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Date: 19980720

Dossier: 96-1172-IT-G

ENTRE :

LES IMMEUBLES CHAL INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] L’appelante conteste une cotisation pour son année d’imposition se terminant le 28 février 1993. Par cette cotisation, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a ajouté au revenu de l’appelante un montant de 110 250 $ à titre de gain en capital additionnel résultant de la vente, le 7 juillet 1992, d’un immeuble commercial situé au 1250 boulevard Laflèche à Baie-Comeau (Québec).

[2] L’appelante a vendu l’immeuble à monsieur Claude Lévesque, le fils de son unique actionnaire, monsieur Gilles Lévesque, pour la somme de 325 000 $ dont 65 000 $ pour le terrain et 260 000 $ pour la bâtisse.

[3] Après vérification, le Ministre a considéré que le prix de vente était inférieur à la juste valeur marchande de l’immeuble qu’il a établie à 472 000 $ soit 84 000 $ pour le terrain et 388 000 $ pour la bâtisse d’où l’ajout du montant de 110 250 $ à titre de gain en capital imposable additionnel.

[4] Seule la valeur déterminée par le Ministre pour établir la cotisation est contestée, l’appelante soutenant que la juste valeur marchande de l’immeuble au moment de la vente n’excédait pas 360 000 $.

[5] Il importe au départ de souligner que dans son rapport, l’expert de l’intimée, monsieur Gaston Laberge, a utilisé des mesures anglaises alors que l’expert de l’appelante, monsieur Marcel Furlong, a utilisé principalement des mesures métriques et, à l’occasion, des mesures anglaises, ce qui est loin de simplifier la tâche lorsqu’il s’agit d’établir le bien-fondé des différentes hypothèses ou comparaisons soumises. Pour une meilleure compréhension, l’ensemble des données que j’estime pertinentes et utiles à mentionner sont converties en mesures métriques si elles ne l’étaient déjà.

[6] Dans son rapport d’évaluation, l’expert de l’intimée, monsieur Laberge, privilégiant la technique du revenu, a établi la juste valeur marchande de la propriété au 7 juillet 1992 à 467 000 $.

[7] L’expert de l’appelante, monsieur Furlong, utilisant principalement la technique du revenu mais se fondant également sur celle de la parité, en est arrivé à une valeur de 360 000 $ à la même date.

[8] Messieurs Laberge et Furlong ont établi la juste valeur marchande du terrain seulement à 84 000 $ et 82 000 $ respectivement. Il s’agit d’un terrain rectangulaire de 2 860,9 mètres carrés (36,81 m x 77,72 m) dont l’axe est perpendiculaire au boulevard Laflèche. Il est situé dans une zone commerciale.

[9] L’édifice dont on trouve une description particulièrement détaillée au rapport de monsieur Furlong[1] est également de forme rectangulaire et dans le même axe par rapport au boulevard Laflèche. Il mesure 726,52 mètres carrés (14,02 m x 51,82 m). La structure de l’édifice est en acier. La fondation de même que le plancher sont en béton. La finition extérieure est en brique et en tôle émaillée. L’intérieur est aménagé en trois locaux servant comme salle de ventes, ateliers ou entrepôts. L’édifice possède notamment cinq portes de garage de 4,27 mètres sur 4,27 mètres en acier sur l’un des côtés. Le local en façade et celui donnant à l’arrière de l’édifice sont aménagés de façon semblable avec porte d’entrée double vitrée, vitrines de chaque côté de la porte et fenêtres latérales. Toutefois, il est évident que l’édifice a été construit principalement pour servir de garage. L’édifice possède également trois mezzanines de dimensions et de forme diverses pour une superficie totale locative de 727,78 mètres carrés soit de 282,05 mètres carrés pour le local situé à l’avant, de 188,03 mètres carrés pour celui situé au centre et de 257,71 mètres carrés pour celui situé à l’arrière de l’édifice.

[10] En réalité, l’édifice a été construit à deux époques différentes. La partie avant, environ 65 p. cent de la superficie (14,02 m x 33,53 m) a été construite en 1985. La partie arrière, environ 35 p. cent de la superficie (14,02 m x 18,29 m) a été construite en 1989.

[11] En 1985, c’est la société Fortin & Lévesque Inc. ( « Fortin & Lévesque » ) dont monsieur Gilles Lévesque était l’un des actionnaires qui a construit la première partie de l’édifice sur un terrain acheté de la Ville de Baie-Comeau. Plusieurs des matériaux dont l’acier de structure étaient usagés et provenaient d’un garage démantelé à Forestville. Fortin & Lévesque a été payée pour le travail de démolition et a obtenu les matériaux gratuitement. En février 1986, l’édifice construit selon les spécifications de messieurs Léonard et Laurent Charron, actionnaires de l’appelante, fut vendu à celle-ci pour la somme de 163,500 $ dont 3 500 $ comptant. Le solde fut financé par un prêt garanti par hypothèque consenti par Fortin & Lévesque. Les Ateliers Laurent Charron Enr. (les « Ateliers Charron » ) exploitant une entreprise de vente de motoneiges, de motomarines et de bateaux se sont installés dans le local à l’avant. Le deuxième local fut loué à Technique Auto Enr. ( « Technique Auto » ), une entreprise de mécanique pour automobiles et camions.

[12] En mai 1988, l’appelante était en défaut de faire ses versements depuis plusieurs mois et Fortin & Lévesque lui signifia un avis de 60 jours relatif à l’exercice d’une clause de dation en paiement. Puis monsieur Gilles Lévesque racheta les actions du capital-actions de l’appelante appartenant à messieurs Léonard et Laurent Charron et devint ainsi le seul actionnaire de l’appelante. En 1989, il obtint un financement bancaire de 200 000 $ pour l’appelante et remboursa Fortin & Lévesque.

[13] En 1989, c’est à la demande d’un client, Pare-Brise Côte Nord[2], que monsieur Gilles Lévesque devenu le seul actionnaire de l’appelante, accepta d’ajouter le troisième local à l’arrière puisqu’il considérait alors que l’édifice n’était pas rentable. Plusieurs matériaux usagés furent aussi utilisés pour l’ajout de cette partie arrière dont l’acier de structure. La construction de cette partie arrière a été réalisée comme pour la partie avant avec portes vitrées, vitrines et fenêtres latérales, semble-t-il en prévision de l’ouverture d’une rue parallèle au boulevard Laflèche à l’arrière du terrain, projet qui ne s’est jamais concrétisé. L’aménagement d’une partie du local en bureaux aurait été fait par le locataire. Selon monsieur Gilles Lévesque dont le témoignage est confirmé par celui de son fils Claude, cette partie arrière n’aurait jamais été rentable. Décrite comme peu intéressante pour un commerçant, elle n’a été louée que de façon sporadique et souvent pour de courtes périodes depuis que le premier locataire a quitté les lieux en septembre 1991[3]. Tant pour messieurs Gilles et Claude Lévesque que pour monsieur Laurent Charron la construction de la partie arrière s’est avérée une erreur.

[14] En 1992, monsieur Gilles Lévesque qui se sentait avancer en âge affirme qu’il tentait de vendre l’immeuble. Au printemps, il rencontra monsieur Laurent Charron locataire du local en façade pour lui proposer l’achat de l’immeuble. Toutefois, alors que monsieur Lévesque voulait vendre à 350 000 $ et certainement pas à moins que 300 000 $, monsieur Charron qui se montrait par ailleurs intéressé n’aurait été prêt qu’à payer une somme de 250 000 $ à 275 000 $, compte tenu du prix initialement payé pour l’immeuble en 1986. Monsieur Lévesque admet qu’il n’a pas poussé plus loin ses démarches car il affirme qu’il n’y avait pas de demande. Il dit qu’il connaissait le marché, Fortin & Lévesque ayant construit la moitié des édifices commerciaux à Baie-Comeau.

[15] Pour la période de mars 1991 à février 1992, le loyer payé par Ateliers Charron pour le local en façade était de 1 452 $ par mois. Au printemps 1992, le bail était expiré mais le locataire continuait de payer le même loyer. Monsieur Gilles Lévesque affirme qu’il ne voulait pas signer un nouveau bail avant de vendre. De fait, c’est son fils Claude, l’acquéreur de l’immeuble en juillet 1992, qui a négocié un bail de cinq ans avec le locataire pour un loyer mensuel de 2 100 $ par mois à compter de juillet 1992.

[16] À compter de juin 1992 et pour la dernière année du bail, le loyer payé par Technique Auto pour le deuxième local était de 1 460 $ par mois.

[17] Quant au troisième local, vacant depuis octobre 1991, il n’aurait été loué qu’en février 1992 au prix de 300 $ par mois de même qu’en mai et juin 1992 au prix de 700 $ par mois pour un total de 1 700 $ pour les six premiers mois de 1992. Il serait par la suite demeuré vacant jusqu’en octobre 1992. Puis il aurait été loué à 1 300 $ par mois de novembre 1992 à janvier 1993 et à 1 500 $ par mois de février à avril 1993. Aucun autre loyer n’aurait été perçu au cours de l’année 1993[4].

[18] Monsieur Gilles Lévesque affirme que c’est finalement son fils Claude qui possédait la propriété voisine qui, au printemps 1992, s’est montré intéressé à acquérir l’immeuble de l’appelante. Compte tenu du fait que le local situé à l’arrière avait été vacant durant plusieurs mois et du fait que le bail pour le local situé en façade n’avait pas encore été signé, monsieur Claude Lévesque considérait qu’il n’était pas rentable pour lui d’acquérir l’immeuble au prix de 350 000 $. Tel que mentionné plus haut, la vente fut conclue le 7 juillet 1992 au prix de 325 000 $.

[19] Lors de son témoignage, monsieur Laberge a reconnu que l’utilisation de la technique de la parité des ventes pour établir la juste valeur marchande de l’immeuble vendu par l’appelante à monsieur Claude Lévesque n’était probablement pas la plus adéquate dans les circonstances vu les rajustements très importants qui ont dû être apportés dans certains cas aux ventes dites, malgré tout, comparables.

[20] Quant à la technique du coût, bien que son rapport en fasse état et qu’il ait témoigné à cet égard, monsieur Laberge l’a également délaissée dans son rapport comme moins probante que la technique du revenu pour établir la juste valeur marchande puisque l’immeuble en question est effectivement un immeuble à revenu. L’expert de l’appelante, monsieur Furlong, s’est lui aussi fondé principalement sur la technique du revenu en appuyant toutefois sa conclusion par l’utilisation de la technique de la parité des ventes, point dont je traiterai brièvement avant d’aborder l’analyse des deux experts quant à la technique du revenu.

[21] L’analyse de monsieur Furlong, basée sur la technique de la parité ne fait référence qu’à une seule transaction, considérée comme l’unique comparable, conclue le 15 novembre 1991 à l’égard d’une propriété située au 1850 boulevard Laflèche dans un secteur différent mais jugé équivalent à celui dans lequel est situé l’immeuble de l’appelante. L’immeuble dont la structure semble au premier abord semblable à celle de l’immeuble de l’appelante mais qui n’a tout de même pas l’aspect d’un garage, abritait une épicerie et un autre petit commerce. Il s’est vendu au prix de 385 000 $. Après un rajustement négatif net de 25 600 $, monsieur Furlong en arrive à une valeur de 359 400 $ pour l’immeuble de l’appelante. Monsieur Furlong a d’abord procédé à un rajustement positif de 10 400 $, la superficie du terrain de l’appelante étant légèrement supérieure à la propriété comparable, soit de 2 860,9 mètres carrés et de 2 505,5 mètres carrés respectivement. Puis il a établi un rajustement négatif de 11 000 $, la superficie de l’édifice de l’appelante étant inférieure à l’autre soit 726,52 mètres carrés en comparaison de 760 mètres carrés. Enfin, monsieur Furlong a procédé à un rajustement négatif de 25 000 $ au titre de l’aspect fonctionnel à cause de l’axe différent par rapport au boulevard Laflèche. En effet, l’immeuble de l’appelante a un axe perpendiculaire au boulevard Laflèche alors que celui de la propriété comparable possède une façade plus grande le long du boulevard ce qui aurait permis, selon lui, une subdivision en plusieurs petits locaux plus attrayants que les locaux aménagés dans l’immeuble de l’appelante et surtout plus intéressants que celui situé à l’arrière du bâtiment de l’appelante à l’égard duquel la perte de loyer prévisible aurait été, selon son évaluation, d’environ 30 p. cent d’où un rajustement représentant environ 10 p. cent du prix de vente du bâtiment uniquement.[5]

[22] Pour le moment, je dirai simplement que je suis loin d’être convaincu que le choix de cette transaction dite comparable est significative. À mon avis, l’aménagement très différent des locaux n’est sûrement pas susceptible d’attirer le même type de commerce à moins de modifications importantes dans l’un ou l’autre immeuble si tant est qu’elles seraient possibles. Un garage n’est quand même pas une épicerie. De toute façon, s’il est un point sur lequel je suis d’accord avec les deux experts c’est que la technique du revenu est celle qui est la plus adéquate et la plus probante pour établir la valeur de l’immeuble de l’appelante dans les circonstances.[6]

[23] J’en arrive donc à l’évaluation de l’immeuble de l’appelante par l’utilisation de la technique du revenu. Dès le départ, il importe de préciser que l’expert de l’intimée, monsieur Laberge, a procédé à son analyse exclusivement en fonction du revenu potentiel qui pouvait être obtenu par l’appelante compte tenu des baux jugés comparables dans des immeubles situés dans le même secteur. Dans son rapport, l’expert de l’appelante, monsieur Furlong, s’est livré au même exercice bien qu’il ait utilisé des hypothèses différentes. De plus, il a également tenté d’établir la valeur de l’immeuble en fonction des revenus dits « réels » perçus par l’appelante.[7]

[24] Selon le rapport de monsieur Laberge, les revenus de location déclarés par l’appelante auraient été de 50 695 $, 53 223 $ et 46 859 $ pour les années 1990, 1991 et 1992 respectivement. Délaissant ces données de même que les loyers en vigueur au moment de la vente dans les deux locaux alors loués sans fournir quelque explication que ce soit bien qu’aucun des locataires n’avait de lien de dépendance avec l’appelante, l’expert de l’intimée a procédé ensuite à établir la valeur de l’immeuble en utilisant comme base un revenu net potentiel effectif de 59 386 $ par année et un taux global d’actualisation de 0,127200 d’où la valeur de l’immeuble qu’il a établie à 466 871 $, chiffre arrondi à 467 000 $.

[25] Aux fins de ses calculs, monsieur Laberge a d’abord établi le revenu brut potentiel à 67 216 $ par année en utilisant le loyer médian de cinq baux de locaux commerciaux situés sur le boulevard Laflèche sur les dix-sept relevés dans le même secteur. Les baux retenus auraient été sur une base nette, nette, nette soit des baux aux termes desquels tous les frais auraient été à la charge des locataires.[8] Monsieur Laberge n’a donc pas apporté de rajustements à ces baux pour établir le loyer médian. Je signalerai simplement qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un élément positif dans la mesure où les locaux de l’appelante n’étaient pas loués sur cette base. De plus, et je reviendrai sur cette question un peu plus loin, il est difficile d’établir la pertinence de choisir uniquement de tels baux lorsque les lieux loués et leur usage ne sont pas nécessairement comparables. On se demande vraiment ce que l’on cherchait à comparer.

[26] Le loyer médian pour les cinq baux retenus par monsieur Laberge était de 92,36 $ le mètre carré (soit 8,58 $ le pied carré). Appliqué à la superficie totale locative de 727,78 mètres carrés (soit 7 834 pieds carrés) l’utilisation de cette donnée produit un loyer brut potentiel de 67 216 $ lequel, diminué d’un montant de 7 p. cent soit 4 705 $ pour pertes résultant des vacances et mauvaises créances, donne un revenu net effectif de 62 511 $. Pour en arriver à un loyer sur une base nette, nette, nette, monsieur Laberge procède ensuite à soustraire une seule dépense, soit des frais d’administration de 5 p. cent pour un montant de 3 125 $. Le revenu net annuel est ainsi estimé à 59 386 $. En appliquant à ce revenu un taux global d’actualisation de 0,127200 monsieur Laberge a ainsi obtenu une valeur de 466 871 $ pour l’immeuble.

[27] En juillet 1992, au moment de la vente de l’immeuble de l’appelante à monsieur Claude Lévesque, ce dernier venait de renégocier le bail avec les Ateliers Charron à un loyer de 2 100 $ par mois pour une période de cinq ans. Le bail antérieur signé en 1989 prévoyait un loyer de 1 452 $ par mois jusqu’en février 1992. Tel que mentionné plus haut, le locataire continua de payer le même loyer jusqu’à la signature du nouveau bail au terme duquel le loyer était augmenté de près de 45 p. cent pour un loyer annuel de 25 200 $, chiffre qui ne correspond aucunement à celui de 15 840 $ indiqué au tableau comparatif du rapport de monsieur Laberge sous le titre « loyer annuel » .[9] Ce dernier montant ne correspond pas non plus au loyer de 1 452 $ par mois payé au cours de l’année précédant la vente.

[28] Quant au deuxième local, loué à Technique Auto, le loyer était de 1 460 $ par mois au moment de la vente, ce qui correspond à un loyer annuel de 17 520 $. Le montant de 14 400 $ indiqué au tableau comparatif du rapport de monsieur Laberge[10] ne correspond pas non plus au loyer de 1 393,77 $ par mois payé de juin 1991 à mai 1992 et au loyer de 1 460,33 $ payé en juin 1992 pour un loyer total de 16 791,80 $ au cours des douze mois ayant précédé celui de la vente. Il est à noter que l’augmentation du loyer au 1er juin 1992 était de près de 5 p. cent.

[29] En juillet 1992, le troisième local n’était pas loué. Tel que mentionné plus haut, entre janvier et juin 1992, il avait été loué en février 1992 au prix de 300 $ et en mai et juin au prix de 700 $ par mois. Il est demeuré vacant jusqu’en novembre 1992 alors qu’il a été loué pour trois mois au prix de 1 300 $ par mois à la Ferblanterie Perron. Au cours des mois de février à avril 1993 le loyer est passé à 1 500 $ par mois. Par la suite, le local est demeuré vacant, à tout le moins jusqu’en décembre 1993. Dans le même tableau comparatif de son rapport, monsieur Laberge indique comme locataire « Ferblantier Perron et Frère » , comme période de location l’année « 1990 » et comme loyer annuel la somme de « 22 192 $ » . Comme on peut le constater, il est difficile de s’y retrouver.

[30] Il m’est impossible de vérifier les caractéristiques des autres baux utilisés par monsieur Laberge pour son analyse mais les chiffres indiqués concernant le loyer annuel des trois locaux de l’immeuble de l’appelante permettent d’entretenir des doutes sérieux quant à l’exactitude de l’ensemble des données utilisées. Ceci pourrait peut-être m’amener à conclure que l’ensemble de l’exercice n’a vraisemblablement pas la valeur que l’on voudrait lui attribuer pour déterminer, à partir d’un loyer médian, le revenu potentiel net pouvant être généré par l’immeuble de l’appelante. Mais il y a plus.

[31] Les cinq baux retenus par monsieur Laberge sont tous dans des édifices ne possédant qu’un seul locataire et dont la façade est sur le boulevard Laflèche. Parmi ceux-ci, trois comportent des baux dont les loyers sont parmi les plus élevés des dix-sept baux relevés. Le bail numéro 5 concerne un immeuble situé au 1290 boulevard Laflèche appartenant à monsieur Claude Lévesque et aménagé en bureaux climatisés loués au ministère Énergie et Ressources en vertu d’un bail de cinq ans. Le bail numéro 6 concerne un immeuble situé au 1300 boulevard Laflèche appartenant à madame Ginette Lévesque, construit et aménagé pour partie en bureaux et pour partie en entrepôt selon les spécifications de la Société immobilière du Québec qui a conclu un bail de cinq ans. Le bail numéro 11 concerne un édifice construit expressément pour la Brasserie Labatt, complètement aménagé pour les besoins du locataire, pour partie en entrepôt et pour partie en bureaux et salle de réception. Le bail est d’une durée de dix ans.

[32] D’abord, je dirai que j’ai une certaine difficulté à comprendre en quoi un bail de cinq ans chez la voisine ou le voisin ou un bail de dix ans avec la Brasserie Labatt est plus pertinent pour établir la valeur de l’immeuble de l’appelante que les baux conclus par cette dernière avec des tiers sans aucun lien de dépendance. À défaut de pouvoir établir que les baux en vigueur au moment de la vente présentaient des caractéristiques anormales, il n’y a aucune justification pour les ignorer complètement comme l’a fait monsieur Laberge. Cela vaut pour le bail de cinq ans conclu avec Ateliers Charron à compter du 1er juillet 1992, de même que pour le bail en vigueur jusqu’en mai 1993 avec Technique Auto.

[33] Quant au troisième local, il n’y avait pas de bail en vigueur au moment de la vente. Dans un tel cas, il est justifié d’établir le loyer potentiel à partir de baux comparables. Toutefois, il importe dans ce cas de comparer ce qui est comparable. Ce local situé à l’arrière de l’immeuble de l’appelante étant aménagé de façon à peu près semblable à celui situé en façade sur le boulevard Laflèche, il me paraît plus pertinent d’utiliser, comme base de comparaison, le bail de cinq ans qui venait d’être conclu avec Ateliers Charron pour ce local que des baux dits comparables mais pour des locaux aménagés différemment et dont l’usage était en bonne partie différent. Quant à l’aspect fonctionnel dû à la localisation, il a été complètement ignoré par monsieur Laberge. Pourtant l’appelante avait jusque-là connu des difficultés de location entraînant des pertes importantes. On ne peut tout de même pas croire que le loyer d’un édifice ayant pignon sur rue et construit selon les besoins d’un seul locataire sera le même que celui d’un local donnant sur un fond de cour et situé dans un édifice à plusieurs locataires. L’inconvénient n’est sans doute pas absolu; loin de là. Il n’en existe pas moins.

[34] Somme toute, l’exercice consistant à établir le revenu potentiel de ce troisième local situé à l’arrière de l’immeuble de l’appelante à partir du loyer médian des cinq baux retenus présente, à mon avis, peu de valeur probante.

[35] L’expert de l’appelante, monsieur Furlong, a lui aussi procédé à établir la juste valeur marchande de l’immeuble à partir d’une estimation du revenu fondée sur la comparaison de huit baux retenus sur dix dans des immeubles situés sur le boulevard Laflèche.[11] Avec des rajustements variant de 29 p. cent à 40 p. cent (sauf dans un cas ou le rajustement est de 14 p. cent) pour tenir compte des dépenses d’exploitation et transposer l’ensemble des données sur la base nette, nette, nette, il en est arrivé à établir un loyer ajusté moyen de 74,56 $ le mètre carré et un loyer ajusté médian de 73,18 $ le mètre carré malgré le fait que les loyers dits « réels » de 89,31 $, 93,18 $ et 69,83 $ le mètre carré pour les trois locaux aient respectivement été ajustés à 67,07 $, 70,94 $ et 47,59 $ le mètre carré également pour tenir compte des dépenses d’exploitation.

[36] De ces données, il a conclu à un loyer brut potentiel de 74,00 $ le mètre carré pour les deux premiers locaux (282,05 mètres carrés et 188,03 mètres carrés) soit un loyer annuel de 34 785 $ (470,08 m2 x 74,00 $). Il a attribué un loyer de 53,90 $ le mètre carré pour le troisième local soit un loyer de 13 820 $ (256,40 m2 x 53,90 $)[12]. Selon ces calculs, le revenu brut potentiel total aurait été de 48,605 $ (34 785 $ et 13 820 $). Ce montant a été réduit d’un montant de 3 402 $ (soit de 7 p. cent) à titre de provision pour pertes de loyers et vacances et d’un montant additionnel de 1 000 $ à titre de réserve pour réparations majeures. Le revenu dit « net, net » obtenu a été de 44 203 $. En appliquant un taux de capitalisation de 0,1237, monsieur Furlong a établi une valeur de 357 340 $ pour l’immeuble arrondie à 357 300 $.

[37] Monsieur Furlong a utilisé une valeur de 53,90 $ le mètre carré pour le troisième local soit une valeur de 27 p. cent inférieure à celle de 74,00 $ attribuée aux deux premiers locaux en émettant l’opinion que le local ne se louerait pas plus cher que le local le moins cher parmi les comparables retenus. Par ailleurs, la valeur retenue de 74,00 $ le mètre carré pour les deux premiers locaux est de moins de 10 p. cent supérieure aux loyers réels ajustés pour ces deux locaux (soit 67,07 $ et 70,94 $ le mètre carré).

[38] Ici encore, on a tenté d’établir la juste valeur marchande de l’immeuble de l’appelante à partir de baux dits comparables et parmi lesquels on en retrouve certains également retenus par monsieur Laberge. Toutefois, monsieur Furlong a procédé à des rajustements importants pour tenir compte des dépenses d’exploitation et transposer les loyers sur une base nette, nette, nette. Ces rajustements peuvent au premier abord paraître élevés et ne sont dans les faits aucunement vérifiables compte tenu de la preuve présentée. Si, contrairement à monsieur Laberge, monsieur Furlong a tenu compte des problèmes persistants de location affectant le troisième local, sa conclusion concernant le loyer potentiel pouvant en être tiré aurait pu être explicitée davantage. Cependant, compte tenu de l’orientation que j’entends prendre, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse des baux comparables retenus.

[39] Le rapport de monsieur Furlong présente également des données concernant les loyers ajustés pour tenir compte des dépenses d’exploitation pour les trois locaux situés dans l’édifice de l’appelante. En utilisant le loyer ajusté de ces trois locaux selon les calculs de monsieur Furlong, soit 67,07 $, 70,94 $ et 47,59 $ le mètre carré au lieu du montant de 74,00 $ le mètre carré choisi dans son rapport pour les deux premiers locaux et de 53,90 $ le mètre carré pour le troisième, on obtient un revenu net potentiel de 44 519 $. Ce revenu, diminué d’une provision pour perte de loyers et vacances de 7 p. cent[13] soit un montant de 3 116 $ donne, si on ignore une provision de 1 000 $ pour réparations majeures laquelle n’apparaît pas justifiée aux fins des calculs, un revenu net de 41 403 $ soit un montant à peu près équivalent à celui de 41 456 $ présenté dans un autre document préparé par monsieur Furlong[14] et ayant comme base les revenus dits « réels » diminués des dépenses d’exploitation.

[40] Dans ce document, monsieur Furlong établi le revenu brut potentiel de l’appelante à 60 723 $ et son revenu effectif à 57 623 $ après soustraction d’un montant égal à 5 p. cent, soit 3 100 $ du revenu brut potentiel pour vacances et mauvaises créances. Soustrayant ensuite des dépenses de l’ordre de 16 166,78 $ (soit 26,6 p. cent du revenu brut potentiel) dont 10 800 $ au titre des taxes municipales et scolaires, il en est arrivé à un revenu net de 41 456,22 $. En utilisant un taux de capitalisation de 0,128 il a obtenu une valeur de 323 876 $ pour l’immeuble.

[41] Dans les calculs qui précèdent on obtient le revenu brut potentiel de 60 723 $ en calculant le loyer réel de 25 200 $ par année, ou de 2 100 $ par mois, pour le premier local loué par Ateliers Charron. Le loyer du deuxième local loué par Technique Auto est de 17 520 $ par année, ou de 1 460 $ par mois. Enfin, pour le troisième local, situé à l’arrière, on présente un loyer de 18 003 $ par année, soit de 1 500 $ par mois.[15]

[42] Il n’y a aucune ambiguïté concernant le loyer réel négocié et payé pour les deux premiers locaux. Puisqu’il s’agit de loyers convenus entre parties sans aucun lien de dépendance et en l’absence de preuve que les baux conclus comportent un élément artificiel ou anormal, ces loyers doivent à mon avis constituer la base de l’évaluation utilisant la technique du revenu capitalisé.[16] Dans les circonstances, il m’apparaît évident que le revenu réel constitue une unité de mesure plus adéquate pour déterminer la valeur de l’immeuble de l’appelante qu’un revenu potentiel théorique basé sur des approximations établies à partir d’une moyenne ou médiane de revenu fondées sur des données dites comparables mais qui s’avèrent souvent contestables comme c’est le cas ici.

[43] Quant au troisième local, la preuve présentée n’a pas démontré que le loyer indiqué de 18 003 $ par année, ou de 1 500 $ par mois, ait représenté un loyer réel perçu par l’appelante et qui pouvait être considéré comme tel aux fins des calculs. Toutefois, tous les chiffres présentés par l’appelante et par son expert en font état. Si on suppose pour le moment qu’il s’agit d’un loyer potentiel maximum pour le troisième local situé à l’arrière de l’immeuble on constate qu’à 69,85 $ le mètre carré (soit 6,49 $ le pied carré) un tel loyer se situe à 78,18 p. cent du loyer réel de 89,34 $ le mètre carré (soit 8,30 $ le pied carré) pour le local situé en façade de l’immeuble et occupé par Ateliers Charron. La différence de 22 p. cent pour tenir compte de la situation désavantageuse du local pourrait paraître trop élevée pour certains.

[44] Toutefois, en acceptant que le loyer potentiel du local situé à l’arrière soit de seulement 5 p. cent inférieur à celui du local situé à l’avant, on obtiendrait un loyer de 84,87 $ du mètre carré soit un loyer annuel de 21 871 $ au lieu de 18 003$. Cette différence de 5 p. cent entre le loyer potentiel pouvant être obtenu pour le local situé à l’arrière et le loyer effectivement convenu, en vertu d’un bail de cinq ans, pour le local situé à l’avant apparaît minimale et plus que raisonnable dans les circonstances. Dans cette hypothèse, le revenu brut total serait alors porté à un montant de 64 591 $ au lieu de 60 723 $. Après une provision de 5 p. cent seulement et non de 7 p. cent, soit un montant de 3 230 $, pour vacances et mauvaises créances, le revenu brut effectif s’élèverait à 61 361 $. Après déduction des dépenses d’exploitation de 16 166,78 $ le revenu net obtenu serait de 45 194 $. En appliquant à un tel revenu, le taux global d’actualisation de 0,127200, soit celui retenu par l’expert de l’intimée, on obtient une valeur de 355 300 $ pour l’immeuble de l’appelante. En arrivant à cette conclusion, je suis conscient qu’en utilisant un taux global d’actualisation de 0,127200, la moindre erreur de 1 000 $ dans les revenus ou les dépenses est susceptible d’entraîner une distorsion de plus de 7 860 $ dans la valeur estimée de l’immeuble.

[45] Il est évident que je ne suis pas un expert en évaluation. Toutefois, j’ai examiné attentivement les rapports des deux experts et l’ensemble des éléments de la preuve. Dire que je ne suis pas entièrement satisfait des analyses présentées serait un euphémisme. Néanmoins, ayant considéré l’ensemble de la preuve soumise, j’estime que les conclusions de monsieur Furlong, sont plus près de ce que je crois être la réalité des choses que celles de monsieur Laberge. L’analyse par l’utilisation des données réelles plutôt que par celle dites comparables concernant les deux premiers locaux et l’hypothèse additionnelle que je viens de formuler concernant le loyer potentiel maximal pouvant être obtenu par l’appelante pour le local situé à l’arrière de l’édifice me convainquent, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur de l’immeuble, n’excédait pas 360 000 $ en date du 7 juillet 1992. Je n’irai pas plus loin ni plus en détail dans les critiques déjà formulées puisque l’appelante, de par les conclusions recherchées dans son appel ne conteste, bien que la vente de l’immeuble à monsieur Claude Lévesque ait été faite au prix de 325 000 $, que la valeur établie par le ministre du Revenu national en excédant de 360 000 $.

[46] En conséquence de ce qui précède, l’appel est donc admis et la cotisation déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation sur cette base.

[47] Le tout avec dépens en faveur de l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de juillet 1998.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.



[1]           Rapport Furlong, section 2.7, pages 23 et suivantes.

[2]           La pièce A-9 indique plutôt « Coin du Pare-Brise » .

[3]           Voir les pièces A-8 et A-9.

[4]           Voir pièces A-8 et A-9.

[5]           Voir Rapport Furlong, pages 31 et 32.

[6]           Voir à cet égard deux décisions auxquelles s’est référé l’avocat de l’appelante : Immeubles Polaris (Canada) Ltée c. Montréal (Communauté urbaine de), J.E. 93-624 (C.Q.); Cical Investments Inc. c. Montréal (Communauté urbaine de), J.E. 90-260 (C.Q.).

[7]           Voir pièce A-12.

[8]           Rapport Laberge page 30.

[9]           Voir Rapport Laberge, page 34, bail #2.

[10]          Voir Rapport Laberge, page 34, bail #3.

[11]          Voir Rapport Furlong, page 39.

[12]          Il y a ici une légère erreur. En réalité la superficie étant de 257,70 mètres carrés et non de 256,40 mètres carrés, le loyer calculé aurait dû être de 13 890 $.

[13]          Ce montant est à peu près équivalent à une provision de 5 p. cent sur le revenu brut de 60 723 $ présenté dans la pièce A-12.

[14]          Pièce A-12.

[15]          La superficie indiquée pour ce troisième local dans la pièce A-12 est de 2 744 pieds carrés alors qu’elle devrait être de 2 774 pieds carrés. Les calculs sont par ailleurs exacts en ce qui concerne le loyer annuel.

[16]          Sur cette question, on peut se référer à l’ouvrage de Jean-Guy Desjardins, Traité de l’Évaluation Foncière, Montréal, Wilson et Lafleur, 1992, page 281, no. 9.4.2.1.

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