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Date: 19980911

Dossier: 97-1130-UI

ENTRE :

PATRICK GUIMOND,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à St-Joseph-de-Beauce (Québec) le 25 août 1998.

[2] Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ), en date du 16 mai 1997, déterminant que l'emploi de l'appelant chez Joseph Guimond du 13 janvier au 7 février 1997 n'était pas assurable parce qu'il s'agissait d'un emploi où l'employé et l'employeur avaient entre eux un lien de dépendance.

[3] Le paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel se lit ainsi :

« 5. En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national, s'est basé, inter alia, sur les faits suivants :

a) Joseph Guimond est l'unique propriétaire d'une épicerie-boucherie depuis plus de 20 ans; (A)

b) l'appelant est le fils du payeur; (A)

c) l'épicerie-boucherie est ouverte :

- de 9 h à 18 h, lundi, mardi et mercredi,

- de 9 h à 21 h, jeudi et vendredi,

- de 9 h à 17 h, samedi; (A)

d) le payeur emploie une seule employée à temps plein soit son épouse; (A)

e) l'épouse du payeur est rémunérée 245 $ par semaine; (I)

f) le payeur s'est fracturé la jambe droite le 9 décembre 1996; (N)

g) le payeur a été autorisé à reprendre son travail le 17 février 1997, selon Serge Gagnon, chirurgien orthopédiste alors que du 9 décembre 1996 au 9 février 1997, le payeur a continué à travailler pour son entreprise en restant assis; (NTQR)

h) depuis la fracture, soit le 9 décembre 1996, messieurs Veilleux et Grondin rendaient des services au payeur comme boucher; (I)

i) messieurs Veilleux et Grondin débitaient les carcasses de viande en morceaux de 15 livres; (I)

j) messieurs Veilleux et Grondin n'étaient pas rémunérés pour leur travail chez le payeur; (A)

k) l'appelant a été mis à pied de chez François Giguère Inc. le 20 décembre 1996; (A)

l) l'appelant avait alors accumulé 22 semaines assurables; (A)

m) le 22 janvier 1997, le Centre des ressources humaines a avisé l'appelant qu'il avait besoin de 26 semaines d'emploi assurables pour se qualifier; (N)

n) le 13 janvier 1997, le payeur prétend mettre à pied messieurs Veilleux et Grondin et prétend embaucher l'appelant; (N)

o) les tâches de l'appelant étaient de placer la marchandise, étiqueter et répondre aux clients; (N)

p) durant la période, l'appelant est prétendument rémunéré 320 $ par semaine par le payeur; (NTQR)

q) l'appelant a déjà rendu des services au payeur avant la période sans être rémunéré; (A)

r) l'appelant a rendu des services après le 7 février 1997; (A)

s) le payeur a cessé de rémunérer l'appelant après le 7 février 1997; (N)

t) le 7 février 1997, le payeur a émis un relevé d'emploi au nom de l'appelant mentionnant que l'appelant avait été mis à pied à cause d'un manque de travail; (A)

u) le relevé d'emploi est faux car l'appelant a rendu des services au payeur sans rémunération après le 7 février 1997; (NTQR)

v) l'appelant et le payeur ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu; (N)

w) n'eût été du lien unissant l'appelant au payeur, celui-ci n'aurait pas été engagé pour effectuer un tel travail; (N)

x) d'ailleurs, le payeur n'aurait jamais engagé une personne sans lien de dépendance aux mêmes conditions que celles offertes à l'appelant, encore moins pour une telle période; (N) »

[4] Dans le texte qui précède de la Réponse à l'avis d'appel, la Cour a indiqué ainsi, entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe, les commentaires du procureur de l'appelant à l'ouverture de l'audience :

(A) admis

(I) ignoré

(N) nié

(NTQR) nié tel que rédigé

La preuve de l'appelant

Selon Joseph Guimond

[5] Il est épicier-boucher depuis 20 ans.

[6] Il exploite son épicerie-boucherie avec son épouse mais il en est le seul propriétaire.

[7] Cette entreprise est ouverte 12 mois par année sauf les dimanches et le couple ne prend jamais de vacances sauf cette journée de congé une fois par semaine.

[8] Il a une clientèle spéciale et il fait des « montages » sur demande des clients.

[9] Il a bien eu un accident et il s'est fracturé la jambe droite le 8 décembre 1996 et un plâtre lui a été installé le lendemain.

[10] Il a pu continuer son exploitation quand même grâce à l'aide au départ de deux amis, messieurs Veilleux et Grondin.

[11] Le premier était retraité il pouvait l'aider au besoin; le second avait un emploi et il y allait aussi quand il avait du temps libre.

[12] Le 13 janvier 1997, il a eu vraiment besoin de son fils, l'appelant, qui ne travaillait pas à ce moment car il n'arrivait plus à bien servir sa clientèle : il lui fallait quelqu'un en permanence au magasin.

[13] Il l'a engagé ainsi de 9 h à 18 h du lundi au vendredi.

[14] « Il faisait le même travail que moi » .

[15] Le mois de janvier est particulièrement occupé dans ce commerce à cause des réceptions qu'offrent alors les petits commerçants de la région à leurs employés, ce qu'ils n'ont pu faire en décembre à cause d'un surcroît de travail à l'approche des fêtes.

[16] Le mois de février est cependant beaucoup plus tranquille.

[17] S'il a mis son fils à pied le 7 février 1997 alors que son plâtre lui a été enlevé seulement une semaine après, c'est qu'il avait alors assez de carcasses de viande débitées pour les jours à venir.

[18] Son fils va encore au commerce à l'occasion prendre une ligueur et jaser avec les clients quand il n'a rien à faire : il peut aussi faire une livraison à temps perdu.

[19] Le salaire de son épouse et le sien est de 340 $ par semaine pour le couple.

[20] Ils prennent en plus leur nourriture au magasin et ils se servent du camion dont les dépenses sont assumées par le commerce.

[21] Lorsqu'il était dans le plâtre, il allait quand même faire acte de présence au magasin et « faisait ce qu'il pouvait réaliser » .

[22] Messieurs Grondin et Veilleux lui sortaient les grosses pièces de viande pour qu'il puisse les travailler, assis.

[23] L'appelant, lui, alors qu'il a été embauché faisait cependant à peu près tout pour le remplacer valablement.

[24] Ses clients ont été bien compréhensifs dans ce malheur et sa femme continuait de faire son travail dans le magasin alors que lui, il jasait avec les gens.

[25] À son commerce, tout est fait devant le client.

[26] Son fils était rémunéré sur une base de 8 $ l'heure et pour 40 h de travail sa paie était en conséquence de 320 $.

[27] Le livre de paie (pièce I-1) est bien à cet effet d'ailleurs et c'est son épouse qui l'a écrit, pour lui, de sa main.

[28] Un vrai boucher gagne de 10 $ à 11 $ l'heure.

[29] Pour être sur place son fils était allé demeurer chez lui pendant la période en litige.

[30] Lorsqu'il l'a engagé, il ne savait absolument pas qu'il lui manquait des semaines d'emploi assurable pour se qualifier aux prestations d'assurance-emploi.

[31] Son fils travaille maintenant en permanence chez Canam-Manac.

Selon Patrick Guimond, l'appelant

[32] Son salaire chez son père lui a bien été payé par chèques et ceux-ci en font état.

[33] Sa paie lui était remise le jeudi.

[34] Il a été mis à pied le 7 février 1997 et le 8 il était sans emploi.

[35] Il a fait des applications et travaille maintenant chez Canam-Manac.

[36] Chez son père il oeuvrait bien du lundi au vendredi surtout à sortir les quartiers de viande et à faire des préparations.

[37] Lorsqu'il a été embauché à cette épicerie-boucherie il ne savait vraiment pas qu'il lui manquait des semaines pour se qualifier aux prestations d'assurance-emploi.

[38] Dans les jours qui ont suivi le 22 janvier 1997 il a cependant reçu une lettre (pièce A-2) du Centre des Ressources Humaines de ville St-Georges, datée de ce jour et se lisant entre autres ainsi :

« ...Étant donné que vous avez commencé à travailler pour la première fois ou après une longue absence de la population active, il vous faut 26 semaines d'emploi assurable pour y avoir droit (aux prestations). Malheureusement, vous en avez seulement 22. » (La parenthèse dans la citation est du soussigné)

[39] Ses relevés d'emploi (pièce I-2) font bien voir qu'il a oeuvré 22 semaines chez François Giguère Inc. jusqu'au 20 décembre 1996 avant d'aller travailler chez son père pendant la période en litige.

[40] Avec le relevé d'emploi émis par son père il est retourné au Centre des Ressources Humaines pour demander à nouveau des prestations.

[41] Il continue encore à aller faire un tour au magasin de son père; il a toujours fait cela.

[42] Lorsqu'il était plus jeune, il rendait aussi des services au magasin, entre autres, en plaçant les bouteilles au bon endroit.

[43] L'intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les plaidoiries

Selon le procureur de l'appelant

[44] Il s'agit d'un petit commerce fréquenté par des gens qui se connaissent bien et où la clientèle est indulgente et tolérante.

[45] En décembre 1996 le propriétaire devient invalide après s'être fracturé une jambe.

[46] Deux amis vont le dépanner à l'occasion mais au début de janvier suivant ça pousse trop, le bénévolat ne suffit plus, les bénévoles n'étant pas assez disponibles, et le propriétaire du commerce doit engager son fils unique pour pouvoir continuer valablement les opérations; il n'avait pas le choix et il a alors pris la bonne décision.

[47] Son fils était disponible et peut-on le blâmer de l'avoir ainsi embauché?

[48] Le commerce concerné ne peut faire vivre trois personnes et c'est pour cela que l'appelant a été mis à pied aussitôt que son père et sa mère ont pu se débrouiller seuls.

[49] Il est bien évident que le 13 janvier 1997 l'appelant ne savait pas qu'il lui manquait des semaines pour se qualifier aux prestations.

[50] Il l'a su seulement après le 22 janvier suivant.

[51] Lorsque l'appelant va faire un tour à l'épicerie concernée il peut aller à l'occasion faire une petite livraison mais en retour il y prend aussi une liqueur pour se désaltérer.

Selon la procureure de l'intimé

[52] L'appelant a certes travaillé pour son père qui lui donnait ses instructions et c'est pourquoi seul le lien de dépendance est invoqué et plaidé en l'instance.

[53] Un malheur frappe le père de l'appelant en décembre 1996 et deux de ses amis vont alors lui prêter main forte mais à titre gratuit.

[54] Lorsque l'appelant prend leur relève, il est par contre rémunéré.

[55] Il était déjà à l'emploi de son père lorsqu'il a su qu'il lui manquait quatre semaines pour se qualifier aux prestations.

[56] Il a peut être pris de l'avance au cours de sa dernière semaine de travail pour préparer des viandes mais lorsque le chiffre magique de quatre semaines a été atteint il a été mis à pied même si son père devait encore être dans le plâtre pour une autre semaine.

[57] Il n'y a rien d'illégal là-dedans, il est vrai, mais le Ministre a étudié, comme il se devait, tous les faits pour décider de ne pas ré-inclure l'emploi.

[58] Il a considéré qu'alors que l'appelant était plus jeune il rendait déjà des services à son père en plaçant les bouteilles au bon endroit et que par après il allait faire son tour au magasin et y faisait de petites commissions.

[59] Le lien de dépendance est là, l'appelant gagnait un peu plus que le salaire minimum alors qu'un boucher peut être rémunéré sur une base de 10 $ à 11 $ l'heure.

[60] Dans le Procureur général du Canada et Jencan Ltd. (A-599-96), l'honorable juge en chef de la Cour d'appel fédérale explique bien la procédure que la Cour doit suivre lorsque le Ministre invoque le lien de dépendance.

[61] Il y écrit (pages 13 et 14) :

« Le nombre d'appels interjetés de décisions qui ont été rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis le prononcé de l'arrêt Tignish donne à penser qu'il y a lieu de clarifier davantage les règles de droit applicables. Pour cette raison, j'expose plus loin les principes que l'on peut dégager de la jurisprudence de notre Cour portant sur le sous-alinéa 3(2)c)(ii).

L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). »

(page 17)

« ...La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous alinéa 3(2)c)(ii) -- en examinant le bien-fondé de cette dernière -- lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent. »

(page 19) :

« ...Ainsi que le juge Desjardins l'a déclaré dans l'arrêt Tignish :

[...] la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente » .

et (pages 22 et 23) :

« Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a toutefois commis une erreur de droit en concluant que, parce que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, il avait automatiquement le droit de contrôler le bien-fondé de la décision du ministre. Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. S'il existe suffisamment d'éléments pour justifier la décision du ministre, il n'est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l'impôt d'infirmer la décision du ministre du simple fait qu'une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge en serait arrivé à une conclusion différente selon la prépondérance des probabilités. En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la prépondérance des probabilités. »

[62] Le Ministre a exercé sa discrétion d'une manière légale et en conséquence la Cour ne peut intervenir.

[63] Au sous-paragraphe e) précité il est ignoré que l'épouse du payeur est rémunérée 245 $ par semaine alors que selon la preuve ce salaire est plutôt de 340 $ pour le couple : le père, la mère et le fils ont cependant un lien de dépendance.

[64] Le sous-paragraphe f) est nié car il y est écrit que la fracture a eu lieu le 9 décembre 1996 alors que c'est le 8 : toutefois c'est bien le 9 décembre que le plâtre a été fait sur la jambe du payeur.

[65] Le sous-paragraphe g) est nié tel que rédigé mais la preuve est faite que le payeur a continué à travailler pour son entreprise tout en y oeuvrant « assis » .

[66] Le sous-paragraphe h) est ignoré mais il découle de la preuve qu'il est vrai.

[67] Le sous-paragraphe m) est nié mais la lettre (pièce A-2) est bien à cet effet.

[68] Le sous-paragraphe n) est nié mais l'ensemble de la preuve est aussi à cet effet.

[69] Le sous-paragraphe p) est nié mais il en va de même comme pour le sous-paragraphe précédent.

[70] Le sous-paragraphe s) est nié mais l'appelant dit bien que dès le 8 février 1997 il était sans emploi.

[71] Le sous-paragraphe u) est nié tel que rédigé mais il contient la vérité car l'appelant a bien rendu des services au payeur même après sa mise à pied.

[72] Le Ministre a bien exercé sa discrétion.

Selon le procureur de l'appelant en réplique

[73] L'arrêt Jencan (supra) établit bien que le Ministre doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes et en l'instance il ne l'a pas fait.

[74] Il a en effet attaché trop d'importance à la durée de l'emploi et au chiffre magique des quatre semaines concernées.

[75] S'il y avait eu un arrangement pour qualifier l'appelant aux prestations, il aurait pu faire une semaine de plus et « ça aurait passé comme du beurre dans la poêle » pour employer une expression bien Beauceronne.

Le Délibéré

[76] Le Ministre a considéré à tort que l'épouse du payeur était rémunérée 245 $ par semaine alors que son mari et elle ne gagnaient que 340 $ pour les deux plus évidemment leur nourriture et l'usage du camion; il a pu croire ainsi que le commerce pouvait faire vivre plus de deux personnes; ce facteur au surplus n'était aucunement pertinent pour la décision à rendre en l'instance.

[77] L'erreur du Ministre sur la date de la fracture est cependant sans importance pour la conclusion ci-après.

[78] Il n'était pas pertinent pour le Ministre de considérer que le payeur avait quant même travaillé assis du 9 décembre 1996 au 9 février 1997 : il a alors fait ce qu'il pouvait faire et c'est tout à son honneur : il est évident qu'avec une jambe dans le plâtre il ne pouvait faire son travail régulier et qu'il avait besoin d'aide.

[79] Il a pu se dépanner avec les services de ses deux amis jusqu'au 13 janvier 1997 mais ensuite « ça poussait trop » et il lui fallait quelqu'un en permanence au magasin.

[80] Le payeur et l'appelant ont paru à la Cour de braves gens toujours soucieux de dire la vérité de sorte que la Cour les croit parfaitement.

[81] Le Ministre ne semble pas avoir considéré le fait que l'emploi de l'appelant a résulté en définitive de l'accident concerné, à savoir un cas fortuit.

[82] La lettre (pièce A-2) est datée, il est vrai, du 22 janvier 1997 mais il est certain qu'elle a été reçue seulement par après : ce n'est donc pas le 22 janvier que l'appelant a été avisé qu'il avait besoin de 26 semaines pour se qualifier mais par après.

[83] Le 13 janvier 1997, le payeur n'a pas mis à pied ses deux amis car ils faisaient seulement du bénévolat; cela ne suffisait plus vraiment avec l'activité intense du mois de janvier au magasin.

[84] Le payeur dit bien que l'appelant accomplissait à peu près toutes ses tâches et ce n'était pas seulement de placer la marchandise, de l'étiquetter et de répondre aux clients.

[85] L'appelant a nié tel que rédigé et à bon droit le sous-paragraphe p) à cause du mot « prétendument » qui s'y trouve et la preuve est faite qu'il a bien été rémunéré au cours de la période en litige.

[86] Les petits services qu'il a pu rendre à son père avant et après la période en litige ne sont pas d'intérêt pour la conclusion ci-après car ils sont très minimes : un fils peut très bien en effet donner un léger coup de main à son père à l'occasion lorsqu'il n'a rien à faire sans qu'il faille nécessairement en tirer des conséquences juridiques.

[87] Il n'était pas pertinent pour le Ministre de considérer que le relevé d'emploi était faux.

[88] Il est évident qu'avec la période tranquille de février et les réserves de viande débitée qu'il avait, le payeur pouvait écrire sur le relevé d'emploi qu'il y avait « manque de travail » .

[89] Le payeur n'avait pas le choix, il devait embaucher son fils au moment où il l'a fait et s'il n'avait pas été disponible il lui aurait fallu engager une personne non liée aux mêmes conditions ou à peu près et pour une telle même période.

[90] Il est évident que ni le payeur ni l'appelant ne savaient lors de l'embauche de celui-ci qu'il lui manquait des semaines pour être admissible aux prestations.

[91] Il est heureux de constater que l'appelant a à nouveau un emploi permanent.

[92] Il est certain que le payeur ne peut être blâmé d'avoir ainsi engagé son fils dans de telles circonstances, résultant d'un cas absolument fortuit.

[93] La procureure du Ministre reconnaît volontiers le malheur arrivé au payeur et il est très bien de sa part de le faire.

[94] Comme l'admet à bon droit l'avocate du Ministre dans sa plaidoirie, il n'y a rien d'illégal dans le chiffre magique dont il a alors été question et en l'instance il s'agit seulement d'une coïncidence peut-être heureuse, mais qui n'était certes pas planifiée.

[95] À la première étape prévue à l'arrêt Jencan (supra), et tout en limitant son analyse au contrôle de la légalité de la décision ministérielle entreprise, la Cour est d'avis qu'il y a lieu d'intervenir même en faisant preuve de retenue judiciaire vu le pouvoir discrétionnaire du Ministre.

[96] En effet, le Ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et il a par ailleurs tenu compte de facteurs non pertinents.

[97] Il n'y a pas en l'instance suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du Ministre.

[98] En appréciant elle-même la prépondérance des probabilités la Cour est d'avis que l'emploi était assurable.

[99] Elle n'a pas de commentaire à formuler sur la suggestion du procureur de l'appelant à l'effet que si son client avait eu une semaine de plus au service de son père, cela aurait pu passer comme du « beurre dans la poêle » car elle se doit seulement de juger dans le cadre de la Loi et de l'arrêt Jencan (supra).

[100] L'appel est donc accueilli et la décision entreprise annulée.

Signé à Laval (Québec), ce 11e jour de septembre 1998.

« A. Prévost »

J.S.C.C.I.

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