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Date: 19990205

Dossier: 98-2596-IT-I

ENTRE :

LES ÉDITIONS PROGITECH INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel par voie de la procédure informelle concernant un crédit d'impôt à l'investissement pour de la recherche scientifique et du développement expérimental ou “RS & DE”.

[2] Monsieur Jacques Nault est le président et le représentant de l'appelante en cette affaire. Des frais, qui sont pour la plus grande part le salaire de monsieur Nault, qui est le seul actionnaire et le seul travailleur de l'appelante, ont été engagés pour le développement de logiciels. Monsieur Nault se présente comme concepteur de logiciels et l'objet de l'appelante est la production de logiciels de comptabilité. Monsieur Nault a une formation de programmeur et également la scolarité d'un comptable agréé.

[3] La demande de déduction pour dépenses au titre des activités de RS & DE, formule T661, pour l'année 1997 se trouve à la pièce A-9. Elle est datée du 14 janvier 1998. Elle fait état de huit projets. Chacun des projets, à l'exception du dernier, se serait étalé sur une période d'un mois. En ce qui concerne le dernier projet, la période du début est indiquée comme juillet 1997 et aucune période n'est mentionnée pour la fin.

[4] À la suite de cette demande, le 18 mars 1998, un conseiller scientifique et un vérificateur du ministre du Revenu national (le “Ministre”) se sont rendus chez l'appelante. Le conseiller scientifique, monsieur Charilaos Fakiris, a produit un premier rapport que l'on retrouve à la pièce A-5. Il a conclu que les projets n'étaient pas admissibles au crédit d'impôt pour l'année fiscale 1997. Il y a eu opposition de la part de l'appelante. Un deuxième rapport a alors été écrit par un conseiller scientifique externe, rapport que l'on retrouve à la pièce A-5. Selon ce rapport, tous les documents soumis par l'appelante ont été étudiés en profondeur. On y retrouve une bonne description des projets de l'appelante :

Selon la description donnée au formulaire T661, les travaux d'informatique compris dans les projets comportaient, en résumé, les tâches suivantes en 1997 :

projets 1, 2 et 3 : modifier le code source pour changer les menus, les rapports et les messages d'erreurs, et tester le bon fonctionnement suite aux modifications;

projet 4 : modifier la présentation des menus et faire des tests pour exploiter les capacités graphiques de l'ordinateur et intégrer la souris aux logiciels. Ces tests ont mené à la conclusion qu'il fallait attendre les versions Windows 95 pour intégrer ces fonctions aux logiciels;

projet 5 : faire une première ébauche du progiciel, soit du “action bar menu”;

projet 6 : l'algorithme de tri a été conçu, vérifié, programmé et testé;

projet 7 : l'algorithme de sauvegarde a été conçu, vérifié, programmé et testé;

projet 8 : les améliorations sont les suivantes :

l'élimination d'un code “formfeed” (alimentation papier) pour corriger un problème d'impression aux imprimantes laser, et la correction d'autres problèmes d'impression;

l'introduction d'un choix de présentation de caisses-recettes, de caisses-déboursés, du journal général, et la conciliation bancaire.

[5] Le rapport conclut qu'il ne s'agit pas de recherche scientifique ni de développement expérimental. Je rapporte quelques passages du chapitre intitulé “Évaluation”, que l'on trouve à la page quatre du rapport :

Le contribuable a développé ses logiciels de comptabilité pendant plusieurs années. Les travaux réclamés en 1997 sont la continuation de cette ligne de développement. Les projets de 1997 ont duré environ un mois, pour la plupart. Ils consistaient en des tâches clairement définies, souvent en des améliorations apportées aux logiciels existants.

La RS & DE doit consister en une investigation systématique visant à faire avancer la science ou la technologie. La technologie en cause dans la présente demande est la technologie de l'information (l'informatique).

Le contribuable emploi le langage C dans ses travaux de développement de logiciel. Le langage C a été développé en 1972 et a fait l'objet de normes de la part de l'ANSI (American National Standards Institute, comité X3J11) et de l'ISO (Organisation internationale de normalisation) depuis 1989. Ce langage est très largement enseigné et utilisé.

...

... la description traite d'aspects de programmation de routine. Rien n'indique qu'on ait poursuivi une investigation systématique en vu d'étayer l'incertitude technologique et de réaliser un progrès technologique. La description des améliorations fonctionnelles apportées aux progiciels ne fournit pas de preuve de développement expérimental, en l'absence d'un but de progrès technologique en informatique.

...

Même en tenant compte de la petite taille de l'entreprise et de tout ce que cela peut impliquer au niveau de sa base de connaissance, on ne peut pas dire que les trois critères de la RS & DE aient été respectés. Selon les informations présentées, le contribuable n'a pas dépassé les techniques courantes de développement de logiciel et n'a pas visé de progrès technologique en informatique.

[6] Un troisième rapport a été produit comme pièce I-1. Ce rapport écrit par monsieur Fakiris, a été produit comme un rapport d'expert. Monsieur Fakiris a témoigné à titre d'expert pour l'intimée. Il est détenteur d'un baccalauréat es sciences (mathématiques et statistiques) de la Faculté des sciences, Université d'Athènes, en 1994. En 1983, il a obtenu une maîtrise en informatique (bureautique, bases de données) du département d'informatique de l'Université Concordia de Montréal. En 1985 et 1989, il a complété la scolarité de doctorat en informatique (systèmes experts, intelligences artificielles) du département d'informatique de l'Université de Montréal, à Montréal, et de 1990 à 1991, études supérieures en informatique (systèmes experts, intelligences artificielles), Institut d'informatique d'Ottawa-Carleton, à Ottawa. Il a été chargé de cours de 1980 à 1982 au département d'informatique de l'Université Concordia. De janvier 1981 à mai 1985, il a été chargé de cours au département d'informatique, Collège Vanier, à St-Laurent. De mai 1982 à juillet 1984, il a travaillé comme programmeur-analyste à la Compagnie MDDC Systèmes, Pointe-Claire. De août 1984 à juillet 1995, il a été professeur-adjoint au département d'informatique, Collège Militaire Royal de Saint-Jean. De janvier 1996 à aujourd'hui, il est chargé de cours au département d'informatique, Collège O'Sullivan, Montréal et d'août 1995 à maintenant, il est conseiller scientifique en informatique à Revenu Canada.

[7] Monsieur Fakiris a repris les projets tels que décrits par l'appelante dans sa réclamation (pièce A-9), et en a fait une analyse. En ce qui concerne les trois premiers projets, son commentaire est identique. On lit ce qui suit à la pièce I-1 :

... Le contribuable a modifié le code source pour changer (traduire) les menus, les rapports, les messages d'erreurs et ensuite il a testé le bon fonctionnement du logiciel. Ces travaux peuvent être considérés comme des activités de pratique standard pour des personnes qui ont une compétence acceptable en informatique. ...

En ce qui concerne le quatrième projet, le commentaire est le suivant :

... Le contribuable a modifié la présentation des menus et il a fait des tests pour exploiter les capacités graphiques de l'ordinateur et pour intégrer la souris aux logiciels. Les tests ont mené à la conclusion qu'il fallait attendre les versions Windows 95 afin d'intégrer ces fonctions aux logiciels. L'intégration de la souris ne constitue aucunement un progrès technologique en informatique. Au contraire, la description traite d'aspects de programmation de routine. ...

En ce qui concerne le cinquième projet, l'expert a fait le commentaire suivant :

... Le travail technique qui a été effectué durant la période allant de avril à mai 1997 consistait à faire une première ébauche du progiciel, soit le 'action bar menu'. Ces travaux peuvent être considérés comme activités de pratique standard dans le domaine en informatique. ...

En ce qui concerne le projet numéro six, le commentaire est le suivant :

... Le travail technique qui a été effectué durant le mois de mai 1997 consistait à concevoir, vérifier, programmer et tester un algorithme de tri afin de trier les transactions du 'grand livre'.

Le commentaire est à peu près identique pour le projet numéro sept. L'expert a conclu qu'il ne s'agissait pas de recherche scientifique. D'autant plus que la preuve a révélé, en ce qui concerne les projets six et sept, que les algorithmes n'ont pas été conçus par l'appelante mais qu'il s'agissait d'algorithmes existants qu'il avait vérifiés et testés. Les commentaires de l'expert en ce qui concerne le projet numéro huit sont :

Le développement durant la période allant de juillet à décembre 1997 consistait en des améliorations apportées au logiciel existant 'Le Chéquier version 2.6'. ...

[8] La conclusion générale est à l'effet que les travaux exécutés ressortaient de la pratique standard dans le domaine de l'informatique.

[9] Le paragraphe 2900(1) du Règlement sur la loi de l'impôt sur le revenu (le “Règlement”) se lit comme suit :

Pour l'application de la présente partie ainsi que des articles 37 et 37.1 de la Loi, “activités de recherche scientifique et de développement expérimental” s'entend d'une investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse, c'est-à-dire :

a) la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

b) la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science avec application pratique en vue;

c) le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l'intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l'amélioration, même légère, de ceux qui existent;

d) les travaux relatifs à l'ingénierie, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l'analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) et servent à les appuyer directement.

Ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental les travaux relatifs aux activités suivantes :

e) l'étude du marché ou la promotion des ventes;

f) le contrôle de la qualité ou la mise à l'essai normale des matériaux, dispositifs, produits ou procédés;

g) la recherche dans les sciences sociales ou humaines;

h) la prospection, l'exploration ou le forage fait en vue de la découverte de minéraux, de pétrole ou de gaz naturel, ou la production de minéraux, de pétrole ou de gaz naturel;

i) la production commerciale d'un matériau, d'un dispositif ou d'un produit nouveau ou amélioré, ou l'utilisation commerciale d'un procédé nouveau ou amélioré;

j) les modifications de style;

k) la collecte normale de données.

[10] Le représentant de l'appelante suggère que ce paragraphe donne la priorité au développement de produit et non pas au progrès technologique. Il m'est impossible de suivre le représentant de l'appelante sur cette voie. Le texte même du Règlement établit que le développement expérimental est celui qui est entrepris dans l'intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou de l'amélioration, même légère, de ceux qui existent. Le progrès technologique est une condition essentielle à la notion de développement expérimental.

[11] L'appelante se réfère aussi au paragraphe 2.11 de la Circulaire d'information 86-4R3, à la page six, qui se lit comme suit :

2.11. Application des critères

Les trois critères fixés dans la circulaire IC86-4R3 s'appliquent selon la situation commerciale du contribuable.

La nature et la complexité des activités de RS & DE varient selon le domaine en cause. Ce qui est une source d'incertitude technique pour un contribuable ne l'est pas nécessairement pour un autre. L'admissibilité dépend donc des conditions dans lesquelles fonctionne l'entreprise et du domaine dans lequel elle se spécialise. Plus précisément, on considère que les activités visant à résoudre une incertitude technique sont admissibles si le contribuable ne peut dissiper cette dernière en faisant appel au savoir-faire et aux connaissances qui lui sont facilement accessibles. ...

[12] Le rapport de l'expert externe, paragraphe [6] de ces motifs, tient compte de la petite taille de l'entreprise mais vient à la conclusion que le contribuable n'a pas dépassé les techniques courantes de développement de logiciels.

[13] Le représentant de l'appelante fait aussi valoir que les travaux exécutés par cette dernière constituent du développement expérimental, car ces travaux résultent de l'imagination et de l'inspiration de son concepteur qui, par voie d'expérimentation, a essayé de concrétiser son idée en mettant à profit toutes ses connaissances dans ce projet relevant du domaine de la technologie. Le représentant de l'appelante, monsieur Nault, fait valoir que seul une personne combinant ces connaissances techniques, à savoir un programmeur doté d'une formation de comptable agréé, pouvait réaliser les logiciels qu'il cherche à réaliser.

[14] L'avocate de l'intimée fait valoir que le témoignage de monsieur Fakiris est prédominant. Il a les connaissances universitaires et un grand nombre d'années d'enseignement dans la programmation. Il a également l'expérience pratique d'en avoir fait lui-même. Je suis d'avis que vu ses connaissances et son expérience, monsieur Fakiris peut déterminer si le développement d'un logiciel relève de la pratique courante ou de l'intérêt technologique. Monsieur Nault a admis, de toute façon, à plusieurs reprises, que plusieurs de ses projets relevaient de la pratique courante. De plus, la preuve a révélé que si dans certains cas la matière était plus complexe, monsieur Nault n'avait pas la compétence nécessaire pour établir les hypothèses pour résoudre les incertitudes. Monsieur Fakiris est d'avis que tout ce qui a été fait par monsieur Nault pouvait se faire présentement par une personne qui a une formation collégiale en informatique. L'avocate de l'intimée fait également valoir qu'il ne suffit pas de démontrer qu'à la suite d'activités, il y a un produit différent ou un résultat différent de ce qu'il y a sur le marché, il faut faire la preuve qu'il y a un avancement technologique.

[15] Monsieur Nault a beaucoup insisté qu'il fallait regarder l'ensemble de son projet et non pas les divers éléments comme l'ont fait les spécialistes. Mais ainsi que l'a suggéré l'avocate de l'intimée, le produit peut être différent mais il n'y a pas nécessairement un progrès technologique. Selon les experts, tout ce qui a été développé par monsieur Nault ressortait de la pratique courante et non du progrès technologique. Le produit peut avoir été amélioré, mais aucune incertitude technologique n'a été surmontée. Le savoir était déjà accessible.

[16] Je suis d'avis que l'appelante dans ses activités de développement n'a pas fait la démonstration d'incertitudes technologiques et d'hypothèses valables pour les résoudre. Je suis d'avis que la preuve a plutôt révélé le cheminement ordinaire d'un programmeur qui veut développer un logiciel nouveau en se fondant sur le langage informatique existant. Quand il y a eu des incertitudes technologiques ou des obstacles qui se sont mis en travers la route de l'appelante, il n'a pu que les constater et attendre que quelqu'un d'autre lui fournisse les outils nécessaires pour résoudre la difficulté. Le développement des logiciels pouvait constituer le développement d'un produit nouveau mais fait à partir de techniques en existence. Il ne s'agissait donc pas de recherche scientifique ni de développement expérimental.

[17] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de février, 1999.

“Louise Lamarre Proulx”

J.C.C.I.

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