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Référence : 2005CCI328

Date : 20050627

Dossier : 2003-4188(EI)

ENTRE :

JEAN-YVES VAILLANCOURT,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

FONDATION QUÉBÉCOISE DE LA

DÉFICIENCE INTELLECTUELLE,

intervenante.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l'audience le 1er septembre 2004,

à Montréal (Québec), et modifiés pour plus de clarté et de précision.)

Le juge Archambault

[1]      Monsieur Jean-Yves Vaillancourt interjette appel à l'encontre d'une décision du ministre du Revenu national (ministre) relative à l'assurabilité de son emploi auprès de la Fondation québécoise de la déficience intellectuelle (Fondation) pendant la période du 27 mai au 31 décembre 2002 (période pertinente). Monsieur Vaillancourt conteste la décision du ministre selon laquelle il n'occupait pas durant cette période un emploi assurable selon la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi), parce que, selon lui, il avait été engagé aux termes d'un contrat de travail. Quant au ministre, il soutient que les services de monsieur Vaillancourt ont été rendus par celui-ci en vertu d'un contrat de service, à titre de « travailleur autonome » , ce qui est le terme communément employé.

Faits

[2]      La preuve a révélé les faits suivants. Tout d'abord, au début de l'audience, monsieur Vaillancourt a admis tous les faits énoncés au paragraphe 7 de la réponse du ministre à l'avis d'appel, à l'exception de ceux des alinéas 7 f) et 7 l). Je reproduis ici les alinéas de ce paragraphe :

a)          Le payeur exploitait une entreprise de récupération d'articles usagés depuis le 17 août 1988;

b)          le payeur avait une place d'affaires à Montréal et une autre à Gatineau et embauchait environ 110 personnes;

c)          le payeur voulait développer un nouveau projet de boîtes de récupération de vêtements et divers articles chez les épiceries, dépanneurs et pharmacies;

d)          le 27 mai 2002, il a embauché l'appelant comme chargé de projet relativement à ce nouveau projet;

e)          une entente d'une durée d'une année a été signée entre les parties à cet effet;

f)           l'entente signée précisait que l'appelant était embauché comme travailleur autonome et que ses tâches étaient :

-         Développer un nouveau projet d'installation de boîtes de récupération de vêtements.

-         Préparer un dépliant.

-         Visiter les différents commerces.

-         Signer des ententes avec des gens d'affaires afin d'installer 80 boîtes de récupération à Montréal et 16 en Outaouais.

-         rendre des services au payeur pour plus ou moins 40 heures par semaine;

g)          durant les 2 premiers mois de l'entente, l'appelant a travaillé dans le bureau du payeur et, par la suite, il travaillait surtout sur la route;

h)          l'appelant pouvait utiliser, fourni par le payeur, un bureau et tout l'équipement nécessaire à son travail;

i)           le payeur fournissait un cellulaire et les cartes d'affaires à l'appelant;

j)           tous les frais encourus par l'appelant, incluant les dépenses d'automobile, étaient remboursés par le payeur;

k)          l'appelant recevait une rémunération fixe de 1 346,15 $ aux deux semaines sur présentation de facture exigée par le payeur;

l)           à partir du 1er janvier 2003, les parties modifiaient leur entente et l'appelant devenait un employé du payeur;

m)         le 21 janvier 2003, le payeur émettait un relevé d'emploi au nom de l'appelant indiquant comme 1er jour de travail le 1er janvier 2003, comme dernier jour payé le 20 janvier 2003, 91 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 1 750 $.

[3]      Quant à l'alinéa 7 f), la seule partie qui faisait problème pour monsieur Vaillancourt était la mention d'un « dépliant » . Or, la preuve révèle que, même si ce n'était pas à strictement parler un dépliant, il s'agissait d'un document promotionnel qu'il a effectivement conçu et produit. Quant à l'alinéa l), je suis d'accord avec monsieur Vaillancourt que la preuve révèle que les parties n'ont jamais modifié l'entente du 27 mai 2002. Elle révèle plutôt qu'elles avaient entrepris des négociations vers la fin de décembre 2002 et au cours de janvier 2003 pour la remplacer par un contrat de travail, mais un des éléments essentiels à l'existence d'un contrat de travail - soit le pouvoir de direction et de contrôle que pouvait exercer la Fondation sur le travail de monsieur Vaillancourt - posait problème. En effet, monsieur Vaillancourt n'a jamais accepté l'intention de la Fondation d'exercer un haut degré de contrôle sur son travail[1].

[4]      Je conviens avec monsieur Vaillancourt que le degré de contrôle que monsieur Boily voulait exercer sur lui paraît fort élevé, pour ne pas dire démesuré, mais là n'est pas la question. Que cela soit justifié ou pas n'est pas pertinent. Il s'agit là d'une question qui relevait de la liberté contractuelle des parties. En effet, monsieur Vaillancourt pouvait refuser qu'un tel contrôle soit exercé sur lui et c'est ce qu'il a fait. C'est pourquoi il n'y a jamais eu d'entente pour remplacer l'entente initiale. Par conséquent, il est erroné d'affirmer à l'alinéa 7 l) de la Réponse à l'avis d'appel que monsieur Vaillancourt était devenu un employé à partir du 1er janvier 2003. Le fait d'avoir changé les modalités de paiement, en particulier le fait qu'on ait commencé à faire des retenues à la source n'est pas décisif quant à l'existence d'un contrat de travail. Il ne s'agit là que d'un indice révélant que la Fondation croyait à l'existence d'un contrat de travail à compter de janvier 2003.

[5]      Comme on n'a pu s'entendre pour modifier l'entente initiale, je crois que c'est la relation contractuelle existant au 27 mai 2002 qui a continué après le 31 décembre 2002. Toutefois, toute cette question est ici théorique puisque la période pertinente se termine le 31 décembre 2002. Reste à déterminer quelle était la nature véritable de la relation entre monsieur Vaillancourt et la Fondation durant la période pertinente. S'agissait-il d'une relation entre un client et un prestataire de services (travailleur autonome) ou d'une relation entre un employeur et son salarié? En d'autres termes, existait-il entre eux un contrat de travail ou un contrat de service?

[6]      Lors de l'audience, monsieur Vaillancourt a produit une preuve documentaire élaborée et exceptionnellement bien présentée. Ses nombreux documents sont répartis dans quatre recueils. Dans le quatrième, à l'onglet 2, on trouve notamment l'entente du 27 mai 2002, qui décrit les modalités de l'engagement de monsieur Vaillancourt par la Fondation. Monsieur Vaillancourt y est décrit comme le chargé de projet. Je reproduis ici quelques-uns des passages les plus importants de cette entente :

PRÉAMBULE

ATTENDU QUEle chargé de projet a présenté à la Fondation, le 13 mai 2002, une offre de services portant sur le développement des affaires de la Fondation;

[...]

LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :

1 OBJET

La Fondation retient les services du chargé de projet à titre de sous-contractant chargé du développement des affaires.

2 Durée

a)          La présente entente d'une durée maximale d'un an, a pris effet le 27 mai 2002 et se terminera le 26 mai 2003 au plus tard.

b)          La Fondation peut mettre fin en tout temps à la présente entente en transmettant un avis écrit à cet effet, auquel cas l'entente est résiliée de plein droit dès réception de cet avis par le Chargé de projet.

3 REPRÉSENTATIONS DU CHARGÉ DE PROJET

a)          Le Chargé de projet garantit à la Fondation qu'il dispose de l'expérience, du savoir-faire et des ressources nécessaires afin d'assurer les services à rendre à la Fondation.

b)          Le Chargé de projet garantit à la Fondation qu'il a pris connaissance de la présente entente et qu'il s'en déclare satisfait et s'engage à la respecter.

4 CONTREPARTIE

a)          En contrepartie des services rendus conformément à la présente par le Chargé de projet, la Fondation lui versera des honoraires de 1 346,15 $ (excluant les taxes applicables - TPS et TVQ) par période de deux semaines, à raison de plus ou moins 40 heures/semaine sur une base d'horaire flexible.

b)          Les honoraires seront versés au Chargé de projet sur présentation aux deux semaines d'une facture adressée à la Fondation (a/s du directeur général) à l'adresse ci-dessus, et faisant état d'un bref résumé des tâches accomplies, du temps consacré à celles-ci, du montant des honoraires dus pour la période visée[,] du calcul des taxes applicables et des numéros d'enregistrement du Chargé de projet aux fins de la TPS et de la TVQ.

c)          Le chargé de projet aura droit au remboursement de ses frais de déplacement conformément au tarif établi par le Conseil d'administration.

Le chargé de projet aura droit au remboursement des dépenses réellement encourues et préautorisées par le directeur général sur présentation des pièces justificatives.

Le chargé de projet présentera mensuellement sa réclamation pour le remboursement des sommes mentionnées aux paragraphes précédents.

5RELATIONS ENTRE LES PARTIES

a)          Le Chargé de projet agit en tout temps à titre d'entrepreneur indépendant et il n'existe aucun lien d'emploi entre la Fondation et le Chargé de projet.

[...]

c)          Le Chargé de projet est seul responsable pour tout acte commis ou omission survenue, au cours de l'exécution de ses obligations en vertu de la présente entente et pour tout dommage, de quelque nature que ce soit, qui peut en découler pour la Fondation ou pour les tiers, sauf dans la mesure où cet acte ou omission est uniquement attribuable à la Fondation.

d)          Le Chargé de projet tient la Fondation, ainsi que les employés, mandataires et assureurs de cette dernière indemnes de toute réclamation, pénalité ou poursuite découlant d'un acte ou omission qui lui est imputable, commis ou survenu au cours de la présente entente ou s'y rapportant de quelque manière.

6 DIVERS

[...]

c)          Cette entente est régie par les lois de la province de Québec.

[Je souligne.]

[7]      Conformément à l'entente du 27 mai 2002, monsieur Vaillancourt a présenté aux deux semaines une facture adressée à la Fondation, contenant un bref résumé des tâches accomplies. À titre d'illustration, je reproduirai ici la première facture, couvrant la période du 27 mai au 7 juin 2002, ainsi que la dernière, celle couvrant la période du 23 décembre au 31 décembre 2002 :

No. Facture: 20001                                                                                                  10 juin 2002

Jean-Yves Vaillancourt

300 rue Saint-Georges appartement 600

Saint-Lambert (Qué) J4P 3P9

Honoraires : du 27 mai au 31 mai 2002 et du 3 juin au 7 juin 2002

Numéro de compte TPS: 144526142                                        

                                                                                            7%

                                                                            

Numéro d'identification TVQ: 1087758334TQ0001         7.5%

Services rendus à :

$1 346.15

$94.23

$1 440.38

$108.03

$1 548.41

FQDI

La Fondation québécoise de la déficience intellectuelle

3958 rue Dandurand

Montréal (Qué) H1X 1P7

M. Jacques Boily - Directeur général

Brève description des services rendus:

1. Préparation d'une ébauche de portefolio

2. Analyse partielle du marché et de la compétition

3. Ébauche d'une entente de partenariat

4. Support et initiation à l'entreposage

5. Initiation à la cueillette

Total des honoraires:

Total des taxes TPS et TVQ:

Total des honoraires incluant TPS et TVQ

$1 346.15

    $202.26

$1 548.41

Ce montant est payable immédiatement suivant réception de cette facture

No. Facture: 20016                                                                                         31décembre 2002

Jean-Yves Vaillancourt

300 rue Saint-Georges appartement 600

Saint-Lambert (Qué) J4P 3P9

Honoraires: du 23 au 27 décembre et du 30 et 31 décembre 2002

Numéro de compte TPS: 144526142 RT                            7%

Numéro d'identification TVQ: 1087758334TQ0001         7.5%

Services rendus à :

$942.27

$65.96

$1 008.23

$75.62

$1 083.85

FQDI

La Fondation québécoise de la déficience intellectuelle

3958 rue Dandurand

Montréal (Qué) H1X 1P7

M. Jacques Boily - Directeur général

Brève description des services rendus:

1. Planification développement des affaires

Total des honoraires:

Total des taxes TPS et TVQ:

Total des honoraires incluant TPS et TVQ

    $942.27

    $141.58

$1 083.85

Ce montant est payable immédiatement suivant réception de cette facture

[8]      De plus, conformément à l'entente, monsieur Vaillancourt a présenté des rapports de dépenses bimensuels avec pièces justificatives à l'appui, relativement à ses frais de déplacement.

Analyse

[9]      La question en litige est de savoir si monsieur Vaillancourt occupait un emploi assurable aux fins de la Loi. La disposition pertinente est l'alinéa 5(1)a) de la Loi, qui édicte ce qui suit :

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[Je souligne.]

5.(1) Subject to subsection (2), insurable employment is

(a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

[10]     Cet article définit un emploi assurable comme comprenant un emploi occupé en vertu d'un contrat de louage de services (lequel est synonyme de contrat de travail[2]). Or, la Loi ne définit pas ce qui constitue un tel contrat. Comme le contrat du 27 mai 2002 de monsieur Vaillancourt est régi « par les lois du Québec » [3] et que le contrat de louage de services est une notion de droit civil que l'on trouve dans le Code civil du Québec (Code civil), c'est en vertu des dispositions pertinentes du Code civil qu'il faudra déterminer la nature de ce contrat. À l'égard de toute période d'emploi postérieure au 30 mai 2001, telle est la démarche que les tribunaux doivent suivre depuis l'entrée en vigueur le 1er juin 2001, de l'article 8.1 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, modifié. Voici ce que cet article édicte[4] :




Propriété et droits civils

8.1Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.

Property and Civil Rights

8.1 Both the common law and the civil law are equally authoritative and recognized sources of the law of property and civil rights in Canada and, unless otherwise provided by law, if in interpreting an enactment it is necessary to refer to a province's rules, principles or concepts forming part of the law of property and civil rights, reference must be made to the rules, principles and concepts in force in the province at the time the enactment is being applied.

[Je souligne.]

[11]     Les dispositions les plus pertinentes pour déterminer l'existence d'un contrat de travail au Québec pour distinguer ce contrat du contrat de service sont les articles 2085, 2086, 2098 et 2099 du Code civil :

Contrat de travail

2085     Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

2086     Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

Contrat d'entreprise ou de service

2098     Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099     L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[Je souligne.]

[12]     Lorsqu'on analyse ces dispositions du Code civil, il en ressort clairement qu'il y a trois conditions essentielles à l'existence d'un contrat de travail : i) la prestation sous forme de travail fournie par le salarié; ii) la rémunération de ce travail par l'employeur; et iii) le lien de subordination. Ce qui distingue de façon significative un contrat de service d'un contrat de travail, c'est l'existence du lien de subordination, c'est-à-dire le fait pour l'employeur d'avoir un pouvoir de direction ou de contrôle sur le travailleur.

[13]     Dans la doctrine, les auteurs se sont interrogés sur la notion de « pouvoir de direction ou de contrôle » et sur son revers, le lien de subordination. Voici ce qu'écrit Robert P. Gagnon[5] :

c)      La subordination

90 - Facteur distinctif - L'élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. C'est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d'autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d'une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d'entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l'entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l'article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d'exécution du contrat » et qu'il n'existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution » , il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l'employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

[...]

92 - Notion - Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise.

[14]     Ajoutons que ce qui est la marque du contrat de travail, ce n'est pas le fait que la direction ou le contrôle a été exercé effectivement par l'employeur, mais le fait qu'il avait le pouvoir de l'exercer. Dans Gallant c. M.R.N., [1986] A.C.F. no 330 (Q.L.), le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale affirme :

[...] Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions. [...]

[Je souligne.]

[15]     À mon avis, les règles régissant le contrat de travail en droit québécois ne sont pas identiques à celles de la common law et, par conséquent, il n'est pas approprié d'appliquer des décisions de common law comme les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, 2001 CSC 59[6]. Au Québec, un tribunal n'a pas d'autre choix que de conclure à l'existence ou à l'absence du lien de subordination pour décider si un contrat constitue un contrat de travail ou un contrat de service.

[16]     L'approche qu'il faut suivre est celle adoptée notamment par le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale[7], qui, dans l'affaire D & J Driveway Inc. c. Canada, (2003), 322 N.R. 381, 2003 CAF 453, a conclu à l'absence d'un contrat de travail en se fondant sur les dispositions du Code civil et, en particulier, en constatant l'absence d'un lien de subordination, lien qui constitue « la caractéristique essentielle du contrat de travail » [8].

[17]     Appliquons ces règles aux faits de cet appel. Tout d'abord, il faut constater que l'entente écrite décrit clairement la nature du contrat. Il s'agit d'un contrat de service et non d'un contrat de travail. L'intention des parties y est clairement manifestée : monsieur Vaillancourt devait fournir ses services comme « entrepreneur indépendant et il n'[existait] aucun lien d'emploi entre la Fondation et le Chargé de projet » (alinéa 5a) de l'entente.) Selon la teneur de l'entente écrite, il est clair que la Fondation n'avait pas de pouvoir de direction et de contrôle puisque monsieur Vaillancourt devait effectuer son travail « à titre d'entrepreneur indépendant » .

[18]     Toutefois, les tribunaux ont refusé de s'en remettre uniquement à la qualification ou à la dénomination que les parties donnent à leur entente. Il faut vérifier la conformité de l'entente avec les dispositions du Code civil en examinant avec soin de quelle façon le contrat a été exécuté. Voici ce qu'écrit le juge Létourneau dans D & J Driveway :

2           Nous reconnaissons d'emblée que la stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et que la cour chargée d'examiner cette question peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : Dynamex Canada inc. c. Canada, (2003), 305 N.R. 295 (C.A.F.). Mais cette stipulation ou l'interrogatoire des parties sur la question peuvent s'avérer un instrument utile d'interprétation de la nature du contrat intervenu entre les participants.

[Je souligne.]

[19]     Dans l'arrêt Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396, 2002 DTC 6853, [2002] 3 C.T.C. 3, 2002 CAF 96, le juge Décary est allé un peu plus loin en écrivant[9] :

119       Les contribuables peuvent organiser leurs affaires de la façon légale qu'ils désirent. Personne n'a laissé entendre que M. Wolf, Canadair ou Kirk-Mayer ne sont pas ce qu'ils disent être ou qu'ils ont arrangé leurs affaires de façon à tromper les autorités fiscales ou qui que ce soit. Lorsqu'un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu'il est exécuté comme tel, l'intention commune des parties est claire et l'examen devrait s'arrêter là . [...]

[Je souligne.]

[20]     Par conséquent, la question qui est décisive dans l'appel de monsieur Vaillancourt est celle de savoir si le contrat de service a été exécuté comme tel. Il faut s'assurer qu'il n'existait entre monsieur Vaillancourt et la Fondation aucun lien de subordination quant à l'exécution du contrat, c'est-à-dire que monsieur Vaillancourt n'a pas effectué son travail sous la direction ou le contrôle de la Fondation.

[21]     J'ai écouté attentivement tous les témoignages qui ont été présentés, notamment celui de monsieur Vaillancourt et celui de monsieur Boily, qui était le directeur général de la Fondation, et j'en conclus que la Fondation n'a pas exercé de contrôle sur monsieur Vaillancourt quant à l'exécution de ses tâches.

[22]     Monsieur Boily, un CGA, est une personne d'expérience. Il semblait bien connaître la distinction entre un contrat de travail et un contrat de service. Pour qu'il y ait un contrat de service - et non un contrat de travail -, il ne pouvait pas exercer de contrôle sur monsieur Vaillancourt et c'est la conduite à laquelle il s'est astreint. Il a laissé à monsieur Vaillancourt le libre choix des moyens d'exécution du contrat et n'a pas tenté non plus d'exercer de contrôle sur son exécution.

[23]     Le témoignage de monsieur Boily à cet égard a été corroboré par celui de monsieur Vaillancourt lui-même. Ce dernier a reconnu avoir accepté d'être engagé comme travailleur autonome. Il a reconnu également qu'il jouissait d'une d'autonomie certaine. Il déterminait lui-même ses heures de travail et les entreprises auxquelles il s'adressait dans l'exécution de son contrat. Étant un homme consciencieux, monsieur Vaillancourt a consacré à son travail les 40 heures par semaine pour lesquelles il était rémunéré selon son contrat. Il a fait tout ce qu'il fallait pour développer des nouvelles affaires et exécuter le contrat qu'on lui avait confié. Il a même indiqué que c'est lui qui avait décidé d'entreprendre des négociations avec les propriétaires de dépanneurs parce qu'il voyait là un potentiel intéressant de développement de nouvelles affaires.

[24]     Toutefois, lorsqu'il a pris conscience des conséquences fiscales de sa relation contractuelle avec la Fondation, notamment qu'il devait effectuer des cotisations sociales plus élevées (en particulier au Régime de rentes du Québec) que ce n'aurait été le cas s'il avait été un simple travailleur salarié, monsieur Vaillancourt a pressé monsieur Boily, à partir de ce moment-là, de lui accorder un contrat de travail plutôt qu'un contrat de service. N'ayant signé le contrat de service que tout récemment, monsieur Boily ne voulait pas s'adresser à nouveau à son conseil d'administration pour faire modifier l'entente avec monsieur Vaillancourt. Il a indiqué à ce dernier qu'il devait d'abord faire ses preuves et mériter en quelque sorte un changement de contrat.

[25]     Très satisfait des services de monsieur Vaillancourt, monsieur Boily lui a proposé vers la fin de 2002 un contrat de travail dont les modalités ont apparu à monsieur Vaillancourt comme tout à fait inacceptables. La Fondation désirait exercer un contrôle très serré sur ses activités, notamment en ce sens qu'il aurait eu à produire de façon hebdomadaire des rapports détaillés, indiquant, entre autres, les heures des visites, leur durée, le contenu des discussions de monsieur Vaillancourt avec les partenaires potentiels de la Fondation. Pour monsieur Vaillancourt, cette exigence de contrôle équivalait à un manque flagrant de confiance en son intégrité. Cela lui apparaissait déraisonnable et il a donc refusé le projet de contrat de travail.

[26]     Lorsqu'il a signé l'entente du 27 mai 2002, monsieur Vaillancourt savait très bien qu'il n'avait pas été engagé comme salarié. Donc, je n'aurais pu intervenir pour conclure à l'existence d'un contrat de travail, comme je l'ai mentionné lors de la plaidoirie, que si j'avais été convaincu que les parties ne s'étaient pas conduites conformément aux modalités du contrat qu'elles avaient signé. Or, la preuve ne révèle pas que la Fondation a exercé sur monsieur Vaillancourt une direction ou un contrôle suffisants pour rendre ce contrat non conforme à la réalité. Je n'ai pas d'autre choix que de conclure qu'il n'existait pas de contrat de travail entre monsieur Vaillancourt et la Fondation durant la période pertinente. Pour ces motifs, l'appel de monsieur Vaillancourt est rejeté.

Signé à Magog, Québec, ce 27e jour de juin, 2005.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :

2005CCI328

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-4188(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jean-Yves Vaillancourt et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

les 31 août et 1er septembre 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :

le 15 septembre 2004

DÉCISION RENDUE

ORALEMENT :

le 1er septembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

le 27 juin 2005

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Pour l'intimé :

Me Agathe Cavanagh

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Un projet de contrat de travail a même été rédigé sous forme définitive (Pièce A-1, Recueil IV, onglet 5), mais ce contrat n'a pas été signé.

[2]           Voir Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 361.

[3]           L'alinéa 6c) de l'entente (reproduit au par. 6 de ces motifs).

[4]           Pour une discussion plus approfondie des conditions d'application de cet article, voir l'article « Contrat de travail : Pourquoi Wiebe Door Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer » (article sur Wiebe Door) que j'ai écrit et qui sera publié au cours du quatrième trimestre de 2005 par l'Association de planification fiscale et financière et le ministère fédéral de la Justice dans le second recueil d'études en fiscalité dans la série de publications portant sur le bijuridisme canadien.

[5]           Robert P. GAGNON, Le droit du travail du Québec, 5e éd., Cowansville (Qc), Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003.

[6]           Pour un exposé approfondi des motifs justifiant cette conclusion, voir l'article sur Wiebe Door, précité.

[7]           Voir également Sauvé c. Canada, [1995] A.C.F. no 1378 (Q.L.), Lagacéc. Canada, [1994] A.C.F. no 885 (Q.L.) (C.A.F.), confirmant une décision de la Cour canadienne de l'impôt, [1991] T.C.J. No. 945 (Q.L.) et Charbonneau c. Canada, [1996] A.C.F. no 1337 (Q.L.). Il faut toutefois mentionner que la Cour d'appel fédérale dans D & J Driveway et Charbonneau n'a pas écarté explicitement l'application de Wiebe Door.

[8]           Par. 16 de la décision.

[9]           Il est important de souligner la prémisse sous-jacente à l'affirmation du juge Décary : le contrat doit avoir été « exécuté comme tel » .

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