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Date: 19980911

Dossier: 98-19-UI

ENTRE :

LES ENTREPRISES FORESTIÈRES MARGEL INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MARIO BOULET,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à St-Joseph-de-Beauce (Québec), le 25 août 1998.

[2] Il s’agit de l’appel d’une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) en date du 6 novembre 1997 se lisant ainsi :

« Cette lettre concerne l’appel que Les Entreprises Forestières Margel Inc. a interjeté contre l’avis d’évaluation du 27 août 1997 au montant de 3 119,03 $ relativement à cotisations d’assurance-emploi et d’assurance-chômage, y compris la pénalité et les intérêts qui s’appliquent pour l’année 1996.

Nous avons décidé de confirmer l’avis d’évaluation relativement aux cotisations d’assurance-emploi et d’assurance-chômage concernant Monsieur Mario Boulet parce que cet emploi rencontrait les exigences d’un contrat de louage de services. Il y a donc une relation employeur-employé, au cours de l’année en litige. »

[3] Les paragraphes 2, 3 et 6 de la Réponse à l’avis d’appel se lisent ainsi :

« 2. Le 15 septembre 1997, l’appelante demanda à l’intimé qu’il soit statué sur la question de savoir si M. Boulet (ci-après appelé le travailleur) occupait un emploi assurable lorsqu’à leur service durant la saison 1996. Par la même occasion, l’appelante contestait l’avis d’évaluation émis à l’égard du travailleur pour la même période.

3. L’avis d’évaluation, daté du 27 août 1997, et concernant le travailleur s’établissait comme suit :

Assurance-emploi : 2 761,20 $

Pénalité     : 226,12 $

Intérêts     : 131,71 $

6. En rendant sa décision, l’intimé, le ministre du Revenu national, s’est fondé sur les présomptions de faits suivantes :

a) L’appelante, exploitée depuis environ 17 ans, effectue des travaux forestiers soit l’abattage et l’ébranchage du bois.

b) Depuis février 1994, les actions votantes de l’appelante sont réparties ainsi :

Marcel Roy avec 91.24 % des actions (A et F).

Le travailleur, gendre de Marcel, avec 2.19 % des actions.

Francine Roy, épouse du travailleur, avec 2.19 % des actions.

Benoît Roy, fils de Marcel avec 4.38 % des actions.

c) L’appelante exploite son entreprise, en pleine forêt, de 8 à 9 mois par année.

d) L’appelante, en plus des actionnaires, embauchait jusqu’à 10 autres travailleurs forestiers en 1996.

e) Le travailleur supervisait les autres travailleurs et remplaçait au besoin les travailleurs sur le quart de travail de nuit; il travaillait aussi au garage de l’appelante sur l’entretien de la machinerie.

f) En 1996, le travailleur a rendu des services au payeur durant toute la saison.

g) Quand il travaillait en forêt, le travailleur pouvait faire jusqu’à 80 heures par semaine et lorsqu’il travaillait au garage, il pouvait faire des semaines de 20 heures.

h) Le travailleur recevait une rémunération fixe de 1 500 $ pour deux semaines de travail, tout comme M. Benoît Roy (actionnaire-travailleur pour l’appelante).

i) Le travailleur utilisait les équipements et la machinerie de l’appelante dans le cadre de son travail.

j) Le travail de l’appelant était directement intégré aux opérations de l’appelante. »

[4] La Réponse à l’avis d’intervention est au même effet.

[5] À l’ouverture de l’audience le président de l’appelante, Marcel Roy, admet pour le compte de celle-ci, tous les sous-paragraphes précités et l’intervenant fait ensuite de même.

La preuve de l'appelante et de l'intervenant :

[6] Au départ Marcel Roy déclare que l’appelante n’a pas de témoins à faire entendre.

Selon l'intervenant Mario Boulet :

[7] Son travail se faisait dans des circonstances très particulières, car il faisait beaucoup d’heures par semaine et n’avait pas d’horaire fixe à respecter.

[8] Son salaire était seulement 750 $ par semaine plus son 4 % de vacances.

[9] Il pouvait faire parfois 24 heures en ligne par jour pour remplacer des employés qui n’entraient pas et il n’était pas plus rémunéré pour autant.

[10] Il pouvait s’absenter de son travail sans demander de permission en autant que cela ne nuisait pas aux opérations de l’appelante.

[11] S’il manquait un employé, il en assumait volontiers les tâches sans attendre une demande formelle de la part de Marcel Roy.

[12] Il n’avait pas de vacances cédulées à l’avance et il s’absentait seulement lorsque ses fonctions le permettaient.

[13] Son salaire était là pour subvenir aux besoins de sa famille.

[14] Il n’a pas reçu de dividendes de l’appelante étant donné qu’elle a subi des pertes au cours de la période en litige.

[15] Au surplus, lorsque ça allait mieux, il fallait toujours réinvestir de sorte qu’il n’y avait jamais d’émission de dividendes.

[16] Depuis mars 1997, il travaille pour Forage et Dynamitage de la Rive-Sud Inc. et gagne, suivant son relevé de salaire périodique (pièce A-4), 1 292,60 $ brut par semaine pour 60 heures de travail.

[17] Chez l’appelante, il n’avait pas d’ordre à recevoir de son beau-père non plus que de son beau-frère.

[18] Il ne s’agissait donc pas d’un contrat de louage de services.

[19] Il a cautionné l’appelante pour l’achat et la location de machinerie et un employé ordinaire ne l’aurait pas fait. Il n’avait pas vraiment de compte à rendre à l’appelante et c’est lui qui décidait s’il devait faire des commissions avec son « pick-up » ou déménager certaines de ses pièces de machinerie pour plus d’efficacité.

[20] Il n’était aucunement surveillé par l’appelante dans l’exécution de ses tâches et il pouvait librement s’absenter pour essayer d’obtenir de nouveaux contrats à l’avantage de celle-ci.

[21] Les autres actionnaires cherchaient toujours aussi d’ailleurs à trouver ainsi de nouveaux contrats.

[22] Marcel et Benoît Roy travaillaient également pour le compte de la payeuse.

[23] Il procédait lui-même aux réparations nécessaires pour éviter de la perte de temps aux autres employés.

[24] Benoît Roy avait les mêmes tâches que lui mais il oeuvrait plutôt le jour alors que lui, c’était surtout la nuit.

[25] Ils s’aidaient cependant lorsqu’il y avait un surcroît de travail à un moment donné.

[26] Marcel Roy oeuvrait le jour et faisait à peu près le même travail qu’eux mais un peu plus de commissions cependant.

[27] Les autres actionnaires ont aussi cautionné la payeuse.

[28] Une convention d’hypothèque et de gage (pièce A-1) signée pour la payeuse par Marcel Roy, Benoît Roy et lui-même fait bien voir qu’une abatteuse timberjack a été hypothéquée en faveur de GE Capital Canada pour une somme de 200 000 $ le 13 février 1995.

[29] Un contrat de crédit-bail (pièce A-2) signé pour la payeuse par ces trois mêmes personnes fait bien voir aussi que de l’équipement d’une valeur de 297 000 $ a été loué par celle-ci de GE Capital Canada à la même date.

[30] Les trois mêmes personnes ont aussi signé en faveur de GE Capital Canada une convention de solidarité et d’indemnité (pièce A-3) avec l’appelante à titre de débitrice aux termes d’une convention de prêt et hypothèque pour équipement.

[31] Chez l’appelante les décisions se prenaient par les actionnaires après discussion généralement le dimanche soir.

[32] Benoît Roy et lui étaient plus fonceurs et ils avaient besoin d’être modérés à l’occasion; c’est Marcel Roy qui avait beaucoup d’expérience et qui était d’ailleurs actionnaire majoritaire qui s’en chargeait et qui avait toujours le dernier mot.

[33] Il détient encore ses actions dans l’appelante et s’il a quitté son emploi c’est à la suite d’un conflit avec son beau-frère Benoît Roy qui, lui, est toujours, cependant, au service de l’appelante.

[34] C’est Marcel Roy qui recrutait le personnel mais les trois avaient toutefois le pouvoir de congédier des employés.

[35] Il ne travaillait pas sur une machine fixe et il pouvait s’absenter, ce qu’un employé ordinaire ne pouvait faire.

[36] Lorsqu’il y avait une absence à un poste de travail, il allait remplacer.

[37] Chez l’appelante, son salaire avait été établi suivant les besoins de sa famille.

[38] Benoît Roy avait d’ailleurs exactement le même salaire.

[39] À son nouvel emploi, il travaille comme foreur et il est payé pour toutes ses heures travaillées.

Selon Marcel Roy qui désire ensuite être entendu :

[40] L’appelante n’a pas perçu de l’intervenant les primes d’assurance-emploi étant donné qu’il avait des « parts » dans l’entreprise et qu’il n’avait pas droit en conséquence aux prestations.

[41] Il a entendu le témoignage de l’intervenant et il est bien d’accord en général avec ce qu’il a dit.

[42] Il a lu dans un article de journal (dont il ne se rappelle cependant pas le nom) (pièce A-5) en date du 1er juin 1998 entre autres ce qui suit :

« Pour être assurables, les travailleurs forestiers devraient faire l’objet d’une surveillance constante de la part de l’employeur, ce qui est difficile en forêt ou, la plupart du temps on leur indique un territoire de coupe pour ensuite les payer à la corde mesurée. »

[43] L’appelante a bien reçu sur le sujet un avis de cotisation (pièce I-1) de Revenu Canada indiquant les montants écrits au paragraphe 3 précité de la Réponse à l’avis d’appel.

[44] Sur les chantiers l’intervenant prenait les directives du superviseur de la compagnie qui avait donné le sous-contrat à l’appelante.

[45] Les autres employés de la payeuse sont embauchés à la semaine et rémunérés entre 650 $ et 800 $ selon la qualité de l’emploi.

[46] L’appelante leur paie en plus leur pension.

[47] L’intervenant est un employé-propriétaire et il a, au surplus, un lien de parenté avec les autres actionnaires.

[48] L’intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les Plaidoiries

Selon Marcel Roy pour le compte de l'appelante :

[49] Il s’agit d’une entreprise familiale et vu le lien de parenté et le fait que Mario Boulet détient des actions dans l’appelante l’appel devrait être accueilli.

Selon l'intervenant :

[50] Si les primes d’assurance-chômage et d’assurance-emploi n’ont pas été prélevées c’est tout simplement parce qu’il n’était pas admissible aux prestations pouvant en découler.

Selon la procureure de l'intimé :

[51] L’alinéa 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage (LAC) et l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (la LAE) définissent ainsi un emploi assurable :

« a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière; »

[52] Il est vrai que l’emploi était au départ exclu vu le lien de dépendance mais le Ministre était convaincu qu’il était raisonnable de conclure que l’intervenant et l’appelante auraient conclu entre eux un contrat de travail a peu près semblable sans l’existence de ce lien

[53] Le Ministre a exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu de l’alinéa 3(2)c) de la LAC et du paragraphe 5(3) de la LAE.

[54] Il a jugé à bon droit que cet emploi rencontrait les exigences les d’un contrat de louage de services et qu’il y avait en conséquence relation employeur-employé au cours de l’année en litige.

[55] L’emploi était donc assurable dans le cadre de la disposition législative précitée.

[56] Une personne non liée aurait pu faire la même chose que l’intervenant et ce dans les mêmes circonstances.

[57] L’intervenant ne détenait que 2.19 % des actions de l’appelante.

[58] Dans Rosetta Doyle et le Procureur général du Canada (A-499-89) l’honorable juge en chef de la Cour d’appel fédérale s’exprimait ainsi au nom de celle-ci :

« Nous sommes tous d’avis que la présente demande doit être accueillie. Le juge suppléant a commis une erreur de droit en omettant de reconnaître la distinction entre le rôle de la requérante comme actionnaire et le rôle qu’elle a joué lors de l’exécution de tâches pour l’entreprise.

En conséquence, la demande fondée sur l’article 28 est accueillie, la décision rendue par le juge suppléant le 20 septembre 1989 est annulée et le cas est déféré à la Cour canadienne de l’impôt pour nouvel examen, pour le motif que, au cours de la période en question, la requérante a exercé un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-chômage. »

[59] L’intervenant a toujours ses actions dans l’appelante même s’il ne travaille plus là; il a donc toujours ainsi son chapeau d’actionnaire.

[60] Il est vrai que l’intervenant jouait un rôle important chez l’appelante mais n’importe quel tiers aurait pu cependant jouer ce rôle là.

[61] Il s’absentait au besoin de son lieu de travail mais c’était surtout pour aller faire des réparations et chercher des contrats.

[62] En forêt, le travail de l’intervenant était dirigé par le superviseur de la compagnie qui avait donné le sous-contrat à l’appelante.

[63] C’est à titre d’actionnaire qu’il a cautionné l’appelante et d’ailleurs les autres actionnaires l’ont aussi fait.

[64] Les affaires à régler chez l’appelante se décidaient après discussion le dimanche au soir mais c’est Marcel Roy qui avait toujours le dernier mot avec la très grande majorité des actions.

[65] Il faut bien distinguer le rôle de l’intervenant à titre d’actionnaire et son rôle à titre de travailleur.

Le délibéré

[66] Il est évident qu’avec ses 91.24 % d’actions Marcel Roy est l’actionnaire le plus important de l’appelante et qu’en finale les décisions de taille lui reviennent.

[67] Toutes les présomptions de faits invoquées par le Ministre sont admises par l’appelante et l’intervenante.

[68] La Cour a donc à décider si ces présomptions sont suffisantes en droit pour justifier la conclusion du Ministre.

[69] Les circonstances du travail de l’intervenant avaient certaines particularités il est vrai, mais cela peut se passer ainsi dans bien d’autres cas lorsqu’il y a un contrat de louage de services.

[70] L’horaire de l’intervenant était déterminé par le travail à effectuer et il n’est pas rare qu’il en soit ainsi lorsque la rémunération est fixe à la semaine.

[71] Il supervisait d’autres travailleurs de l’appelante et prenait ainsi ses responsabilités mais cela ne veut pas dire que son emploi devait demeurer exclu pour autant.

[72] Ses vacances lui étaient payées à chaque paie et cela se passe ainsi dans bien d’autres cas.

[73] Son salaire pouvait être là seulement pour subvenir aux besoins de sa famille mais il l’avait quand même accepté.

[74] Les dividendes, lorsqu’il y en a, sont émis aux actionnaires et non aux travailleurs et, en l’instance, c’est seulement son emploi qui a été déterminé assurable par le Ministre.

[75] Comme il est écrit dans Doyle (supra) il faut bien toujours distinguer entre le rôle d’actionnaire et celui de travailleur.

[76] Il est heureux que l’intervenant gagne plus cher maintenant mais ce n’est pas ce que la Cour a à décider pour conclure ci-après.

[77] L’intervenant dit qu’il n’avait pas d’ordre à recevoir de son beau-père ou de son beau-frère, mais il est certain qu’il était soumis au Conseil d’administration que Marcel Roy contrôlait pleinement.

[78] C’est à titre d’actionnaire qu’il a cautionné l’appelante et non à titre de travailleur.

[79] Les deux fonctions se différencient tellement qu’il ne travaille plus chez l’appelante mais qu’il en est encore un actionnaire.

[80] Le pouvoir de congédier n’implique pas nécessairement que celui qui le détient a un emploi non assurable surtout lorsque, comme en l’instance, il ne comporte pas le pouvoir d’embaucher.

[81] À son nouvel emploi, l’intervenant est payé à l’heure ce qui n’était pas le cas alors qu’il oeuvrait pour l’appelante.

[82] Marcel Roy a peut-être été induit en erreur par l’article de journal (pièce A-5) mais il n’y est aucunement question d’actionnariat et il y est au surplus écrit qu’en telle matière il s’agit toujours du cas par cas, ce qui est bien vrai.

[83] À titre de dirigeant de l’appelante Marcel Roy avait pu aussi chercher conseil ailleurs, mais il ne semble pas qu’il l’ait fait.

[84] Selon lui, l’intervenant devait, sur les chantiers, prendre ses directives de la compagnie ayant donné le sous-contrat à l’appelante, ce qui prouve bien que celui-ci était aussi contrôlé en forêt par le donneur d’ouvrage.

[85] Le lien de parenté existe, il est vrai, mais dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire le Ministre a décidé de ré-inclure l’emploi.

[86] Il est vrai qu’une personne non liée aurait pu faire le même travail que l’intervenant et ce à des conditions à peu près semblables.

[87] Vu la discrétion accordée au Ministre par le législateur, la Cour doit faire preuve de retenue judiciaire envers la décision entreprise et, ce faisant, elle ne peut accueillir l’appel non plus que l’intervention étant donné que toutes les présomptions de faits, admises d’ailleurs, sur lesquelles le Ministre s’est basé pour justifier sa conclusion étaient amplement suffisantes pour ce faire.

[88] La décision entreprise est donc confirmée.

Signé à Laval (Québec), ce 11e jour de septembre 1998.

« A. Prévost »

J.S.C.C.I.

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