Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000925

Dossier: 1999-4042-IT-I

ENTRE :

SHERIDAN GARDNER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Les présents appels portent sur des cotisations visant les années d'imposition 1993 et 1994 de l'appelante.

[2] Dans son avis d'appel, l'appelante demandait à notre cour de modifier les cotisations susmentionnées au motif qu'elle était réputée résidente du Canada en application de l'alinéa 250(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada. Toutefois, elle soutenait qu'elle ne résidait pas habituellement au Canada et que son revenu gagné hors du Canada était donc assujetti non pas à l'impôt provincial de l'Ontario mais à l'impôt fédéral supplémentaire prévu au paragraphe 120(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[3] Par les cotisations en date du 30 mai 1997 (en cause dans les appels), l'appelante a été considérée comme résidant habituellement au Canada, soit en Ontario, et s'est donc vu imposer 13 198,63 $ d'impôt fédéral net et 7 750,84 $ d'impôt provincial net pour 1993, et 10 195,09 $ d'impôt fédéral net et 5 789,10 $ d'impôt provincial net pour 1994. L'appelante demande à ne pas être considérée comme une résidente de l'Ontario au motif qu'elle devrait être considérée comme étant seulement réputée résidente du Canada et non pas résidente de fait de l'Ontario. Si elle n'était pas une résidente de fait de l'Ontario, elle devrait payer la surtaxe prévue à l'article 120 et se verrait fixer de l'impôt fédéral net, soit 19 855,30 $ pour 1993 et 15 343 $ pour 1994, mais aucun montant au titre de l'impôt de l'Ontario (qui avait été fixé dans les cotisations précédentes en date du 19 septembre 1994 et du 14 novembre 1995).

[4] À l'ouverture du procès, l'avocat de l'intimée a présenté une requête pour que les appels soient rejetés. Le fondement de cette requête est que notre cour n'a pas compétence pour admettre ces appels, et ce, pour deux raisons.

[5] La première raison est que le fait que notre cour entende et admette ces appels donnerait lieu à une augmentation de l'impôt fédéral fixé dans les cotisations visées par les appels. L'avocat de l'intimée a fait référence à des jugements faisant jurisprudence à cet égard (Harris v. M.N.R., 64 DTC 5332 (C. de l'É. du Canada); Contonis c. La Reine, C.C.I., no 92-2495(IT)G, 19 janvier 1995 (95 DTC 511); Joyal c. Canada, C.C.I., no 91-1091(IT), 13 janvier 1992 ([1992] A.C.I. no 12)).

[6] La seconde raison est que l'appelante voudrait qu'il soit déterminé par notre cour qu'elle n'était pas une résidente de l'Ontario durant les années en question, ce qui lui permettrait de faire appel de cotisations d'impôt établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu de l'Ontario, soit une question qui ne relève pas de la compétence de notre cour. L'avocat a fait référence à la Loi de l'impôt sur le revenu de l'Ontario ainsi qu'à des jugements faisant jurisprudence (Andrew Paving & Engineering Ltd. et al. c. M.R.N.,C.C.I., no 81-602, 8 février 1984 (84 DTC 1157), Stiege c. M.R.N., C.C.I., no 89-1573(IT), 29 avril 1991 (91 DTC 808), et Hennick c. La Reine, C.C.I., no 97-1154(IT)I, 25 juin 1998 ([1998] 4 C.T.C. 2855)).

[7] L'appelante invoque l'article 23 et le paragraphe 4(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu de l'Ontario et l'article 120 de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada pour faire valoir que notre cour a compétence pour déterminer si un revenu est gagné dans une province et, partant, si l'appelante était une résidente de cette province.

[8] Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu de l'Ontario se lisent comme suit :

Définitions

4. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

“ impôt payable aux termes de la loi fédérale ” Montant qui, si ce n'était de l'article 120 de la loi fédérale, serait l'impôt payable par un particulier en vertu de la partie I de cette loi pour l'année d'imposition à l'égard de laquelle l'expression s'applique, calculé comme si le particulier n'avait droit à aucune déduction aux termes de l'article 126, 127, 127.2, 127.4 ou 127.41 de cette loi.

“ revenu gagné en Ontario dans l'année d'imposition ” Revenu qui serait déterminé avoir été gagné en Ontario dans l'année aux fins du calcul du revenu gagné au cours de l'année dans une province aux termes de l'article 120 de la loi fédérale.

SECTION E – APPELS DEVANT LA COUR DE L'ONTARIO

(DIVISION GÉNÉRALE)

Droit d'appel

23. (1) Le contribuable qui a signifié un avis d'opposition à une cotisation aux termes du paragraphe 165(1) de la loi fédérale, tel qu'il s'applique aux fins de la présente loi, peut interjeter appel devant la Cour de l'Ontario (Division générale) pour faire annuler ou modifier la cotisation : [...]

Motifs d'appel

(2) La Cour peut, en statuant sur l'appel d'une cotisation prévue par la présente loi, trancher toute question concernant ce qui suit :

a) la résidence du contribuable aux fins de la présente loi;

b) le montant du revenu que le contribuable a gagné en Ontario dans une année d'imposition aux fins de l'article 4;

c) le montant de l'impôt payable par le contribuable pour une année d'imposition d'après l'impôt payable aux termes de la loi fédérale pour cette année, au sens que donne l'article 4 à cette expression;

d) le montant de l'impôt payable par une fiducie pour l'environnement admissible aux termes de l'article 2.1; [...]

Idem

(2.1) Aucun appel d'une cotisation ne peut être interjeté relativement au calcul de l'impôt payable aux termes de la loi fédérale, au sens que donne l'article 4 à cette expression.

[9] L'article 120 de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada prévoit une surtaxe à l'égard du revenu non gagné par le contribuable dans une province. Il se lit comme suit :

120(1) Est ajoutée à l'impôt qu'un particulier est par ailleurs tenu de payer pour une année d'imposition en vertu de la présente partie une somme qui est par rapport à 52 % de cet impôt, ce que

a) son revenu pour l'année, autre qu'un revenu gagné dans une province pour l'année,

est par rapport

b) à son revenu pour l'année.

[10] Bien qu'il semble évident d'après les actes de procédure que l'appelante était réputée résidente du Canada en 1993 et en 1994 selon l'alinéa 250(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (les deux parties ayant admis que l'appelante était une employée de Revenu Canada qui avait accepté une affectation de trois ans en 1992 pour travailler à l'ambassade du Canada à Tokyo (Japon)), la réponse à la question de savoir si l'appelante était également une résidente habituelle du Canada (et de l'Ontario) durant ces années-là n'est pas évidente.

[11] Il est évident que le résultat visé par l'appelante aurait pour effet d’augmenter l'obligation fiscale fédérale de cette dernière. La jurisprudence établit bien clairement que notre cour n'a pas le pouvoir de permettre cela, car cela reviendrait à permettre au ministre du Revenu national d'interjeter appel de sa propre cotisation. Une telle ligne de conduite n'est pas conforme à la signification qu'il convient de donner au paragraphe 171(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada, qui établit la compétence de notre cour (voir l'affaire Cooper c. M.R.N., C.C.I., no 86-411, 24 février 1987 (87 DTC 194).

[12] La demande que l'appelante a présentée à la dernière minute pour que l'article 120 ne soit pas appliqué si elle doit être déclarée seulement réputée résidente du Canada et non résidente de fait de l'Ontario est indéfendable. Je n'ai pas le pouvoir de faire fi de l'application d'une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada. Ce serait outrepasser la loi, ce que je ne peux faire.

[13] De plus, je conviens avec l'avocat de l'intimée que la question de la résidence en Ontario ou du montant de l'impôt payable en Ontario doit être déterminée par la Cour de l'Ontario, en application de la Loi de l'impôt sur le revenu de l'Ontario, et non par notre cour. Comme l'a dit le juge Christie (titre qu'il portait alors), de notre cour, dans l'affaire Andrew Paving & Engineering Ltd. et al.,précitée, à la page 10 (DTC : à la page 1161) :

L'existence d'un accord de perception conclu entre le gouvernement du Canada et celui de l'Ontario ne peut modifier ce fait. La section E de la Loi de l'Ontario dispose que les appels des cotisations faites en vertu de cette loi sont portés devant la Cour suprême de l'Ontario. Aucune disposition de la Loi, de la Loi sur la cour canadienne de l'impôt, ou de toute autre loi adoptée par le Parlement du Canada ne vise à conférer cette compétence à la Cour. La Cour canadienne de l'impôt est d'origine purement législative et l'étendue de sa juridiction est délimitée par les dispositions expresses ou nécessairement implicites du texte législatif fédéral. De plus, je suis d'avis que si la loi avait été adoptée par le Parlement en vue de conférer à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir d'entendre les appels des cotisations faites en vertu de la Loi de l'Ontario, le Parlement aurait outrepassé les limites de sa compétence législative.

[14] Dans l’affaire qui nous occupe, l'appelante me demande de modifier les cotisations au motif qu'il n'y a aucun revenu gagné en Ontario et que, par conséquent, l'impôt de l'Ontario qui a été fixé devrait être annulé et l'article 120 de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada devrait s'appliquer de manière à accroître l'impôt fédéral devant être payé par l'appelante.

[15] Je ne peux accéder à la demande de l'appelante, et ce, pour deux raisons. Premièrement, comme je l'ai dit précédemment, l'application de l'article 120, si cet article s'applique en fait dans la présente espèce, donnerait nécessairement lieu à une augmentation de l'impôt fédéral net de l'appelante, et je n'ai pas le pouvoir de permettre une telle augmentation.

[16] Deuxièmement, ma compétence se limite à déterminer le montant de l'impôt payable au niveau fédéral. L'impôt de l'Ontario qui a été fixé est une question qui relève de la compétence de la Cour de l'Ontario, comme le prévoit l'alinéa 23(2)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu de l'Ontario. Je ne peux donc déterminer le montant du revenu gagné en Ontario en vue de déterminer le montant de l'impôt payable en Ontario, car je n'ai pas compétence pour entendre un appel d'une cotisation d'impôt provincial.

[17] Enfin, l'appelante a fait référence au jugement Crossley c. M.R.N. (86-1758(IT), C.C.I., inédit). Quoique ce jugement ne me semble pas clair sur cette question, je note qu'il n'y avait dans cette cause-là aucun point en litige relativement à la question de savoir s'il convenait d'admettre au titre de l'impôt à payer un montant supérieur à celui qui avait en fait été fixé dans la cotisation. Je conclus donc que ce jugement n'est pas pertinent aux fins de la présente requête.

[18] Pour ces motifs, la requête est accueillie, et les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2000.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de février 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

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