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Date: 19990604

Dossiers: 98-739-UI; 98-109-CPP

ENTRE :

CHANOR TRUCK REPAIRS LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Dans un avis de cotisation daté du 14 novembre 1997, le ministre du Revenu national a réclamé à l'appelante 3 904,50 $ au titre de cotisations au Régime de pensions du Canada et 4 641,01 $ au titre de cotisations d'assurance-emploi, en plus des pénalités et intérêts afférents. La cotisation a été établie pour le motif qu'en 1995, 1996 et 1997 Dean Muir, un particulier, était un employé de l'appelante. Cette dernière a porté la cotisation en appel devant le ministre, faisant valoir que Dean Muir était un entrepreneur autonome et non un employé. Le 30 avril 1998, le ministre a rejeté l'appel de l'appelante et confirmé la cotisation. L'appelante a interjeté appel de la décision du ministre à la Cour. La seule question en litige est de savoir si, dans les années 1995, 1996 et 1997, Dean Muir était un employé de l'appelante ou un entrepreneur autonome.

[2] L'appelante exploite une entreprise à Cache Creek (Colombie-Britannique), à environ 80 kilomètres à l'ouest de Kamloops, à l'intersection de l'autoroute 1 et de l'autoroute 97. Depuis 1974, elle fait la réparation d'autos (garage et service de remorquage), la démolition d'autos et la récupération des pièces. Au cours des années 1995, 1996 et 1997, l'appelante comptait trois employés à plein temps : un mécanicien qualifié, une adjointe administrative et un technicien en réparations. Au mois d'octobre 1995, elle a conclu avec Dean Muir une entente verbale aux termes de laquelle M. Muir s'engageait à fournir des services de mécanicien d'autos moyennant des honoraires de 20 $ l'heure. M. Muir remettait à l'appelante, à intervalles réguliers (après le 15e jour et le dernier jour de chaque mois), des factures sur lesquelles figurait le nombre d'heures travaillées pour la période précédente, multiplié par 20 $. La plupart du temps, l'appelante acquittait la facture de M. Muir par chèque, mais il lui arrivait aussi d'acquitter une partie ou la totalité du montant de la facture en espèces. L'appelante n'a jamais remis de feuillet T4 à M. Muir parce que, à son avis, ce dernier n'était pas un employé.

[3] Le premier témoin de l'appelante a été Charles Pittman, le principal actionnaire et le gérant de l'entreprise de l'appelante. Le témoignage de M. Pittman peut se résumer de la façon suivante. Au cours de la période en cause, son garage employait des mécaniciens qui touchaient 18 $ l'heure. M. Muir touchait 20 $ l'heure parce qu'il ne voulait qu'aucune retenue à la source ne soit faite. Ce dernier avait indiqué qu'il se chargerait lui-même de payer son impôt sur le revenu et les cotisations au RPC. Aux termes de l'entente conclue avec l'appelante, M. Muir fixait ses heures de travail, il était libre de refuser le travail qu'on lui proposait et il était encouragé à traiter directement avec les clients de l'appelante. Les autres travailleurs qui, de l'aveu de l'appelante, étaient des employés (Brian Harris, Rob Harris et Rick Gene), travaillaient habituellement 40 heures; ils commençaient à 8 h le matin et faisaient une pause à 10 h et à une autre à 15 h. Dean Muir n'avait pas à s'astreindre à cet horaire de travail parce qu'il n'était payé que pour les heures qu'il travaillait et qu'il consignait sur des ordres de travail au garage de l'appelante.

[4] Bien qu'il ne fût pas tenu de travailler des heures régulières, le fait est que, en moyenne, M. Muir a travaillé de nombreuses heures, chaque semaine, du mois d'octobre 1995 au mois d'octobre 1997. J'examinerai les pièces A-1 à A-5 de l'appelante parce qu'elles concordent avec les témoignages oraux de M. Pittman et de M. Muir concernant le rythme de travail de ce dernier chez l'appelante et son mode de rémunération. La pièce A-1 est une série de 16 ordres de travail prenant chacun la forme d'un formulaire imprimé portant le nom de “ Chanor Truck and Auto Repairs Ltd. ”. La plupart de ces ordres de travail ont été remplis par M. Pittman, mais certains l'ont été par M. Muir. Ils englobent la période du 24 octobre au 2 novembre 1995 et regroupent tous les ordres de travail de l'appelante pour lesquels Dean Muir a effectué du travail. Quelqu'un a écrit le nom de “ Dean ” sur chaque ordre de travail faisant partie de la pièce A-1, ce qui indique que le temps de Dean Muir doit être pris en considération.

[5] La pièce A-2 est une facture dressée par Dean Muir ou son épouse; elle énumère les ordres de travail figurant à la pièce A-1 pour la période du 24 octobre au 2 novembre, et elle fait état du nombre d'heures que Dean Muir a consignées sur chaque ordre de travail. Dans la colonne de droite, sous la rubrique “ Montant ”, figure le résultat obtenu si l'on multiplie le nombre d'heures par 20 $. Selon ce qui est indiqué, le montant brut dû est de 673,20 $, mais on y a retranché le montant figurant sur deux ordres de travail (nos 24480 et 24513, joints à la pièce A-1), qui se rapporte à des pièces commandées par Dean Muir pour son usage personnel, qui ont été facturées à l'appelante. Pour ces deux ordres de travail, Dean devait à l'appelante les montants de 19,43 $ et de 77,22 $. Si l'on soustrait ces deux montants des honoraires bruts dus à Dean Muir pour les heures travaillées (673,20 $), il reste un solde net à payer de 576,55 $. La pièce A-3 est une photocopie du chèque de 576,55 $ que l'appelante a émis à Dean Muir en date du 11 novembre 1995 en paiement intégral de la facture produite sous la cote A-2.

[6] La pièce A-4 est une série de 15 pages de calendrier englobant la période du mois d'octobre 1995 au mois de décembre 1996 et faisant état des heures travaillées chaque jour par Dean Muir au cours de cette période de 15 mois. La pièce A-4 a été préparée par Annette Petel, la gestionnaire administrative de l'appelante, aux fins de l'audition de l'appel en l'instance, pour faire la preuve des heures irrégulières que Dean Muir a travaillées au cours de la période en question. Il ne fait aucun doute que les heures de M. Muir sont irrégulières, mais elles sont également constantes dans le sens où il s'est présenté régulièrement (presque tous les jours) au garage de l'appelante pendant cette période de 15 mois.

[7] La pièce A-5 est un résumé de quatre pages des paiements faits par l'appelante à Dean Muir du mois de novembre 1995 au mois d'octobre 1997. Bien que les montants des paiements fluctuent, indiquant ainsi qu'il n'a pas toujours travaillé le même nombre d'heures, ils sont constants dans le sens où ils montrent que l'appelante a remis des montants d'argent à Dean Muir presque tous les mois au cours de cette période de 24 mois, soit du mois de novembre 1995 au mois d'octobre 1997.

[8] La pièce R-1 est une liasse de 47 factures environ, préparées par Dean Muir ou son épouse, et remises à l'appelante pour indiquer les heures travaillées pour lesquelles l'appelante a dû verser une rémunération. Les 47 factures englobent une période de 24 mois exactement, soit du 16 octobre 1995 au 15 octobre 1997. La première facture produite sous la cote R-1 est identique à celle qui a déjà été produite sous la cote A-2. Je n'ai pas fait concorder toutes les factures produites sous la cote R-1 avec la liste des paiements dont il est fait état à la pièce A-5, mais une lecture rapide révèle que les montants réclamés par Dean Muir sur les différentes factures produites sous la cote R-1 concordent, semble-t-il, avec les paiements que l'appelante a effectivement faits à M. Muir, comme la pièce A-5 en fait foi. En résumé, les six pièces documentaires (les pièces A-1 à A-5 et la pièce R-1), combinées au témoignage oral de M. Pittman et à celui de M. Muir, démontrent hors de tout doute que, d'octobre 1995 à octobre 1997, M. Muir s'est présenté régulièrement au garage de l'appelante pour travailler comme mécanicien d'automobiles.

[9] Ces documents démontrent également que M. Muir était payé de façon irrégulière plutôt que selon une semaine régulière de 40 heures. Je suis convaincu que les documents reflètent l'entente véritablement intervenue entre M. Pittman et M. Muir sur le rythme de travail de M. Muir. Même si l'appelante avait des employés qui travaillaient une semaine de travail régulière de 40 heures dans son garage et touchaient un salaire horaire régulier pour une semaine de 40 heures, M. Muir établissait effectivement ses propres heures et son taux horaire était différent parce qu'aucune retenue à la source n'était faite. Je conclus que M. Muir a bel et bien demandé à l'appelante s'il pouvait être considéré, contrairement aux autres travailleurs, comme un entrepreneur autonome, pour qu'aucune retenue à la source ne soit faite, et que l'appelante a acquiescé à cette demande.

[10] M. Pittman a reconnu qu'il était entré en contact avec Dean Muir à l'automne de 1995 et qu'il lui avait offert de venir travailler pour l'appelante parce qu'il était difficile de trouver des mécaniciens d'automobiles compétents à Cache Creek et parce qu'il savait que M. Muir était un mécanicien d'automobiles chevronné et compétent. De plus, M. Muir avait travaillé pour l'appelante avant l'automne de 1995. M. Muir a contesté le témoignage de M. Pittman sur certains points. Plus précisément, il a déclaré qu'il n'était pas libre d'établir ses propres heures et qu'il travaillait régulièrement de 9 h à 17 h tous les jours (du lundi au vendredi) ou jusqu'à ce que le travail soit fait. S'il ne respectait pas ces heures, a-t-il dit, M. Pittman lui faisait souvent des remarques sur le peu d'heures qu'il travaillait. En dépit de ses heures irrégulières, il a dit avoir travaillé en moyenne de 45 à 100 heures au cours de chaque période de paie de deux semaines.

[11] Avant de travailler au garage de l'appelante en octobre 1995, M. Muir avait exploité, avec trois autres personnes, le “ Boyz Shop ”, un garage où ils effectuaient principalement la réparation et la mise en état de voitures de course. Il a déclaré qu'il n'avait pas de permis d'exploitation d'un commerce et qu'il n'était pas inscrit aux fins de la TPS. Apparemment, le garage exploité sous le nom de Boyz Shop a fermé ses portes à peu près au moment où M. Muir est retourné travailler au garage de l'appelante.

[12] Le gros outillage (le palan, la perceuse à colonne, le matériel servant à l'installation des pneus, etc.) était la propriété de l'appelante et se trouvait au garage, où les mécaniciens pouvaient l'utiliser; ils devaient cependant fournir leurs propres outils, qu'ils étaient donc chargés d'entretenir et de garder en lieu sûr. D'après M. Pittman, il arrivait fréquemment à Dean Muir de ne pas avoir ses propres outils et, à une occasion au moins, son taux horaire a été réduit de 20 $ à 15 $ parce qu'il n'avait pas apporté ses outils et avait dû en emprunter à l'appelante ou à d'autres mécaniciens du garage.

[13] Dans la pièce R-1, se trouve joint à la facture pour la période du 15 au 31 octobre 1996 une note de service manuscrite datée du 21 octobre et adressée à Dean, Rick et Blake. Elle est signée par Annette Petel et, parce qu'elle est brève, je la reproduirai au complet :

[TRADUCTION]

RAPPEL

Vos chèques de paie seront préparés 5 à 7 jours après que vous m'aurez remis vos heures et les renseignements relatifs à la feuille de paie. Vous pourrez cueillir vos chèques de paie après 17 h le jour de la paie.

Quiconque a consommé des drogues ou des boissons alcoolisées sera renvoyé chez lui sans être payé.

Si vous avez des questions ou des problèmes, communiquez avec moi le plus tôt possible.

Je vous remercie.

(signé) Annette Petel

Comptabilité

Au cours de son témoignage oral, Mme Petel a expliqué que cette note de service était adressée à Dean Muir, Rick Gene et Blake DeCraene, qui travaillaient tous au garage. Mme Petel a expliqué que, bien qu'elle eût adressé la note de service aux trois travailleurs, dans son esprit, le premier paragraphe ne concernait que Rick et Blake alors que le deuxième paragraphe ne visait que Dean Muir. Elle a indiqué que M. Pittman avait eu de la difficulté avec Dean Muir concernant le sujet du deuxième paragraphe.

[14] Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, la question est de savoir si Dean Muir était un employé de l'appelante ou un entrepreneur autonome. La même question s'est posée dans l'affaire Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a déclaré que la cause définitive concernant cette question était la décision rendue par la même Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5020. La décision dans cette affaire a été citée à profusion par la Cour canadienne de l'impôt. Le juge MacGuigan, qui a prononcé les motifs de la Cour dans l'arrêt Wiebe Door, a écrit ceci à la page 5029 :

Le professeur Atiyah (précité, aux pages 38 et 39) a fini par adopter le critère énoncé par lord Wright dans l'affaire Montreal Locomotive Works, car il le considère comme un critère plus général que celui de lord Denning qui, à son avis, n'apporte une solution que dans certains cas.

Je suis porté à me rallier à ce point de vue pour les mêmes raisons. Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre partie intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci-dessus “l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations”, et ce, même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés. [...]

[15] Dans des affaires subséquentes, on a considéré que le critère qui est composé de quatre parties intégrantes était le suivant : (i) le contrôle; (ii) la propriété des instruments de travail; (iii) les chances de bénéfice et les risques de perte; (iv) l'intégration. Je vais appliquer ces critères dans l'ordre. D'après le témoignage de M. Pittman, Dean Muir a pu obtenir une marge de manoeuvre considérable relativement à ses heures normales de travail en raison de la pénurie de mécaniciens d'automobiles compétents à Cache Creek et parce que M. Pittman avait réellement besoin des services de M. Muir. Les heures irrégulières pour lesquelles Dean Muir a été payé, comme en font foi les pièces A-4 et R-1, démontrent clairement qu'il ne travaillait pas une semaine de travail régulière de 40 heures.

[16] Si les pièces A-4 et R-1 démontrent que Dean Muir ne travaillait pas des heures régulières, elles démontrent qu'il a travaillé pour l'appelante de façon régulière semaine après semaine au cours d'une période de deux ans, c'est-à-dire du mois d'octobre 1995 au mois d'octobre 1997. La constance de sa présence au lieu d'affaires de l'appelante indique qu'il était un travailleur régulier à cet endroit, qu'il fût un employé ou un entrepreneur autonome. Je tends à penser que Dean Muir a été en mesure d'obtenir des heures flexibles en raison de sa position de négociation inhabituelle vis-à-vis de l'appelante, mais que l'appelante exerçait par ailleurs un contrôle sur le travail de M. Muir. Ainsi, M. Pittman ou sa gestionnaire administrative, Annette Petel, répartissaient le travail parmi les travailleurs du garage de l'appelante et déterminaient qui allait réparer une automobile donnée. Mme Petel a déclaré qu'elle attribuait une automobile à M. Muir ou à l'une des autres personnes employées par l'appelante selon la nature du travail qu'il fallait effectuer sur l'automobile en question. M. Muir a appelé les autres personnes employées par l'appelante les “ gars des pneus ” parce qu'ils pouvaient s'occuper des pneus et des problèmes plus simples de réparation d'auto, mais qu'ils n'étaient pas des mécaniciens qualifiés comme lui. Je n'ai aucune raison de douter de la véracité du témoignage de M. Muir, mais cela ne change rien au fait que M. Pittman ou Annette Petel déterminaient quelle personne dans l'atelier s'occuperait de la réparation d'une automobile. Si je mets en balance, d'une part, les heures flexibles de M. Muir et, d'autre part, sa présence constante au garage de l'appelante et le pouvoir de cette dernière d'attribuer le travail, je conclus que le critère du “ contrôle ” fait pencher la balance davantage du côté de l'emploi que du travail autonome.

[17] Le deuxième critère est la propriété des instruments de travail. Le gros outillage était fourni par l'appelante. Je veux parler du palan utilisé pour soulever les autos, de la perceuse à colonne, du matériel facilitant le changement des pneus et de tout le matériel de vérification servant à déterminer la nature du trouble dans un moteur d'automobile. D'après M. Pittman, chaque travailleur devait fournir ses propres outils à main parce que ceux-ci pouvaient facilement être perdus, échangés ou volés. Ce n'est qu'en obligeant le travailleur à fournir ses propres outils à main qu'il pouvait être amené à prendre la responsabilité de les garder à un seul endroit et d'en assurer le contrôle. Dean Muir avait ses propres outils à main mais, apparemment, il omettait souvent de les apporter au garage de l'appelante. À la pièce R-1, la facture de M. Muir pour la période du 16 au 31 janvier 1997 montre que son taux horaire pour cette période a été réduit de 20 $ à 15 $ parce qu'il n'avait pas apporté ses outils au travail pendant cette période. Cette inscription sur la deuxième page de la facture démontre qu'il devait apporter ses propres outils à main et fait la preuve également du degré de contrôle que l'appelante exerçait sur lui.

[18] En ce qui concerne ce deuxième critère, les éléments qui m'influencent le plus sont le fait que (i) l'appelante était propriétaire de tout le gros outillage nécessaire pour effectuer les réparations d'automobile et que (ii) tout le travail devait être effectué au garage de l'appelante. Nous ne sommes pas en présence d'un entrepreneur autonome qui pouvait aller chercher un travail à un endroit donné et l'apporter chez lui pour l'exécuter dans son propre atelier. En ce qui concerne les outils à main, il semble normal que les mécaniciens d'automobiles soient propriétaires des outils à main qu'ils utilisent afin qu'ils aient la responsabilité de les garder en lieu sûr. L'obligation pour Dean Muir de fournir ses propres outils à main n'est pas un facteur important permettant de conclure qu'il est, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, un entrepreneur autonome. Je conclus que, en ce qui concerne le deuxième critère, la balance penche davantage en faveur de l'emploi que du travail autonome.

[19] Le troisième critère concerne les chances de bénéfice ou les risques de perte. Dean Muir touchait un salaire horaire pour les heures où il avait effectivement fait l'entretien des automobiles que les clients apportaient au garage de l'appelante. Il ne courait aucun risque de subir des pertes, sauf dans les cas peu fréquents où il devait travailler sans être rémunéré parce que le travail récemment effectué était couvert par une garantie ou était mal fait.

[20] Toutes les pièces documentaires prouvent que Dean Muir n'était payé que pour les heures qu'il consignait sur les différents ordres de travail. Il semble par contre que les autres travailleurs au garage de l'appelante ont été payés pour une semaine de 40 heures de travail, peu importe la façon dont leur travail était facturé par l'appelante. À mon avis, cette différence n'est pas fondamentale car elle semble être attribuable à l'entente distincte que Dean Muir avait conclue pour obtenir des heures flexibles. On ne pouvait compter sur sa présence régulière au garage de l'appelante de 8 h à 17 h cinq jours par semaine; en revanche, il ne pouvait être rémunéré que pour les heures qu'il consignait sur les différents ordres de travail.

[21] Il importe de signaler que, d'après la pièce A-1, tout le travail effectué par Dean Muir était consigné sur les ordres de travail de l'appelante portant le nom de “ Chanor Truck and Auto Repairs Ltd. ”. En d'autres termes, les clients dont les automobiles et les camions étaient réparés considéraient que c'était l'appelante et non Dean Muir qui effectuait le travail sur leur véhicule. Les clients étaient tous des clients de l'appelante et non par des clients de Dean Muir. C'est M. Pittman ou Annette Petel qui écrivaient le nom de Dean sur chaque ordre de travail sur lequel Dean Muir avait inscrit un certain nombre d'heures de travail. L'appelante avait adopté cette pratique administrative interne pour connaître le nombre exact d'heures qu'elle devait payer à Dean Muir. Cela n'avait rien à voir avec l'existence d'un lien d'affaires entre Dean Muir et les clients de l'appelante. En ce qui concerne le troisième critère, je dirais que Dean Muir n'avait aucune chance de réaliser des bénéfices, ni ne courait le risque de subir des pertes mais, plutôt, qu'il touchait une rétribution fixe de 20 $ l'heure pour chaque heure travaillée au garage de l'appelante. La balance penche donc davantage en faveur de l'emploi que du travail autonome.

[22] En ce qui concerne le quatrième critère (l'intégration), je reproduirai les propos de lord Denning cités par le juge MacGuigan, de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Wiebe Door, à la page 5029 :

[TRADUCTION]

Une particularité semble se répéter dans tous les cas: en vertu d'un contrat de louage de services, une personne est employée en tant que partie d'une entreprise et son travail fait partie intégrante de l'entreprise; alors qu'en vertu d'un contrat d'entreprise, son travail, bien qu'il soit fait pour l'entreprise, n'y est pas intégré mais seulement accessoire.

Si je comprends bien ce critère, si Dean Muir avait été lié par un contrat de louage de services, son travail aurait fait partie intégrante de l'entreprise de l'appelante mais, s'il avait été un entrepreneur autonome, son travail n'aurait pas été intégré dans l'entreprise de l'appelante; il n'y aurait été qu'accessoire. Un travailleur qualifié comme un soudeur ou un électricien pourrait être engagé pour travailler à un projet particulier au garage de l'appelante, puis s'en aller. Ce travailleur qualifié serait clairement un entrepreneur autonome parce que son travail ne serait pas intégré à l'entreprise de l'appelante. En revanche, quelqu'un comme Dean Muir, qui ne travaillait que dans les locaux de l'appelante et qui y était presque tous les jours de la semaine effectuait un travail faisant partie intégrante de l'entreprise de l'appelante. Si j'applique le critère de l'intégration, je conclus que Dean Muir était plus un employé qu'un entrepreneur autonome.

[23] À mon avis, le critère composé de quatre parties intégrantes mentionné par le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe Door permet de conclure que Dean Muir était un employé et non un entrepreneur autonome. L'avocat de l'appelante a fait valoir que Dean Muir était un entrepreneur autonome en raison (i) de ses heures flexibles; (ii) de la façon dont il facturait l'appelante pour les heures travaillées sur des factures distinctes comme dans les pièces A-2 et R-1; et (iii) du fait qu'il avait antérieurement exploité une entreprise de réparation d'autos avec trois associés, sous le nom de “ Boyz Shop ”. Ces éléments sont des signes que M. Muir était un entrepreneur autonome mais, lorsqu'on les soumet au critère composé de quatre parties intégrantes de l'arrêt Wiebe Door, la balance penche invariablement en faveur de l'emploi et non en faveur du travail autonome.

[24] Je crois M. Pittman lorsqu'il affirme que Dean Muir a négocié sa rémunération en tenant compte du fait qu'aucune retenue à la source ne serait faite. En d'autres termes, Dean Muir ne voulait pas que des retenues à la source soient faites au titre de l'impôt sur le revenu ou des cotisations d'assurance-emploi ou au Régime de pensions du Canada. Cependant, ce genre d'entente ne mène pas nécessairement à la conclusion que, en droit, il était un entrepreneur autonome. Compte tenu des faits dans la présente affaire, j'ai décidé que Dean Muir était un employé de l'appelante. Dans de telles circonstances, un payeur (comme l'appelante) doit reconnaître l'essence de la relation et insister pour que des retenues à la source soient faites si le travailleur est censé fournir des services pour lui. L'omission de M. Pittman d'insister pour que des retenues à la source soient faites ne signifie pas qu'il n'existait en droit aucune relation employeur-employé entre l'appelante et Dean Muir. Pour les motifs qui précèdent, je rejette l'appel et confirme la cotisation établie à l'égard de l'appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juin 1999.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de mars 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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