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Date: 19980623

Dossier: 96-2207-UI

ENTRE :

MONA AL-MOSAWER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge P. R. Dussault, C.C.I.

[1] Il s’agit de l’appel de la décision de l’intimé selon laquelle l’emploi qu’exerçait l’appelante auprès du payeur, Rafedain Inc. ( « Rafedain » ), pour la période allant du 2 janvier au 7 juin 1991, était un emploi exclu au sens de l’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chomâge (la « LAC » ).

[2] L’intimé a, entre autres, fait reposer sa décision sur les faits énoncés aux alinéas a) à n) du paragraphe 7 de la réponse à l’avis d’appel. Ces alinéas se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

a) durant la période en cause, le payeur exploitait une boutique de cadeaux située au 1482, rue Ste-Catherine Ouest à Montréal;

b) Ahmad Kazzaz possédait la totalité des actions du payeur;

c) l’appelante est la conjointe d’Ahmad Kazzaz;

d) durant la période en cause, l’appelante travaillait en tant que vendeuse à la boutique;

e) durant la période en cause, l’appelante travaillait environ 50 heures par semaine;

f) durant la période en cause, l’appelante recevait un salaire de 500 $ par semaine;

g) dans ce genre d’entreprise, le salaire d’un vendeur correspond habituellement au salaire minimum;

h) en juin 1991, le payeur a vendu la boutique à Dhia Salman;

i) pendant l’été 1991, le payeur a ouvert une autre boutique située au 1126, rue Ste-Catherine à Montréal;

j) en mai 1991, le payeur avait embauché trois autres employés pour travailler au 1126, rue Ste-Catherine Ouest;

k) les états financiers du payeur pour la période se terminant le 31 décembre 1991 indiquent des pertes commerciales de 43 000 $;

l) l’appelante est liée au payeur au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu;

m) l’appelante et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance;

n) il n’est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, que l’appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avait pas eu un lien de dépendance.

[3] L’avocat de l’appelante a admis les allégations figurant aux alinéas c), d), e), h) et j), n’a tenu aucun compte de l’allégation formulée à l’alinéa k) et a nié les allégations figurant aux autres alinéas.

[4] L’appelante, qui a prétendu avoir acquis une certaine expérience comme vendeuse au Koweït, a déclaré avoir été embauchée pour travailler dans une boutique située au 1482, rue Ste-Catherine Ouest à Montréal (Québec). Elle aurait été embauchée par le comptable, M. Azam El-Hafed, et par M. Khadem Waly[1], qu’elle a décrit comme le propriétaire du magasin.

[5] Selon son témoignage, elle aurait travaillé du 2 janvier au 7 juin 1991, moment où l’entreprise a été vendue. Elle a déclaré avoir travaillé six jours semaine pour un salaire brut de 2 000 $ ou net de 1 800 $ par mois, versé en espèces. Néanmoins, son relevé d’emploi[2] signé par M. M. Al-Saadi, un particulier qui aurait été embauché par le payeur, Rafedain, quelques jours avant qu’elle soit mise à pied, indique un salaire hebdomadaire de 500 $ versé pendant 23 semaines, le total des gains s’établissant à 10 000 $. Le motif invoqué pour la cessation de l’emploi est le manque de travail. L’appelante a déclaré ne pas connaître M. Al-Saadi et ne l’avoir jamais rencontré au magasin. Dans la demande de prestations d’assurance-chômage remplie par l’appelante[3], il est également fait mention d’un salaire hebdomadaire de 500 $ pour 50 heures de travail du 2 janvier au 7 juin 1991. L’appelante a déclaré que bien qu’on lui eût dit qu’elle pourrait continuer à occuper son emploi après la vente de l’entreprise, elle avait été mise à pied à ce moment-là puisqu’on n’avait plus besoin d’elle.

[6] L’appelante a déclaré que M. Waly était marié à la soeur de son mari et qu’il vivait actuellement à Téhéran, en Iran. À l’automne 1990, il est venu au Canada en tant que visiteur. Au moment de l’ouverture du magasin en janvier 1991, il y travaillait, tout comme le comptable, et était chargé de superviser les activités quotidiennes, ce qu’il a fait jusqu’en juin 1991, moment où l’entreprise a été vendue. Rafedain a été constituée en société en 1990 et le mari de l’appelante, M. Ahmad Kazzaz, en était l’unique actionnaire. L’appelante a toutefois déclaré que son mari n’avait aucun intérêt financier dans l’entreprise puisqu’il n’agissait qu’à titre de mandataire pour M. Waly, qui avait, quant à lui, investi dans l’entreprise. En outre, elle a laissé entendre que M. Waly, qui n’avait que le statut de visiteur au Canada, ne pouvait investir en son propre nom. L’appelante a déclaré que son mari avait bel et bien signé les chèques pour Rafedain mais qu’il n’avait jamais travaillé au magasin de Montréal puisque, d’avril 1991 à avril 1992, il avait travaillé à Toronto.

[7] M. Kazzaz a également témoigné n’avoir aucune participation dans l’entreprise du payeur Rafedain et n’avoir agi que pour son beau-frère, M. Waly, qui avait investi tout l’argent.

[8] Un document intitulé « Déclaration de mandat » ,[4] signé par les deux personnes, a été produit en preuve. Dans ce document, M. Kazzaz, qui est décrit comme un « prête-nom » n’ayant aucun intérêt financier, est chargé de procéder à la constitution en société de Rafedain, de retenir à cette fin les services d’un avocat et d’engager un comptable afin de veiller à l’administration de l’entreprise. En tant que « prête-nom » , M. Kazzaz ne devait recevoir aucun salaire ni exercer d’autres fonctions que celles de signer tous les documents nécessaires et de « permettre aux avocats, comptables et gestionnaires de gérer tout investissement futur de l’entreprise » . On lui a également accordé le droit de remplacer ces personnes ou « tout employé » et « de mettre à pied et d’embaucher et d’agir, de façon générale, en tant que superviseur non rémunéré comme... prête-nom [de M. Waly] » .

[9] M. Kazzaz a admis avoir signé des chèques et d’autres documents pour le compte de Rafedain. Bien qu’il ait travaillé dans la région de Toronto pendant une partie de la période en cause, il s’est rendu périodiquement à Montréal. Il a également rempli les déclarations de revenus de société dans lesquelles il a indiqué être le seul actionnaire de la société décrite comme une société privée sous contrôle canadien. Il a déclaré ne pas savoir si les états financiers préparés par M. El-Hafed, dans lesquels une perte de 43 390 $ avait été déclarée pour l’année d’imposition 1991, étaient exacts. Il a déclaré ne pas savoir pourquoi M. Al-Saadi, qui avait été embauché quelques jours avant la mise à pied de l’appelante en juin 1991, aurait signé le relevé d’emploi de celle-ci. Il a simplement déclaré que M. Al-Saadi l’avait embauché pour travailler au deuxième magasin exploité par Rafedain au 1126, rue Ste-Catherine Ouest.

[10] Mme Sonia Dion, qui a, en 1992, fait une enquête sur une fraude possible par un groupe de particuliers, a témoigné avoir constaté que certains relevés d’emploi correspondant à la période minimale de 20 semaines ou à une période un peu plus longue avaient souvent été signés par des employés, les uns pour les autres. Certains de ces employés auraient été embauchés pour en remplacer d’autres qui auraient été mis à pied à peu près au même moment. Selon Mme Dion, ces personnes recevaient un salaire très élevé pour travailler dans de très petites boutiques de cadeaux ou de souvenirs. Le nom de M. Kazzaz figurait sur la liste de Mme Dion.

[11] Accompagnée d’un enquêteur supérieur, à savoir M. Desgroseillers, Mme Dion a interrogé M. Kazzaz le 2 novembre 1993. Un dossier d’entrevue[5] a été rempli par Mme Dion. M. Kazzaz a refusé de le signer, prétendant qu’il avait été forgé et qu’il ne représentait pas les propos qu’il avait tenus pendant l’entrevue.

[12] Mme Dion a également déclaré n’avoir jamais rencontré l’appelante car il s’était avéré impossible d’obtenir un rendez-vous avec elle. Elle a toutefois confirmé que l’appelante n’avait participé à aucune des affaires faisant l’objet de l’enquête.

[13] M. Jean-Pierre Houle, agent des appels pour l’intimé, a déclaré avoir procédé à un examen complet du dossier sans toutefois avoir contacté l’appelante. L’avocat de l’appelante, M. Lawrence Diner, qu’il avait contacté par téléphone, lui avait dit qu’il n’avait pas besoin de rencontrer l’appelante et que celle-ci l’appellerait. M. Houle a déclaré qu’elle lui avait laissé, à un moment donné, un message lui indiquant qu’elle le rappelerait, chose qu’elle n’a jamais faite. Pour sa part, l’appelante a déclaré avoir téléphoné à deux reprises et avoir laissé un message mais qu’on ne l’avait jamais rappelée.

[14] Dans son analyse du cas, M. Houle a déclaré avoir obtenu des renseignements à la fois de M. Diner et de M. Kazzaz, en particulier quant au fait que ce dernier n’avait investi que l’argent de son beau-frère bien que les actions de l’entreprise aient été à son nom.

[15] Quant à la rétribution de l’appelante, M. Houle a déclaré avoir eu en mains son relevé d’emploi où était indiqué un salaire hebdomadaire de 500 $ versé pendant 23 semaines, mais dont les gains totaux s’élevaient à 10 000 $. Le feuillet de renseignements T-4 rempli par le payeur faisait également état de gains totaux de 10 000 $, mais un simple montant de 225 $ d’impôt sur le revenu avait été retenu à la source. Manifestement, quelque chose n’allait pas puisque ces chiffres ne faisaient pas le compte.

[16] M. Houle était également préoccupé par le niveau de revenu d’un simple vendeur dans une boutique de cadeaux ou de souvenirs du genre de celle exploitée par le payeur. Après avoir personnellement enquêté sur cette question en se rendant à quatre boutiques de ce genre situées sur la rue Ste-Catherine, il s’est rendu compte que le salaire qui était offert aux vendeurs dans ce genre de boutique était invariablement le salaire minimum.

[17] Comme l’appelante avait été payée 10 $ l’heure, soit presque deux fois le salaire minimum de l’époque, et comme son mari était le seul actionnaire de l’entreprise, M. Houle a conclu que l’emploi de l’appelante n’était pas assurable, principalement parce qu’il considérait son salaire trop élevé pour 1991. On a également tenu compte du fait qu’elle avait été mise à pied pendant la haute saison, tout juste après qu’un autre employé ayant signé son relevé d’emploi eut été engagé.

[18] L’avocat de l’appelante a essentiellement fait valoir que l’appelante occupait un emploi assurable parce qu’elle exécutait de nombreux services pour une rémunération convenue de 2 000 $ par mois et qu’elle le faisait sous la direction ou la supervision de M. Waly, le véritable propriétaire, qui avait investi dans l’entreprise et qui prenait une part active à sa gestion pendant la période en cause.

[19] Selon l’avocat, le fait que l’entreprise ait essuyé des pertes ne prouve en rien que le salaire était trop élevé. Il a également fait valoir que le niveau de salaire est un aspect qui relève exclusivement d’une entente entre l’employeur et l’employé et qu’il ne concerne en rien Revenu Canada. L’avocat de l’appelante a en outre fait valoir qu’il n’y avait aucun indice selon lequel l’appelante avait un lien de dépendance avec le payeur. Dans les autres arguments présentés après l’audience, il a insisté sur ce point en se reportant au Black’s Law Dictionary relativement à ce que l’on décrit comme des situations de fait avec lien de dépendance. Puis, renvoyant à l’alinéa 251(2)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu ( « la LIR » ), l’avocat de l’appelante a reconnu que des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l’adoption étaient définis comme des personnes liées et étaient donc réputés avoir entre eux un lien de dépendance, mais il a mentionné ce qui suit au paragraphe 12 de ses arguments :

[TRADUCTION]

Le mot « réputé » crée une présomption réfutable que les faits de l’espèce corroborent.

[20] L’avocat de l’appelante a ensuite mentionné ce qui suit au paragraphe 13 de ses arguments :

[TRADUCTION]

13. Bien que sur le plan juridique ou que conformément à l’acception courante de cette expression, Khadem Waly et l’appelante soient parents par alliance, ils le sont dans un sens très restreint. L’appelante et Khadem Waly ne sont pas unis par les liens du sang et ne l’ont jamais été. Ils ne sont que les conjoints respectifs d’un frère et d’une soeur, ni l’un ni l’autre n’étant directement en cause dans le présent litige. Ahmad Kazzaz est employé ailleurs et la soeur de Ahmad Kazzaz se trouve au Moyen-Orient.

[21] L’argument fondamental invoqué par l’avocate de l’intimé veut que l’appelante n’ait pas réussi à produire des éléments de preuve suffisants démontrant que l’intimé avait agi capricieusement ou de manière arbitraire en exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui confère le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la LAC. Cet argument se fonde sur les décisions rendues par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 25 juillet 1994, A-555-93 (C.A.F.) ainsi que dans l’affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.R.N. et al., (1995) 178 N.R. 361.

[22] Selon l’avocate de l’intimé, l’appelante est liée au payeur parce qu’elle est liée à son mari, qui dirigeait Rafedain (alinéa 251(2)a) et sous-alinéas 251(2)b)(i) et (iii) de la LIR). Aux termes de l’alinéa 251(1)a) de la LIR, l’appelante et le payeur étaient réputés avoir un lien de dépendance et, puisqu’ils étaient liés, le ministre était habilité à exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la LAC.

[23] Subsidiairement, l’avocate de l’intimé a fait valoir que l’appelante était également liée à Rafedain puisque c’était M. Waly qui dirigeait la société. Elle a fait valoir que l’appelante était, en premier lieu, liée à son frère ou à sa soeur aux termes de l’alinéa 251(6)a) de la LIR et qu’elle était également liée à son beau-frère aux termes du sous-alinéa 252(2)b)(ii) de cette même loi. Comme l’appelante est liée à M. Waly, qui, si l’on accepte la déclaration de mandat[6], était la personne qui avait dirigé Rafedain, elle serait également liée à Rafedain aux termes du sous-alinéa 251(2)b)(iii) de la LIR. À l’appui de cet argument, l’avocate a cité la décision rendue par cette cour dans l’affaire Cheryl Lemon v. M.N.R., 94-1101(UI). La situation serait alors la même que si l’appelante avait été liée à Rafedain parce que son mari, M. Kazzaz, aurait assumé la direction de la société.

[24] Toutefois, s’appuyant sur les articles 1451 et 1452 du Code civil du Québec et sur la décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Deputy Minister of Revenue (Quebec) v. Zaidi et al., 97 DTC 5549 ((1996) A.Q. no 2969), l’avocate de l’intimé a fait valoir que les tiers de bonne foi peuvent se prévaloir ou non d’un contrat apparent ou d’une contre-lettre. Elle a soutenu que le ministre avait agi correctement en déterminant que c’était M. Kazzaz qui dirigeait Rafedain, d’après les renseignements fournis par M. Kazzaz dans la déclaration d’impôt T-2 produite par la société et signée par ce dernier.

[25] D’abord, je dois apporter certains éclaircissements en ce qui a trait à l’application de certaines dispositions de la LIR mentionnées par les deux avocats.

[26] En l’espèce, la période d’emploi en cause va du 2 janvier au 7 juin 1991. Selon les sous-alinéas 3(2)c)(i) et (ii) de la LAC, la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance et celle de savoir si l’employeur et l’employé sont liés doivent être déterminées conformément aux dispositions de la LIR, c’est-à-dire, selon moi, conformément à ces dispositions telles qu’elles s’appliquaient durant la période en cause. Le sous-alinéa 252(2)b)(ii), auquel l’avocate de l’intimé a fait référence, ne s’applique aucunement puisque cette disposition s’applique seulement après 1992 (voir : 1993 L.C., chap. 24, par. 140(1)). Pour la période en cause, la disposition applicable est l’alinéa 252(2)a) de la LIR.

[27] Quant à la disposition déterminative que l’on retrouve au sous-alinéa 251(1)(a) de la LIR, et selon laquelle des « personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance » , je ferai observer qu’il est depuis longtemps établi que le terme « réputé » , à l’alinéa 251(1)(a), a pour effet de créer une présomption non réfutable.

[28] E. A. Driedger, dans « Construction of Statutes » (2e édition, Toronto, Butterworths, 1983), écrit ce qui suit à la page 25 :

[TRADUCTION]

Les décisions indiquent que lorsqu’une disposition déterminative énonce les conséquences juridiques qui doivent découler des circonstances décrites, la disposition en question est, de prime abord, définitive. Mais lorsqu’elle énonce simplement un fait qui est présumé dans les circonstances décrites, elle est de prime abord réfutable.

[c’est moi qui souligne]

[29] Les premières décisions rendues par la Commission d’appel de l’impôt sur le revenu dans les affaires Francis v. Minister of National Revenue, 51 DTC 329; No. 25 v. Minister of National Revenue, 51 DTC 331; Western Printers Association Ltd. v. Minister of National Revenue, 51 DTC 345; No. 116 v. M.N.R., 53 DTC 344; Benedet v. M.N.R., 54 DTC 51; Sibbitt v. M.N.R., 54 DTC 65, indiquaient toutes d’une façon ou d’une autre que l’expression « sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance » était « définitive » et signifiait « considérée de manière décisive » .

[30] Par la suite, et de façon plus générale, dans l’affaire Scott v. M.N.R., 66 DTC 306 (T.A.B.), à la page 308, il a été mentionné que :

[TRADUCTION]

Être réputésemble être une expression de prédilection dans les lois de l’impôt sur le revenu. On a statué que cette expression avait un caractère définitif et résistait à toute tentative de modification de son effet. La façon dont elle est utilisée dans la Loi permet d’avancer la proposition selon laquelle noir peut être blanc, si le Parlement légifère en ce sens.

[c’est moi qui souligne]

[31] Dans l’affaire The Queen v. Alroy Industries Ltd., 76 DTC 6220, le juge Décary, de la Cour fédérale - Section de première instance, déclarait à la page 6224 :

[TRADUCTION]

Je ne crois pas que la présomption créée dans la Loi de l’impôt sur le revenu par le terme « réputé » puisse être repoussée. Prétendre le contraire équivaut selon moi à dire que quelque chose réputée être une chose peut fort bien ne pas l’être aux fins de l’impôt, ce qui constitue une thèse que je ne peux admettre en l’absence de dispositions en ce sens.

[c’est moi qui souligne]

[32] Dans l’affaire Kushnir et al. v. M.N.R., 85 DTC 280 (C.C.I.), à la page 283, le juge Cardin a conclu que :

La disposition déterminative énoncée à l’alinéa 251(1)a) [...] n’énonce pas les conséquences juridiques des transactions conclues entre des personnes liées en ce que, aux fins fiscales, elles devraient être réputées avoir entre elles un lien de dépendance.

[c’est moi qui souligne]

[33] Le juge s’en est ensuite remis à la décision du juge Décary dans l’affaire Alroy Industries Ltd., précitée, et a conclu que :

[L]a « disposition déterminative » énoncée à l’alinéa 251(1)a) [...] ne peut être réfutée et [...] il s’agit d’une présomption absolue. [...]

[34] En l’espèce, il est clair que l’appelante était liée à son employeur, Rafedain. Tel est le cas, que son mari, M. Kazzaz, ait dirigé ou non la société. Si l’on considère qu’il la dirigeait, il va de soi qu’ils étaient liés au sens de l’alinéa 251(2)a) et des sous-alinéas 251(2)b)(i) et (iii) de la LIR. Aux termes de l’alinéa 251(1)a), l’appelante était liée à M. Kazzaz parce qu’ils étaient conjoints. Aux termes du sous-alinéa 251(2)b)(i), Rafedain et M. Kazzaz auraient été liés parce que celui-ci aurait été la personne qui dirigeait la société. Enfin, Rafedain et l’appelante auraient été liées au sens du sous-alinéa 251(2)b)(iii) parce que celle-ci était liée à la personne qui aurait dirigé la société.

[35] Si l’on considère maintenant que M. Waly était le véritable propriétaire des actions et que M. Kazzaz n’agissait qu’à titre de mandataire ou de « prête-nom » , le résultat final est le même : Rafedain et l’appelante seraient tout de même liées. D’abord, d’après l’alinéa 251(2)a), des particuliers sont dits liés lorsqu’ils sont unis par les liens du sang, du mariage ou de l’adoption. Au sens de l’alinéa 251(6)a), des particuliers sont unis par les liens du sang si l’un est le frère ou la soeur de l’autre. Selon la version de 1991 de la loi, les alinéas 252(2)a) et d) prévoyaient que pour l’application de la LIR, le terme « frère » visait notamment le beau-frère et que le terme « soeur » visait notamment la belle-soeur. Comme M. Waly est le beau-frère de M. Kazzaz (étant marié à sa soeur), ces deux-là sont donc considérés comme unis par les liens du sang (comme deux frères le seraient) aux termes de l’alinéa 251(6)a). Donc, en application de l’alinéa 251(6)b), l’appelante et M. Waly devraient être considérés comme unis par les liens du mariage puisque celle-ci est mariée à une personne (M. Kazzaz) unie à l’autre (M. Waly) par les liens du sang. Étant unie à M. Waly par les liens du mariage, l’appelante serait donc considérée comme liée à lui au sens de l’alinéa 251(2)a). Comme elle aurait été liée à la personne dirigeant Rafedain, l’appelante serait enfin liée à Rafedain aux termes du sous-alinéa 251(2)b)(iii) de la LIR. Comme je l’ai expliqué précédemment, de telles personnes sont irréfragablement considérées comme ayant entre elles un lien de dépendance aux termes de l’alinéa 251(1)a) de la LIR.

[36] Lorsque l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance, l’emploi est considéré comme emploi excepté et n’est donc pas un emploi assurable au sens de l’alinéa 3(2)c) et du paragraphe 3(1) de la LAC, sauf dans les circonstances décrites au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de cette même loi. Cette disposition se lit comme suit :

(ii) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance.

[37] Dans l’affaire Ferme Émile Richard, précitée, le juge Décary de la Cour d’appel fédérale mentionnait ce qui suit aux pages 362 et 363 :

[...] Ainsi que cette Cour l’a rappelé récemment dans TIGNISH AUTO PARTS INC. c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL, (25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. inédit), l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt, lorsqu’il s’agit de l’application du sous-alinéa 3(2)c(ii), n’est pas un appel au sens strict de ce mot et s’apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d’autres termes, n’a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d’un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n’est que si la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l’employeur et l’employé s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance.

[38] Dans l’affaire Minister of National Revenue v. Bayside Drive-In Ltd., (1998) 218 N.R. 150, la Cour d’appel fédérale a, dans les termes suivants, explicité à la page 156 le rôle de la Cour canadienne de l’impôt lorsqu’une décision concernant le sous-alinéa 3(2)c)(ii) est en cause :

[23] Au cours de l’audition d’un appel fondé sur le paragraphe 70(1), la Cour de l’impôt a une fonction de contrôle. Parce que la décision prise par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) découle de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, les principes judiciaires reconnus exigent que le tribunal fasse preuve de retenue à l’égard du pouvoir discrétionnaire que le ministre a exercé, à moins qu’il ne soit démontré d’après la prépondérance des probabilités que le ministre a exercé ce pouvoir discrétionnaire d’une manière contraire à la loi. Ce n’est que dans ce cas que la Cour de l’impôt est en droit d’effectuer une évaluation indépendante de la preuve afin de réévaluer la justesse de la décision du ministre. À cette étape, il n’y a pas de nouvelle audience et les parties ne recommencent pas de nouveau dans le sens qu’elles n’ont pas à produire de nouveau leur preuve et à présenter de nouveau leurs arguments. Au contraire, la Cour de l’impôt doit effectuer une évaluation indépendante de la preuve en s’appuyant sur le dossier dont elle est déjà saisie. Ainsi, bien que l’examen de la preuve par la Cour de l’impôt à la deuxième étape de l’analyse soit de novo, l’appel en lui-même n’est pas et ne peut être transformé en procès de novo.

[c’est moi qui souligne]

[39] La condition selon laquelle l’employeur et l’employé sont liés entre eux est une condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre prévu au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la LAC, et non l’objet de ce pouvoir discrétionnaire. Étant donné les circonstances dans l’affaire en cause, il n’est pas véritablement nécessaire d’établir avec une certitude absolue de quelle manière l’appelante et son employeur, Rafedain, étaient véritablement liés entre eux parce qu’une chose demeure : ils étaient en droit liés entre eux d’une manière ou d’une autre. Il a donc été satisfait à la condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à l’intimé par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la LAC, que le ministre ait ou non eu raison de considérer qu’ils étaient liés parce que M. Kazzaz était le mari de l’appelante.

[40] En ce qui a trait à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, le témoignage de M. Houle, de même que son rapport[7], indique qu’il a procédé à un examen approfondi des circonstances de l’emploi de l’appelante ainsi que des renseignements qui lui ont été fournis bien qu’il n’ait pu rencontrer l’appelante elle-même ni lui parler. Selon moi, les faits dont il disposait, en particulier le niveau de salaire de l’appelante comparativement au salaire minimum versé dans des boutiques semblables, auraient suffi pour rendre une décision. Aucun des éléments de preuve produits au procès ne peut me convaincre du contraire. En fait, la preuve ne montre tout simplement pas, d’après la prépondérance des probabilités, que l’intimé a agi d’une manière qui soit contraire à la loi ou qu’il a fait un usage inapproprié du pouvoir discrétionnaire que lui confère le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la LAC. Une telle conclusion clôt l’affaire puisque je ne suis pas, conformément aux décisions rendues par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tignish Auto Parts, précitée, Ferme Émile Richard, précitée, M.N.R. v. Jencan Ltd., (1997) 215 N.R. 352 (C.C.I.) et Bayside Drive-In Ltd., précitée, autorisé à poursuivre et à déterminer si l’intimé était justifié ou non de parvenir à la conclusion à laquelle il est parvenu.

[41] L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 1998.

P. R. Dussault


J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de décembre 1998.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]           Dans certains documents, on désigne également cette personne sous le nom de Kadem Wily (voir la pièce A-1).

[2]           Pièce R-1.

[3]           Pièce R-2.

[4]           Pièce A-1.

[5]           Pièce R-3.

[6]           Pièce A-1.

[7]           Pièce R-5.

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