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Date: 19990401

Dossier: 97-2967-IT-I

ENTRE :

CHRISTOPHER ROSS SINCLARE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance sont à l'encontre de cotisations établies à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1993 et 1994. La question en litige porte sur le droit de l'appelant de déduire des paiements de 3 000 $ et de 8 780 $ respectivement qu'il a faits à son ancienne épouse.

[2] Mariés en 1977, l'appelant et son ancienne épouse se sont séparés en mai 1993. Entre le mois de mai 1993 et le mois de décembre 1994, l'épouse a reçu, de façon générale, 400 $ par mois, à titre de prestation alimentaire pour ses enfants. Ces montants variaient de temps en temps, selon que l'un ou l'autre des trois enfants résidait avec lui.

[3] Les paiements provenaient de la fiducie familiale, soit la fiducie familiale C. R. Sinclare.

[4] Le 5 décembre 1994, le juge McKenzie, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a rendu une ordonnance réglant un certain nombre de questions financières entre les époux. L'ordonnance a été enregistrée le 25 mai 1995 au greffe de la Cour de Nanaimo.

[5] L'ordonnance est libellée ainsi en partie :

[TRADUCTION]

LA COUR CONFIRME ÉGALEMENT que le requérant, CHRISTOPHER ROSS SINCLARE, a payé à l'intimée, JULIE DIANNE ELIZABETH SINCLARE, pour les enfants SPENCER MACDONALD SINCLARE, né le 15 avril 1978, et KRISTEN ELIZABETH ANNE SINCLARE, née le 31 août 1980, les montants suivants à titre de prestation alimentaire provisoire pour enfants : pour le mois de mai 1993, le montant de CINQ CENTS (500 $) DOLLARS; pour le mois de juin 1993, le montant de HUIT CENTS (800 $) DOLLARS; pour le mois d'août 1993, le montant de QUATRE CENTS (400 $) DOLLARS; pour le mois d'octobre 1993, le montant de CINQ CENTS (500 $) DOLLARS; pour le mois de novembre 1993, le montant de QUATRE CENTS (400 $) DOLLARS; pour le mois de décembre 1993, le montant de QUATRE CENTS (400 $) DOLLARS; pour le mois de février 1994, le montant de QUATRE CENT QUATRE-VINGT (480 $) DOLLARS; pour le mois de mars 1994, le montant de MILLE DEUX CENTS (1 200 $) DOLLARS; pour le mois d'avril 1994, le montant de MILLE DEUX CENTS (1 200 $) DOLLARS; pour le mois de mai 1994, le montant de MILLE DEUX CENTS (1 200 $) DOLLARS; pour le mois de juin 1994, le montant de HUIT CENTS (800 $) DOLLARS; pour le mois de juillet 1994, le montant de HUIT CENTS (800 $) DOLLARS; pour le mois d'août 1994, le montant de SEPT CENTS (700 $) DOLLARS; pour le mois de septembre 1994, le montant de HUIT CENTS (800 $) DOLLARS; pour le mois d'octobre 1994, le montant de HUIT CENTS (800 $) DOLLARS; pour le mois de novembre 1994, le montant de HUIT CENTS (800 $) DOLLARS, sous réserve de toute contestation par l'intimée des montants susmentionnés;

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que, à compter du 1er décembre 1994, et le 1er jour de chaque mois par la suite, le requérant, CHRISTOPHER ROSS SINCLARE, paie à l'intimée, JULIE DIANNE ELIZABETH SINCLARE, une prestation alimentaire provisoire de QUATRE CENTS (400 $) DOLLARS par mois pour chacun des enfants SPENCER MACDONALD SINCLARE, né le 15 avril 1978, et KRISTEN ELIZABETH ANNE SINCLARE, née le 31 août 1980;

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que les QUATRE CENTS (400 $) DOLLARS par mois soient payés à l'intimée, JULIE DIANNE ELIZABETH SINCLARE, pour l'enfant, SPENCER MACDONALD SINCLARE, né le 15 avril 1978, en partant du principe que l'intimée remettra ce montant à ses parents, DONALD ET IRENE MACDONALD, tant que SPENCER MACDONALD SINCLARE continuera à résider quotidiennement avec les parents de l'intimée, DONALD ET IRENE MACDONALD.

[6] L'appelant a produit en preuve, avec le consentement de l'avocate de l'intimée, une transcription des remarques orales du juge McKenzie ainsi que des remarques des avocats des parties, Me Vining pour l'appelant et Me Poles pour son épouse. La transcription est reproduite en partie :

[TRADUCTION]

LA COUR : Je crois qu'une prestation alimentaire de 400 $ devrait être versée pour chacun des deux enfants, comme c'est le cas en ce moment. Le montant destiné à Kristen doit être payé à l'épouse, qui l'utilisera pour payer les dépenses courantes de la maison; le montant destiné à Spencer doit être payé à l'épouse, qui doit le remettre à ses parents pour subvenir aux besoins de Spencer tant qu'il continuera de résider avec eux.

Me VINING : J'aimerais faire une autre remarque. Parce qu'il paie cette prestation alimentaire en ce moment, je crois qu'ils conviennent qu'il paie depuis mai 1993, je n'ai pu obtenir de copie de tous les chèques oblitérés au cours de la fin de semaine, mais je les ai maintenant; j'ai aussi un affidavit que je viens d'apporter à la Cour, j'en ai remis une copie à ma consoeur. Je demande donc que, en vertu de l'article 16 de la Loi sur le divorce, vous rendiez une ordonnance rétroactive, comme vous en avez le pouvoir, pour qu'il puisse obtenir une déduction fiscale pour tous ces paiements. Ils sont tous énumérés. Je soupçonne ma consoeur de vouloir les vérifier pour confirmer que sa cliente a effectivement reçu ces paiements. Alors, je demande que, sous réserve d'une contestation de ces montants d'argent, l'ordonnance soit rétroactive au mois de mai 1993 pour que lui soient crédités les paiements qu'il a faits.

LA COUR : Oui, cela semble raisonnable.

Me POLES : Monsieur le juge, j'aimerais faire des remarques à cet égard. C'est la première fois que je les vois. Et, ces paiements ont été faits, si je comprends bien, directement à même la fiducie familiale; ils ne sont pas assujettis à l'impôt.

Me VINING : Ils proviennent de ses revenus en tant qu'avocat, alors qu'il les retire de la fiducie familiale ou de ses poches, il reste que c'est son argent. Je peux comprendre qu'elle n'a pas encore eu l'occasion de les vérifier, c'est pourquoi je lui ai donné la liberté de présenter une demande, si elle n'était pas d'accord.

LA COUR : Je crois que c'est raisonnable, Me Poles, plus particulièrement pour le motif que l'époux devra effectuer des paiements comptants substantiels pour rembourser le prêt hypothécaire et qu'il n'obtiendra aucune réduction d'impôt à cet égard.

[7] Le 7 septembre 1995, le juge Harvey a rendu une autre ordonnance réglant les questions de la prestation alimentaire et de la garde des enfants, ainsi que d'autres questions financières entre les époux. L'ordonnance est en partie reproduite ci-dessous :

[TRADUCTION]

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que le requérant et l'intimée soient tous deux entièrement responsables du paiement de tout impôt personnel dû dans le cadre du mariage, soit avant la séparation, soit depuis la séparation des parties, qui est survenue le 7 mai 1993 ou vers cette date. Cependant, l'intimée, Julie Dianne Elizabeth Sinclare, est responsable de toute conséquence fiscale découlant des paiements effectués auparavant par le requérant, Christopher Ross Sinclare, à l'intimée, Julie Dianne Elizabeth Sinclare, à titre de prestation alimentaire pour les enfants, conformément à des ordonnances rendues antérieurement par la Cour.

[8] L'avocat de l'appelant et Julie Sinclare personnellement ont approuvé l'ordonnance et y ont consenti. À ce moment-là, Mme Sinclare contestait les honoraires de son avocate et ne bénéficiait probablement pas de conseils juridiques indépendants.

[9] Le comptable de l'appelant a demandé, à un certain moment après que l'ordonnance de la Cour eut été rendue en décembre 1994, de produire à nouveau la déclaration de revenus de l'appelant et celle de la fiducie familiale pour montrer que les dividendes versés à la fiducie par le cabinet d'avocats de l'appelant avaient été reçus personnellement par ce dernier. De nouvelles cotisations ont été établies pour donner suite à ce changement. Je suppose que les déclarations ont été produites à nouveau pour annuler l'effet des paiements qui avaient été faits à Mme Sinclare en 1993 et 1994 par la fiducie et pour permettre à M. Sinclare de les déduire. Il n'y a aucune preuve qu'au moment où les déclarations ont été produites à nouveau le ministère du Revenu national a été informé que c'était là l'objet des nouvelles déclarations, ou qu'il a convenu à quelque moment que ce soit que c'était là leur effet.

[10] M. Sinclare soutient qu'il peut déduire les paiements énoncés dans l'ordonnance rendue par le juge McKenzie le 5 décembre 1994 en vertu de l'alinéa 60 c) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui, en 1993 et 1994, permettait la déduction suivante :

c) Prestation alimentaire — un montant payé par le contribuable au cours de l'année à titre d'allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si les conditions suivantes sont réunies :

au moment du paiement et durant le reste de l'année, le contribuable vivait séparé du bénéficiaire,

le contribuable est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire,

le montant a été reçu en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province;

[11] Il soutient en outre que l'ordonnance du juge McKenzie et la transcription de ses remarques et de celles des avocats, reproduites précédemment, ainsi que l'ordonnance du juge Harvey, si elles sont lues ensemble, ont pour effet d'assujettir les paiements au paragraphe 60.1(3) de la Loi, qui était libellé dans les termes suivants dans les années en question :

(3) Pour l'application du présent article et de l'article 60, lorsqu'une ordonnance ou un jugement d'un tribunal compétent ou un accord écrit, établi à un moment d'une année d'imposition, prévoit que tout montant payé avant ce moment et au cours de l'année ou de l'année d'imposition précédente est considéré comme payé et reçu au titre de l'ordonnance, du jugement ou de l'accord, le montant est réputé payé à ce titre.

[12] Cette thèse pose un certain nombre de difficultés. Premièrement, les paiements ont été faits par la fiducie familiale, et non par l'appelant. Le fait de produire à nouveau des déclarations pour traiter les dividendes payés à la fiducie comme un revenu de l'appelant n'a pas pour effet de convertir les paiements faits par la fiducie en paiements faits par l'appelant. Je reconnais que, dans l'ordonnance du 5 décembre 1994, le juge déclare que M. Sinclare a effectué les paiements. Ce serait cependant accorder au principe énoncé dans l'affaire Dale et al. v. The Queen, 97 DTC 5252, une portée beaucoup plus large que celle que l'on peut raisonnablement lui attribuer que de conclure qu'une déclaration par un tribunal qu'un contribuable a fait des paiements qu'il n'a de toute évidence pas faits peut obliger la Cour à considérer qu'il a fait les paiements pour l'application de l'alinéa 60 c) de la Loi.

[13] Même si cet obstacle est supprimé, la thèse de l'appelant pose une deuxième difficulté : je ne crois pas que les ordonnances du juge McKenzie et du juge Harvey, même si elles sont lues avec la transcription, puissent raisonnablement être interprétées comme signifiant que les paiements faits antérieurement doivent être considérés comme ayant été faits conformément à l'ordonnance du juge McKenzie.

[14] Dans l'affaire Hay v. R., [1997] 2 C.T.C. 2305, j'ai conclu qu'il n'était pas nécessaire que le libellé précis du paragraphe 60.1(3) soit invoqué ou que le paragraphe soit expressément mentionné, à condition que la cour puisse conclure, par déduction nécessaire, que l'intention claire des parties était que le paragraphe 60.1(3) s'applique.

[15] Cette intention claire n'est pas évidente en l'espèce. Dans son ordonnance, le juge McKenzie affirme simplement que les paiements ont été faits.

[16] En ce qui concerne la transcription des remarques du juge McKenzie et des deux avocats, je n'ai jamais auparavant entendu dire que des documents extérieurs, comme une transcription des remarques du juge ou des avocats, avaient été utilisés pour interpréter une ordonnance judiciaire. Je reconnais que, récemment, on semble avoir eu tendance à utiliser des documents extérieurs pour interpréter des dispositions législatives, et qu'il peut exister quelques exceptions à la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque dans l'interprétation des contrats écrits. Cependant, c'est la première fois qu'il est soutenu que les remarques d'un juge ou d'avocats peuvent être utilisées pour interpréter une ordonnance, un jugement ou des motifs de jugement formels rendus par ce juge. Les juges sont supposés, à tort ou à raison, savoir de quoi ils parlent, penser ce qu'ils disent et être capables de dire ce qu'ils pensent. Je doute qu'il y ait un juge au Canada qui veuille que les remarques qu'il a formulées dans le cadre des plaidoiries soient utilisées pour interpréter ses décisions formelles.

[17] Cependant, même si un renvoi à la transcription était permis, cela n'aiderait pas l'appelant. L'avocat a demandé que l'ordonnance soit rendue rétroactivement, et le juge a semblé estimer qu'il s'agissait d'une demande raisonnable, mais l'avocate de Mme Sinclare n'était certainement pas d'accord et elle a fait remarquer que, puisque les paiements provenaient de la fiducie familiale, ils n'étaient pas assujettis à l'impôt. Les deux avocats ne voyaient pas les choses du même oeil et, peu importe ce que le juge a pu penser, cela ne se retrouve pas dans l'ordonnance formelle.

[18] L'ordonnance du juge Harvey n'a pas pour effet d'assujettir au paragraphe 60.1(3) les paiements faits antérieurement. Elle ne fait que prévoir que Mme Sinclare est responsable de toutes les conséquences fiscales découlant des paiements effectués antérieurement par Christopher Ross Sinclare à son épouse à titre de prestation alimentaire pour les enfants « conformément aux ordonnances précédentes de la Cour » .

[19] Les paiements en question dans les appels en l'instance n'ont pas du tout été faits conformément à des ordonnances de la cour. Je remarque que l'ordonnance du juge Harvey a été approuvée par Mme Sinclare personnellement et non par son avocate.

[20] Cela suffit pour trancher les appels. Je n'ai donc pas besoin de me pencher sur la thèse de la Couronne selon laquelle les paiements n'étaient pas périodiques, sinon pour dire qu'ils étaient en quelque sorte périodiques. Il reste qu'ils n'ont pas été effectués conformément à une ordonnance judiciaire ou à un accord écrit, et qu'ils ne sont pas réputés l'avoir été par le paragraphe 60.1(3).

[21] Les appels sont rejetés.

Signé à Toronto, Canada, ce 1er jour d'avril 1999.

« D. G. H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de janvier 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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