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Date: 19980327

Dossier: 97-1134-IT-I; 97-1239-IT-I; 97-1293-IT-I; 97-1664-IT-I; 97-1905-IT-I

ENTRE :

DENIS COMPTOIS, FRANCE MORIN, PIERRE DAOUST, MARCEL MARTIN, FRANÇOIS DESCHÊNES,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus ensemble et partiellement sur preuve commune selon la procédure informelle de la Cour.

[2] Les appelantes et les appelants (collectivement désignés les « appelants » ) sont tous des employés de l’hôpital Hôtel-Dieu de Montréal ( « l'hôpital » ) et membres du Syndicat national des Employés de l'hôpital Hôtel-Dieu de Montréal (le « syndicat » ) affilié à la Confédération des syndicats nationaux (la « CSN » ).

[3] Au cours des années 1992 à 1995 chacun des appelants a, à un moment ou à un autre, exercé des fonctions auprès du syndicat et a, relativement à l’exercice de telles fonctions, reçu du syndicat des montants dits pour « libérations syndicales » en remplacement du salaire régulier normalement versé par l’employeur. Toutefois, aucune déduction à la source n’a été effectuée par le syndicat à l’égard des sommes ainsi versées et aucun feuillet de renseignements T-4 faisant état des montants payés ne fut émis.

[4] Les appelants firent défaut de déclarer les montants en cause et après vérification auprès du syndicat, le ministre du Revenue national (le « Ministre » ) cotisa, en octobre 1996, les montants non déclarés en ajoutant non seulement les intérêts mais également des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[5] Les détails pertinents concernant chacun des appelants sont les suivants :

Nom

Année

Montant non déclaré

Pénalité

Denis Comptois

1994

1 369,00 $

100,00 $

France Morin

1992

13 297,00 $

479,96 $

1993

10 513,00 $

747,89 $

1994

1 363,00 $

100,00 $

Pierre Daoust

1992

9 065,00 $

994,72 $

1995

1 681,00 $

192,06 $

Marcel Martin

1994

8 413,00 $

600,57 $

1995

4 891,00 $

349,08 $

François Deschênes

1994

6 158,00 $

439,13 $

1995

4 477,00 $

319,36 $

[6] Sauf dans le cas de madame France Morin et dans celui de monsieur Pierre Daoust, seules les pénalités sont contestées au motif que le défaut de déclarer n’est pas imputable à une faute lourde de la part des appelants. Dans le cas de ces deux personnes, la cotisation pour l’année d’imposition 1992 est contestée globalement au motif qu’elle a, sans droit, été établie après la période normale de nouvelle cotisation puisque selon les termes du sous-alinéa 152(4)a)(i) la présentation erronée des faits ne résulterait pas d’une négligence, d’une inattention ou d’une omission volontaire des appelants. La question de la fraude n’a pas été soulevée dans les présents dossiers.

[7] Tous les appelants ainsi que mesdames Linda Gauvin et Ginette Auger ont témoigné. Monsieur Alain Lacoste, agent des appels à Revenu Canada, a témoigné pour l’intimée.

[8] Madame France Morin a été la première à témoigner. Madame Morin est réceptionniste à l'hôpital. En 1984, elle a exercé certaines fonctions syndicales pour une période de six mois seulement. Elle fut élue vice-présidente en 1987, poste qu'elle occupait également de 1992 à 1994. Elle affirme qu'en 1987 le fait qu’aucun T-4 n’était émis en rapport avec les montants versés pour « libérations syndicales » a suscité certaines interrogations. Toutefois, selon elle, depuis la constitution du syndicat, vers le milieu des années soixante, les gens se faisaient dire que ces montants n’étaient pas imposables car ils constituaient une forme de « boni » pour du travail souvent effectué en dehors des heures normales.

[9] Selon madame Morin, ce n’est que lors d’une assemblée générale des membres tenue le 19 avril 1993 (pièce A-1) qu’une proposition fut adoptée aux fins de régulariser « le mode de paiement des libérations syndicales » à compter du 1er juillet 1993. La question n’aurait pas été discutée lors d’assemblées antérieures. Pourtant, dans un procès-verbal d’une réunion entre « l'exécutif syndical » et quelques 30 délégués tenue le 24 octobre 1995 (pièce A-7), il semble bien que la question aurait été abordée dès 1991. En effet, à l’avant-dernière page du document, sous le titre « Revenu Canada » apparaît comme première mention : « 1991 Proposition Ass. générale, Rien de fait » . Madame Morin n’a pas témoigné concernant ce document déposé plus tard lors de l'audition par madame Linda Gauvin. Les explications de cette dernière quant à cette mention ont d'ailleurs été pour le moins vagues. Je reviendrai sur ce point un peu plus loin.

[10] Quant à madame Morin, elle dit avoir compris de la résolution d'avril 1993 que les sommes versées par le syndicat devaient être déclarées par les personnes qui les avaient reçues mais que c’était au niveau du syndicat que la situation devait être régularisée par des démarches à être entreprises par le président et la trésorière de l’époque, monsieur Pierre Demers et madame Lise Fréchette. Il semble avoir été entendu, une fois la situation régularisée au niveau du syndicat et les T-4 émis, que les individus concernés déclareraient les sommes reçues du syndicat ensemble et tous en même temps.

[11] Au 1er juillet 1993, on constate qu'aucune suite n'a été donnée à la proposition du 19 avril précédent. Selon madame Morin, les membres de « l'exécutif syndical » ont ensuite démissionné en novembre 1993 et c’est monsieur Laurent Duguay qui a alors assuré la présidence par intérim jusqu’à de nouvelles élections tenues au début de 1994. Monsieur Duguay fut alors élu président et monsieur Neil Fisher trésorier.

[12] La question a refait surface lors d’une réunion de « l'exécutif syndical » tenue le 22 février 1994. Un compte rendu préparé par madame Morin elle-même (pièce A-2), fait état d’une proposition de monsieur Fisher qui, après analyse préconise d’attendre décembre 1994 pour « se régulariser » . Il y est question de frais importants, de l’ordre de 8 000,00 $ annuellement, qui devraient être pris en charge par le syndicat pour ce faire. Encore une fois, le commentaire de madame Morin lors de l’audition a été « si les T-4 avaient été émis on aurait pu, tous ensemble, déclarer » .

[13] Madame Morin admet qu'elle savait que les sommes reçues étaient imposables mais ajoute qu’il aurait fallu faire l’addition des chèques reçus et en soustraire le montant de certains remboursements pour des repas et des frais de déplacement. Pourtant, elle reconnaît avoir fait un exercice de comptabilité semblable, que je qualifierais d’élémentaire, en ce qui concerne des dépenses d’emploi réclamées en déduction d’un revenu reçu de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la « CSST » ) auprès de laquelle elle exerçait également certaines fonctions.

[14] Monsieur Denis Comptois est brancardier à l'hôpital. Il a été délégué syndical en 1994. Bien que ne faisant pas partie de « l'exécutif syndical » , son rôle consistait à disséminer l’information auprès des membres du syndicat. Il affirme que sa première démarche dès sa nomination a été de demander l’émission de T-4 à monsieur Fisher, le trésorier, et à monsieur Duguay, le président. Il aurait obtenu comme réponse que cela était « en marche » et qu’il n’avait pas à s’occuper de la question. Monsieur Comptois affirme qu’il avait déjà entendu parler du problème, que les individus concernés insistaient pour obtenir des T-4 au point même qu'une trentaine de délégués ont, à un moment donné, confronté « l'exécutif syndical » pour faire avancer les choses qui traînaient. Monsieur Comptois admet qu’il savait que le revenu devait être déclaré mais qu’ayant toujours eu un T-4 pour son salaire, il attendait d’en recevoir un du syndicat avant de déclarer le revenu reçu pour « libérations syndicales » . Il explique qu’il faisait confiance aux personnes plus haut placées qui devaient s’occuper de la question.

[15] Monsieur Pierre Daoust exerce le métier d'électricien à l'hôpital. Il a exercé les fonctions de vice-président du syndicat en 1992 et 1995. En 1992, il était responsable des dossiers de prévention et de santé et sécurité au travail. Durant cette année, il a également été membre du Comité paritaire et a exercé certaines fonctions de révision auprès de la CSST. En 1995, il se serait contenté d’assister aux assemblées de « l'exécutif syndical » et de s’occuper de quelques dossiers pour la CSST.

[16] Monsieur Daoust affirme que sa compréhension des choses en 1992 alors qu’il recevait des chèques du syndicat sans aucune déduction à la source était que le gouvernement exemptait le revenu du travail syndical qui s’étendait sur de longues heures et souvent en dehors des périodes normales. Puis, faisant état du rôle social joué par les syndicats, il affirme que sa perception dans les années 80 était que les centrales syndicales étaient exemptes d’impôt un peu comme les communautés religieuses ce qui rendait en quelque sorte non imposables les sommes reçues par les personnes qui y oeuvraient.

[17] Monsieur Daoust reconnaît qu’il y a eu des discussions sur le sujet de la régularisation peut-être une semaine et même un mois avant l’assemblée générale du 19 avril 1993. Mentionnons que sa déclaration de revenu pour 1992 a été signée le 15 mars 1993.

[18] Quant au revenu non déclaré en 1995, monsieur Daoust mentionne que « l'exécutif syndical » faisait déjà des démarches pour régulariser la situation auprès du gouvernement depuis 1994 ou le début de 1995. Il signale que la mise en application devait prendre un certain temps et que les T-4 devaient être éventuellement émis même s’ils l’étaient en retard.

[19] Bien qu'il reconnaisse avoir déclaré un revenu de location sans que celui-ci n'ait été attesté par un feuillet de renseignements, monsieur Daoust affirme qu’il n’a jamais tenté de cacher les sommes reçues mais qu'il attendait pour les déclarer qu’on lui émette un T-4 comme cela se fait normalement pour le versement d’un salaire ou d’intérêts.

[20] Monsieur Marcel Martin occupe un poste d'assistant technicien en radiologie à l'hôpital. En 1994, il faisait partie du comité des délégués et du comité de la santé et de la sécurité au travail du syndicat. Il fut élu vice-président du syndicat en février 1995. Présent à l’assemblée générale des membres d’avril 1993, il a expliqué que sa compréhension des explications fournies par le président Laurent Duguay est qu’on devait régulariser la situation au niveau du syndicat et qu’à partir du moment ou cela serait fait tout le monde allait payer ses impôts ce que personne ne faisait jusqu’alors. Monsieur Martin reconnaît qu’il n’a pas mentionné les montants reçus aux fins de faire préparer sa déclaration de revenu par une firme spécialisée et qu'il a par ailleurs signé celle-ci sans aucune vérification.

[21] Monsieur François Deschênes est préposé à la lingerie de l'hôpital. En 1994 et 1995, il était membre du comité d’information du syndicat. Il reconnaît avoir reçu des sommes en remplacement de son salaire et avoir également été remboursé de certaines dépenses de repas. En mars 1995, au moment de préparer sa déclaration de revenu 1994, il dit s’être informé auprès du président et d’un autre membre de son comité puisqu’il se demandait s’il devait inclure les montants reçus du syndicat sous la rubrique « autres revenus d’emploi » n’ayant reçu aucun T-4 à cet égard. D'une part, monsieur Deschênes reconnaît qu’il savait que les sommes reçues pour les « libérations syndicales » étaient en remplacement de son salaire mais affirme qu’on lui aurait alors dit qu’il n’avait pas à les déclarer puisque, si je comprends bien son explication, elles auraient été versées par un organisme sans but lucratif. D'autre part, il admet que le fait que le syndicat n’était pas en règle en ne faisant pas de déductions à la source était l’objet de certaines conversations à l’hôpital. Monsieur Deschênes dit ne pas se souvenir avoir assisté à une assemblée générale au cours de laquelle la question de la régularisation aurait été abordée. Il affirme avoir été mis au courant de la question et du fait que le syndicat émettrait éventuellement des T-4 vraisemblablement au cours de l'année 1995 mais après avoir complété sa déclaration pour 1994. Somme toute, quant à l'année 1994 monsieur Deschênes dit s’être fié aux personnes à qui il a posé la question sans vérifier plus avant.

[22] Quant à l'année 1995, monsieur Deschênes dit qu'il attendait qu’on lui émette un T-4 pour déclarer les sommes reçues puisqu’il avait simplement encaissé les chèques et n’avait lui-même tenu aucune comptabilité.

[23] Madame Linda Gauvin est préposée aux bénéficiaires de l'hôpital depuis 1989. Elle a exercé les fonctions de secrétaire de « l'exécutif syndical » du 24 novembre 1993 à aujourd’hui sauf pour la période d’octobre 1996 à janvier 1997. Elle a également fait partie de nombreux comités.

[24] Madame Gauvin a d’abord expliqué qu’en vertu de la convention collective certaines « libérations syndicales » étaient payées par l’employeur qui versait alors le salaire régulier en faisant les déductions requises alors que d’autres étaient payées par le syndicat sans déduction et sans l’émission de T-4.

[25] Madame Gauvin a reconnu avoir rédigé un texte sur une formule type dont les appelants se sont servis pour produire leur avis d'opposition et leur avis d'appel. Dans ce texte, il est fait mention que plusieurs propositions ont été faites lors d’assemblées générales pour que le syndicat régularise sa situation « afin que les représentants syndicaux puissent cotiser les impôts comme tous les travailleurs » . Il y est question d’assemblées générales qui auraient été tenues en novembre 1992, septembre 1993, août 1995 et mai 1996. Madame Gauvin a affirmé que ces dates avaient été indiquées en fonction des informations qu’elle avait alors pu obtenir des individus en place. Toutefois, ayant par la suite appris que ces dates n’étaient pas exactes et après vérification elle a dit avoir constaté qu’il n’y avait pas eu d’assemblée générale en novembre 1992 ni en septembre 1993. En 1993, c'est le 19 avril que l’assemblée générale a eu lieu.

[26] Par ailleurs, à l’aide du procès-verbal d’une assemblée de « l'exécutif syndical » en date du 17 janvier 1994 (pièce A-5), elle reconnaît que la question a été discutée à ce moment et inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale des membres devant se tenir le 26 janvier 1994. Aux questions qu’elle aurait alors elle-même posées sur le sujet, madame Gauvin dit avoir obtenu du trésorier Fisher et du président Duguay les mêmes réponses que les autres. Ces réponses étaient que le syndicat payait le salaire brut depuis longtemps, que le processus de régularisation était en cours et qu’une fois complété des T-4 seraient émis.

[27] De plus, madame Gauvin a signalé que la question de la régularisation a refait surface lors d’une assemblée de « l'exécutif syndical » du 14 février 1995 (pièces A-6 et A-6a). Une proposition que la régularisation ait lieu « tel que stipulé en 1993 » a alors été déclarée non recevable par le président Duguay puisque le budget de 1995 avait déjà été adopté et que cela était susceptible d'entraîner des frais additionnels.

[28] Selon madame Gauvin, tant en 1994 qu'en 1995 plusieurs personnes dont elle-même ont posé des questions et se sont fait répondre, notamment par le trésorier, qu’il y avait des discussions tant avec l’employeur qu'avec les gouvernements et que lorsque la situation serait régularisée des T-4 seraient émis même s’ils l’étaient plus tard.

[29] Dans son témoignage, madame Gauvin a également mentionné la réunion entre « l'exécutif syndical » et le comité des délégués du 24 octobre 1995 à laquelle il a été fait allusion plus tôt (pièce A-7). Madame Gauvin affirme que les questions concernant la régularisation étaient très fréquentes mais que les gens faisaient confiance à messieurs Duguay et Fisher qui avaient tous deux beaucoup d’expérience.

[30] Le procès-verbal de cette réunion, rédigé par madame Gauvin elle-même, mentionne ce qui suit sous le tire « Revenu Canada » :

1991 Proposition Ass. générale, Rien de Fait.

1994 Rapport exécutif, proposition Ass. générale

La CSN ns charge $10,000.00 par année pour nous “légaliser”.

1995 Plainte formulée par un(e) employé(e)

Rencontre avec M. Beaulieu et M. Hurteau (CSN).

Aucune ouverture.

- 0 amende au Syndicat, 0 amende personnes ® syndicat s'en charge.

- Corrige la situation (Régulariser).

- 1992, 1993, 1994 Montants versés à chaque année pour chaque personnes impliquées au Syndicat.

...

- Revenu Québec devrait suivre ...

[31] L'explication fournie par madame Gauvin concernant la mention « 1991 Proposition Ass. générale, Rien de fait » est qu'il s'agissait d'une affirmation de monsieur Fisher. Toutefois, selon elle, même si monsieur Fisher contrôlait le syndicat avec monsieur Duguay, les deux n'étaient pas là très souvent et n'assistaient même pas aux assemblées générales de 1993 à 1997. Cette remarque, sans doute faite pour minimiser l'impact de la mention, est à la fois vague et surprenante puisque que madame Gauvin n'a exercé aucune fonction syndicale avant 1993 et qu'elle n'a jamais mentionné avoir vérifié ce qui s'était passé en 1991.

[32] Lors d'une assemblée générale spéciale des membres tenue le 13 mai 1996, (pièce A-8 et A-8a), madame Gauvin elle-même a présenté une résolution afin « [q]ue l'on se régularise à partir du 1er juillet 1996 » . Cette proposition a été adoptée et a été suivie immédiatement d'une autre présentée par madame Hélène Coderre et secondée par monsieur Neil Fisher qui se lit ainsi :

Que les cotisations syndicales des membres ne servent pas à payer l'impôt sur le revenu des gens visés par l'enquête de Revenu Canada et Québec.

[33] Madame Gauvin affirme qu'elle réclamait ses T-4 depuis deux ans et que monsieur Fisher lui fournissait toujours les mêmes réponses. Comme les choses traînaient, elle aurait présenté sa proposition afin de pousser messieurs Duguay et Fisher à agir.

[34] C'est finalement en date du 22 octobre 1996 que la question aurait été finalement réglée. Le procès-verbal d'une assemblée de « l'exécutif syndical » tenue le même jour (pièces A-9 et A-9a) fait état d'une entente entrant en vigueur le jour même selon laquelle « l'employeur paiera les employés libérés syndicalement et sera remboursé par ce syndicat 1 fois / mois » .

[35] C'est lors de la même assemblée que mesdames Gauvin et Auger remettent leur démission. Madame Gauvin affirme qu'après avoir fait confiance à messieurs Duguay et Fisher, elle avait par la suite acquis une certaine expérience et n'était plus d'accord avec leur façon de faire.

[36] Ces démissions provoquèrent un malaise qui entraîna une élection générale. En janvier 1997, ayant présenté une nouvelle équipe contre madame Duguay (la conjointe du président sortant) et monsieur Fisher, madame Auger fut élue présidente du syndicat et madame Gauvin fut élue secrétaire.

[37] La vérification de Revenu Canada eut lieu en juillet 1996 et tel que mentionné plus haut les cotisations qui font l'objet des présents litiges furent établies en octobre 1996.

[38] Madame Ginette Auger est préposée aux archives de l'hôpital. Elle a été membre de « l'exécutif syndical » de novembre 1993 à octobre 1996 et a été élue présidente du syndicat le 23 janvier 1997.

[39] Madame Auger a d'abord affirmé être d'accord avec le témoignage de madame Gauvin concernant les demandes présentées à monsieur Fisher pour l'obtention des T-4. Elle a également fait état de l'impact négatif de l'absence de déduction lors du paiement des « libérations syndicales » sur le régime de retraite des personnes visées.

[40] En ce qui a trait au paiement même des « libérations syndicales » , madame Auger a précisé que les chèques étaient émis aux deux semaines en fonction des feuilles de temps complétées par chacun. Selon elle, il était possible de distinguer les sommes versées à titre de « libérations syndicales » de celles versées à titre de remboursement de dépenses puisque les chèques indiquaient, le cas échéant, la nature des dépenses remboursées (par exemple : un déjeuner, un dîner, un souper, etc.).

[41] Monsieur Alain Lacoste, agent des appels à Revenu Canada, a notamment fait état de ses communications avec madame Auger qui se représentait elle-même après avoir reçu son avis d'opposition. Cet avis, tout comme ceux reçus des autres appelants, était rédigé selon une formule type et indiquait que des propositions avaient été faites et adoptées afin que le syndicat régularise la situation lors d'assemblées générales tenues en novembre 1992, septembre 1993, août 1995 et mai 1996. Monsieur Lacoste a conclu que l'adoption de telles propositions signifiait forcément que les individus concernés savaient que les sommes reçues étaient imposables et, ainsi, que c'était sciemment qu'elles n'avaient pas été déclarées. Monsieur Lacoste a affirmé que madame Auger lui avait effectivement confirmé que des demandes avaient été faites au syndicat et qu'elle lui avait d'ailleurs fait parvenir une photocopie du procès-verbal de l'assemblée générale du 19 avril 1993 (pièce A-1). Monsieur Lacoste a dit ne pas avoir demandé à madame Auger une copie des autres documents concernant les assemblées générales du syndicat au cours desquelles, selon l'avis d'opposition, il aurait été question de la régularisation. Par ailleurs, il a affirmé que madame Auger lui aurait dit que « tout le monde » avait demandé au syndicat l'émission de T-4 et que l'on en attendait la réception pour déclarer.

[42] Pour monsieur Lacoste la déclaration des sommes reçues alors que l'on savait ces sommes imposables relevait de la responsabilité personnelle de chacun et il dit ne pas avoir été influencé par le fait que le syndicat n'avait pas régularisé sa situation.

[43] L'avocat des appelants distingue la période précédant l'assemblée générale du 19 avril 1993 de celle suivant cette assemblée. Dans le cas de madame France Morin et de monsieur Pierre Daoust, il soutient que la cotisation pour l'année d'imposition 1992 n'est pas valide du fait qu'elle a été établie après la période normale de nouvelle cotisation et que l'intimée n'a pas apporté de preuve qu'il y aurait eu, lors de la production de la déclaration de revenu pour cette année, présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire au sens du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi. Selon lui cette disposition implique d'abord que l'on sache que les sommes reçues devaient être déclarées ce qui n'est pas le cas. En effet, il affirme que le fait que les gens se soient fait dire depuis 30 ans qu'ils n'avaient pas à déclarer les sommes reçues doit être pris en considération malgré que certaines discussions aient pu avoir eu lieu sur la question.

[44] Quant à la période ayant suivi l'assemblée générale du 19 avril 1993, l'avocat des appelants soutient que la rupture avec le passé ne s'est pas nécessairement produite immédiatement et que certaines personnes ne savaient pas trop comment agir. En effet, au niveau du syndicat elles se faisaient dire que c'était à partir du moment où la situation serait régularisée qu'on allait déclarer. Selon lui, les appelants ont confié à leurs dirigeants, et plus particulièrement à messieurs Duguay et Fisher ce mandat de régulariser la situation. Ces individus avaient beaucoup d'expérience et c'est à eux que les appelants ont fait confiance. De plus, dit-il, les appelants n'ont jamais fait preuve d'un comportement antisocial et n'ont jamais eu l'intention de ne pas déclarer les sommes reçues. Ils attendaient simplement que les individus responsables de ce dossier régularisent la situation et émettent les T-4 ce qu'ils ont demandé à plusieurs reprises. L'avocat des appelants soutient que le contexte doit également être pris en compte dans la mesure où le syndicat ne s'était jamais occupé de prélever les impôts pendant plus de 30 ans. Ainsi, dit-il, on doit comprendre la tradition et la culture syndicale basée sur la confiance et la solidarité envers les dirigeants responsables. Selon lui, s'il y a eu faute lourde c'est à ces dirigeants qu'il faut l'imputer et non aux appelants qui, compte tenu de leur niveau de connaissances et de leur manque d'expérience, ont agi simplement en fonction de ce qu'ils comprenaient du système. L'avocat des appelants souligne également les tensions engendrées par toute cette question au niveau syndical, le malaise provoqué par la démission de mesdames Gauvin et Auger en octobre 1996 ainsi que leur élection subséquente au sein d'une nouvelle équipe en remplacement des anciens dirigeants.

[45] Ainsi, c'est en tenant compte de cet ensemble de circonstances, de la situation particulière des appelants, de leur bonne foi et de leur crédibilité que l'avocat de ceux-ci estime qu'il faut conclure au rejet des pénalités. Au soutien de ses arguments, l'avocat des appelants se réfère à plusieurs décisions (voir la liste en annexe) dans lesquelles la faute lourde est analysée par opposition à la simple négligence en tenant compte des circonstances particulières à chaque contribuable.

[46] Pour l'avocat de l'intimée, la question du fonctionnement syndical n'est pas pertinente pour déterminer si les pénalités cotisées sont justifiées. Selon lui, il faut faire la distinction entre la régularisation de la situation au niveau du syndicat et la production d'une déclaration de revenu qui relève d'une démarche individuelle. Selon lui, l'excuse ou la défense des appelants qui reportent le blâme sur les dirigeants syndicaux n'est pas acceptable car elle contribuerait en quelque sorte à infantiliser leur comportement en les relevant de toute responsabilité personnelle.

[47] L'avocat de l'intimée fait valoir que les demandes répétées pour que le syndicat régularise la situation en faisant des retenues et en émettant des T-4 démontrent bien que les appelants savaient que les sommes reçues, facilement identifiables par ailleurs, constituaient du revenu d'emploi et donc des montants imposables. Ainsi, c'est donc sciemment que les appelants ont fait défaut de déclarer les sommes en question prétextant qu'ils attendaient les T-4 mais sans avoir pu faire état d'une démarche quelconque pour s'assurer de l'exactitude de leur déclaration. En substance, l'avocat de l'intimée soutient que la connaissance qu'avaient les appelants ne permet pas de se disculper en ayant recours à la jurisprudence concernant la faute d'autrui pas plus que la culture syndicale ne peut être invoquée pour mettre de côté la responsabilité individuelle résultant notamment de leur signature attestant de l'exactitude de la déclaration produite.

[48] Quant à la prescription concernant l'année d'imposition 1992 dans le cas de madame France Morin et dans celui de monsieur Pierre Daoust, l'avocat de l'intimée soutient que ces personnes savaient probablement que les sommes reçues étaient imposables avant l'assemblée générale du 19 avril 1993. Il s'appuie sur le témoignage de monsieur Daoust qui a affirmé qu'il est non seulement possible mais probable qu'il y ait eu des discussions préalables à la décision prise lors de cette assemblée. Quant à madame Morin, elle a dit qu'elle se serait informée dès 1987 et on lui aurait répondu qu'il s'agissait de « bonis » . L'avocat de l'intimée conclut qu'il y aurait probablement eu d'autres discussions bien avant avril 1993.

[49] Ce qui frappe d'abord dans la situation qui est présentée par les appelants est l'absence totale de démarches de la part de qui que ce soit pour s'informer des conséquences de leur situation individuelle et du comportement à adopter, si doute il y avait, en dehors du cercle restreint des dirigeants et des délégués syndicaux. C'est à croire que les appelants vivaient dans une bulle. Que l'on ait pu penser dans les années soixante, soixante-dix ou même quatre-vingt que les sommes reçues par les appelants et qui correspondaient à leur salaire brut était toute autre chose qu'un revenu qu'il fallait déclarer, passe encore. Que cette croyance ait été celle qui prévalait encore à l'hôpital en 1992, je ne le crois pas. Si personne parmi les appelants n'a jamais poussé plus loin les questions et n'a cherché à s'informer auprès de qui que ce soit à l'extérieur du groupe restreint dont ils faisaient partie c'est vraisemblablement que la réponse était connue. D'ailleurs, le procès-verbal de l'assemblée regroupant « l'exécutif syndical » et les délégués en date du 24 octobre 1995 (pièce A-7) nous fournit un indice à cet égard. Tel qu'indiqué plus haut sous le titre « Revenu Canada » on trouve à la première ligne la mention « 1991 Proposition Ass. générale, Rien de fait » .

[50] La déclaration du revenu de madame Morin et celle de monsieur Daoust pour l'année d'imposition 1992 ont été produites en mars 1993 soit au cours du mois précédant celui où, lors d'une assemblée générale du syndicat, on adopte une proposition selon laquelle on requiert que le mode de paiement des « libérations syndicales » soit régularisé à compter du 1er juillet 1993. Prétendre que les personnes concernées ne savaient pas un mois plus tôt que les sommes reçues à ce titre étaient imposables relève de la pure fantaisie.

[51] Régulariser le mode de paiement des « libérations syndicales » signifie non seulement de la part d'un employeur qu'il émette des formulaires T-4 attestant de la rémunération versée mais d'abord et avant tout qu'il se conforme aux dispositions législatives et réglementaires concernant les déductions à la source. Cela, je crois, n'était un secret pour personne bien avant que la proposition ne soit adoptée lors de l'assemblée générale du 19 avril 1993.

[52] Que le syndicat et ses dirigeants soient en faute d'avoir si longtemps, pour les raisons financières qui ont été invoquées ou pour d'autres raisons, tardé à assumer les obligations qui sont celles imposées à tout employeur, personne n'en doute. Toutefois, cela n'élimine pas la responsabilité personnelle et individuelle qui est par ailleurs celle de tout contribuable de s'assurer que la déclaration de revenu qu'il produit fasse état de la totalité de ses revenus. L'attestation à cet effet que doit signer le contribuable sur la déclaration même a pour but de rappeler cette obligation découlant de la Loi.

[53] Dans la mesure où toutes les personnes intéressées savaient que la façon de procéder du syndicat n'était pas correcte et qu'il fallait régulariser la situation puisqu'on était devenu conscient que les sommes versées pour les « libérations syndicales » constituaient du revenu, il est difficile de conclure que ces personnes aient pu être de bonne foi en s'abstenant délibérément de déclarer les sommes reçues au motif que des T-4 n'avaient pas été émis. Sachant que le syndicat n'en avait jamais émis et que cette situation était irrégulière on ne peut tout de même pas prétendre qu'on croyait toujours que c'était l'émission des T-4 plutôt que la réception des sommes qui était l'élément déterminant.

[54] Lorsqu'on se rend compte que personne n'a fait de démarche ou ne s'est même informé auprès de personnes non reliées au syndicat et que tous les appelants ont suivi la même consigne, par solidarité ou pour d'autres raisons, on est très certainement en droit de se demander s'ils n'espéraient pas collectivement pouvoir ainsi éviter des cotisations tant et aussi longtemps que le syndicat n'assumerait pas ses propres obligations quant aux déductions à la source et à la déclaration des revenus versés par l'émission des feuillets de renseignements T-4.

[55] Il n'est pas nécessaire d'avoir recours à une abondante jurisprudence sur le concept de faute lourde et sur les circonstances atténuantes qu'il importe de retenir aux fins de l'application du paragraphe 163(2) de la Loi lorsque la preuve démontre qu'un contribuable a volontairement fait défaut de déclarer des sommes reçues alors qu'il les savait imposables. Que l'omission soit le résultat d'un excès de confiance ou d'une manifestation de solidarité syndicale ne réduit pas la responsabilité individuelle imposée à tout contribuable. Dans les circonstances, s'abstenir, attendre ou fermer les yeux est faire un acte volontaire. C'est précisément ce que le mot « sciemment » utilisé au paragraphe 163(2) de la Loi signifie lorsqu'on énonce les conditions d'application de la pénalité notamment dans les termes suivants : « toute personne qui, sciemment ... fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, ... ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité ... » .

[56] En conséquence de ce qui précède, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 1998.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.

ANNEXE

Jurisprudence citée par l'avocat des appelants :

- Couture c. M.R.N., 86 DTC 1181, [1986] 1 C.T.C. 2224 (C.C.I.).

- Venne v. The Queen, 84 DTC 6247, [1984] C.T.C. 223 (C.F.1re inst.).

- Yacoub c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1985] R.D.F.Q. 155 (C.P.).

- Thibault v. M.N.R., 78 DTC 1641, [1978] C.T.C. 2876 (C.R.I.).

- Poitras c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1985] R.D.F.Q. 146 (C.P.).

- Belzile c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1987] R.D.F.Q. 66 (C.A.).

- Fernstenfeld c. Sous-ministre du Revenu du Québec, C.Q. Montréal 500-02-003722-894, 1993-03-29, SOQUIJ, jugement no 93F-26.

- Labelle v. The Queen, 97 DTC 1090, [1998] 1 C.T.C. 2509 (C.C.I.)

- N.J. Martin Management Services Ltd. v. R. (Farina et al. v. The Queen), 97 DTC 487, [1997] 1 C.T.C. 2005, (C.C.I.)

- The Queen v. Regina Shoppers Mall Limited, 91 DTC 5101, [1991] 1 C.T.C. 297 (C.A.F.).

Jurisprudence citée par l'avocat de l'intimée :

- Venne (précitée).

- Girard c. M.R.N., 89 DTC 60, [1989] 1 C.T.C. 2138 (C.C.I.).

- Georges Sigouin c. M.R.N., 93 DTC 206, [1993] 2 C.T.C. 2760 (C.C.I.).

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