.

EN FOI DE QUOI, NATHAN REIBER a apposé sa signature et son sceau ce 21e jour de juin 1974.

“ Nathan Reiber ” (sceau)

NATHAN REIBER

ÉTAT DE LA FLORIDE

COMTÉ DE DADE

DEVANT LE SOUSSIGNÉ, a comparu personnellement NATHAN REIBER, bien connu du soussigné comme étant la personne qui a signé le document qui précède pour le compte de la société et qui, dûment assermenté par le soussigné, a reconnu avoir signé le document aux fins qui y sont formulées.

EN FOI DE QUOI j'ai apposé ci-après ma signature et mon sceau notarial dans le comté et l'état susmentionnés, ce 21e jour de juin 1974.

“ Stanley Joel Levine ”

NOTAIRE PUBLIC, État de la Floride dans son ensemble

Ma commission expire le 16/11/1975

[8] L'appelant ne se rappelle pas quand il a signé le document, mais il a déclaré avoir signé celui-ci au bureau de Stanley Joel Levine (“ Me Levine ”), son avocat, à Miami, avoir laissé les documents au bureau de ce dernier et

[TRADUCTION]

ensuite, lorsque j'y suis retourné, je les ai repris; je les ai simplement pris.

Il ne peut se rappeler quand il y est retourné. Il a témoigné que le document obtenu revêtait la forme de la copie produite. Il a déclaré que la date avait été inscrite sur le document par quelqu'un d'autre. Il a supposé que Me Levine ou la secrétaire de ce dernier avait inscrit la date.

[9] L'appelant a témoigné qu'un chèque avait été émis par la Banque Toronto-Dominion soit au constructeur du bateau, soit à lui-même. Il a déclaré que le chèque n'avait pas été tiré sur le compte de Reiber Estates ou de Keystone car il aurait mis trop de temps à être compensé. Il a indiqué qu'il s'agissait d'une avance faite à Keystone, consignée comme telle dans les livres de Reiber Estates. Le bateau a été livré à Holland, au Michigan, et il s'est finalement retrouvé dans les bassins de Keystone à Miami. L'appelant a déclaré que le bateau avait été enregistré au Canada auprès du registrateur de navires. Il ignore si c'était à Toronto ou à Ottawa. Il a témoigné qu'il avait été enregistré à son nom et, en réponse à la question de savoir pourquoi le bateau n'avait pas été enregistré à son nom en fiducie, il a dit ceci :

[TRADUCTION]

Eh bien!, en tant que fiduciaire, si j'avais inscrit le nom en fiducie, ils auraient voulu savoir qui était propriétaire du bateau et, en tant que fiduciaire, je ne croyais pas être tenu de leur dire à qui appartenait le bateau parce que j'étais fiduciaire.

[10] Il a indiqué qu'il avait fait l'acquisition d'un grand nombre de parties de biens immeubles et pris de nombreuses hypothèques en tant que fiduciaire.

[11] Il était également le titulaire du permis d'opérateur de radio. Il a mentionné que, en ce qui concerne le bateau, l'objectif était “ de l'apporter en Floride et d'essayer de le vendre ”. Il a déclaré que, bien que le bateau fût assuré en son nom, il n'avait pas informé la compagnie d'assurance du fait qu'il le détenait en fiducie.

[12] L'appelant a indiqué que deux bateaux avaient été achetés et vendus depuis l'acquisition du Rye-Bar IV, exclusivement pour affrètement. Il a mentionné qu'ils étaient enregistrés au nom de deux sociétés différentes, des “ sociétés visées par la section de chapitre S ”, qui offraient “ [traduction] la protection d'une société, mais nécessitant la production d'une déclaration de revenus personnelle ”. Il a ensuite témoigné que le bateau avait été vendu 325 000 $ aux termes d'un CONTRAT D'ACHAT daté du 6 novembre 1978. Il a déclaré que Keystone avait réalisé un profit qui figurait dans sa déclaration de revenus. L'appelant a déclaré que, pour les motifs exposés précédemment, le contrat n'indiquait pas que le bateau appartenait à “ Nathan Reiber en fiducie ”. Il a indiqué que le produit de la vente devait servir à réduire le montant des prêts de l'actionnaire de Reiber Estates. L'appelant a déclaré que M. Blatchley détenait 35 p. 100 des actions de la compagnie et que :

[TRADUCTION]

[...] il achetait et vendait des bateaux et réparait ceux que nous avions achetés et qui étaient prêts à être mis en vente.

Implicitement, cela signifiait que Keystone n'avait pas été constituée en société simplement dans le but d'acheter le Rye-Bar IV. Bien que le bateau fût utilisé à des fins personnelles, l'appelant a indiqué qu'il payait les frais d'essence, de mise à quai et ainsi de suite.

[13] L'appelant a produit des états financiers non vérifiés de Reiber Estates pour les exercices se terminant le 31 août de chacune des années 1974, 1975, 1976, 1977, 1978 et 1979. Une note aux états financiers du 31 août 1974 indique qu'un montant de 131 $ a été investi dans Keystone Yacht Sales Inc. — Miami, soit un montant qui, d'après l'appelant, représentait les actions de Keystone que Reiber Estates détenait. Une autre note fait état d'une avance de 260 209 $ US (253 939 $ CDN) faite à Keystone. L'appelant a indiqué qu'aucun intérêt n'avait été réclamé sur ce prêt. Il a affirmé en outre qu'aucun document, comme un billet à ordre, des billets ou quelque autre écrit attestant le prêt, n'avait été préparé. Il a déclaré que M. Blatchley avait un pouvoir de signature illimité pour Keystone. L'appelant a réitéré que l'avance en question avait été consentie pour permettre à Keystone d'acheter le bateau. Les états financiers des exercices subséquents font état des avances suivantes à Keystone :

258 525 $

275 485 $

316 644 $

363 716 $

1979 78 963 $

1980 33 911 $

[14] Selon les états financiers de 1978, Reiber Estates a reçu 311 000 $ US le 1er décembre 1978, mais rien n'explique pourquoi le montant de 363 000 $ lui était toujours dû. L'appelant a témoigné que la réduction découlait de la vente du Rye-Bar IV.

[15] La déclaration de revenus de la société de Keystone aux États-Unis pour l'exercice se terminant le 31 octobre 1974 faisait état d'un montant de 328 619,64 $ au titre des ventes brutes, duquel avait été déduit le coût des marchandises vendues, soit 278 327,50 $, ce qui donnait un profit brut de 50 292,14 $. Le document de 1973 ne fait état d'aucun stock au début de l'année; il y est indiqué que le coût des marchandises achetées au cours de l'année à des fins de fabrication ou de vente s'élève à 585 057,60 $. Lorsqu'on lui a demandé en quoi consistait le stock, l'appelant a répondu ceci :

[TRADUCTION]

J'imagine que c'était tout ce que nous achetions et vendions.

Il a par la suite déclaré que le stock était composé de “ divers bateaux ”, et qu'il ne croyait pas que le Rye-Bar IV en faisait partie.

[16] Pour l'année 1974, une photocopie de la déclaration de revenus de la société de Keystone aux États-Unis indiquait que les ventes brutes totalisaient 430 870,45 $ et le coût des marchandises vendues, 343 733,81 $, ce qui donnait un profit brut de 87 136,64 $. L'appelant a témoigné que le Rye-Bar IV faisait alors partie du stock. Il a témoigné également que, pour ce qui est de l'année d'imposition 1974, le montant de 289 582,75 $ au début de l'année et la somme de 309 432,75 $ à la fin de l'année représentaient des avances consenties à Keystone par Reiber Estates. Pour l'année 1975, le montant correspondant, au début de l'année, était de 309 132,75 $ et, à la fin de l'année, de 356 604,50 $. L'appelant a témoigné également que, d'après la déclaration de revenus de Keystone pour 1976, le prêt des actionnaires était de 356 604,50 $ au début de l'année et de 384 925,07 $ à la fin de l'année. Dans la copie de la déclaration de 1977, on peut lire que les prêts des actionnaires s'élevaient à 384 925,07 $ au début de l'année et à 410 741,75 $ à la fin de l'année. L'appelant a déclaré que le Rye-Bar IV était encore inclus dans ce dernier chiffre. La déclaration de 1978 de Keystone fait état de prêts des actionnaires de 410 741,75 $ au début de l'année et de 119 516,75 $ à la fin de l'année. L'appelant a déclaré que l'importante diminution était attribuable à la vente du Rye-Bar IV en 1978 et au remboursement des prêts à Reiber Estates.

[17] Une partie de la transcription concernant la documentation est reproduite ci-dessous :

[TRADUCTION]

Q. D'accord. Y a-t-il une raison pour laquelle vous n'avez jamais créé une hypothèque ou émis un billet à ordre ou tout autre document pour étayer ce contrat de fiducie?

R. C'est ainsi que nous faisions toutes nos affaires. Pour toutes nos autres compagnies, c'était la même chose. Il n'y avait ni billet ni quelque autre document que ce soit. Seulement des avances aux compagnies.

Et tout cela était révélé — à qui mentionniez-vous ces opérations?

Aux comptables, les deux.

Et qui étaient vos comptables?

Springer — à cette époque-là, c'était Springer, Chapman — non, Springer Lucas & Company.

D'accord. Et Ambrose Lucas était-il l'une des personnes qui s'occupaient de votre dossier personnel et de celui de Reiber Estates?

Oui.

À votre connaissance, était-il l'une des personnes chargées de préparer tous les livres et registres de Reiber Estates Limited?

Oui.

[18] Lors du contre-interrogatoire, l'appelant a déclaré qu'il avait demandé un permis d'opérateur de radio pour lui-même au Canada et qu'il n'avait pas informé les autorités canadiennes du fait que le bateau était détenu en fiducie.

[19] L'appelant a témoigné qu'il avait signé une attestation de propriété du Rye-Bar IV par un propriétaire ou un cessionnaire individuel, mais que le document avait été rédigé par une personne dont il ne pouvait se rappeler le nom. Il a dit qu'il avait déposé l'attestation en question auprès de l'organisme d'enregistrement canadien pour enregistrer le navire. En réponse à une question de l'avocate de l'intimée, l'appelant a lu une partie de l'attestation :

[TRADUCTION]

[..] Je suis sujet britannique. La description générale susmentionnée du navire est juste [...] dont le Certificat de capacité ou de service est le no .......... est le capitaine du navire en question. Je suis autorisé à être enregistré en tant que détenteur de 64 actions du navire. Autant que je sache, aucune personne ni aucun groupe de personnes autres que la personne ou le groupe de personnes qui, en vertu de la Loi sur la marine marchande canadienne, peut être propriétaire de navires britanniques, ne peut détenir sur le navire, en tant que propriétaire, un intérêt de quelque nature que ce soit, en common law ou à titre bénéficiaire. Je fais la présente déclaration solennelle délibérément et avec la conviction qu'elle est véridique.

[20] L'appelant a témoigné qu'il comprenait le concept de l'intérêt à titre bénéficiaire et déclaré de nouveau que Keystone était propriétaire à titre bénéficiaire du Rye-Bar IV. On a ensuite assisté à l'échange suivant :

[TRADUCTION]

Donc, lorsque vous dites que personne d'autre n'a droit à quelque intérêt que ce soit, en common law ou à titre bénéficiaire, c'est faux n'est-ce pas?

Tel que vous le dites, c'est effectivement faux.

Et cela est une déclaration solennelle, Monsieur, faite délibérément et avec la conviction qu'elle était véridique le 14 mai 1974?

C'est ce qui est écrit.

Et c'est votre signature, vous l'avez déjà reconnue?

Oui.

[21] L'appelant a ensuite dit qu'il n'avait pas à indiquer dans l'acte de vente qu'il était fiduciaire et il a affirmé que, dans l'attestation de propriété, il avait déclaré qu'il était le propriétaire et que personne d'autre n'avait d'intérêt en common law ou à titre bénéficiaire. Il a déclaré également que la police d'assurance souscrite à l'égard du yacht indiquait qu'il était propriétaire de celui-ci.

[22] L'appelant a ensuite témoigné que son procureur en Floride, Me Levine, avait conservé la reconnaissance de fiducie. Lorsque l'avocate de l'intimée lui a demandé s'il savait que, au cours de l'instance, elle-même et Revenu Canada avaient demandé la production de la reconnaissance de fiducie originale, il a déclaré qu'il la cherchait lui aussi. Il a ajouté n'avoir aucune raison de mettre en doute l'affirmation suivant laquelle personne du côté de l'intimée n'avait encore vu l'original du document en question. L'appelant a indiqué qu'il ne pouvait se rappeler la date à laquelle il avait reçu de Me Levine une copie de la reconnaissance de fiducie. Il a déclaré qu'il croyait avoir remis la copie à ses comptables à Toronto.

[23] Lors du réinterrogatoire, l'appelant a déclaré que, à son avis, l'enregistrement de la reconnaissance de fiducie n'avait aucune importance. Il a indiqué en outre que, à sa connaissance, toutes les opérations avaient été consignées dans les livres et registres de Keystone et de Reiber Estates. L'appelant a déclaré également qu'il n'avait obtenu aucune compensation pour son rôle de fiduciaire.

[24] Ambrose Lucas (“ M. Lucas ”) est venu témoigner qu'il était le comptable de Reiber Estates et qu'il avait tenu les livres et préparé les déclarations de revenus personnelles de l'appelant. Il a témoigné que Reiber Estates avançait de l'argent à Keytsone. Voici ce qu'il a dit :

[TRADUCTION]

les registres [...] sont dressés par un aide-comptable de notre bureau; ils sont ensuite remis à l'un de nos comptables [...] qui dresse les états financiers, et ensuite les documents de travail et les états financiers me sont remis pour examen [...]

[25] En ce qui concerne les montants d'argent que Reiber Estates aurait prêtés à Keystone, M. Lucas a déclaré qu'ils avaient été avancés à une société à responsabilité limitée de la Floride à titre de prêts non remboursés et qu'aucun intérêt n'avait été réclamé sur ces prêts. Il a indiqué que toutes les avances faites au fil des ans étaient étayées par des chèques et des relevés bancaires et que les livres étaient tenus par leur aide-comptable, qui avait les documents originaux. Il a mentionné également que le remboursement de l'avance supposait un dépôt bancaire ainsi qu'une écriture dans les livres.

[26] En contre-interrogatoire, M. Lucas a déclaré qu'il avait reçu ses instructions de l'appelant concernant les affaires de Reiber Estates et qu'il n'avait effectué aucune vérification. Il a déclaré que c'était le comptable de la Floride qui lui avait fourni tous les renseignements dont il avait besoin pour faire concorder les livres et registres de Keystone avec ceux de Reiber Estates. Il a déclaré qu'il n'avait aucun souvenir de la reconnaissance de fiducie. Il a déclaré également que, s'il y avait des questions, elles étaient adressées à l'appelant. Lors du réinterrogatoire, le témoin a déclaré qu'il avait les livres comptables originaux ainsi que les talons de chèque, qu'il tenait les registres de manière improvisée, qu'il préparait une balance de vérification, puis un grand livre et, enfin, les états financiers, auxquels il joignait des annexes.

[27] M. Andre A. Verschoore, employé de Revenu Canada, a ensuite témoigné. En réponse à des questions de l'avocate de l'intimée, il a déclaré qu'il ne pouvait se rappeler s'il avait vu la reconnaissance de fiducie avant de se rendre en Floride pour faire enquête sur certaines questions fiscales concernant l'appelant. Il a témoigné que Me Levine avait remis un dossier contenant des documents qui, a-t-il précisé, étaient tenus d'une manière normale. Il a ensuite dit ceci :

[TRADUCTION]

[...] les plus vieux se trouvaient en-dessous de la pile, c'est-à-dire les documents portant la date la plus éloignée, et, plus les dates étaient récentes — les derniers documents dans ce dossier portaient les dates les plus récentes. Je crois que le troisième document à partir du dessus était le contrat de fiducie; il était daté de 1994.

[28] Il a ensuite confirmé, à la suggestion de l'avocate, qu'il s'agissait de 1974. Il a déclaré que les documents avaient été classés dans le dossier en commençant par ceux de 1974, mais que le contrat de fiducie était le troisième à partir du dessus de la pile. M. Verschoore a indiqué que ce dossier avait été clos en 1978 ou 1979. À cet égard, il a dit ceci :

[TRADUCTION]

Lorsque je l'ai examiné la première fois, ce qui m'a frappé, c'est qu'il n'était pas au bon endroit puisqu'il s'agissait d'un dossier constitué par ordre chronologique. Je me suis dit qu'il n'aurait pas dû se trouver sur le dessus de la pile. Le document semblait trop récent pour se trouver à cet endroit dans le dossier. Lorsque l'on examine le reste des documents, ils étaient pas mal vieux, vous savez, pour — c'est si ancien, et tout de suite, cela nous a frappés, M. Callsen et moi. Nous avons juste — en sortant, nous avons dit “ Avez-vous remarqué? ” ou “ J'ai remarqué ”, et nous avons tous les deux dit la même chose : “ Qu'est-ce que ce dossier fait sur le dessus? Il a l'air trop récent. ” Ou plutôt, ce document. Cela nous a frappé tous les deux en même temps.

[29] Le témoin a ensuite dit que Me Levine, qui n'avait pas l'original, lui avait indiqué que M. Reiber aurait signé celui-ci. M. Verschoore a ensuite témoigné que Revenu Canada voulait obtenir l'original pour le soumettre à une expertise judiciaire et ainsi en déterminer la date. Revenu Canada ne l'a jamais obtenu.

[30] Il a témoigné également que des représentants de Revenu Canada s'étaient présentés aux bureaux de Keystone, et qu'il y avait une chemise servant au classement, dans laquelle la reconnaissance de fiducie se trouvait, probablement sur le dessus de la pile. Il a déclaré qu'“ [traduction] elle semblait encore une fois ne pas être à sa place ” et qu'elle se trouvait au-dessus de documents se rapportant notamment à des réparations du bateau et remontant à 1974. Il a ensuite affirmé qu'il ne pouvait se rappeler s'il avait demandé l'original du contrat de fiducie. Il a témoigné qu'au moment de l'achat du bateau, M. Reiber avait effectué un versement initial de 30 000 $, et qu'il y avait ensuite eu un transfert de deux cent quelques milliers de dollars d'un compte d'entreprise à M. Reiber.

[31] M. Verschoore a déclaré qu'il croyait que le bateau appartenait à M. Reiber personnellement en raison du paiement que ce dernier avait fait personnellement, en raison du transfert effectué par la compagnie en sa faveur, à titre personnel, et pour le motif suivant :

[TRADUCTION]

[...] nous avons parlé à plusieurs personnes [...], y compris l'acheteur du yacht en 1978, M. Haggerty [...] qui nous ont dit que c'était le bateau de M. Reiber.

Il s'est reporté au contrat d'achat conclu le 6 novembre 1978 entre Nathan Reiber et Max Haggerty.

[32] En ce qui concerne l'enregistrement du bateau au Canada, le témoin a dit ceci :

[TRADUCTION]

Je crois que nous avons certains documents à cet égard.

Il a déclaré également qu'il avait vu l'“ Attestation de propriété par un propriétaire ou un cessionnaire individuel ”, et que ce document avait influé sur ses conclusions. Il a déclaré qu'il s'attendait à ce que le nom du propriétaire enregistré soit Keystone, et que le document de vente l'avait beaucoup aidé à tirer ses conclusions. Lorsqu'il a été interrogé sur la demande de permis d'opérateur de radio, il a dit ceci :

[TRADUCTION]

Nous avons effectivement obtenu des documents. Je ne peux dire avec certitude lesquels.

[33] Un document intitulé “ [traduction] Demande de permis d'installation et d'opération d'une station de transmission et de réception à bord d'un navire enregistré ou autorisé au Canada ” a été produit. À la question de savoir s'il avait reçu d'autres documents relativement à cette demande de permis d'opérateur de radio, il a répondu ceci : “ [traduction] Je crois que oui. Je n'en suis pas certain. ” A suivi l'échange suivant :

[TRADUCTION]

Et à quel nom étaient-ils tous établis?

Tous les documents étaient au nom de M. Reiber.

[34] Il a déclaré également que les compagnies qui avaient assuré le bateau étaient canadiennes, et que l'assuré était Nathan Reiber.

[35] M. Verschoore a déclaré qu'il ne se rappelait pas avoir vu, à quelque moment que ce soit, des déclarations de revenus de Keystone aux États-Unis. En ce qui concerne les états financiers de Reiber Estates, lorsque l'avocate de l'intimée lui a demandé si, au cours de ses rencontres avec les comptables, la question des états financiers de Reiber Estates avait été “ abordée ”, le témoin a répondu ceci :

[TRADUCTION]

Honnêtement, je ne m'en rappelle pas.

[36] Au terme d'une série de questions sur Keystone et Reiber Estates, M. Verschoore a déclaré ceci :

[TRADUCTION]

Eh bien!, une partie de l'argent provenait directement de Reiber Estates. Par exemple, le versement initial ou le versement final du prix d'achat du bateau et, par la suite, l'argent nécessaire pour effectuer toutes les réparations ou pour toute autre fin était avancé à Keystone, qui payait la facture.

Lorsque l'avocate de l'intimée a laissé entendre que les attributions avaient été faites par les deux compagnies, il a répondu ceci :

[TRADUCTION]

C'est exact.

[37] Le témoignage de M. Verschoore était vague en ce qui concerne les états financiers et les visites aux bureaux de Me Levine et de Keystone. L'échange suivant, intervenu lors du contre-interrogatoire, le montre bien :

[TRADUCTION]

Vous avez dit que, au cours de l'enquête, vous n'étiez pas au courant des avances que Reiber Estates avait consenties à Keystone Yachts?

Eh bien!, je renvoie à [..] d'accord [...] cette enquête a été entreprise sur le fondement d'un indice, très bien, et je dis que nous avons obtenu des renseignements qui ne se rapportaient pas au bateau. Ils concernaient d'autres faux contrats auxquels M. Reiber était partie, et nous n'avons rien fait au sujet du bateau à ce moment-là, alors [...] oui. Quelle était votre question?

[38] D'autres éléments de preuve ont indiqué que M. Verschoore n'avait pas effectué de recherche sur la procédure d'enregistrement du bateau et qu'il n'avait pas demandé d'avis juridique sur la signification en droit d'une fiducie. En réponse à la question de savoir s'il comprenait la différence entre la propriété en common law et la propriété bénéficiaire, il a répondu ceci :

[TRADUCTION]

Pas vraiment.

CONCLUSION

[39] De toute évidence, la crédibilité de l'appelant est aléatoire. L'appelant a témoigné de façon parfois très vague en cherchant à se dérober, bien que les événements pertinents se soient déroulés entre 1974 et 1979.

[40] Le fait qu'il n'a pas produit la reconnaissance de fiducie originale et qu'il n'a pas du tout tenté d'expliquer pourquoi elle n'avait pas été produite suscite des interrogations au sujet de la date véritable à laquelle elle a été rédigée.

[41] Le fait que l'appelant a enregistré le bateau et obtenu un permis d'opérateur de radio à son nom pour les motifs exposés est compatible avec l'une ou l'autre de ses deux thèses, à savoir :

Qu'il était personnellement propriétaire du bateau (Attestation de propriété par un propriétaire ou un cessionnaire individuel produite en preuve non par l'appelant, mais par l'intimée).

Qu'il en était le propriétaire pour le compte de Keystone (Reconnaissance de fiducie signée en présence de son avocat, Me Levine, qui l'a “ dûment assermenté ”).

[42] Le fait que l'appelant a fait une affirmation solennelle puis déclaré en contre-interrogatoire que la déclaration qu'il a faite dans l'Attestation était fausse indique bien son niveau de moralité et de fiabilité. Il faut ajouter à cela le fait que Me Levine n'a pas été appelé à témoigner pour donner des éclaircissements sur la reconnaissance de fiducie qui est demeurée introuvable, et que M. Blatchley n'a pas été appelé à témoigner non plus au sujet soit du prêt qui aurait été consenti par Reiber Estates à Keystone soit de la reconnaissance de fiducie. L'avocat de l'appelant, qui est le fils de ce dernier, a tenté d'atténuer l'importance de ce document en déclarant ce qui suit :

[TRADUCTION]

L'enregistrement de ce bateau n'est rien de plus qu'une procédure administrative.

[43] Pour essayer de montrer pourquoi le permis d'opérateur de radio avait dû être obtenu au Canada, l'avocat de l'appelant a également produit une photocopie des “ règlements [...] du Conseil des communications du Canada, édition 1995 ”, affirmant que “ [traduction] personne n'a réussi à trouver les règlements qui étaient en vigueur à l'époque ”[2]. Il a lu une partie de l'article 80.15 à la Cour :

[TRADUCTION]

Aucun permis d'exploitation d'une station côtière publique ou d'une station fixe publique en Alaska ne peut être délivré ou détenu par un étranger dans un pays étranger [...]

Après avoir tenu ces propos de toute évidence non pertinents (il n'y a eu aucune preuve portant que l'appelant a demandé un permis d'exploitation d'une telle station), l'avocat a fait la déclaration suivante :

[TRADUCTION]

Il n'y a pas la moindre preuve que le contrat de fiducie et la reconnaissance de fiducie n'existent pas.

Cette déclaration fait complètement fi de l'exactitude douteuse du contenu des documents en question.

[44] En dépit de tout ce qui précède, la question à trancher est celle de savoir si, en 1974, il y a eu attribution par Reiber Estates du montant de 242 294,10 $ au sens de l'article 15 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il est noté que ni l'un ni l'autre avocat n'a mentionné l'article en question dans ses observations. L'article prévoit que, lorsque les fonds d'une société ont été attribués de quelque manière que ce soit à un actionnaire ou au profit de celui-ci autrement que d'une certaine manière, le montant ou la valeur de cette attribution doit être inclus dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année.

[45] Les états financiers non vérifiés de Reiber Estates pour les périodes se terminant le 31 août de chacune des années 1974 à 1979, que l'intimée n'a pas contestés, ont été produits en preuve. Ils font état d'avances de 253 939 $ à Keystone au 31 août 1974; les montants correspondants pour les années subséquentes ont été mentionnés précédemment. Ce montant a été réduit le 1er décembre 1978 du fait, d'après le témoignage de l'appelant, de la vente du Rye-Bar IV par Keystone et d'un paiement par Keystone à Reiber Estates. Le comptable, M. Lucas, a précisé que les opérations comptables effectuées par son bureau étaient étayées par des chèques et des relevés bancaires, entre autres choses.

[46] En outre, des copies de déclarations de revenus de la société de Keystone aux États-Unis pour les années d'imposition 1974 et suivantes, bien que dénuées de détails quant aux montants payés, indiquent, en 1978, qu'un montant supérieur à celui du prêt qui aurait été initialement consenti par Reiber Estates à Keystone a été porté en réduction des prêts des actionnaires.

[47] Compte tenu de cette preuve, et l'avocate de l'intimée n'ayant pas mis en question la validité de ces documents en faisant valoir qu'ils n'avaient pas été préparés en temps opportun pour les années décrites, je suis convaincu qu'ils indiquent qu'un montant de 242 294,10 $ au moins a été avancé par Reiber Estates à Keystone en 1974 et qu'il a ensuite été remboursé. La façon dont cette opération a été effectuée, sans documentation pertinente et avec des documents douteux établis sans grand professionnalisme et sens moral, ne peut changer le fait que les documents susmentionnés appuient la prétention qu'il y a eu prêt et remboursement. En conséquence, aucun avantage n'a été conféré par Reiber Estates à l'appelant en 1974.

[48] Là étant l'unique question en litige, l'appel est admis. Dans les circonstances, il n'y a aucune adjudication de dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'octobre 1999.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de juillet 2000.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               L'avis d'appel était daté du 3 février 1981. La date de réception indiquée au moyen du timbre-dateur n'est lisible que pour ce qui est de l'année — 1981. La réponse à l'avis d'appel n'a été déposée que le 5 mars 1999.

[2]               Dans les années 1970.

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