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Date: 19991118

Dossier: 97-2797-GST-G

ENTRE :

VILLE DE MAGOG,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel d'une cotisation pour la période du 1er mai 1991 au 31 décembre 1994. Cet appel concerne l'application des paragraphes 169(1) et 141.01(5) de la Loi sur la taxe d'accise (la “Loi”).

[2] Le paragraphe 169(1) de la Loi traite du crédit de taxe sur les intrants. Le paragraphe 141.01(5) de la Loi indique que seules des méthodes justes et raisonnables et suivies tout au long d'un exercice, peuvent être employées pour déterminer la mesure dans laquelle des biens ou des services ont été acquis ou utilisés, aux fins d'une fourniture taxable ou à d'autres fins.

[3] L'appelante est une municipalité qui a fait le choix en vertu de la Partie V du Règlement sur la comptabilité abrégée (TPS) (le “Règlement”) de déterminer sa taxe nette en conformité avec cette partie. Selon le paragraphe 21(2) du Règlement, une municipalité qui, en plus des services usuels d'une municipalité, exploite un service de l'électricité doit faire un calcul distinct pour ce service dans le calcul de sa taxe nette, de la manière spécifiée à ce paragraphe. L'appelante est une telle municipalité.

[4] Le paragraphe 141.01(5) de la Loi et le paragraphe 21(2) du Règlement se lisent comme suit :

141.01(5) Seules des méthodes justes et raisonnables et suivies tout au long d'un exercice peuvent être employées par une personne au cours de l'exercice pour déterminer la mesure dans laquelle :

a) la personne acquiert ou importe des biens ou des services afin d'effectuer une fourniture taxable ou à d'autres fins;

b) des biens ou des services sont consommés ou utilisés afin d'effectuer une fourniture taxable ou à d'autres fins.

21(2) La taxe nette pour une période de déclaration donnée de l'inscrit qui exploite, dans une division ou un service distinct, une entreprise consistant à fournir des services téléphoniques, de l'électricité ou du gaz naturel correspond au montant positif ou négatif obtenu par la formule suivante si son choix, fait en vertu du paragraphe 20(1), est en vigueur au cours de cette période :

A + B

où :

A représente le montant qui correspondrait à la taxe nette de l'inscrit pour la période de déclaration donnée, calculée selon le paragraphe (1), s'il n'exploitait pas l'entreprise et si tous les biens et les services acquis ou importés par lui non principalement pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de l'entreprise étaient les seuls qu'il ait acquis ou importés;

B le montant qui correspondrait à la taxe nette de l'inscrit pour la période de déclaration donnée, calculée selon l'article 225 de la Loi, si l'exploitation de l'entreprise était la seule activité de celui-ci et si les biens et les services acquis ou importés par lui principalement pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de l'entreprise étaient les seuls qu'il ait acquis ou importés.

[5] Le litige concerne les méthodes justes et raisonnables que l'appelante peut employer pour déterminer la mesure dans laquelle des biens et des services ont été acquis ou utilisés pour effectuer la fourniture taxable qu'est celle des services de l'électricité.

[6] Monsieur Yves Gagnon, directeur des finances et des ressources humaines et trésorier de l'appelante, et monsieur Réjean Leroux, fiscaliste, ont témoigné à la demande de l'avocat de l'appelante. Monsieur Yves Lacoste, vérificateur à Revenu Québec, madame Hélène Boudreault, chef de section à Revenu Québec et monsieur Marc-André Melançon, vérificateur à Revenu Québec, ont témoigné à la demande de l'avocat de l'intimée.

[7] Monsieur Yves Gagnon a produit comme pièce A-1 le rapport informatisé des dépenses municipales pour l'année 1994. Ces dépenses sont groupées sous plusieurs chefs d'activités dont l'électricité. D'autres chefs d'activités concernent des services qui n'ont d'autres fins que des fins strictement municipales. Ainsi sont les services : évaluation, transport, loisirs et culture, stationnement, la sécurité publique, urbanisme, aqueducs et égouts et autres. D'autres services municipaux servent à des fins mixtes c'est-à-dire soit aux fins du service de l'électricité et aux autres services. Ces services aux fins mixtes ont été appelés par les parties les activités mixtes. Ces activités se trouvent aux pages 9 à 15 de la Pièce A-1. Elles portent le nom de Législation, Application de la Loi, Gestion financière et administrative, Greffe, Gestion du personnel, Entretien bâtiments (hôtel de ville), Communications.

[8] Monsieur Réjean Leroux a expliqué à la Cour que dans le conseil qu'il a donné à l'appelante, il a suivi les directives du Mémorandum 700-5-1, qui a comme sujet la répartition du crédit de taxe sur les intrants pour les institutions financières.

[9] Comme les deux parties se sont référées à ce mémorandum à l'usage des institutions financières, je crois utile de m'y attarder sur quelques paragraphes. L'utilisation de ce mémorandum ne veut pas dire que la municipalité est une institution financière au sens de la Loi. Elle est un organisme de services publics au sens de la Loi. Le mémorandum a été utilisé à titre d'exemple puisqu'il ne semble pas y avoir d'autres mémorandums sur le sujet particulier de la répartition du crédit de taxe sur les intrants à l'égard des taxes qui ont été payées sur des dépenses engagées pour des activités mixtes. Le mémorandum indique à son article 19 que la Loi ne précise pas les méthodes qui doivent être utilisées dans la répartition des biens ou des services qui ont été acquis ou importés pour être utilisés dans le cadre d'activités mixtes. Toutefois, le mémorandum rappelle que la Loi exige que les méthodes utilisées soit justes et raisonnables dans les circonstances et qu'elles soient utilisées uniformément tout au long de l'exercice.

[10] Selon le mémorandum, les méthodes utilisées devraient relier le bien ou le service sur lequel la taxe sur les intrants a été payée aux différentes activités. La méthode qui répartit les biens et les services directement entre les activités devrait donner les résultats les plus précis et équitables. Cette méthode est celle de la répartition directe. Si cette méthode ne peut pas être utilisée, on peut employer la méthode fondée sur les intrants. Dans les situations où les deux méthodes ci-avant mentionnées ne conviennent pas, on peut recourir à la méthode fondée sur les extrants ou sur le revenu. La méthode fondée sur les extrants n'a été choisie ni par l'appelante ni par l'intimée. Il reste donc la méthode de l'utilisation directe, qui a été choisie par l'intimée, sauf à l'égard d'une certaine catégorie de dépenses et celle fondée sur les intrants, qui a été choisie par l'appelante.

[11] Le mémorandum donne à titre d'exemple que pour la méthode de répartition directe, l'ameublement de bureau, le loyer et l'entretien soient répartis en fonction de la superficie occupée ou selon une analyse des heures de travail des employés. Les frais d'exploitation de l'ordinateur peuvent être répartis selon les heures d'utilisation dans le cadre d'une activité ou selon le nombre des opérations. Les frais d'utilisation d'un véhicule peuvent être répartis selon le nombre de kilomètres parcourus avec le véhicule de l'entreprise et lié aux activités commerciales et à d'autres activités.

[12] En ce qui concerne la méthode fondée sur les intrants, le mémorandum indique qu'elle sera acceptée si les biens et les services déjà directement répartis représentent une partie importante de la totalité des biens et des services de l'inscrit.

[13] L'appelante a établi sa réclamation de taxe sur les intrants en utilisant la méthode fondée sur les intrants. Monsieur Gagnon et monsieur Leroux ont tous les deux soutenu que la méthode de la répartition directe n'était pas possible parce qu'il n'était pas possible de déterminer avec précision la mesure dans laquelle les biens et les services des activités mixtes avaient été acquis et utilisés par l'appelante pour le service de l'électricité et les autres services.

[14] L'appelante a fait le total des dépenses directes du service de l'électricité ainsi que le total des dépenses concernant les services municipaux excluant celui de l'électricité et ceux des activités mixtes. Le premier total sur le deuxième total donne un pourcentage et c'est ce pourcentage qu'elle a utilisé pour répartir les intrants relatifs aux activités mixtes. Ainsi, comme on peut le voir à la pièce A-3 qui est un document de travail de monsieur Leroux, pour l'année 1994, les dépenses directes du réseau électrique s'élèvent à 10 374 046 $. Dans les activités excluant l'électricité et les activités mixtes, les dépenses s'élèvent à 10 005 170 $. (Les deux catégories d'activités ont été décrites au paragraphe 6 de ces Motifs.) Le pourcentage est de 50,90 p. 100. C'est ce pourcentage qui a été utilisé pour répartir les dépenses des activités mixtes à l'égard de l'électricité. Dans l'exemple donné au mémorandum, le pourcentage utilisé est celui des dépenses d'une activité sur l'ensemble des activités. Toutefois, ce n'est pas sur la composition du pourcentage que le débat a eu lieu et il faut penser que si la méthode fondée sur les intrants est utilisée, ce qui compte c'est que le pourcentage soit raisonnablement défendable.

[15] Monsieur Yves Lacoste a produit comme pièce I-2 son rapport de vérification. Il a aussi produit différentes pièces de travail comme Pièces I-1 et I-3 à I-9. Il a soutenu que la méthode utilisée par l'appelante, soit celle fondée en totalité sur les intrants, ne représente pas correctement la situation financière de l'activité qui est celle de l'électricité. Il donne comme exemple ce que l'on peut voir à la page 7 de son rapport : pour 1994, les employés directement utilisés par le réseau électrique étaient au nombre de 15,5, sur un total d'employés municipaux de 167,1 ce qui donne un pourcentage de 9,28 p. 100. C'est ce pourcentage qu'il a utilisé pour répartir le total des dépenses de l'activité mixte appelée gestion du personnel, alors que le pourcentage utilisé par l'appelante est de 50,90 p. 100.

[16] Lors de sa vérification, il n'y avait pas encore de litige quant au mode de répartition. C'est une fois sa vérification terminée que le vérificateur a su que l'appelante ferait une réclamation de taxe fondée sur la méthode des intrants suite au conseil reçu de monsieur Leroux. Donc au moment de sa vérification, monsieur Lacoste s'est informé auprès de monsieur Gagnon, pour connaître les objets des activités mixtes. La répartition s'est faite selon ces objets avec l'assentiment du secrétaire-trésorier. On voit aux pages 7 et 8 de la pièce I-2 que les proportions utilisées l'ont été avec l'accord du secrétaire-trésorier de la municipalité, monsieur Gagnon. Le rapport lui a été présenté comme cela se fait habituellement et il n'y a aucun document montrant quelque controverse quant aux objets des activités mixtes.

[17] Le vérificateur n'a utilisé la méthode fondée sur les intrants que pour un poste, soit celui de la gestion financière et administrative à la page 9 de son rapport, pièce I-2. Selon lui, il n'y avait pas de critères de rattachement qui auraient permis d'établir la répartition directe de ces dépenses mixtes.

[18] La pièce I-3 est l'état des recettes et dépenses concernant le service de l'électricité. Il s'agit d'un document budgétaire préparé par l'appelante elle-même. On y voit que pour l'année 1994, le total des recettes est de 13 850 699 $ et que le total des dépenses avant imputation et affectations est de 11 614 031 $. L'imputation au montant de 798 681 $ est décrite comme étant la partie imputée à la municipalité pour consommation d'énergie. Les affectations nettes sont au montant de 8 649 $. Le document n'explique pas ce qu'il faut entendre par cette expression. On peut penser qu'il s'agit de la répartition des dépenses de certaines activités mixtes. L'excédent des recettes sur les dépenses nettes, après imputation et affectations est au montant de 3 030 700 $. Suivre le raisonnement de l'appelante serait ajouter des dépenses au montant de 5 000 000 $, tel que montré à la pièce A-3 (déjà mentionnée au paragraphe 14 de ces motifs), et par ce fait créer une situation déficitaire de 2 000 000 $.

[19] Monsieur Leroux dit qu'il s'est fondé sur une entente intervenue entre la Ville de Jonquière et le ministre du Revenu national pour préconiser une répartition des dépenses mixtes selon la méthode des intrants. Cette entente a été déposée comme pièce A-4. Il s'agit d'une lettre de monsieur Leroux à madame Hélène Boudreault, en date du 31 août 1994, résumant les discussions tenues lors d'une rencontre et de la confirmation écrite de madame Boudreault, en date du 8 septembre 1994.

[20] Madame Hélène Boudreault a témoigné pour expliquer les circonstances de l'entente. Cette entente était intervenue sans qu'une vérification des livres et registres ait été effectuée, sur explications fournies par monsieur Leroux et par le trésorier de la Ville de Jonquière. La confirmation stipulait expressément que l'entente ne pouvait servir de précédent, chaque cas devant être étudié individuellement.

[21] Monsieur Leroux a aussi fait état d'une entente similaire intervenue avec la Ville de Joliette. Monsieur Marc-André Melançon a témoigné pour informer la Cour que cela n'était pas le cas. Il a produit une lettre en date du 17 mai 1996 (pièce I-9) où on explique à monsieur Leroux que la méthode choisie doit être vérifiable au sens qu'à l'analyse des dépenses “il est raisonnable de croire que la méthode choisie correspond à la réalité et est attribuable aux activités taxables”. Il ne faut pas que la méthode de répartition des coûts arrive à des résultats déformant la réalité financière des activités taxables de l'électricité et que justement en utilisant la méthode de monsieur Leroux dans le cas de la ville de Joliette on arrive à de tels résultats : “En imputant 54.07% des dépenses mixtes au réseau électrique pour 1993, nous nous retrouvons avec une perte de près de 800 000 $. Une analyse de profitabilité du réseau pour la Ville de Joliette, qui nous a été fournie par Monsieur Richard Boucher, démontre que pour la même période les recettes excèdent les dépenses de 2,387 millions.

[22] Dans la présente affaire, l'utilisation de la méthode fondée sur les intrants conduit aussi à des résultats éloignés de la réalité financière ainsi que nous avons pu le voir selon les faits décrits aux paragraphes 14 et 17 de ces Motifs, concernant la répartition des frais de gestion du personnel et l'analyse de la rentabilité du réseau électrique. En ce qui concerne la gestion du personnel, le pourcentage utilisé par le vérificateur paraît à sa face même plus raisonnable que le pourcentage utilisé par l'appelante. En ce qui concerne la rentabilité du réseau électrique, l'inclusion du montant élevé des dépenses relatives aux activités mixtes contredit de façon flagrante l'analyse comptable de l'appelante.

[23] En contre-interrogatoire, monsieur Lacoste a été questionné sur la proportion qu'il a utilisé pour certaines dépenses des activités mixtes. Il a fait état qu'il s'était fié aux réponses qui lui avaient été données par le représentant de la municipalité, soit monsieur Gagnon, le secrétaire-trésorier. Après discussion, la proportion était établie avec l'assentiment du secrétaire-trésorier. Il incombe aux fonctionnaires municipaux d'informer correctement le vérificateur. En réalité, il appartient à ces fonctionnaires d'établir les proportions des dépenses selon des critères objectifs, en conformité avec la situation réelle des faits.

[24] Une organisation du type municipalité désire connaître de façon presque précise le coût de ses différents services. Elle possède toutes les informations nécessaires pour départager les dépenses entre les diverses activités. Il n'est donc pas possible que le coût de ses services soit déterminé de la façon proposée par l'appelante. Une municipalité utilise sûrement une méthode qui permet de relier objectivement les dépenses des activités mixtes aux différentes activités.

[25] Les méthodes justes et raisonnables ne peuvent être que celles qui reproduisent le plus fidèlement l'image de la situation financière d'une activité. À cet égard, je suis d'avis qu'il est utile de s'inspirer dans la mesure du possible des propos du juge Iacobucci, dans Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, aux pages 169 à 175 où il discute des moyens à prendre pour obtenir une image fidèle du revenu du contribuable pour une période visée.

[26] En conclusion, la méthode proposée par l'appelante conduit à des résultats déformants qui contredisent ses données mêmes. Celle proposée par l'intimée a été faite minutieusement, après discussion avec les représentants en autorité de l'appelante, établie selon des critères objectifs logiques et je dirais même, établie selon les règles du simple bons sens. Elle réflète fidèlement la situation financière du service de l'électricité et en ce sens, c'est la méthode juste et raisonnable requise par le paragraphe 141.01(5) de la Loi.

[27] L'appel est en conséquence rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de novembre, 1999.

“Louise Lamarre Proulx”

J.C.C.I.

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