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Date: 19980130

Dossier: 96-2204-IT-G

ENTRE :

SHERRY CHAPMAN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appelante a été temporairement invalide par suite d'un accident de voiture. Il s'agit en l'espèce de savoir si une certaine somme payée par une compagnie d'assurance au titre de l'invalidité temporaire de l'appelante doit être incluse dans le calcul du revenu de l'appelante.

[2] Le 14 février 1991, vers 7 h 20, l'appelante avait eu un accident de voiture en se rendant au travail. Elle avait subi une fracture du sternum et s'était blessée au cou. À cause de ces blessures, elle n'avait pas travaillé pendant à peu près deux ans et demi; elle avait essayé deux fois de retourner au travail, mais n'avait pu rester. Au moment de l'accident, elle était dans sa propre voiture, qui était assurée par la compagnie d'assurance Missisquoi (ci-après appelée la « Missisquoi » ), en vertu d'une police payée par l'appelante. Aux termes de la police de la Missisquoi, l'appelante avait droit à certaines indemnités d’assurance « sans égard à la responsabilité » . Dans le cadre de l'emploi qu'elle exerçait pour Postes Canada, l'appelante était également couverte par une police d'assurance-invalidité de la Sun Life du Canada, Compagnie d'Assurance-Vie (ci-après appelée la « SunLife » ).

[3] En vertu de la police de la Missisquoi, l'appelante avait droit au paiement de 80 p. 100 de son revenu hebdomadaire brut (immédiatement avant l'accident), moins toutes sommes pour perte de revenu reçues par elle en vertu d'un régime de sécurité du revenu ou d'un régime de congés de maladie de la SunLife. En septembre 1991, l'appelante avait reçu la somme de 1 383,97 $ de la SunLife pour la période allant du 16 mai au 23 juin 1991. Cette somme avait été déduite des sommes qui lui étaient par ailleurs payables en vertu de la police de la Missisquoi. Au 23 juin 1991, les prestations de la SunLife avaient été discontinuées. À ce moment, la Missisquoi avait commencé à suppléer à la perte d'indemnités de revenu de l'appelante de manière que cette dernière reçoive 80 p. 100 du revenu brut qu’elle gagnait avant son accident, conformément à l'obligation que la Missisquoi avait aux termes de la police et en vertu de la Loi sur les assurances.

[4] En Ontario, l'assurance automobile est régie par la partie VI (articles 224 à 289) de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, chapitre I-8. Il est difficile de déterminer à partir des dispositions de cette loi si la Missisquoi avait un droit direct de subrogation relativement aux indemnités d’assurance sans égard à la responsabilité payées à l'appelante. Le paragraphe 278(1) de cette loi semble conférer un droit de subrogation, mais le paragraphe 267(4) de cette loi semble enlever tout droit de subrogation. À mon avis, la question de savoir si la Missisquoi avait un droit de subrogation contre la SunLife n'importe pas, car, par une convention en date du 2 février 1994 (pièce A-10), l'appelante (appelée l' « assurée » ) avait accordé à la Missisquoi (appelée l' « assureur » ) le pouvoir d'intenter une action contre la SunLife. Les deux premiers paragraphes du dispositif de la pièce A-10 se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

1. L'assurée autorise l'assureur à intenter et à conduire une action, au nom de l'assurée, devant la Cour de l'Ontario (Division générale) ou d'autres tribunaux s'il y a lieu, contre la Société canadienne des postes et la Sun Life du Canada et contre d'autres parties que l'assureur peut juger nécessaire de poursuivre, pour recouvrer toutes les prestations d'invalidité qui auraient dû être payées et qui peuvent être payables à l'avenir en vertu de la police d'assurance collective de la Sun Life du Canada par laquelle l'assurée est couverte. L'assurée accepte de coopérer avec l'assureur et de l'aider dans la conduite de cette action. Sans limiter la généralité de ce qui précède, l'assurée consent à comparaître comme témoin aux interrogatoires préalables et au procès concernant cette affaire, à signer tous les documents nécessaires à la conduite de ce litige et à subir les examens médicaux pouvant être requis par les Règles de procédure civile.

2. L'assureur consent à payer tous les frais liés à ce litige. Il consent également à indemniser l'assurée de tous frais adjugés à l'encontre de l'assurée à titre personnel par suite de ce litige.

[5] La pièce A-10 s'intitule « Cession de prestations et cause d'action » . Bien que la date de ce document soit le 2 février 1994, il y avait eu de la correspondance entre les parties avant cette date. Neuf lettres ont été déposées en preuve et je me propose de les passer brièvement en revue, par ordre chronologique, car elles établissent le cadre dans lequel s'inscrit ce qui est devenu le paiement important en l'espèce.

Pièce

R-1

Date

11 sept. 91

Expéditeur

SunLife

Destinataire

Postes Canada

(copie à l'appelante)

Objet

La lettre, à laquelle était joint un chèque de 1 383,97 $, disait : « Ce chèque complète le règlement de cette demande suivant l'information reçue. »

A-11

13 sept. 93

Cockburn, Foster & Co. (avocat de la Missisquoi)

SunLife

Par cette lettre, il est demandé à la SunLife de fournir la documentation sur laquelle elle s'est fondée pour mettre fin aux prestations au 23 juin 91.

A-12

4 oct. 93

SunLife

Cockburn,

Foster & Co.

La SunLife demande une autorisation supplémentaire pour communiquer l'information concernant l'appelante.

R-2

22 nov. 93

SunLife

Cockburn,

Foster & Co.

La SunLife fournit un sommaire des prestations payées à l'appelante, qui est désignée dans la lettre par les termes « votre cliente » .

R-3

22 nov. 93

SunLife

Dr Susan Patel

Il ressort de cette lettre que l'appelante avait désigné le docteur Susan Patel comme étant le médecin par l'intermédiaire de qui toute information concernant sa demande pouvait être communiquée à un tiers comme la Missisquoi.

A-13

7 juin 94

Cockburn, Foster & Co.

SunLife

L'avocat de la Missisquoi informe la SunLife qu'il est d'avis que l'appelante a droit à deux années complètes de prestations de la SunLife.

A-14

15 juill. 94

SunLife

Cockburn,

Foster & Co.

La SunLife dit que ses médecins-conseils sont encore d'avis que les éléments de preuve d'ordre médical ne permettent pas de conclure à l'existence d'une invalidité totale continue.

A-15

2 août 94

Cockburn, Foster & Co.

SunLife

Sont jointes à la lettre des copies de rapports du docteur J. S. Patel (le médecin de famille de l'appelante) en date du 12 juin 92 et du 29 avril 93. Par cette lettre, il est demandé à la SunLife de reconsidérer sa position.

A-16

17 août 94

SunLife

Cockburn,

Foster & Co.

À cette lettre est joint le paiement appréciable de 19 063,28 $. Cette lettre est importante et est citée intégralement ci-dessous.

[TRADUCTION]

J'accuse réception de votre lettre du 2 août 1994 et des rapports médicaux supplémentaires.

Les éléments de preuve d'ordre médical présentés récemment à l'appui de cette demande de prestations d'invalidité ont été examinés par les médecins-conseils de la SunLife, et je tiens à vous informer que des paiements d'invalidité ont été accordés pour la période allant du 24 juin 1991 au 10 décembre 1992 en règlement total et définitif de cette demande.

Ci-joint notre chèque de 19 063,28 $ payable à votre cliente pour la période susmentionnée. Notre dossier est maintenant fermé.

J'espère que cela vous agrée entièrement.

[6] Bien que la pièce A-16 dise que le chèque est « payable à votre cliente » , le chèque de 19 063,28 $ de la SunLife en date du 19 août 1994 (pièce A-17) était en fait payable à « Cockburn, Foster, Townsend, Graham and Associates, "en fiducie" » , soit le cabinet d'avocats représentant la Missisquoi dans toute cette correspondance. Autrement dit, c'était un avocat de Cockburn, Foster & Co. qui avait signé chacune des pièces A-11, A-13 et A-15. La plupart des lettres de la SunLife avaient été signées par M. Jess Giangioppi, analyste principal en matière de demandes de règlement, qui a comparu comme témoin pour l'intimée à l'audition de l'appel en instance. M. Jess Giangioppi a témoigné que la SunLife réglait une telle demande sans exiger de décharge de l'assuré. Sa lettre du 17 août 1994 (pièce A-16) contenait les termes « en règlement total et définitif de cette demande » .

[7] Malgré le fait que la SunLife n'avait pas exigé de décharge de l'appelante avant d'émettre le chèque en date du 19 août 1994 (pièce A-17), le cabinet d'avocats Cockburn, Foster & Co. avait établi une décharge dans laquelle l'appelante libérait la SunLife de toutes autres demandes relatives à l'accident de voiture. La pièce R-5, intitulée « Décharge totale et définitive » , se lit en partie de la façon suivante :

[TRADUCTION]

EN CONTREPARTIE du paiement de DIX-NEUF MILLE SOIXANTE-TROIS DOLLARS ET VINGT-HUIT CENTS (19 063,28 $), frais compris, qui est adressé à mes avocats, soit le cabinet Cockburn, Foster, Townsend, Graham & Associates, en fiducie :

LA SOUSSIGNÉE, pour elle-même et ses héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs successoraux, successeurs et ayants droit, libère à tout jamais la SunLife du Canada de toutes actions, causes d'action, demandes de règlement et réclamations au titre ou en raison de pertes ou préjudices concernant la personne ou le bien qui ont été subis jusqu'ici ou qui peuvent ultérieurement être subis par suite de l'accident de voiture survenu le 14 février 1991 ou vers cette date, y compris toutes demandes de prestations relatives à l'accident payables par la SunLife du Canada en vertu du contrat de groupe LTD-12500, subdivision 0001, certificat no 477-225-031.

[...]

IL EST PAR LES PRÉSENTES DÉCLARÉ que les modalités de ce règlement sont pleinement comprises, que le montant y mentionné est la seule contrepartie de cette décharge et que ce montant est accepté volontairement en règlement total et définitif de toutes les demandes au titre de blessures, pertes et dommages qui résultent ou qui résulteront de cet accident.

[8] Le document final signé par l'appelante s'intitule « Décharge, instructions et autorisation » (pièce R-6). Ce document relate d'abord les événements qui ont conduit au paiement, puis, dans le dispositif, l'appelante libère la Missisquoi et donne pour instructions à Cockburn, Foster & Co. de payer la somme de 19 063,28 $ à la Missisquoi. Les paragraphes 1 et 4 de la pièce R-6 sont formulés comme suit :

[TRADUCTION]

1. La soussignée, pour elle-même et ses héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs successoraux, successeurs et ayants droit, libère à tout jamais la Missisquoi & Rouville Insurance Company de toutes actions et causes d'action consécutives à la convention intitulée « Cession de prestations et cause d'action » conclue entre les parties le 2 février 1994.

[...]

4. Par les présentes, l'assurée donne pour instructions au cabinet d'avocats Cockburn, Foster, Townsend, Graham & Associates de porter la somme de 19 063,28 $ au crédit de la Missisquoi & Rouville Insurance Company et l'autorise à le faire.

Conformément aux pièces R-5 et R-6, la somme de 19 063,28 $ avait été payée par Cockburn, Foster & Co. à la Missisquoi. M. Giangioppi a déclaré qu'il ne savait pas dans quelles circonstances la décharge (pièce R-5) en faveur de la SunLife avait été signée.

[9] Aucun des témoins ne savait pourquoi la décharge (pièce R-5) et le document intitulé « Décharge, instructions et autorisation » (pièce R-6) avaient été signés par l'appelante. Je ne puis que présumer que l'appelante était retournée au travail en 1994 et que la Missisquoi, parce qu'elle mettait fin aux paiements d'indemnisation qu'elle versait à l'appelante, avait exigé une décharge de l'appelante relativement à la SunLife et à la Missisquoi, de manière que l'appelante ne puisse revenir à la charge ultérieurement et prétendre que la Missisquoi aurait dû poursuivre la SunLife en recouvrement d'une somme supérieure. Une disposition du paragraphe 3 de la convention de cession (pièce A-10) indique que, si la Missisquoi devait recouvrer auprès de la SunLife des sommes dépassant un certain niveau, un tel excédent devrait être payé à l'appelante. Je remarque au huitième attendu du document intitulé « Décharge, instructions et autorisation » (pièce R-6) que le montant payé par la SunLife ne dépassait pas le niveau auquel la Missisquoi devait payer quelque somme à l'appelante. Je conclus donc que les pièces R-5 et R-6 étaient des documents internes entre l'appelante et la Missisquoi visant surtout à protéger la Missisquoi contre toutes demandes futures de l'appelante concernant l'accident de voiture.

[10] Ayant entendu le témoignage de l'appelante, je suis convaincu que, lorsque la somme de 19 063,28 $ a été payée par la SunLife à Cockburn, Foster & Co., puis remis par ce cabinet d'avocats à la Missisquoi, l'appelante n'a nullement réfléchi à quelque conséquence en matière d'impôt sur le revenu pouvant être liée à ce paiement. Par voie d'avis de nouvelle cotisation en date du 18 décembre 1995, le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1994 de l'appelante et a inclus dans le calcul de son revenu la somme de 19 063,28 $. Dans l'établissement de cette nouvelle cotisation, le ministre se fondait sur l'alinéa 6(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est libellé en partie comme suit :

6(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

[...]

f) le total des sommes qu'il a reçues au cours de l'année, à titre d'indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l'un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué :

(i) un régime d'assurance contre la maladie ou les accidents,

(ii) un régime d'assurance invalidité,

(iii) un régime d'assurance de sécurité du revenu;

le total ne peut toutefois dépasser l'excédent éventuel du total visé au sous-alinéa (iv) sur le total visé au sous-alinéa (v) :

(iv) [...]

(v) [...]

La formule prévue aux sous-alinéas (iv) et (v) n'est pas pertinente, car il n’y a pas de montant en litige. Il s’agit seulement de se demander si, dans les circonstances particulières de la présente affaire, la somme payée par la SunLife (19 063,28 $) doit être incluse dans le calcul du revenu de l'appelante pour 1994.

[11] L'appelante a appelé comme témoin Janet Morgan, qui est spécialiste des indemnités d'accident auprès de la Missisquoi. Mme Morgan est experte en sinistres et effectue ce travail pour la Missisquoi depuis environ huit ans. Elle avait pris le dossier de l'appelante en 1991 et a confirmé que l'appelante avait reçu des prestations pour indemnisation en matière de revenu hebdomadaire, recyclage, physiothérapie et aide médicale. En outre, elle a indiqué que la Missisquoi avait payé 80 p. 100 de la rémunération brute de l'appelante comme indemnité de revenu hebdomadaire et que, toutefois, toute prestation reçue par l'appelante en vertu de quelque autre police ou régime d'assurance était déduite des 80 p. 100 devant être payés par la Missisquoi. Par exemple, le chèque de 1 383,87 $ émis par la SunLife pour la période de mai et juin 1991 avait été endossé par l'appelante et remis à la Missisquoi. Mme Morgan a également confirmé que, en vertu de la pièce A-10, la Missisquoi avait acquis un droit de subrogation contre la SunLife ainsi que le droit de poursuivre la SunLife au nom de l'appelante. Enfin, même si elle avait payé à l'appelante une somme totale de 57 853,23 $ au cours de la période allant de mai 1991 jusqu'à une certaine date en 1994, la Missisquoi avait conclu avec la SunLife un règlement fondé sur le fait que le paiement de 19 063,28 $ de la SunLife mettrait un terme à toute prétention que la Missisquoi pourrait par ailleurs avoir contre la SunLife.

[12] Les parties à l'appel en instance conviennent que l'appelante et Postes Canada cotisaient moitié-moitié pour ce qui des primes payables à la SunLife relativement à l'assurance-invalidité de l'appelante. Dans son argumentation, l'avocat de l'appelante a concédé que, si la somme de 19 063,28 $ avait pris la forme de paiements faits périodiquement à l'appelante par la SunLife, ces paiements périodiques auraient représenté un revenu pour l'appelante en vertu de l'alinéa 6(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le principal argument de l'appelante se fonde sur le concept de somme « reçue » . L'avocat de l'appelante a soutenu que, concernant la somme de 19 063,28 $, l'appelante n'en avait « reçu » aucune partie au sens de l'alinéa 6(1)f). Eu égard au fait que l'argent est passé de la SunLife à Cockburn, Foster & Co., puis de ce cabinet d'avocats à la Missisquoi, il est vrai que l'appelante n'a reçu aucune partie des 19 063,28 $ en ce sens qu'elle-même n'a jamais eu en main quelque partie de cette somme. À mon avis, cependant, le concept de somme « reçue » ou d' « argent en main » ne répond pas à la question en litige dans l'appel en instance.

[13] C'est un fait que l'appelante avait une assurance-invalidité en vertu de la police collective de la SunLife par laquelle elle était couverte à Postes Canada. Bien que n'ayant pas elle-même intenté de poursuite contre la SunLife, elle recevait des prestations de la Missisquoi à hauteur de 80 p. 100 de la rémunération qui était la sienne avant l'accident et, laissée à elle-même, elle n'avait donc aucune raison de poursuivre la SunLife. Par contre, la Missisquoi avait une raison commerciale bien réelle de poursuivre la SunLife, car toute somme que l'appelante pourrait recouvrer auprès de la SunLife réduirait les sommes par ailleurs payables à l'appelante par la Missisquoi. C'est pour cette raison que la Missisquoi avait demandé à l'appelante de lui céder tous les droits qu’elle pouvait avoir contre la SunLife. L'appelante avait accepté, et la pièce A-10 rend compte de cette cession.

[14] Bien qu'intitulé « Cession de prestations et cause d'action » , la pièce A-10 n'est pas tant une cession qu'une autorisation, car le premier paragraphe du dispositif commence par les termes : « L'assurée autorise l'assureur à intenter et à conduire une action, au nom de l'assurée, [...] contre la Société canadienne des postes et la SunLife [...] pour recouvrer toutes les prestations d'invalidité qui auraient dû être payées [...] en vertu de la police d'assurance collective de la SunLife par laquelle l'assurée est couverte [...]. » De la façon dont j'interprète la pièce A-10, l'appelante a fait de la Missisquoi son mandataire pour que la Missisquoi intente une action contre la SunLife. La relation mandant-mandataire entre l'appelante et la Missisquoi est étayée par certains des termes figurant dans les pièces R-5 et R-6, dans lesquelles l'appelante considère les avocats de Cockburn, Foster & Co. comme ses propres avocats et les avocats de la Missisquoi. Par exemple, au tout premier paragraphe de la pièce R-5, l'appelante dit « mes avocats » en parlant de Cockburn, Foster & Co. et, au septième attendu de la pièce R-6, l'appelante traite de Cockburn, Foster & Co. comme étant les avocats de la Missisquoi, laquelle est désignée dans le document comme étant l' « assureur » . De plus, la pièce A-10 n'est pas une cession complète, car le paragraphe 3 prévoit que les sommes recouvrées auprès de la SunLife au-delà d'un certain niveau doivent être payées à l'appelante.

[15] Il est à noter que les pièces R-5 et R-6 sont deux documents signés par l'appelante le 14 septembre 1994. Autrement dit, ce même jour, l'appelante considérait les avocats de Cockburn, Foster & Co. comme à la fois ses propres avocats et les avocats de la Missisquoi agissant dans une cause commune contre la SunLife. Il y avait une relation mandant-mandataire entre l'appelante et la Missisquoi dans la mesure où la Missisquoi était autorisée à conduire au nom de l'appelante une action contre la SunLife et à retenir les sommes recouvrées auprès de la SunLife à hauteur du niveau auquel la Missisquoi engageait des frais dans ses paiements d'indemnisation à l'appelante. Les sommes recouvrées au-delà de ce niveau devaient être versées à l'appelante.

[16] Témoignant comme employée de la Missisquoi, Janet Morgan a affirmé clairement dans sa déposition que la Missisquoi avait payé à l'appelante la somme totale de 57 853,23 $ pour son accident de voiture, et que la Missisquoi était satisfaite de conclure avec la SunLife un règlement fondé sur le fait qu'elle (la Missisquoi) ne recouvrerait que 19 063,28 $ en remboursement de ses paiements d'indemnisation à l'appelante. Lorsque l'avocat de l'appelante soutient que cette dernière n'a pas « reçu » de somme de la SunLife, je ferais remarquer que l'appelante avait reçu plus de 57 000 $ de la Missisquoi et que la Missisquoi était simplement remboursée par la SunLife à hauteur du niveau de 19 063,28 $, conformément à la convention (pièce A-10) conclue entre l'appelante et la Missisquoi.

[17] Concernant l'accident de voiture de l'appelante et l'invalidité qui en est résultée, l'appelante était la seule personne à pouvoir légitimement présenter une demande contre la SunLife. Si elle l'avait fait et qu'elle avait recouvré une somme relativement à la perte de revenu, cette somme serait incluse dans le calcul de son revenu en vertu de l'alinéa 6(1)f). Étant donné les circonstances particulières dans lesquelles elle se trouvait, l'appelante n'était pas portée à présenter une demande contre la SunLife, car elle recevait déjà de la Missisquoi 80 p. 100 du revenu qui était le sien avant l'accident, et ce, conformément à la couverture pour invalidité de sa police d'assurance automobile privée. D'après le témoignage de Janet Morgan, en vertu de la police de la Missisquoi, l'appelante était obligée d'aider la Missisquoi à percevoir auprès de la SunLife toute somme que l'appelante aurait pu elle-même percevoir. Bien que ce point n'ait pas été soulevé en preuve ou dans l'argumentation, je présume que les sommes que l'appelante recevait de la Missisquoi au titre de la perte de revenu n'avaient pas à être incluses dans le calcul de son revenu aux fins de l'impôt.

[18] Si quelque somme pouvant être reçue par l'appelante directement de la SunLife au titre de la perte de revenu allait être incluse dans le calcul du revenu de l'appelante, cette dernière était-elle en meilleure posture du point de vue de l'impôt sur le revenu en recevant son indemnité pour « perte de revenu » de la Missisquoi, puis en autorisant la Missisquoi à réclamer et à percevoir ce qu'elle pouvait auprès de la SunLife? La somme de 19 063,28 $ a été payée par la SunLife en août 1994 seulement après que la SunLife eut été convaincue que l'appelante avait été invalide jusqu'au 10 décembre 1992. Voir la pièce A-16, dont le texte intégral a été cité précédemment. Cette somme aurait été payée à l'appelante n'eût été des modalités de la convention de cession (pièce A-10). Le paragraphe 3 de la pièce A-10 contenait la formule suivante pour ce qui est du déboursement de toutes sommes recouvrées auprès de la SunLife :

[TRADUCTION]

3. Les parties aux présentes conviennent que les sommes recouvrées par suite d'un jugement, d'un règlement ou d'une ordonnance quant aux frais en faveur de l'assurée seront distribuées comme suit, dans l'ordre de priorité suivant :

a) premièrement, l'assureur sera en droit de recouvrer ses dépens procureur-client ainsi que ses frais judiciaires et extrajudiciaires payés à ses propres avocats au titre d'honoraires et de dépenses concernant cette action ou ce règlement;

b) deuxièmement, l'assureur aura droit au remboursement de toutes les indemnités d’assurance sans égard à la responsabilité payées à l'assurée avant ce jugement, cette ordonnance ou ce règlement;

c) troisièmement, si des sommes sont perçues en sus de ce qui est prévu aux alinéas a) et b), l'assureur sera en droit de recevoir un crédit correspondant à ces sommes au titre de toutes indemnités d’assurance sans égard à la responsabilité pouvant devenir payables à l'assurée après la date de ce jugement, de cette ordonnance ou de ce règlement;

d) quatrièmement, si des sommes sont perçues en sus de ce qui est mentionné aux alinéas a) et b), ces sommes seront versées à l'assurée.

[19] Je remarque qu'il est question au début du paragraphe 3 de « [...] les sommes recouvrées par suite d'un jugement [...] en faveur de l'assurée [...] » . La pièce A-10 désignait l'appelante comme étant l' « assurée » . Donc, les sommes recouvrées auprès de la SunLife étaient « en faveur de » l'appelante. Le fait que l'appelante ait autorisé la Missisquoi à intenter et à conduire une action contre la SunLife, au nom de l'appelante, signifie que les sommes recouvrées auprès de la SunLife sont réputées avoir été reçues par l'appelante, même si ces sommes ont été payées directement ou indirectement (c.-à-d. par l'intermédiaire d'un avocat) à la Missisquoi et retenues par la Missisquoi conformément à la pièce A-10.

[20] Lorsque la SunLife a fini par reconnaître dans la pièce A-16 qu'elle était disposée à payer une somme supplémentaire de 19 063,28 $ « en règlement total et définitif de cette demande » , cette somme n'était payable qu'à l'appelante en conformité avec le contrat d'assurance collective entre la SunLife et Postes Canada. Le fait que le chèque de la SunLife (pièce A-17) ait été émis à l'intention de Cockburn, Foster & Co. n'est pas important, car ce cabinet d'avocats agissait pour l'appelante (en sa qualité de mandant) et pour la Missisquoi (en sa qualité de mandataire). En qualité de mandant et de mandataire, respectivement, l'appelante et la Missisquoi n'avaient que la réclamation de l'appelante contre la SunLife. La somme est réputée avoir été reçue par l'appelante lorsqu'elle a été payée par la SunLife au cabinet d'avocats agissant pour l'appelante et la Missisquoi. L'appel est rejeté avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de janvier 1998.

« Murray A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de juin 1998.

Isabelle Chénard, réviseure

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